samedi 11 avril 2020

L’évolution et les remords de James Barton




James Barton (1855-1936) était un missionnaire américain, directeur de l’institution scolaire américaine d’Elazığ (Turquie) de 1892 à 1899, puis secrétaire chargé des affaires étrangères à l’American Board of Commissioner of Foreign Missions (ABCFM, Boston) et, à partir de 1915, président de l’American Committee for Armenian and Syrian Relief, devenu ensuite Near East Relief et finalement, en 1930, Near East Foundation (elle existe toujours, sous ce nom). Il prit sa retraite en 1927.

Justin McCarthy, The Turk in America. The Creation of an Enduring Prejudice, Salt Lake City, University of Utah Press, 2010, p. 237 :
« Sur les 150 textes qui se trouvent dans le livre de Bryce [The Treatment of Armenians in the Ottoman Empire, 1916, couramment appelé Le Livre bleu] 59 étaient écrits par des missionnaires et 52 l’étaient par des Arméniens ou avaient été copiés de journaux arméniens. La majorité des documents source missionnaire et arménienne avaient été envoyées par James L. Barton, qui dirigeait à la fois l’American Board [ABCFM] et l’American Committee for Armenian and Syrian Relief, et par William Rockwell, le principal propagandiste de l’ACASR. […] Barton, en particulier, s’engagea dans une longue correspondance avec [Arnold] Toynbee, lui fournissant des documents, suggérant des sources et donnant son avis. »

Guenter Lewy, The Armenian Massacres in Ottoman Turkey, Salt Lake City, University of Utah Press, 2005, p. 138 :
« Les comptes-rendus reproduits dans le Livre bleu contiennent des détails importants sur les déportations et les massacres ; mais contrairement aux assurances de Lord Bryce, selon lequel “l’essentiel d’entre eux sont des récits de témoins oculaires”, il apparaît que la majorité des exactions énormes qui s’y trouvent décrites reposent sur des on-dit. »

James Barton, “The Ottoman Empire and the War”, The Journal of Race Development, XI-1, juillet 1918, pp. 11-12 :
« Les problèmes posés par la partie orientale de l’Empire turc, y compris ce qui a été connu jusqu’ici comme l’Arménie, mais dont les frontières ne sont pas clairement définies, est encore une autre question de première importance pour l’Arménien, et à laquelle beaucoup de monde, en Europe et en Amérique, porte un vif intérêt. Pendant des générations, les Arméniens ont rêvé d’un pays autonome, d’un pays à eux, avec une forme de gouvernement présentant une certaine stabilité et une certaine sûreté. Aucune race n’a plus sévèrement souffert que les Arméniens de la mauvaise administration dans l’Empire ottoman. La persécution qu’ils ont endurée de la part des Turcs s’est étendue sur plusieurs générations a culminé depuis le début de la guerre par l’attaque la plus brutale jamais menée contre eux en tant que race, et qui s’est étendue aux Grecs et aux Syriens [Assyriens]. Il semblerait que le monde ait décrété que replacer les Arméniens et l’Arménie sous le règne turc-musulman serait non seulement mal avisé, mais constituerait la plus grave injustice, la plus grave cruauté, envers un peuple sinistré. »

Lettre de l’amiral Mark Bristol (haut-commissaire américain en Turquie de 1919 à 1927) à James Barton, 28 mars 1921, Bibliothèque du Congrès (Washington), département des manuscrits, Bristol papers, carton 34 :
« Je vois que des rapports circulent librement aux États-Unis, selon lesquels les Turcs ont massacré des milliers d’Arméniens dans le Caucase [allusion à la prise de Kars, en octobre 1920]. Ils sont répétés si souvent que j’en ai le sang qui bout. Le Near East Relief a les rapports de Yarrow et de nos compatriotes, qui montrent de façon catégorique que ce qui est rapporté par des Arméniens est absolument faux. La circulation de ces contrevérités aux États-Unis, sans réfutation, est un outrage et fait certainement plus de mal que de bien aux Arméniens. Il me semble que nous devrions décourager les Arméniens de se livrer à ce genre de travail, non seulement parce que ce n’est pas correct, mais aussi parce qu’ils se font du mal à eux-mêmes. Outre les rapports de nos compatriotes qui font un travail d’assistance [nous dirions aujourd’hui : travailleurs humanitaires], et ceux envoyés par des hommes tels que Yarrow, j’ai les rapports de mon propre officier de renseignement [Robert Steed Dunn] et je sais que ce qui est rapporté côté arménien n’est pas vrai. Ne pourriez-vous pas faire quelque chose, vous et le Near East Relief, pour empêcher ces contrevérités de circuler ? »

Lettre de James Barton à l’amiral Bristol, 6 mai 1921 (même fonds d’archives, même carton) :
« S’agissant des contrevérités qui sont répandues sur des massacres d’Arméniens par des Turcs [à Kars en octobre 1920 et Ardahan en février 1921] : nul ne saurait les désapprouver davantage que moi. Mais la situation qui prévaut ici [aux États-Unis] est difficile à décrire. Il y a un jeune Arménien, brillant, diplômé de l’université de Yale, du nom de [Vahan] Cardashian [aucun lien de parenté avec Kim Kardashian, ou alors très lointain]. C’est un avocat, dont le cabinet se trouve à Wall Street je crois. Il a organisé, soi-disant, un comité [American Committee for the Independence of Armenia], qui ne s’est jamais réuni et qui n’a jamais été consulté, avec M. [James] Gerard [ancien ambassadeur américain en Allemagne] comme président.  Cardashian fait tout. Il a mis en place ce qu’il appelle un Bureau arménien de publicité, ou quelque chose de ce genre [Armenian Press Bureau], avec du papier à en-tête. Gérard signe tout ce que Cardashian écrit. Il me l’a dit lui-même une fois. […] Nous avons eu de nombreuses discussions avec des dirigeants arméniens sur ce qui peut être fait pour arrêter cette propagande malveillante menée par Cardashian. Il rapporte constamment des atrocités qui n’ont jamais eu lieu et produit des informations erronées sur la situation en Arménie et en Turquie. Nous n’aimons pas nous manifester et l’attaquer en public. Cela ferait du mal à toute la cause que nous essayons tous de défendre, parce que les gens [les donateurs] diraient que nous nous querellons entre nous et ils perdraient confiance dans toute cette affaire. »

Mark Malkasian, “The Disintegration of the Armenian Cause in the United States,1918-1927”, International Journal of Middle East Studies, XVI-3, août 1984, p. 357 :
« Pour Barton, cependant, la cause arménienne tirait plus ou moins à sa fin. Lors d’une conversation avec le sous-secrétaire d’État William Philipps, le 8 février [1923] il indiqua sa volonté de négocier avec les Turcs. »

Robert Daniel, “The Armenian Question and American-Turkish Relations, 1914-1927”, Mississippi Valley Historical Review, XLVI-2, septembre 1959, p. 269 :
« Dans la bataille pour influencer la décision du Sénat [étasunien sur la ratification du traité turco-américain signé à Lausanne, le 6 août 1923, pour rétablir des relations diplomatiques normales et régler les litiges de guerre], les partisans du traité avaient la partie la plus difficile. Non seulement ils devaient obtenir deux votes pour chacun de ceux acquis par leurs adversaires [la Constitution américaine exigeant une majorité qualifiée des deux tiers pour ratifier un traité] mais certains d’entre eux se trouvaient face à la nécessité de venir à bout des effets produits par leurs propres efforts, dans le passé, pour diffamer le Turc. À cet égard, James L. Barton, un porte-parole éminent des organisations missionnaires et d’assistance, depuis 1915, y consacra une bonne partie de son temps, durant toute la période durant laquelle le traité fut devant le Sénat [1924-1927]. Il commença par faire amende honorable en pointant les erreurs et les exagérations qui apparaissaient dans la propagande passée [1915-1920], contestant des accusations plus récentes, portées contre les nationalistes [kémalistes] et affirma voir dans le gouvernement de Kemal [Atatürk] le début d’un État politique moderne.  […] Sa réussite la plus tangible fut probablement de constituer un groupe d’organisations missionnaires, d’Églises, d’associations philanthropiques, etc. : un comité pour la préparation d’un livret destiné à promouvoir la ratification du traité. »

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