jeudi 1 juillet 2021

L’amiral Charles Dumesnil et Raymond Poincaré sur les causes de l’incendie d’İzmir (« Smyrne »)

 





« Séance du vendredi 10 novembre 1922 », Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Chambre des députés, 11 novembre 1922, p. 3057 :

« M. le président du Conseil. Les Grecs encouragés ont repris les hostilités, et, finalement, les opérations militaires ont tourné contre eux. Leur défaite est rapidement devenue une débâcle et ils ont été forcés d’évacuer l’Asie mineure en désordre après avoir, il faut bien le dire, dévasté, au cours de leur retraite, toute la contrée qu’ils traversaient et incendié de nombreux villages.

Il n’y a malheureusement aucun doute sur ce point, en dépit de toutes les dénégations intéressées. L’armée grecque en outre était en proie à une indiscipline qu’avait poussé à l’extrême la très longue mobilisation qui avait été ordonnée par le roi Constantin et elle s’est livrée, ou du moins des soldats indisciplinés se sont livrés, au passage, aux pires excès.

Il ne serait pas juste cependant d’attribuer à l’armée grecque la responsabilité de l’incendie de Smyrne. Les causes de cette catastrophe ne sont pas encore nettement déterminées. D’après les uns, ce sont des habitants grecs qui ont mis le feu ; d’après d’autres, ce seraient des Arméniens. D’après M. le pasteur Soulier [député turcophobe, qui n’était pas présent sur les lieux en 1922], ce seraient les Turcs. J’ai déjà dit que l’allégation de l’honorable député de la Seine est en contradiction avec l’opinion très arrêtée de l’amiral Dumesnil qui était sur les lieux.

M. Édouard Soulier. Et le consul Graillet ?

M. le président du conseil. Le consul Graillet n’est point d’un autre avis. (On rit.)

M. Édouard Soulier. Il peut y avoir des rapports successifs.

M. le président du conseil. Je vous mets au défi de produire un rapport où les faits que vous avez apportés à cette tribune soient confirmés par un agent du ministère des affaires étrangères, par un agent de la marine ou par un agent de la guerre.



Dans tous les cas, dans un rapport du 28 septembre, l’amiral Dumesnil s’exprime comme il suit :

“Ma conviction que les Turcs ne devaient pas être incriminés au sujet de l’incendie de Svmrne, n’a jamais été basée sur le simple sentiment ; elle n’est pas non plus la conséquence du [seul] raisonnement:

1° Des témoignages précis (supérieur des lazaristes, qui a vu tuer des pillards turcs par les soldats réguliers), ont prouvé la volonté des Turcs de supprimer le pillage et de mettre [de] l’ordre dans la ville ;

2° L’armée turque possède des cadres plus complets que ceux d’aucune autre armée et, en général, la discipline y est bien appliquée ;

3° Les pillages isolés du premier jour se sont cependant accrus notablement les jours suivants ; mais jamais il n’a été signalé la moindre tentative d’incendie dans ces pillages ;

4° Il existait dans la ville grecque, et arménienne surtout, de nombreux dépôts de munitions et beaucoup de matières inflammables ou incendiaires. La propagande était constante depuis longtemps, pour imprimer dans l’esprit de tous les chrétiens l’idée que Smyrne devait être détruite plutôt que laissée aux Turcs.

Des propos de cet ordre sont venus, à maintes reprises, aux oreilles des Français, et, notamment, de M. Graillet, notre consul général ; (Très bien ! très bien !)

5° La veille de l’incendie, Mustapha Kemal pacha et Ismet pacha étaient venus installer leur quartier général sur le quai, à côté de la maison de notre consul. Le feu les en a chassés précipitamment ;

6° Les Turcs ont combattu le feu avec tous leurs moyens. Ces moyens étaient a priori très insuffisants, en présence d’un sinistre aussi formidable ;

7° Les équipes de pompiers, bien organisées, à Smyrne, étaient malheureusement dans le désarroi, par suite du départ d’un assez grand nombre de chrétiens. Elles ont fonctionné aussitôt que possible, mais elles se sont trouvées en présence d’incendies allumés simultanément sur plusieurs points de la ville, ce qui démontre une organisation qu’on ne saurait attribuer à des pillards turcs ;

Ces incendies, attisés par des matières inflammables en suffisamment grandes quantités, se, sont développés très rapidement.

Des incendiaires arméniens ou grecs ont attaqué les pompiers, même chrétiens, dans l’exercice de leurs fonctions (témoignage de M. Ernest Bon, agent d’assurances, directeur du service d’incendie) ;

8° J’ai fait personnellement vérifier les affirmations de prêtres français, qui paraissaient absolument dignes de foi, et qui accusaient les troupes régulières turques de répandre du pétrole dans les rues pour propager l’incendie. Ces dires ont été reconnus absolument faux et dus à l’imagination de gens frappés par la soudaineté et par la gravité du sinistre.

Des quantités d’autres racontars ont circulé, auxquels on ne peut davantage ajouter foi.

Tout ce qui précède, mes conversations avec les autorités turques, le bon sens, enfin, ont formé ma conviction : même sans tenir compte des preuves que ces autorités disent avoir déjà recueillies dans leur enquête, qui se poursuit toujours, des arrestations nombreuses de Grecs et d’Arméniens auraient été opérées et des aveux obtenus.”

Je n’insiste pas, car, malheureusement, les excès appellent les excès (Très bien ! très bien !) et la guerre surexcite les mauvaises passions (Très bien ! très bien ! à l’extrême gauche) autant que les bonnes, surtout dans des armées qui sont livrées à l’indiscipline. »

 

Lire aussi :

Le consensus de la presse française pour attribuer l’incendie d’İzmir (« Smyrne ») aux nationalistes arméniens (1922)

Le soutien nationaliste arménien à l’irrédentisme grec-constantinien, massacreurde marins français et de civils turcs

L’hostilité (et la lucidité) de Raymond Poincaré envers les nationalismes arménien et grec

L’évolution d’Émile Wetterlé sur la question arménienne et les Turcs

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Le complotisme raciste des arménophiles-hellénophiles Edmond Lardy et René Puaux

La grécophilie, l’arménophilie et l’antijudéomaçonnisme fort peu désintéressés de Michel Paillarès

Les Grecs en Asie mineure (1919-1922) : une défaite annoncée

Non, il n’y a pas eu de « massacre d’Arméniens » à Kars en 1920 (ce fut le contraire)

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