Maurice Barrès (1862-1923) était un écrivain et un homme politique français, penseur du nationalisme, d’abord à l’extrême droite (jusqu’à préfigurer plusieurs aspects du fascisme), avant d’évoluer vers des positions plus modérées après 1902, se réconciliant progressivement avec la Troisième République et finalement abjurant le racisme, pour théoriser un nationalisme d’inclusion et d’ouverture, fondé sur le sentiment commun d’appartenance à une même culture nationale.
Maurice Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme, Paris, Félix Juven, 1902, p. 144 :
Maurice Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme, Paris, Félix Juven, 1902, p. 144 :
« Mais
quoi ! N’est-ce pas enfantin de sentir un malaise et de crier au mystère
parce qu’un étranger ne réagit pas sous les événements de la même manière que
le ferait l’un de nous ? Nous exigeons de cet enfant de Sem [Alfred
Dreyfus], les beaux traits de la race indo-européenne. Il n’est point perméable
à toutes les excitations dont nous affecte notre terre, nos ancêtres, notre
drapeau, le mot “honneur”. Il y a des aphasies optiques où l’on a beau voir les
signes graphiques, on n’en a plus l’intelligence. Ici, l’aphasie est
congénitale : elle vient de la race. »
Maurice Barrès, Le
Voyage de Sparte, Paris, Émile-Paul, 1906, pp. 126-127 :
« En 1896,
Tigrane réapparut en chair et en os. Il fuyait de Constantinople et venait de passer
par Athènes. Il reprit tout de go notre conversation de 1893 sur la nécessité
de vivre d'accord avec les morts de sa nation. Il voulait vivre et mourir pour
sa malheureuse Arménie. Quant à moi, il venait m'offrir le rôle d'un Byron. Il
fallait que je le suivisse dans une série de conférences, puis en Grèce, pour
organiser une descente de volontaires en Cilicie.
On pense si je
regardai soigneusement ce pèlerin ! J'avais, dès notre première rencontre,
discerné qu'il portait en lui un inconnu de poésie; mais cette fois-ci, le
jeune lettré cosmopolite s'était évanoui. La chrysalide aux beautés d'emprunt
avait mué ; je me trouvais en face d'un patriote et d'un apôtre.
Tigrane avait de
naissance une âme désireuse d'attirer sur soi la sympathie des autres âmes et
une organisation mobile à qui tout milieu morne eût été insupportable. Mais il
existe des milliers de jeunes gens de cette sorte. Ce qui m'émut, ce fut de
voir les meurtrissures et les stigmates d'une nation défigurant la beauté
naturelle d'un individu. Mon fragile et fier Tigrane était préparé pour être un
jeune aristocrate, et les circonstances voulaient qu'il fût un esclave, ou bien
un révolutionnaire, ou bien un exilé. C'était un enfant malheureux. »
Michel Winock, « BARRÈS (Maurice)
1862-1923 », dans Jacques Julliard et Michel Winock (dir.), Dictionnaire des intellectuels français,
Paris, Le Seuil, 2009, p. 133 :
« Tout au
long de l’affaire Dreyfus, Barrès multiplie les appels, les interventions, les
articles, contre les “révisionnistes”
[partisans de la révision de la condamnation prononcée en 1894, dans des
conditions irrégulières, contre le capitaine Alfred Dreyfus, innocent], contre
les Juifs, et contre les “intellectuels” — substantif qu’il est l’un des
premiers à employer et dont il use avec ironie. […]
Battu aux
élections de 1902, il évolue vers des positions de plus en plus conservatrices.
[…]
Lors de la Grande
guerre [1914-1918], Barrès prône l’Union sacrée, ce qui le conduit à se
réconcilier avec le régime en place, à publier Les Diverses familles spirituelles de la France, inspiré d’un
nationalisme ouvert, réintégrant, à côté des catholiques, les protestants, les
juifs et les libres-penseurs, unis par une passion commune pour la patrie
française. »
Laurent Joly, « D’une guerre l’autre. L’Action française et les Juifs, de l’Union
sacrée à la Révolution nationale, 1914-1944 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2012/4, p. 102 :
« Aux yeux
de Barrès [à partir de 1914], un Juif peut être un Français à part entière. »
Maurice Barrès, Les
Diverses familles spirituelles de la France, Paris, Plon, 1930
(1re édition, 1917) :
« Beaucoup d'israélites, fixés parmi nous
depuis des générations et des siècles, sont membres naturels du corps national,
mais ils sont préoccupés que leurs coreligionnaires nouvellement venus fassent
leurs preuves de loyalisme. Aux premiers jours de la guerre, quand une émotion
hostile se produisit dans l'ancien ghetto parisien (au IVe
arrondissement) autour des Juifs de Russie, de Pologne, de Roumanie et de
Turquie, une réunion se tint chez l'un des rédacteurs du journal le Peuple juif, qui en donne le récit «
Ne croyez-vous pas, dit quelqu'un, qu'il soit nécessaire d'ouvrir une
permanence spéciale pour les engagés juifs étrangers, afin que l'on sache bien que
les Juifs eux aussi ont donné leur contingent? »
Le jour même, un
appel en français et en yiddisch fut lancé aux Juifs immigrés, les invitant à
venir s'inscrire dans les salles de l'Université populaire juive, 8, rue de
Jarente. Ils l'accueillirent avec enthousiasme, comme un bouclier, et, dit le
Peuple juif, “pas un commerçant juif des quartiers juifs ne s'abstint d'en
apposer un exemplaire à sa devanture, bien en évidence.
Dès le lendemain,
une foule énorme se pressait dans les salles de l'Université populaire juive.
Chacun voulait être inscrit au plus tôt et être en possession de la carte
attestant son engagement carte magique qui rompait les files d'agents dans le
service d'ordre et apaisait le courroux des concierges et des voisines trop
zélées.” (Le Peuple juif, octobre
1916.)
Des jeunes gens
de bonne volonté, des intellectuels ce semble, interrogeaient, renseignaient,
prêchaient, inscrivaient ces recrues disparates. Le plus zélé était un Israélite
de vingt-deux ans, élève de l'Ecole des ponts et chaussées, petit, chétif, les
yeux ardents, presque fébriles, d'une âme forte et envahissante. Enthousiaste,
il rêvait de mettre debout une véritable légion juive.
Rothstein était un sioniste. Par ce gage donné à
la France, il ne doutait pas de servir la cause d'Israël. » (pp. 53-54)
« Le 18 août
1916, le sous-lieutenant Rothstein tombait à la tête de ses hommes, frappé d'une
balle au front.
Il y a quelque
chose de douloureux et d'attachant dans cette destinée d'un jeune esprit qui
regarde le monde et la vie exclusivement à travers la nation juive et qui meurt
au service de ceux qu'il aime le plus, mais dont il tient à se distinguer.
C'est une des épreuves innombrables d'Israël errant.
Maintenant
approchons-nous d'un pas, et de cet ami du dehors venons à nos adoptés. Les
Juifs d'Algérie, durant cette guerre, nous font voir Israël qui vient de se
lier à la civilisation française et qui désire ardemment coopérer à nos droits,
à nos devoirs et à nos sentiments. Il y a quarante-cinq ans, ils ne
participaient à aucun droit. Crémieux soudain leur accorda un privilège qui a
fort bouleversé les Arabes. Il les décréta citoyens français. La noblesse de ce
titre, les prérogatives qui lui sont attachées et notre éducation semblent les
avoir transformés en patriotes. Leurs
pères ne connaissaient que le commerce, mais eux vibrèrent à l’appel aux armes.
Ils partirent, me dit-on, avec un grand enthousiasme. Un témoin m'assure qu'on
les entendit s'écrier “Nous courrons aux Boches, et nous leur enfoncerons nos baïonnettes
dans le ventre au cri de l'Éternel.”
Le cri est superbe et emmène notre imagination
vers les vieux temps bibliques et l'épopée des Macchabées. » (pp. 56-58)
Edmond Khayadjian, Archag Tchobanian et le mouvement arménophile en France, Marseille,
CRDP, 1986, pp. 244-245 :
« Il faut
s’étonner encore que Loti puisse plaider la cause des Turcs et vilipender les
Arméniens dans le journal de Maurice Barrès [Pierre Loti, « Les
Turcs », L’Écho de Paris,
1er novembre 1918, p. 1], qui fut l’ami de Tigrane Vergat et qui
passe pour arménophile. […]
Certes, la
rédaction de L’Écho de Paris prend la
précaution d’affirmer que cet article [publié malgré la censure] n’engage que
son auteur […]
Mais cela ne
semble pas convaincre Camille
Mauclair, qui écrit, dans le post-scriptum d’une lettre du 5 novembre 1918,
adressée à [son ami Archag] Tchobanian : “Barrès ! Ça ne m’étonne qu’à
demi. Stamboul et les ‘bons Turcs’ sont des clichés littéraires pour ces
messieurs.” »
Maurice Barrès, « Nos droits
seront maintenus en Syrie », L’Écho de Paris, 20 octobre 1919, p. 1 :
« Nous m’avons
plus de censure ; profitons-en pour surveiller d’autant plus sérieusement
l'expression de notre pensée ; il est nécessaire que nos intérêts français
soient affirmés avec force, en face des intérêts de nos amis et alliés, et eh
môme temps il est indispensable que nos amitiés et alliances subsistent dans toute
leur vigueur et loyauté. […]
La liquidation de l’Empire ottoman est une perte
énorme d’influence pour la France. La France a le devoir de veiller à ce que cette diminution ne tourne pas au
désastre. »
Maurice Barrès, « L’opinion
publique sur notre rôle dans l’Empire ottoman », L’Écho de Paris, 16 février 1920, p. 1 :
« Et comme
nous saurons faire fleurir sur ces vieilles civilisations de la région arabe
les greffes qu’elles demandent de la civilisation occidentale, nous n’oublierons
pas les liens que depuis François Ier nous avons su ménager avec nos
vieux clients les Turcs, qui demeureront à Constantinople.
Des mesures sont
à prendre, des modalités à appliquer. Et de même qu’en Syrie, nous sommes en
voie de nous accorder avec les Arabes du Hedjaz, nous trouverons en Cilicie [Çukurova] les moyens de mettre d’accord nos
intérêts et les désirs des nationalistes turcs [kémalistes]. »
Alain Quella-Villéger, La Politique méditerranéenne de la France, 1870-1923. Un témoin, Pierre
Loti, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 176 :
« Un
kémaliste, Rechid Saffet Atabinen, réfugié à Paris, que Loti a rencontré en
1920 mais qu’il connaît depuis 1905, indique que, dans la capitale française, sont alors aux côtés de Loti :
“Maurice Barrès, Léon Chavenon [directeur du quotidien L’Information], Buré, Larrou, Pierre Mortier, Hyacinthe
Philouze et quelques-autres” ; parmi ces autres, citons Berthe Gaulis
[qui signe Berthe Georges-Gaulis], M[aurice]
Pernot, Louis Barthou même. »
Réchid Saffet Atabinen, Pierre Loti, héroïque ami des Turcs, İstanbul, Association culturelle franco-turque, 1950, p. 19 :
« “Les
Alliés qu’il faut à la France”, écrit-il [Pierre Loti], sont les Turcs. C’est
par eux que nous tenons les clefs de la Méditerranée et de sa civilisation.”
Mes amis Maurice
Barrès (malgré certaines autres sympathies particulières), Claude Farrère, Pierre
Benoît, Léon Chavenon, Buré, Larrou, Pierre Mortier, Hyacinthe Philouze et
quelques autres sont à ses côtés, d’esprit, de cœur et de plume. Ils luttent
avec un courage inébranlable contre les flots de haine déchaînés. Traqué comme
kémaliste à Istanbul, je vins alors rejoindre cette phalange héroïque dans
votre admirable ville de Paris, qui a toujours été le berceau et le refuge des
idées de justice et de liberté. »
Maurice Barrès, Une
enquête aux pays du Levant, Paris, Plon, 1923, tome II :
« À côté des
Assomptionnistes, les Oblates de l’Assomption tiennent [à Konya] une école de
filles et un dispensaire.
Quel âge avez-vous,
petite fille?
— Quatre ans.
— C’est une
Turque, monsieur le député.
— Une Turque !
Parfait ! Je ne quitterai pas la Turquie sans avoir embrassé une Turque. Petite
fille, me permettez-vous? C’est Loti qui va être jaloux ! » (p. 74)
« Le cœur déchiré
de jalousie, les Turcs assistent à ce réveil de leurs captives au milieu des
convoitises de tous les peuples.
Indéfiniment, j’ai causé avec l’un d’eux, que j’aime
beaucoup et qui justifie ce que disait Bismarck que “le Turc est le gentilhomme
de l’Orient”. Nul mieux que mon ami ne convenait, par sa haute culture et sa
situation, pour que je prisse une idée de l’état d’esprit des patriotes et des
dirigeants de l’Empire.
Je me rappelle tous les détails de cette journée, sous un voile de tristesse qu’alors,
en juillet 1914, je ne savais pas nommer, et que je reconnais maintenant comme
un pressentiment de la guerre imminente. (p. 165)
« Je passe
cent propos qui aujourd’hui ont épuisé leur intérêt, pour retenir encore cette
plainte :
— Pourquoi l’effort
français semble-t-il se systématiser sur la Syrie, comme si vous entreteniez là
des visées politiques particulières ? C’est dans tout l’Empire que vous avez
des intérêts matériels et moraux, et vous pourriez encore les développer ; pourquoi
laissez-vous la place aux Allemands, aux Américains, aux Italiens?
— Les Français désirent l’intégrité de l’Empire
ottoman et souhaitent vous apporter ce qui vous est utile d’esprit occidental,
en même temps qu’ils sont curieux de prélever chez vous des parcelles d’esprit
oriental. Ainsi moi, j’aime à me figurer que vous possédez encore quelque
chose des vieilles recettes mystérieuses qui permettent de rendre l’inspiration
plus intense, l’art, de contraindre l’Esprit qui tarde à venir, bref, les
secrets de l’entrainement mystique. » (p. 167)
« Que la
dernière image de notre enquête nous ramène où la supériorité de l’Occident est
invincible, auprès des petites Sœurs des pauvres et de leur joie paisible. Elles
vivent en allant tout le jour, à travers la ville, solliciter pour leurs
vieillards.
— Les bons Turcs ! me disent-elles.
Quand nous quêtons d’un côté de la rue, ils préparent leur argent de l’autre
côté. » (p. 172)
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