I) Avant la loi sur le déplacement forcé de mai 1915
Michael A. Reynolds (maître de conférences en histoire à l’université de Princeton), Shattering
Empires. The Clash and Collapse of the Ottoman and Russian Empires, 1908-1918,
Cambridge-New York, Cambridge University Press, 2011, p. 156-158 :
« Mais les problèmes inhérents à l'emploi de milices ethniques se
révélèrent dès le tout début. Déjà en décembre 1914, un responsable tsariste se
plaignait que les régiments arméniens “s'abandonnent avant tout au pillage et à
la destruction des maisons de la paisible population musulmane, réglant ainsi
leurs comptes vieux de plusieurs siècles”. […]
Tout au long de l'année 1915, un débat eut lieu sur l'utilité des régiments
de volontaires arméniens. Alors que les porte-parole arméniens et certains
officiers tsaristes saluèrent leur bravoure et leur zèle, d'autres responsables
russes soulignèrent leur prédilection pour le pillage et le massacre des
musulmans. L'aliénation des musulmans avait des conséquences militaires
négatives, soutinrent ces derniers, et empêcher cela devait être la priorité.
Pendant l'été 1915, le haut commandement de l'armée russe mit son veto à la
formation de nouveaux régiments arméniens et commença à dissuader les Arméniens
de l'étranger de se porter volontaires. Puis, en décembre, il supprima
complètement ces régiments, transférant des volontaires arméniens dans l'armée
régulière, exécutant un nombre indéterminé d’entre eux et licenciant le reste.
[…]
Un fonctionnaire tsariste, le prince Vassili Gadjemoukov, exposa carrément
les accusations contre les Arméniens dans un rapport à Youdenitch. La
participation arménienne dans les opérations militaires n'avait produit “que
des résultats négatifs”. Les marchands arméniens abîmaient la logistique de
l'armée en abusant de leur accès aux chemins de fer pour expédier des biens
commerciaux. Pire encore, le pillage incontrôlé du fait des bandes arméniennes
éveillait l'hostilité des Kurdes et des autres musulmans. Par leur massacre général
des musulmans à Van, expliquait-t-il, “les Arméniens eux-mêmes” avaient donné
le “signal de la destruction barbare de la nation arménienne en Turquie”. Et,
bien que cette destruction eût donné “le résultat positif que la Turquie nous a
laissés une Arménie sans Arméniens”, la conséquence des évènements de Van avait
été de renforcer la résistance musulmane aux armes russes “de peur de tomber
entre les mains d’Arméniens”. Gadjemoukov n'était pas isolé en formulant de
tels avis. Boris Chakhovskoï, ancien consul à Damas qui supervisait les liens
avec les tribus kurdes pour l'état-major général russe, se plaignait amèrement
de “la brutale anarchie des Arméniens [à l'égard des Kurdes]”. Les nationalistes arméniens voulaient “exterminer
tous les habitants musulmans des zones que nous occupions” et leur sauvagerie
provoqua “une résistance kurde désespérée” qui “compliqua terriblement nos
opérations [militaires]”. Comme l'Assyrien Agha Petros en a témoigné, les
réfugiés qui ont été victimes d'atrocités remplirent les rangs des Kurdes
hostiles à la Russie. Bien que moins prompts à blâmer les Arméniens pour la
brouille avec les Kurdes, les fonctionnaires consulaires et orientalistes
Vladimir Minorskii et Vladimir Gordlevskii faisaient également pression sur
l'armée afin de prêter davantage attention à la sécurité des Kurdes et d'autres
préoccupations.
[…] Un officier assyrien exhortait ses supérieurs à laisser tomber le
“principe russe” consistant à se concilier pacifiquement son ennemi, en faveur
de la guerre tous azimuts contre les musulmans. »
Kara Schemsi (Reşit Safvet Atabinen), Turcs et
Arméniens devant l’histoire, Genève, Imprimerie nationale, 1919 :
« Déposition sous serment d'Ali, fils de Suleiman, originaire de Bitlis,
émigré actuellement au village de Kayalou de Mardine (vilayet de Bitlis).
C'était vers la fin de février 1915. Les Arméniens de Bitlis et de Van, qui
avaient appris de bonne heure que les Russes voulaient occuper Bitlis, se
ruèrent sur la population musulmane et se mirent à la massacrer sans pitié, lui
barrant le chemin afin de l'empêcher de s'enfuir. Entre temps, mon beau-frère
Ali, de 21 ans, sa mère Rébiché, Cheïkh Ahmed de Kazaran, sa femme et un de ses
serviteurs; nos voisins Ahmed Oglou et son enfant en bas âge, un octogénaire
Hassan, son fils Izzet et deux soldats malades en congé furent victimes de la
férocité de ces barbares qui les mirent en pièces.
De notre famijle, qui se composait de 17 personnes, 5 seulement ont pu
échapper au massacre et cela avec mille difficultés. Un bébé de ma nièce fut jeté en l'air et taillé en deux par ces bandits
arméniens.
Ils violèrent les jeunes filles et ensuite ils les trainèrent toutes
ensanglantées dans les rues. En somme, des crimes inouïs et indescriptibles ont
été commis par les Arméniens sur l'élément musulman. » (p. 35)
« Déposition sous serment de Mehmed Toufan effendi, fils du Major
Essad effendi, juge suppléant au tribunal de Hakiari
Dès la déclaration de la guerre générale, des bandes arméniennes formées
d'avance entrèrent en activité et se firent les éclaireurs etles estafettes des
troupes russes se trouvant à la frontière persane. Ils appelèrent les Russes et
les introduisirent le 9 novembre 1330 (1914) dans le villase de Dir, chef-lieu
de la corninune de Chikefti, du district de Hekguiari.
Pendant que les Russes occupaient Dir, ces
bandes massacraient de leur côté tous les habitants mâles des villages kurdes
qui se trouvaient sur leur chemin et au fil de l'épée des milliers d'enfants.
[…]
D'autre part, les membres des Comités arminiens se trouvant sous le
commandement de Carabet, ex-juge au tribunal, entraient dans les maisons des
musulmans et des israélites qti'ils dévalisaient après avoir violé les filles
et les femmes. » (pp. 40-41)
« Déposition sous serment da Féhim bey, fils de Kahramanbey, originaire
de Maoradio, membre du Conseil administratif de cette ville, se trouvant
actuellement émigré au village de Klet, vilayet de Van.
[…]
Pendant notre marche, nous apprîmes de Sdih bey, fils du maire du village
Gumuche, que les habitants de son village ainsi que ceux des villages
environnants avaient été massacrés par la bande arménienne de Aram [Manoukian]
de Van, chef de Comité, qui fit brûler vifs les enfants dans des fours destinés
à cuire le pain. En route, nous avons constaté avec Salih bey que le village
musulman de Iguidjé composé de 30 maisons et celui de Gumuche de 100
habitations avaient été entièrement dévastés par des bandes arméniennes. Des cadavres d'hommes et de femmes horriblement
mutilés gisaient partout. On voyait
dans les fours les squelettes carbonisés des enfants. Quelques femmes et enfants
qui ont pu échapper au massacre du village de Gumuche vinrent se joindre à nous
et racontèrent que tous les habitants de leur village avaient été tués ou
brûlés sans pitié par les bandes arméniennes. » (pp. 42-43)
« Rapport du commandant de gendarmerie de Van Lorsque les Russes
passèrent la frontière ottomane, les Arméniens de Van, persuadés que l'occasion
qu'ils attendaient depuis si longtemps se enfin, commencèrent à se soulever et
à se livrer à des actes révolutionnaires. Exécutant un plan préparé de longue
date, ils attaquèrent les courriers, les voyageurs et les villages musulmans
sans défense, refusèrent les réquisitions et se mirent en embuscade pour piller
les convois de ravitaillement militaires. […]
A Tcharpik-Ser, plusieurs personnes ont affirmé sous serment avoir vu un
enfant que les révolutionnaires firent
rôtir et attacher ensuite à un poteau, à la pointe d'une baïonnette. Les restes
de cette créature infortunée nous furent montrés. […]
Au village d’Ahtoudji, pendant que Zuléiha, femme de Kémo était en train de
cuire du pain, on jeta en sa présence son enfant, une fillette de 6 mois, au
feu et on lui dit d'en manger la chair. Sur son refus on la tortura impitoyablement
en lui brûlant la jambe. Le récit de cette malheureuse qui vit encore, arrache des
larmes aux cœurs les plus durs.
On voyait dans ce même village
des corps calcinés de petits enfants qui avaient été jetés dans des amas de
bouse et brûlés. […]
Plus de 300 habitants des cazas de Kévache et de Vostan furent exterminés
dans la montagne d'Aguiro par le comité de Meksse. Pas un n'échappa.
Près de 300 Israélites qui avaient
voulu s'échapper de Hekkiari, furent massacrés au village de Sis et leurs corps
entassés les uns sur les autres. Des témoins ayant vu les restes de ces
victimes, l'ont affirmé sous serment.
Toutes les mosquées de Van furent détruites et les quartiers musulmans brûlés
au point que le centre de la ville et ses environs ne présentent plus qu'un
monceau de cendres et de ruines. Quatre-vingt malades que l'on n'avait pu
transporter à temps de l'hôpital, ont été brûlés vifs. » (pp. 58-59 et 63)
II) Pendant les grandes offensives russes de 1916
Morgan Philips Price
(correspondant de guerre britannique sur le front ottomano-russe), War and Revolution in Asiatic Russia, Londres, George Allen & Unwin, 1918, pp. 140-141 :
« Un jour [de 1916], je suis sortis du camp et suis tombé sur un petit
village kurde. La plupart des habitants avaient fui avec les Turcs, mais en
descendant la rue, je vis trois cadavres de Kurdes, un homme et une femme, avec
des blessures récentes sur la tête et le corps. Puis, deux volontaires
arméniens de notre camp apparurent soudainement, emportant ce qu’ils avaient
trouvé dans une maison. Je les arrêtai et leur demandai qui étaient ces Kurdes
morts. “Oh !” dirent-ils, “Nous les avons tués, simplement.”
“Pourquoi ?” demandai-je. Un air de stupéfaction se fit voir sur leurs visages.
“Pourquoi poser une pareille question ? Pourquoi est-ce que nous
tuons les Kurdes dès que nous les voyons ? Ils sont nos ennemis et nous
les tuons, car si nous les laissons [en vie] ici, ils nous feront du mal.”
Voilà tout ce que j’ai pu obtenir comme réponse. L’état d’esprit qui commande
ces actes ne fait aucune différence entre combattants et
non-combattants. »
Grace H. Knapp (missionnaire
américaine ouvertement turcophobe), The
Tragedy of Bitlis, New York-Chicago-Londres-Édimbourg, Fleming H.
Revell C°, 1919, p. 146 :
« […] une bande de volontaires arméniens, qui faisait partie de l’avant-garde
de l’armée russe, laquelle, en descendant des hauteurs sans pistes et enneigées
qui entourent Bitlis, avait pris les Turcs par surprise et s’étaient emparés de
la ville. Les musulmans qui ne
réussirent pas à s’échapper furent mis à mort, mais la vie de Mustifa Bey
fut sauvée par l’intervention des filles [arméniennes] que nous avions
protégées. »
Kara Schemsi, Turcs et
Arméniens devant l’histoire, Genève, Imprimerie nationale, 1919, pp.
66-68 :
« Rapport sur les atrocités commises par les Arméniens dans la ville
de Bitlis.
La dame Niguiar, âgée de 50 ans, mère de Réchid-Oglou Mehmed du quartier de
Herssan fut tuée à coups de poignard. La fillette d'Ahmed Aga qui se trouvait
chez Réchid-Oglou eut le même sort. Son corps fut jeté dans la rue et dévoré
par les chiens. Ce triste spectacle a été vu par plusieurs rue personnes, parmi
lesquelles Kalkandjinoglou Osman Aga de Kizil Mesdjid qui a rapporté le fait
sous serment.
Le père de Husséin-Oglou
Salih d'Ahlat, un vieillard de 70 ans habitant au quartier de Kizil Mesdjid,
fut mis en pièces à coups de sabre.
Au quartier de Tache-MahaIIé, le pére d'lsmaïl-Oglou Mehmed, un vieillard
de 90 ans fut assassiné et sa maison pillée par les Arméniens.
Au quartier d’Aïn’el Barid, Fatma,
jeune fiIle de 17ans fut violée. Son père, Hasso-Oglou Bedri fut torturé et sa
maison pillée.
Chabaii Effendi, juge suppléant à la cour d'appel de Bitlis fut traîné,
pendant la nuit, hors de sa maison et assassiné d'une façon tragique, après
qu'on lui eut enlevé tout ce qu'il avait sur lui. Sa fine Nadjié, âgée de 15
ans fut violée et son beau-père, Moussa Effendi, battu et assommé. Sa nièce Yul
Péri fut tuée par des femmes arméniennes.
Kiamil Effendi de Tache
Mahallé fut emporté de chez lui et tué d'une balle. Sa belle-mère, son frère, son
enfant de 3 mois et sa servante Rukkié furent victimes des mêmes
agresseurs. Dans le même
quartier, le nommé Farss fut emporté de chez luiet on n'a jamais plus eu de ses
nouvelles. Son fils Cadri, âgé de dix ans
et ses autres fils Tevfik et Chérif, furent sauvagement massacrés à coups de
crosse et de botte. Ses tantes, Mentane, Guéchiniche et Zinète, subirent à
différentes reprises les derniers outrages. Son cousin Essad fut mis en pièces à coups de sabre.
[…] Les tragiques événements énumérés ci-dessus et qui nous ont été rapportés
sous serment par un grand nombre de Musulmans qui n'ayant pu s'échapper de
Bitlis y sont demeurés exposés aux attaques et aux méfaits des bandes
arméniennes, ne constituent qu'une très faible partie des horreurs et des
atrocités commises par ces bandes, atrocités dont les traces restent encore
visibles.
Le 14/27 août 1916
Hadjik Mélik Zade
Cheïkh Youssouf
Eumer Houloussi, professeur d’arabe à l’École militaire
M. Arif, directeur intérimaire de la police
Molla Issa Zadé
Abdul Halim
Cazazlar Cheikhi Zadé Youssouf
Hakki, secrétaire général par intérim de [la préfecture de] Bitlis »
Commandant Kenneth Mason
(armée britannique en Irak), titulaire de la Military Cross, « Central
Kurdistan », The Geographical
Journal, LIV-6, décembre 1919, p. 331 :
« Les troupes arméniennes qui accompagnaient les Russes massacrèrent
[en 1916] environ cinq mille Kurdes, hommes, femmes et enfants en les
conduisant, à la pointe des baïonnettes sur la falaise qui surplombe la gorge
de Rowanduz [aujourd’hui près de la frontière irako-turque]. L’Arménien
lui-même peut avoir quelque chose du tigre quand il se trouve face à une proie
sans défense. »
Edward W. C. Noel (commandant
du renseignement britannique), rapport de 1919, cité par Stanford J. Shaw dans From Empire to Republic. The Turkish War of National Liberation, Ankara,
TTK, 2000, tome II, p. 922 :
« Au terme de trois mois passés à sillonner la région occupée et dévastée
par l’armée russe, ainsi que par l’armée chrétienne de revanche [volontaires
arméniens et nestoriens], durant le printemps et l’été 1916, je n’ai aucune
hésitation à dire que les Turcs pourraient présenter autant de charges valables
contre leurs ennemis que ceux-ci n’en ont présentés contre les Turcs dans la
lettre du colonel Agha Petro. Selon les témoignages quasi unanimes des
habitants comme des autres témoins oculaires, les Russes, à l’instigation des
Nestoriens et des Arméniens qui les accompagnaient, leur chef étant Agha Petro
lui-même, tuèrent et massacrèrent sauvagement, sans distinction d’âge ni de
sexe, tous les civils musulmans qui tombèrent entre leurs mains. Un exemple typique peut être fourni par
l’anéantissement de la ville de Rowanduz, et le massacre général de ses
habitants.
Alors que le colonel Petro peut citer des exemples isolés d’atrocités
turques, celui qui voyage dans les
districts de Rowanduz et Neri pourra trouver des preuves très nombreuses,
systématiques, des horreurs commises par des chrétiens contre les musulmans.
Il est difficile d’imaginer quelque chose de plus total, de plus complet. Je
mentionnerai aussi que, selon le témoignage des populations kurdes, le colonel
Agha Petros est le mauvais génie des Russes, et fut en grande partie responsable
des excès commis par eux. »
Capitaine William Rupert Hay, Two
Years in Kurdistan: Experiences of a Political Officer, 1918-1920, Londres,
Sidgwick and Jackson, 1921, p. 192 :
« Au début de l’année 1916, Rawanduz [Rowanduz] fut occupée par les Russes
et une populace en armes de chrétiens venus d’Arménie et de Perse, lesquels,
avec les soldats russes, dévastèrent la campagne, commettant tous les outrages
concevables. Toute la ville fut dévastée et devint un champ de ruines, à l’exception
du quartier chic, résidentiel, où les officiers russes furent cantonnés. »
III) Pendant le retrait russe (1917-1918)
Emory H. Niles et Arthur E. Sutherland (membres de la commission Harbord,
chargés des provinces les plus orientales de l’Anatolie), rapport
au gouvernement fédéral américain, 1919, National Archives and Records
Administration, College Park, Maryland, reproduit dans Justin McCarthy, « The
Report of Niles and Sutherland—An American Investigation of Eastern Anatolia
after World War I », in XI. Türk Tarih
Kongresi, Ankara, TTK, 1994, tome V, pp. 1809-1852 :
« Dans toute la région [entourant le lac de Van], nous avons été informés
des dommages et des destructions commis par les Arméniens [de l’armée russe]
qui, après que les Russes se retirèrent, restèrent occuper le pays et qui,
lorsque l’armée turque [ottomane] avança, détruisirent tout ce qui appartenait
aux musulmans. Par ailleurs, les Arméniens sont accusés d’avoir commis des
meurtres, des viols, des pillages et d’horribles atrocités à l’encontre de la
population musulmane. Au début, nous avons accueilli ces récits avec
incrédulité, mais nous sommes finalement arrivés à les tenir pour vrais, car
les témoignages furent absolument unanimes, et sont corroborés par des preuves
matérielles. Par exemple, le seul
quartier demeuré intact à Van et Bitlis, c’est le quartier arménien, comme
cela peut être démontré par la présence d’églises et d’inscriptions
caractéristiques sur des maisons, alors que les quartiers musulmans sont
entièrement détruits. […] Nous
considérons comme incontestable que les Arméniens furent coupables contre les
Turcs de crimes de même nature que ceux dont les Turcs sont coupables
contre les Arméniens. […] » (pp. 1828-1829)
« Ces villes et villages [du nord-est anatolien], sur la ligne de
retraite de l’armée arménienne [les volontaires de l’armée russe] sont ceux qui
souffrirent le plus. » (p. 1842)
« Sans nous perdre dans le récit détaillé de nos enquêtes, l’un des faits
les plus marquants qui ont retenu notre attention, c’est qu’en chaque lieu, de
Bitlis à Trébizonde [Trabzon], dans cette région que nous avons traversée, les
Arméniens commirent contre les Turcs tous les crimes et toutes les atrocités
commises par des Turcs à l’encontre d’Arméniens.
Au début, nous accueillîmes ces récits avec un grand scepticisme, mais
l’unanimité des témoins, le désir évident que ceux-ci avaient de parler de ce
qu’ils avaient subi, la haine des Arméniens, et, surtout, les preuves
matérielles nous ont convaincus de la véracité générale des faits suivants : premièrement, des Arméniens ont massacré
des musulmans en grand nombre, avec bien des raffinements de cruauté ; et,
deuxièmement, les Arméniens sont responsables du plus grand nombre de
destructions dans les villes et les villages. » (p. 1850)
Francis Gutton, Prisonnier de guerre chez les Turcs. Une
captivité pas comme les autres. 1915-18, Paris, Bibliothèque du Comité d’histoire
de la captivité, 1976 :
« De bonne heure le lendemain [8 avril 1918], nous reprenons la route
dans la vallée s’élargissant pour devenir bientôt une plaine fertile [près
d’Erzincan, en Anatolie orientale] parsemée de villages tout en longueur, mais
incendiés, dressant leurs ruines sur des vignes, des jardins, des vergers
saccagés par la “Légion arménienne” [dirigée par Antranik Ozanian] dans sa
retraite sous la poussée kurde de Youssouf Agha. Beaucoup d’arbres fruitiers
ont même été coupés par les fuyards. » (p. 71)
« Le lendemain [21 avril 1918], en grimpant, la route se rapproche des
bords de l’Euphrate qu’elle domine dans une vallée encaissée. La lenteur du
convoi nous incite à prendre les devants. Après deux heures de marche, nous
nous asseyons sur un rocher, contemplant le fleuve aux eaux sales et sombres.
Mais quelle horreur ! Elles charrient des
cadavres boursouflés, aux costumes de paysans ; il y a des hommes et des
femmes, sans doute victimes de la Légion arménienne en pleine débâcle et se
vengeant sur des innocents ! Vision horrible ! Enfin le convoi
nous rejoint et nous tire de ce spectacle de cauchemar ! Mais l’officier
responsable nous reproche notre imprudence. Vous
pouvez remercier Allah, nous dit-il, que
rien de fâcheux ne vous soit arrivé, car ici même, il y a quelques jours, des
officiers turcs furent tués par des bandes arméniennes qui se cachent dans les
montagnes. Ce qui confirme ce que l’ont nous a dit à Erzindjian
[Erzincan] : lors de l’entrée de ses troupes dans la ville [d’Erzurum]
libérée, Véhib
Pacha fit enterrer plus de 2 000 morts massacrés par les Arméniens, qui
poursuivent plus loin leurs atrocités.
Vers dix heures du soir, nous arrivons dans les ruines du hameau de Sanssar
Déré (le ruisseau des Martres). La seule maison restée à peu près debout est
emplie de cadavres ! Une nouvelle nuit à la belle étoile nous
attend. » (pp. 75-76)
Şinasi Orel et Süreyya Yuca, Les
« Télégrammes » de Talât Pacha. Fait historique ou fiction ?,
Paris, Triangle, 1986, pp. 132-133 :
« DOCUMENT AUTHENTIQUE N° LXIX
Télégramme chiffré du 1er avril 1334 (1er avril 1918) du commandement de la
3e armée au commandement de la 4e armée.
“Dans la période du 12 mars 1334 (12
mars 1918), date de la reprise d’Erzurum, au 20 mars 1334 (20 mars 1918), on a
retrouvé, rien que dans la ville d’Erzurum, les cadavres de 2 127 musulmans
impitoyablement assassinés par les Arméniens.
Les recherches sont en cours. Le nombre des cadavres qui peuvent être
ultérieurement retrouvés sera communiqué.
Lüfti [71]”
DOCUMENT AUTHENTIQUE N° LXX
Télégramme du 1er mai 1334 (1er mal 1918) de la 3e armée au quartier général
du commandement en chef par intérim.
“Tous les villages de Trabzon jusqu’à Erzincan ne sont que ruines. La
majeure partie a été détruite par les Arméniens tons du retrait des Russes. Les
Grecs aussi ont pris leur part dans cette destruction. Les paysans ont souffert
des atrocités des citoyens non musulmans plutôt que de celles des Russes. Les
quartiers musulmans de Trabzon ont été rasés. Les cimetières ont été
transformés en théâtres par les Russes. Des dessins odieux ont été tracés avec
du fumier sur les murs des mosquées. Même les arbres fruitiers sur la route de
Trabzon-Erzincan ont été abattus et les maisons détruites. Les femmes affamées,
leurs vêtements en lambeaux, mendient sur les routes. Les villages chrétiens
ont été épargnés. Erzincan est une
vision de tragédie. Les puits sont remplis de cadavres de musulmans. Dans les
jardins des maisons en ruines, on trouve encore des cadavres, des bras et des
jambes. Les allées des plus belles maisons arméniennes sont imprégnées du
sang musulman. La plupart de la population de la ville a été emprisonnée et
assassinée contre le tronc des arbres par des Arméniens hors de l’évacuation de
ha ville par les Russes. La ville se trouve totalement en ruine [72].” »
Lieutenant-colonel Vladimir Twerdokhleboff,
Notes
d’un officier supérieur russe sur les atrocités d’Erzéroum, 1919 :
« [Le général russe] Oudichélidzé
raconta que les Turcs d’lIdja qui n’avaient pu s’enfuir, furent tous massacrés.
Il ajouta avoir vu de ses propres yeux plusieurs cadavres d’enfants décapités à
coups de hache.
Le lieutenant-colonel Griaznoff, revenu d’Ilidja, le 26 février [1918],
trois semaines après les massacres, raconta avoir rencontré sur les routes
conduisant aux villages un grand nombre de cadavres mutilés, sur lesquels,
chaque passant arménien blasphémait et crachait. Dans la cour de la mosquée,
large de 12 à 15 sagènes [environ 25 à 30 mètres], on avait entassé des
cadavres jusqu’à une hauteur de deux archines |2,8 mètres]. II y avait dans le
tas des vieillards, des enfants, des hommes et des femmes de tout âge. Les
cadavres des femmes portaient sur elle des signes manifestes de viol, et on
avait introduit dans les organes génitaux de plusieurs d’entre elles des
cartouches de fusil.
Un Arménien, fournisseur du commandement de l’étape d’Aladja, raconta en
parlant des atrocités commises dans cette ville le 27 février,que les Arméniens
avaient cloué une femme vivante au mur. Ils lui arrachèrent ensuite le cœur, qu’ils
qu’ils suspendirent sur sa tête !!
Le premier grand massacre d’Erzéroum avait commencé le 7 février [1918].
Des artilleurs ramassèrent dans les rues deux-cent soixante-dix personnes et
après les avoir complètement dépouillées, les enfermèrent dans le bain de la dans
le but de les assassiner. Au prix d’efforts extraordinaires, je parvins à en
sauver à peine une centaine. » (pp. 8-9)
« Les Arméniens
déclaraient, eux-mêmes, avec orgueil, avoir massacré, ce soir-là [26 février
1918], trois mille personnes. » (p. 11)
Pour conclure
Gilles Veinstein (professeur
d’histoire ottomane au Collège de France, menacé de mort et injurié à la suite
de cet article), « Trois
questions sur un massacre », L’Histoire,
avril 1995, pp. 40-41 :
« Deuxième point : il y eut aussi de très nombreuses victimes parmi
les musulmans tout au long de la guerre, du fait des combats mais aussi des
actions menées contre eux par des Arméniens, dans un contexte de rivalité
ethnique et nationale [5]. S’il y a des
victimes oubliées, ce sont bien celles-là, et les Turcs d’aujourd’hui sont en
droit de dénoncer la partialité de l’opinion occidentale à cet égard. Est-ce
parce qu’il ne s’agissait que de musulmans qu’on les néglige, ou bien parce
qu’on estimerait implicitement que le succès final de leurs congénères les
prive du statut de martyrs ? Quel regard porterions-nous donc sur les mêmes
faits, si les choses avaient tourné autrement, si les Arméniens avaient
finalement fondé, sur les décombres ottomans, un État durable en Anatolie ? »
Jeremy Salt, The Unmaking of the Middle
East, Berkeley-Los Angeles-Londres, University of California Press, 2008, p.
67 :
« Le capitaine C. L. Woolley, un officier britannique voyageant à travers
le “Kurdistan” après la guerre, entendit de chefs de tribus kurdes que quatre
cents milles Kurdes avaient été massacrés par des Arméniens, rien que dans la
région de Van et de Bitlis. Deux volumes de documents ottomans récemment [2001]
publiés — essentiellement des rapports de réfugiés, de police, de jandarma et de fonctionnaires du corps
préfectoral — couvrant la période de 1914 à 1921, indiquent que cette
estimation kurde de leurs pertes à cause de massacres par des Russes, par leurs
protégés arméniens, ou par les deux à la fois, n’est probablement pas éloignée
de la vérité. Comptant par village et par ville, les noms des assassins étant
souvent donnés, le nombre de musulmans [Turcs, Kurdes, Lazes, etc.] qui furent
massacrés dans la région |de l’Anatolie orientale] est estimé à 518 105. »
Bernard Lewis, Notes on a Century. Reflections of a Middle East Historian, Londres, Weidenfeld & Nicolson,
2012, p. 290 :
« Il n'y a [pour le Forum des associations arméniennes,
représenté par Patrick
Devedjian] aucune limite quand il s’agit de blesser les sentiments des Turcs,
que ce soit en parlant de “version turque” et en la condamnant, par des
accusations de génocide dirigées non seulement contre les auteurs présumés mais
contre toute la nation, passée
et présente, ou en niant ou approuvant les massacres de Turcs, Kurdes et
autres villageois musulmans par des guérilleros arméniens. »
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