Lettre de l’ambassadeur de
Russie à Paris à son ministre, 13 mars 1913, reproduite dans René Marchand (éd.), Un livre noir. Diplomatie d’avant-guerre
d’après les documents des archives
russes, novembre 1910-juillet 1914, Paris, Librairie du travail, 1923, tome
II, p. 47 :
« En cette affaire, les Arméniens [nationalistes] mettent toutes leurs
espérances dans la puissante assistance de la Russie et ont la ferme intention
de suivre en toutes choses les indications du gouvernement russe. »
Discours prononcé par M.
Bérézosvky-Olghinsky (considéré comme un agent provocateur tsariste par l’ambassadeur
de France à İstanbul), le 7 avril 1913, à un banquet qui lui a
été offert par des jeunes à Arméniens, à Bitlis (Anatolie orientale), Archives
du ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, microfilm P 16744 :
« Vous savez bien sans doute que tous nos représentants dans la
Turquie travaillent conjointement avec les Tachnakistes [Fédération
révolutionnaire arménienne], par exemple à Van, Erzéroum [Erzurum], Bayazid,
etc. […]
N’entendez pas les promesses vagues de l’Angleterre, de la France et de l’Allemagne,
qui vous font peut-être entendre beaucoup de choses par les missionnaires. La
Russie ne veut, et n’a jamais voulu vous envoyer de missionnaires : elle
préfère vous envoyer ses canons et ses soldats plutôt que des missionnaires. »
Le vice-consul britannique à
Van, Ian Smith, à Sir Louis Mallet, ambassadeur à İstanbul, 10 janvier 1914, reproduit dans Muammer Demirel (éd.), British Documents on Armenians (1896-1918),
Ankara, Yeni Türkiye, 2002, pp. 635-636 :
« Comme le sait Votre Excellence, ces trois partis [Fédération
révolutionnaire arménienne, Hintchak et Armenakan/Ramkavar] se sont accordés, à
Van, il y a six mois, pour mettre un terme à leurs divergences afin de traiter
toutes les affaires concernant les intérêts généraux du Millet [de la
communauté arménienne]. L’influence du parti Dachnakiste [la Fédération
révolutionnaire arménienne], cependant, dépasse largement celle des deux
autres, eu égard sa politique plus active et plus extrême. Il
est bien organisé, dispose de revenus réguliers et apparemment
considérables, qui lui viennent des souscriptions et il a ses agents à travers
les villages arméniens du vilayet qui travaillent pour le parti et restent en
contact avec le comité central de Van. Durant les dernières années, ce parti s’est
activement occupé d’importer secrètement des armes de les distribuer parmi ses
adhérents et partisans. Les pistolets Mauser sont leur arme favorite ; ils
se cachent et [donc] s’importent facilement et ils peuvent être utilisés comme
une carabine, leur tir ayant une portée qui va jusqu’à mille mètres. J’ai vu
des Arméniens portant ouvertement ces armes dans le pays ; et bien que je n’aie
pas vu de pistolets ou de fusils dans les quelques villages que j’ai eu l’opportunité
de visiter, bon nombre de leurs habitants montraient par leur connaissance des
différents types d’arme à feu qu’ils s’étaient familiarisés avec eux. À Van, on
dit que les Arméniens sont maintenant mieux armés que les Kurdes, et il ne fait
aucun doute qu’ils ont obtenu de nombreuses armes modernes, en sus des quelques
vieux Martinis que le gouvernement [ottoman] a distribué dans chaque village. »
Carte de la province de Van en 1914. Source : Justin McCarthy, Esat Arslan, Cemaletti Taşkıran et Ömer Turan, The Armenian Rebellion at Van, Salt Lake City, University of Utah Press, 2006, p. 4.
Hovannès Katchaznouni
(dirigeant de la Fédération révolutionnaire arménienne jusqu’en 1923, Premier
ministre de la République d’Arménie de 1918 à 1919), The
Armenian Revolutionary Federation Has Nothing to Do Anymore, New York,
Armenian Information Service, 1955, pp. 5-6 (discours prononcé devant le
congrès de la Fédération révolutionnaire arménienne à Bucharest, en avril 1923) :
« Alors même que la Turquie n’était pas encore entrée en guerre — bien
qu’elle en commençât les préparatifs — des groupes de volontaires arméniens se
formèrent [à partir d’août-septembre 1914], avec beaucoup de zèle. Malgré la
résolution prise par le comité central à Erzurum, quelques semaines plus tôt
[en août], la Fédération révolutionnaire arménienne contribua de façon active à
la mise en place de ces groupes, et en particulier à leur armement, contre la
Turquie. […]
À l’automne 1914, des bandes de volontaires arméniens s’organisèrent, et
combattirent contre les Turcs, parce qu’ils [ses membres] ne pouvaient pas s’en
empêcher. Ce fut le résultat inévitable de la mentalité que le peuple arménien
avait lui-même développée pendant toute une génération : cette mentalité avait
trouvé son aboutissement et s’exprimait.
Si la formation des bandes fut une
erreur, les origines de cette erreur doivent être cherchées beaucoup plus
loin dans le passé. À présent, il est important de noter seulement cette
évidence que nous [Fédération
révolutionnaire arménienne-Dachnaktsoutioune, FRA-Dachnak] avons participé à ce
mouvement de volontaires de la façon la plus large, en contradiction avec ce
qui avait été décidé lors du congrès du parti. »
« Le nouveau
gouverneur de Van », Le Temps,
13 août 1915, p. 2 :
« Les autorités russes du Caucase viennent de prendre une mesure qui
aura une heureuse répercussion dans tous les milieux arméniens elles ont nommé
au gouvernement du vilayet de Van le chef révolutionnaire bien connu Aram
Manoukian. Né à Schouscha, dans 12 Caucase, vers 1877, ce dernier est une des
figures les plus originales de ces régions si peu connues. Après des études
secondaires dans l'école arménienne, au lieu de prendre le chemin de
l'université, Aram prit celui des montagnes de Van, où il devint bientôt chef
de bande. Ce fut longtemps la terreur des Turcs, et ses exploits tiennent de la
légende. Arrêté enfin, en 1908, avec sa bande, il fut condamné à mort. La potence
était déjà dressée; Aram et ses compagnons s'avancèrent fièrement au milieu
d'une foule immense, quand l'annonce de la proclamation de la Constitution
turque arriva. La population se précipita sur les soldats et leur arracha les
condamnés.
Alors. Aram changea de vie et s'adonna à l'enseignement. Professeur à
l'école d'Ordou, il devint bientôt directeur des écoles de la région d'Aghtamar,
fonda des bibliothèques populaires et des salles de lecture. La guerre vint le
surprendre dans ces paisibles occupations il
reprit les armes et se mit à la tête des insurgés de Van qui se sont emparés
de cette ville. La Russie, en le nommant gouverneur de cette province, a
voulu donner satisfaction à l'élément arménien, dont la collaboration fut si
précieuse dans la lutte contre les
Turcs. »
Gaston Gaillard
(journaliste), Les Turcs et l’Europe,
Paris, Chapelot, 1920, p. 283 :
« Après la prise de Van, les Arméniens offraient un banquet au général
Nicolaïef, commandant en chef de l’armée russe du Caucase, et celui-ci, dans le
discours qu’il prononçait à cette occasion, déclarait : “Depuis 1626, les
Russes ont toujours travaillé à délivrer l’Arménie, mais les circonstances
politiques les ont empêché de réussir. Aujourd’hui que le groupement des
nations s’est radicalement modifié, on peut espérer que la libération des
Arméniens s’accomplira.” Aram Manoukian, dit Aram Pacha, que le général Nicolaïef
nommait peu après gouverneur provisoire de Van, lui répondait : “Lorsqu’il
y a un mois nous nous sommes soulevés,
nous comptions sur l’arrivée des Russes. Notre position était très
périlleuse. Nous devions ou nous rendre ou mourir. Nous avons préféré mourir,
mais, à un moment inattendu, vous êtes accouru à notre secours.” (1)
(1) Hayassdan du 6 juillet 1915,
n° 25. »
Jean Schlicklin
(correspondant du Petit Parisien en
Turquie), Angora. L’aube de la Turquie
nouvelle, Paris, Berger-Levrault, 1922, p. 143 :
« Ainsi, les Turcs avaient affaire, non seulement à un ennemi extérieur
puissant, mais à un ennemi intérieur organisé. Le front ottoman de l'est contre
les armées du grand-duc Nicolas était déjà terriblement difficile à tenir. On
se souvient qu'en 1897, M. Zinovieff, ambassadeur de Russie à Constantinople,
avait signé avec la Sublime Porte un accord aux termes duquel aucune puissance étrangère,
sauf la Turquie, n'avait le droit de construire des chemins de fer dans les
régions limitrophes du Caucase. Cela équivalait à empêcher la Turquie, du moins
pendant de longues années, d'organiser ces régions. »
Communication de l’ambassade
de Russie à Paris au ministère des Affaires étrangères, le 23 février 1915,
reproduite dans Arthur Beylerian (éd.), Les
Grandes Puissances, l’Empire ottoman et les Arméniens dans les archives
françaises (1914-1918), Paris, 1983, p. 7 :
« Le commandant en chef de l’armée [russe] du Caucase télégraphie à
Petrograd qu’un représentant des Arméniens de Zeïtoun [Süleymaniye], arrivé à
l’État-major de l’armée, a déclaré que près de 15 000 Arméniens étaient
disposés à attaquer les communications turques, mais qu’ils manquaient de
fusils et de munitions. Zeïtoun étant situé sur la ligne des communications de
l’armée Erzeroum, il serait extrêmement désirable de faire diriger la quantité
nécessaire de fusils et de munitions sur Alexandrette [İskenderun], où les
Arméniens prendraient livraison. L’action projetée des Arméniens de Zeïtoun
étant dans l’intérêt commun des pays de l’Entente, il serait peut-être
possible, étant donné l’urgence de la situation et l’impossibilité d’introduire
des armes directement de Russie, d’obtenir de la part des gouvernements
français et anglais l’envoi des fusils et cartouches susmentionnés dans le port
d’Alexandrette, à bord de transports français ou anglais.
Les ambassadeurs de Russie à Paris et à Londres sont chargés de s’enquérir
du sentiment des deux cabinets alliés au sujet des suggestions ci-dessus
exposées et M. Isvolsky serait en conséquence vivement obligé à Son Excellence
Monsieur Delcassé de vouloir bien lui faire connaître le point de vue du
gouvernement de la République à cet égard. »
Comité de la défense
nationale arménienne, Note sur une opération militaire en Cilicie, 24 juillet
1915, reproduite dans Jean-Claude Montant (éd.), Documents diplomatiques français. 1915, tome III, 15 septembre – 21 décembre, Berne, Peter
Lang, 2004, p. 98 :
« Comme suite à notre note en date du 20 juillet et sur la demande de Son
Excellence sir John Maxwell, commandant en chef des forces de Sa Majesté en
Égypte, nous avons l’honneur de résumer ci-après le plan d’action du Comité de
la défense nationale arménienne.
Cette action se trouve réduite à une petite opération militaire et pourrait
donner des résultats satisfaisants, en attendant que la demande de notre
président, Son Excellence Boghos
Nubar, relative à un débarquement sur les côtes de la Cilicie, puisse être
accueillie en temps plus opportun. Qu’il nous soit cependant permis d’ajouter
que ce débarquement n’aurait nécessité que l’emploi d’une force de 10 à 12 000
soldats alliés pour assurer : l’occupation d’Alexandrette [İskenderun],
Mersine [Mersin] et Adana (avec les défilés), la jonction d’un corps de
volontaires arméniens (10 000 environ) ainsi que le concours effectif de toute
la population arménienne de cette région ; car dans une pareille
éventualité, nous pourrions compter sur l’appui de 25 000 insurgés arméniens de
la Cilicie et de 15 000 insurgés qui accourraient des provinces avoisinantes.
Cette force considérable, de 50 000 au moins, réussirait à avancer au-delà même
des frontières ciliciennes et constituerait certaine un important facteur pour
kes Alliés [la Triple-Entente : Russie, Royaume-Uni, France]. Nous croyons faire une simple affirmation,
maintes fois constatée, que en disant qu’en Turquie seules les populations
arméniennes de l’Arménie [Anatolie orientale] et de la Cilicie [région d’Adana]
ont des tendances insurrectionnelles très accentuées contre le régime turc. »
Edward J. Erickson, introduction à Edward J. Erickson (dir.), A Global History of Relocation in
Counter-Insurgency Warfare, Londres-New York, Bloomsbury, 2019, pp. 4-5 :
« À l’aube du XXe siècle, les politiques contre-insurrectionnelles fondées
sur l’évacuation contrainte et délibérée de populations civiles par des États
émergèrent comme des pratiques viables et acceptables dans la guerre
occidentale. Trois conflits, en particulier, constituèrent d’importants
précédents pour le monde occidental pour la réponse face à des guérillas et des
insurgés irréguliers. Ces guerres impliquèrent l’Espagne à Cuba (1895-1898),
les États-Unis aux Philippines (1899-1902) [dans les deux cas contre les
indépendantistes locaux] et la Grande-Bretagne en Afrique du Sud (1899-1902)
[contre la guérilla des Boers, c’est-à-dire les descendants de Néerlandais]. Toutes
trois virent évoluer des pratiques similaires, en termes stratégiques,
opérationnels et tactiques, par les puissances occidentales. Au niveau
stratégique, les puissances cherchaient la destruction des forces d’insurrection
et de guérilla pour mettre fin aux soulèvements et, dans le cas des Boers,
mettre fin à une guerre conventionnelle qui était entrée dans une phase de
guérilla. En termes opérationnels, les
puissances avaient pour principal dessein de séparer les guérilleros de leurs
principales sources de soutien, c’est-à-dire les populations civiles favorables
et ainsi de s’assurer la défaite des forces irrégulières, affaiblies par ce
moyen. […] À divers degrés, ces campagnes furent des succès.
La réinstallation comme
stratégie et comme approche opérationnelle réapparut sous des formes variées
durant les soixante-dix années suivantes. »
Maxime Gauin, « Uneven Repression: The Ottoman State and its Armenians »,
ibid., p. 123 :
« Le nombre total des insurgés arméniens demeure inconnu à ce jour, mais il
peut être estimé à 25 000 à Van, selon l’ambassadeur étasunien Henry Morgenthau
qui était loin d’être un ami des Turcs, et qui était encore moins un ennemi des
Arméniens. Un dirigeant nationaliste arménien [Aram Turabian], qui était en
contact direct avec ses homologues du Caucase, a donné comme estimation 30 000
pour la province de Bitlis. Comme il a déjà été expliqué, il semble y avoir eu
15 000 rebelles à Sivas, 15 000 à Zeytun et 25 000 dans la région de Çukurova.
Ces chiffres ne tiennent pas compte des insurgés de Buras, Urfa et d’autres
endroits où la population arménienne était forte. Dans ces conditions, et tant
qu’une investigation systématique n’est pas menée dans les archives ottomanes
et russes, 100 000 rebelles (sans compter les volontaires de l’armée russe) est
une estimation prudente. Si ce n’était certainement pas la majorité de la
population arménienne ottomane, c’était un chiffre énorme pour une armée qui se
battait déjà sur plusieurs fronts. »
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