« M. le président du Conseil. Les
Grecs encouragés ont repris les hostilités, et, finalement, les opérations
militaires ont tourné contre eux. Leur défaite est rapidement devenue une débâcle
et ils ont été forcés d’évacuer l’Asie
mineure en désordre après avoir, il faut bien le dire, dévasté, au cours de
leur retraite, toute la contrée qu’ils traversaient et incendié de nombreux villages.
Il n’y a malheureusement aucun doute sur ce point, en dépit de toutes les
dénégations intéressées. L’armée grecque en outre était en proie à une indiscipline
qu’avait poussé à l’extrême la très longue mobilisation qui avait été ordonnée
par le roi Constantin et elle s’est livrée, ou du moins des soldats
indisciplinés se sont livrés, au passage, aux pires excès.
Il ne serait pas juste cependant d’attribuer à l’armée grecque la
responsabilité de l’incendie de Smyrne. Les causes de cette catastrophe ne sont
pas encore nettement déterminées. D’après les uns, ce sont des habitants grecs
qui ont mis le feu ; d’après d’autres, ce seraient des Arméniens. D’après M. le
pasteur Soulier [député turcophobe, qui n’était
pas présent sur les lieux en 1922], ce seraient les Turcs. J’ai déjà dit
que l’allégation de l’honorable député de la Seine est en contradiction avec l’opinion
très arrêtée de l’amiral Dumesnil qui était sur les lieux.
M. Édouard Soulier. Et le consul Graillet ?
M. le président du conseil. Le consul Graillet n’est point d’un autre
avis. (On rit.)
M. Édouard Soulier. Il peut y avoir des rapports successifs.
M. le président du conseil. Je vous mets au défi de produire un
rapport où les faits que vous avez apportés à cette tribune soient confirmés
par un agent du ministère des affaires étrangères, par un agent de la marine ou
par un agent de la guerre.
Dans tous les cas, dans un rapport du 28 septembre, l’amiral Dumesnil s’exprime
comme il suit :
“Ma conviction que les Turcs ne devaient pas être incriminés au sujet de l’incendie
de Svmrne, n’a jamais été basée sur le simple sentiment ; elle n’est pas non
plus la conséquence du [seul]
raisonnement:
1° Des témoignages précis (supérieur des lazaristes, qui a vu tuer des
pillards turcs par les soldats réguliers), ont prouvé la volonté des Turcs de supprimer
le pillage et de mettre [de] l’ordre
dans la ville ;
2° L’armée turque possède
des cadres plus complets que ceux d’aucune autre armée et, en général, la
discipline y est bien appliquée ;
3° Les pillages isolés du
premier jour se sont cependant accrus notablement les jours suivants ; mais
jamais il n’a été signalé la moindre tentative d’incendie dans ces pillages ;
4° Il existait dans la ville
grecque, et arménienne surtout, de nombreux dépôts de munitions et
beaucoup de matières inflammables ou incendiaires. La propagande était
constante depuis longtemps, pour imprimer dans l’esprit de tous les chrétiens l’idée
que Smyrne devait être détruite plutôt que laissée aux Turcs.
Des propos de cet ordre sont
venus, à maintes reprises, aux oreilles des Français, et, notamment, de M.
Graillet, notre consul général ; (Très bien ! très bien !)
5° La veille de l’incendie, Mustapha Kemal pacha et Ismet pacha étaient
venus installer leur quartier général sur le quai, à côté de la maison de notre
consul. Le feu les en a chassés précipitamment ;
6° Les Turcs ont combattu le feu avec tous leurs moyens. Ces moyens étaient
a priori très insuffisants, en présence d’un sinistre aussi formidable ;
7° Les équipes de pompiers, bien organisées, à Smyrne, étaient malheureusement
dans le désarroi, par suite du départ d’un assez grand nombre de chrétiens.
Elles ont fonctionné aussitôt que possible, mais elles se sont trouvées en
présence d’incendies allumés
simultanément sur plusieurs points de la ville, ce qui démontre une
organisation qu’on ne saurait attribuer à des pillards turcs ;
Ces incendies, attisés par des matières inflammables en suffisamment
grandes quantités, se, sont développés très rapidement.
Des incendiaires arméniens
ou grecs ont attaqué les pompiers, même chrétiens, dans l’exercice de leurs
fonctions (témoignage de M. Ernest Bon, agent d’assurances, directeur du
service d’incendie) ;
8° J’ai fait personnellement vérifier les affirmations de prêtres français,
qui paraissaient absolument dignes de foi, et qui accusaient les troupes
régulières turques de répandre du pétrole dans les rues pour propager l’incendie.
Ces dires ont été reconnus absolument faux et dus à l’imagination de gens
frappés par la soudaineté et par la gravité du sinistre.
Des quantités d’autres racontars ont circulé, auxquels on ne peut davantage
ajouter foi.
Tout ce qui précède, mes conversations avec les autorités turques, le bon
sens, enfin, ont formé ma conviction : même sans tenir compte des preuves que
ces autorités disent avoir déjà recueillies dans leur enquête, qui se poursuit
toujours, des arrestations nombreuses de Grecs et d’Arméniens auraient été
opérées et des aveux obtenus.”
Je n’insiste pas, car, malheureusement, les excès appellent les excès (Très bien ! très bien !) et la
guerre surexcite les mauvaises passions (Très
bien ! très bien ! à l’extrême gauche) autant que les bonnes, surtout
dans des armées qui sont livrées à l’indiscipline. »
Lire aussi :
L’hostilité
(et la lucidité) de Raymond Poincaré envers les nationalismes arménien et grec
L’évolution
d’Émile Wetterlé sur la question arménienne et les Turcs
Turcs,
Arméniens : les violences et souffrances de guerre vues par des Français
Le
complotisme raciste des arménophiles-hellénophiles Edmond Lardy et René Puaux
La
grécophilie, l’arménophilie et l’antijudéomaçonnisme fort peu désintéressés de
Michel Paillarès
Les
Grecs en Asie mineure (1919-1922) : une défaite annoncée
Non, il n’y a pas eu de « massacre d’Arméniens » à Kars en 1920 (ce fut le contraire)
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