mardi 29 septembre 2020

L’effondrement de la République d’Arménie à l’automne 1920 et ses causes

 


 

Hovannès Katchaznouni (Premier ministre arménien de 1918 à 1919), The Armenian Revolutionary Federation Has Nothing to Do Anymore, New York, Armenian Information Service, 1955 (1re édition, en arménien, 1923) :

« Malgré ces hypothèses, il reste un fait irréfutable : c’est que nous n’avons pas fait tout ce qui était nécessaire afin d’éviter la guerre. Nous aurions dû employer un langage de paix avec les Turcs, que ce fût avec succès ou non, or ce n’est pas ce que nous avons fait. Nous ne l’avons pas fait pour une raison simple — et non moins fautive —, c’est que nous n’avions pas d’informations sur la force réelle de l’armée turque et que nous nous fiions à la nôtre. Là était l’erreur fondamentale. Nous n’avions pas peur de la guerre car nous pensions que nous la gagnerions. Avec la négligence d’hommes inexpérimentés et ignorants, nous ne savions pas quelles forces la Turquie avait rassemblées à nos frontières. Quand les escarmouches commencèrent [en septembre 1920], les Turcs proposèrent de nous rencontrer et de conférer. Nous ne l’avons pas fait et nous les avons défiés. »

 

Georges Labourel, « Impressions de Turquie — Le vrai péril », Le Gaulois, 20 décembre 1920, p. 2 :

« À part un ou deux hommes de valeur, les hommes d’État arméniens sont des instituteurs que leur niveau de culture met à peine dans l’état de gérer un chef-lieu de canton. Ce sont des Arméniens qui m’ont donné ces renseignements, et c’est plus que symptomatique les Arméniens intelligents ne croient pas à l’Arménie. L’emprunt national, par exemple, lancé à grand fracas de publicité, n’a produit qu’une somme dérisoire.

Les origines de la courte campagne entre Arméniens et nationalistes rétablit d’ailleurs les faits sous leur jour véritable : les nationalistes [turcs] ne sont entrés en campagne que sur les provocations de leurs voisins, brûlant les villages musulmans et massacrant les habitants. Des membres de la mission américaine de Kars en ont été les témoins. Il est prouvé par contre que les nationalistes [turcs] — par calcul politique sans doute — n’ont pas commis d’atrocités pendant leur avance.

On sait ce qu’a été cette guerre de trois semaines : simple promenade militaire des kémalistes. L’armée arménienne, sans cadres, peu instruite, et qui, surtout, ne tenait pas à se battre, malgré des communiqués ronflants, sans même chercher à sauver les munitions que venait de lui envoyer la France, ou les stocks de farine donnés par l’Amérique. »

 

Herbert Hoover (à l’époque responsable du Service d’assistance de l’État fédéral américain), The Memoirs of Herbert Hoover, tome I, Years of Adventure, 1874-1920, New York, The MacMillan Company, 1951, p. 387 :

« La République arménienne n'était même pas l'ombre d'un gouvernement. Le président Khodissian [Khatissian]  était un honnête homme qui avait acquis sa seule expérience gouvernementale comme maire de Tiflis. Les soi-disant ministres n'avaient jamais eu la moindre expérience administrative. Ils étaient incompétents ou corrompus et animés par des opinions politiques très variables, qui produisaient un nouveau cabinet au bout de quelques semaines. Ils étaient tous, y compris le président, tout simplement stupéfaits et impuissants face aux problèmes qu’ils devaient résoudre. Si quelqu'un veut des sources pour un traité sur le malheur humain, l'intrigue, la guerre, le massacre, l'incompétence et la malhonnêteté, il peut en trouver de nombreuses dans la masse des rapports remis par nos officiers américains. »

 

Serge Afanasyan, L’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie, de l’indépendance à l’instauration du pouvoir soviétique (1917-1923), Paris, L’Harmattan, 1981 :

« L’intervention militaire turque inquiète Moscou. Malgré la décision de soutenir le mouvement kémaliste contre l’Entente, prise après le congrès de Bakou, les Soviets ne s’attendaient pas à une action aussi prompte contre l’Arménie, et voyaient derrière l’action de Kémal se profiler l’ombre de l’Entente, qui pourrait par la suite en profiter pour l’appuyer contre les Soviets. D’un autre côté, l’Arménie ne servait-elle pas les “intérêts impérialistes” ? Décidément, la position de Moscou était inconfortable. » (p. 137)

« À Moscou, on est d’ailleurs persuadé, après le rapport adressé le 8 octobre [1920] par Ordjonikidzé, que la chute du gouvernement dachnak est imminente. Le 14 octobre, sur proposition de Tchitchérine, le Politburo [principal organe décisionnaire de la Russie soviétique], “en accord avec le P.C. d’Arménie et le C.C. [comité central] du Kavburo”, juge nécessaire de : a) prendre des mesures énergiques afin d’instaurer le pouvoir soviétique en Arménie ; b) accorder à l’Arménie un appui politique afin d’arrêter l’avance des Turcs ; c) soutenir le nouveau pouvoir soviétique. » (p. 140)

 

Richard G. Hovannisian, The Republic of Armenia, tome IV, Berkeley-Los Angeles-Londres, University of California Press, 1996, p. 258 :

« L’instinct de survie causa des scènes de pandémonium, lorsque que des soldats, abandonnant leurs positions et jetant leurs armes, se ruèrent à la tête de la multitude essayant de traverser la gorge. Des cavaliers sont passés sur le corps de civils, et certains soldats ont enlevé leurs uniformes puis se sont cachés sous les lits de camp, ou dans les placards des orphelinats et des hôpitaux américains. Le Dr Edward Fox, le médecin [américain] responsable du Near East Relief à Kars, a commenté avec dégoût la lâcheté méprisable des soldats arméniens et le manque de fiabilité des Arméniens [du Caucase] en général [à cette époque-là] : “N’importe qui serait pro-turc après avoir travaillé avec les Arméniens pendant un an, en ayant vu comment ils se sont comportés et en s’étant rendu compte que ce sont des menteurs et des voleurs.” »

 

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