jeudi 2 avril 2020

Paul Chack : d’un conservatisme républicain, philosémite et turcophile à une extrême droite collaborationniste, antisémite, turcophobe et arménophile



Paul Chack (1876-1945) était un officier de Marine français devenu écrivain. Patriote, républicain, et défenseur des Juifs et des Turcs pendant la plus grande partie de sa vie, il renia ses convictions au moment du Front populaire, devenant un pourfendeur du « judéo-bolchevisme » et du « complot judéo-maçonnique », puis prônant la collaboration avec l’Allemagne nazie à partir de 1941.


Pierre Loti, La Mort de notre chère France en Orient, Paris, Calmann-Lévy, 1920, pp. 219-220 :
« LETTRE D’ENVOI DE M. LE CAPITAINE DE CORVETTE [PAUL] CHACK (1)
Toulon, 3 février 1920.
Commandant, C'est un des plus grands honneurs de ma vie d'avoir été chargé de porter vers vous l'expression de ces âmes belles et suppliantes.
Puis-je vous dire aussi qu'en ce Constantinople, d'où j'arrive, nous sommes légion, marins et soldats qui luttons de toutes nos forces pour que la “Suprême Injustice” [le démembrement de la Turquie] ne s'accomplisse pas, parce que nous avons compris et que nous aimons ce pays pour sa beauté, pour son âme, pour tout ce que nous en avons vu par nos yeux, et par tout ce que vos œuvres nous ont fait comprendre.
Puis-je vous demander, Commandant, de me dire si vous avez reçu ce pli afin que je puisse aussitôt prévenir ces dames qui sont anxieuses de savoir que leur pensée vous a rejoint.
Je vous demande aussi d'agréer l'hommage d'admiration respectueuse d'un officier qui a autrefois vécu deux années à Stamboul et qui vient d'y passer quatre mois, avec l'émotion d'un pèlerinage vers sa jeunesse, avec la joie toujours nouvelle de revoir un pays que vous avez chanté !
Signé : CAPITAINE DE CORVETTE CHACK.
1. Qu'une association de dames turques chargea de transmettre une lettre de sympathie. »

« Une réunion au Trocadéro », Paix et Droit, mai 1933, p. 8 :
« Une grandiose et émouvante manifestation contre les persécutions antisémites allemandes et l'autodafé des livres “d'esprit non allemand”, a été organisée, le 10 mai, en présence d'une assistance énorme, dans la grande salle du Trocadéro, par le “Comité français pour la protection des intellectuels juifs persécutés”.
M. Louis Rollin, député de Paris, ancien ministre, membre du Comité, présidait, ayant à ses côtés MM, François Piétri, député, ancien ministre : le R. P. Sanson, le chanoine Desgranges, député du Morbihan ; le pasteur Wilfrid Monod, le professeur Jean-Louis Faure, de l'Académie de Médecine ; MM. François Mauriac, Claude Farrère, le vice-amiral Mornet et les autres membres du Comité.
Autour d'eux, avaient pris place : le bâtonnier de SaintAuban, le docteur Souques, président de l’Académie de Médecine […] ; Paul Chack, de nombreux membres de l'Académie de Médecine, les présidents des Syndicats et Associations de presse, etc. »

« La réunion des “Camarades du Feu” à Wagram », L’Action française, 22 décembre 1938, p. 5 :
« La réunion des Camarades du Feu, hier soir, à Wagram, a été une manifestation d'antibolchevisme et d’antisémitisme.
Le capitaine de vaisseau Paul Chack, qui présidait la séance, a déclaré dans un vigoureux discours que la vie de la nation est la seule chose qui compte et qu'elle est minée, menacée par la conjuration judéo-maçonnique. »

Paul Chack, Survivants prodigieux, Les éditions de France, 1941 :
« Rallions nous-mêmes la baie d’Antioche. Là, des hommes appellent au secours, des hommes dont les signaux sont aperçus le 5 septembre [1915] par le croiseur Guichen, en patrouille devant le rempart rocheux coupé de ravins énormes qui aboutissent à la mer, comme feraient de gigantesques torrents, dont les lits desséchés se seraient épanouis en longues plages complètement séparées les unes des autres par les falaises à pic.
Deux grands pavillons blancs sont hissés au faîte des plus grands arbres du Djebel-Moussa ou montagne de Moïse, dernière croupe des monts Amanus contre laquelle s’adosse le petit port turc de Souaidieh.
Un des pavillons porte, en français, ces mots : “Chrétiens en détresse. Sauvez-nous.”
Ces chrétiens sont des Arméniens. Ils vivaient dans la basse vallée de l’Oronte toute proche. Nées au temps des croisades, leurs bourgades ont recueilli les fuyards éperdus que pourchassaient les Mongols à la fin du XIe siècle. Et les descendants des Mongols poursuivent les fuyards d’aujourd’hui. Ici encore, l’histoire renaît. En 1914, ces Arméniens ont échappé à prix d’or aux recruteurs turcs. Les hommes se sont rachetés d’abord pour 2 livres turques, puis le tarif a augmenté jusqu’à 10 livres. Au surplus, les médecins turcs vendaient 5 livres les certificats de réforme. Puis, la rage au cœur, les Arméniens ont subi le pillage — baptisé réquisition — de leurs récoltes et de leur bétail. A Bitias, cette razzia s’est accompagnée de l’enlèvement des femmes et des jeunes filles. Les gens de Bitias ont alors gagné la montagne.
Dans les autres villages, dévastés eux aussi, les malheureux s’obstinaient à vivre. C’était abuser, car 900 familles turques, évacuées des Balkans et campées à Souaidieh attendaient que disparussent ces infidèles pour prendre leurs maisons et leurs fermes. Et l’héritage tardait à venir...
Au mois d’août 1915, estimant que le sursis a assez duré, Djemal pacha ordonne que s’exécute la sinistre relève sans autre délai et suivant le rite habituel. Ordre est donné aux Arméniens de se rassembler pour quitter le pays et gagner Damas.
La sentence d’exil cache la condamnation au massacre. Les condamnés le savent. Depuis que notre pavillon ne protège plus la Syrie, bien des colonnes sont ainsi parties pour Damas, pour Alep ou pour l’Anatolie, sans que les déportés aient atteint le but assigné à leur exode. Les cadavres des hommes jonchent les routes d’Asie mineure, tandis que les femmes et les jeunes gens des deux sexes ont été enlevés, par des bandes irrégulières, disent les Turcs... L’obéissance à l’ordre reçu serait proprement un suicide. Seule l’insurrection donne une chance de vivre. Eh bien ! va pour l’insurrection. » (pp. 32-34)

« Revenons aux insurgés. Tandis qu’ils brûlent leurs dernières cartouches, le contre-amiral Daret M. Defrance, notre ministre au Caire, finissent par arracher, le 12 septembre, aux autorités anglaises d’Egypte, la permission d’amener à Port-Saïd les gens du Djebel-Moussa. Le même jour, à l’aube, par une houle de deux mètres qui déferle sur la plage du Ras-el-Mina, les embarcations et les radeaux de nos croiseurs commencent d’embarquer la foule des malheureux. Nos navires sont prêts à ouvrir le feu si les Turcs se montrent. Mais le bombardement de Souaidieh a effet moral autant que matériel et l’ennemi n’intervient pas.
A neuf heures, la Foudre part avec 1042 réfugiés. A quatorze heures, le D’Estrées en emmène 459. Le 13 au matin l’embarquement reprend, le Guichen appareille avec 1 941 Arméniens. Cependant les combattants continuent de tenir les crêtes. Dans la journée, ils évacuent progressivement leurs postes. 347 d’entre eux sont pris à bord de l’Amiral-Charner et 303 sur le Desaix. Le sauvetage est achevé. » (p. 39).

Commentaire :
Paul Chack n’était pas beaucoup plus exact sur cette affaire que sur l’imaginaire « conjuration judéo-maçonnique ». Comme en atteste le journal du prêtre arménien (grégorien) Abraham der Kaloustian, « Au début de la guerre, les Turcs laissèrent les Arméniens en paix », les « corvées pour la construction de tranchées » ne commençant qu’en mars 1915 et la conscription (ou le paiement d’une taxe d’exemption, selon la volonté ou les moyens de chacun) qu’en juin 1915 (traduction française aux Archives du ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, reproduite en fac-similé dans Hasan Dilan [éd.], Les Événements arméniens dans les documents diplomatiques français, Ankara, TTK, 2005, tome I, p. 296).
Loin d’être une simple réaction, la révolte de Musa Dağ fut une partie d’une seconde vague de révoltes, à l’été et à l’automne 1915 (Edward J. Erickson, Ottomans and Armenians. A Study in Counter-Insurgency, New York-Londres, Palgrave MacMillan, 2013, pp. 197-212). Enfin, « en l’absence d’une forte population kurde, aucun massacre n’eut lieu [en 1915-1916] en Cilicie » (Guenter Lewy, The Armenian Massacres in Ottoman Turkey, Salt Lake City, University of Utah Press, 2005, p. 252) et Cemal Paşa joua un rôle déterminant dans le sort comparativement meilleur des Arméniens réinstallés de force dans la partie de l’Empire ottoman dont il était responsable (ibid., pp. 112-113 et 218-220), ce que même un historien partisan de la qualification de « génocide arménien » admet, avec force documents à l’appui (Hilmar Kaiser, « Regional resistance to central government policies: Ahmed Djemal Pasha, the governors of Aleppo, and Armenian deportees in the spring and summer of 1915 », Journal of Genocide Research, XII-3/4, 2010, pp. 173-218) : prétendre que « la sentence d’exil cach[ait] la condamnation au massacre » est donc presqu’aussi faux que de parler de « conjuration judéo-maçonnique ».

« Le Cercle aryen a été inauguré », Le Matin, 22 novembre 1943, p. 2 :
« Le Bureau de presse du Parti populaire français communique :
En présence du docteur Elassen […] et de nombreuses personnalités, le Cercle aryen a inauguré samedi au 5, boulevard Montmartre, son existence au cours d'un amical déjeuner que présidait le commandant Paul Chack :
Que nous soyons ou non fascistes ou nationaux-socialistes, a déclaré celui-ci dans une brève allocution, nous nous réclamons de l'idée aryenne pure. C'est un idéal autour duquel doivent s'unir tous les hommes épris de propreté morale, tous ceux qui, dans leur passé, n'ont à se reprocher aucune compromission avec les Juifs, les francs-maçons ou les politiciens qui ont pourri la France. Je suis heureux de constater que c'est à Paris qu'est prise l'initiative de constituer l’alliance aryenne universelle. »



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