jeudi 30 avril 2020

Le complotisme raciste des arménophiles-hellénophiles Edmond Lardy et René Puaux



René Puaux


Un peu de contexte d'abord pour comprendre les textes ensuite.

Lettre du consul général de France à Smyrne (İzmir) à Son Excellence M. le ministre des Affaires étrangères, 29 mars 1901, Archives du ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, microfilm P 16737 :
« La croyance au meurtre rituel [calomnie selon laquelle les Juifs assassinent des enfants chrétiens et se servent de leur sang pour faire du pain], répandue dans tout l’Orient et particulièrement chez les Grecs orthodoxes, vient de jeter encore une fois la perturbation dans la ville de Smyrne. […]
Dans la matinée du 28 mars, l’agitation dégénérait en émeute […] La force armée, qui avait fait preuve jusque-là de beaucoup de calme et de patience, intervint alors énergiquement et n’eut pas de mal à faire évacuer les abords de l’église [où des Grecs accusaient leur métropolite de « lâcheté » face aux Juifs] ; une quarantaine de Grecs furent blessés. […]
Aujourd’hui, le calme est revenu. On s’accorde à louer le sang-froid et l’excellence des dispositions prises par Kiamil Pacha [préfet d’İzmir], qui n’a eu recours à la force qu’à la dernière extrémité, et qui ne l’a employée que dans les limites strictement nécessaires.
On ne fait pas le même éloge du métropolite : certains de ses diocésains lui reprochaient d’avoir fourni un aliment à l’agitation populaire en accueillant de prime abord comme avéré un fait que l’événement a démenti [l’« enlèvement » d’un adolescent grec, retrouvé puis montré par la police ottomane] et en ne s’employant pas avec assez d’énergie à calmer la famille de l’enfant puis les meneurs du mouvement [antisémite]. »

Bernard Lewis, Islam et Laïcité. L’émergence de la Turquie moderne, Paris, Fayard, 1988, p. 458 :
« Les Turcs de la période jeune-turque étaient très loin de s’attacher au “pur sang turc” et il est certain que des musulmans turcophones ottomans d’origine balkanique, caucasienne ou autre ont eu une part considérable dans le mouvement. Rien ne semble attester, dans la masse d’ouvrages turcs sur les Jeunes-Turcs que les juifs aient joué un rôle un tant soit peu important dans leurs conseils, ou que les loges maçonniques n’aient jamais servi qu’à couvrir à l’occasion leurs réunions secrètes. L’avocat de Salonique, Emmanuel Carasso, dont le nom est souvent mentionné par les adversaires européens des Jeunes-Turcs, était un personnage mineur. Cavid, qui joua effectivement un rôle de grande importance [comme ministre des Finances], était un dönme (membre d’une secte syncrétiste judéo-islamique fondée au XVIIe siècle), et non un juif véritable ; quoi qu’il en soit, c’est, semble-t-il, le seul de sa communauté qui soit parvenu au premier plan. »

Feroz Ahmad, The Young Turks and the Ottoman Nationalities, Salt Lake City, University of Utah Press, 2014, p. 105 :
« L’ambassade britannique [à İstanbul] (et le Times), qui soutenaient la faction libérale des Jeunes-Turcs [c’est-à-dire l’Entente libérale, opposée au Comité Union et progrès et financée par des Grecs et des Britanniques] après juillet 1908 en vint à voir dans le mouvement unioniste un complot judéo-maçonnique, jusqu’à décrire le CUP comme “le Comité juif Union et progrès”.
Cette conception de la politique reflétait deux attitudes qui prévalaient à l’époque en Europe : d’abord l’antisémitisme et la théorie du complot juif visant à dominer le monde ; ensuite la conviction que les peuples non-occidentaux, comme les musulmans et les Turcs, étaient incapables d’avoir un gouvernement moderne et avaient besoin d’être guidés par une main européenne. »

Edmond Lardy (ancien chirurgien en chef de l’hôpital français d’İstanbul, arménophile de nationalité suisse et très lié à l’Entente libérale), « Lettre ouverte à S. E. le général Chérif Pacha à Paris », Mècheroutiette, 1er décembre 1910, p. 8 :
« […] et tout ce qui arrive m’étonne encore moins depuis que le “Mècheroutiette” [organe « libéral » d’opposition CUP] m’a appris que le premier sbire d’Ahmed-Riza [Ahmet Rıza], le trop célèbre Mahmoud Chevket Pacha est un Tzigane [faux], que Talaat Bey, en est un autre [faux encore], que Djavid bey, le docteur Nazim et tant d’autres sont des “mamins”, ou juifs renégats évadés des ghettos de Salonique [il n’y a jamais eu de ghetto à Salonique à l’époque ottomane et le docteur Nazım n’était pas un dönme, ce que Lardy appelle un mamin] ! »

Edmond Lardy, « Lettre ouverte à S. E. le général Chérif Pacha à Paris », Supplément au « Mècheroutiette », avril 1914 (non paginé) :
« On n’a mis à la tête de l’Empire que des Turcs qui étaient des arrivistes affamés et des deunmés (juifs renégats) qui ne demandaient qu’à manger les restes. »

René Puaux (« journaliste » au service du gouvernement grec et soutien du nationalisme arménien), « La Grèce et la question d’Orient », Revue bleue, 4 février 1922, p. 80 :
« Il faut ne pas connaître la mentalité des nationalistes turcs [il confond ici les kémalistes et les unionistes, deux groupes qui se recoupaient en partie mais ne se confondaient pas entièrement, loin de là] pour fonder quelque espoir sur un relèvement possible de la Turquie, en tous cas sous leur administration.
La Turquie, jusqu'en 1908, était sous le régime de la monarchie absolue dont Abdul Hamid fut le dernier et célèbre représentant. La révolution, faite, en 1908. par les jeunes turcs, amena un semblant de régime parlementaire qui n'était qu'une parodie des constitutions occidentales et qui eut surtout pour résultat de faire venir au pouvoir un petit clan d'arrivistes révolutionnaires Talaat, Djemal, Djavid, Enver et autres. Sous le nom de Comité Union et Progrès ces hommes, qui n’étaient nullement de vieux croyants musulmans, mais des métis de Juifs et [de] Turcs de Salonique, se mirent à exploiter l'empire pour leur bénéfice personnel. »

Merci à l’auteur du blog turquisme.blogspot.com d’avoir attiré mon attention sur le docteur Lardy, cité comme un courageux défenseur de la vérité par le sémillant Vincent Duclert dans son livre La France face au génocide des Arméniens, Paris, Fayard, 2015, où se trouve aussi, parmi les références, Paul du Véou (Paul de Rémusat), tenant du complot judéo-maçonnique et agent d’influence de l’Italie fasciste.


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