mardi 20 juillet 2021

Le modèle grec des nationalistes arméniens


 Archag Tchobanian

 

« Discours de M. Archag Tchobanian » (dirigeant du parti nationaliste arménien Ramkavar), dans La Fraternité arméno-grecque, Paris, Ernest Leroux, 1919 :

« Vint le jour maudit où Byzance, le flambeau suprême de l’Orient, s’éteignit, et le Turc étendit sa ténébreuse domination sur nos fières montagnes et sur vos nobles contrées. Pendant des siècles, nous subîmes la même souffrance, les mêmes tortures physiques et morales, les mêmes atroces humiliations, sous le même joug abject. Le Turc, aussi perfide que cruel, fit tout pour tenir éloignés nos deux peuples l’un de l’autre, pour les exciter même l’un contre l’autre ; ces séparations factices n’empêchèrent jamais nos deux nations de nourrir la même haine contre le tyran qui opprimait l’une et l’autre, de rêver le même rêve de libération, de vivre de la même vie, d’avoir presque les mêmes mœurs et de tenter sourdement, lentement, opiniâtrement chacune dans son coin, Je même effort jamais lassé vers l’émancipation, vers la renaissance. À certaines grandes heures, les cœurs meurtris de nos deux peuples se penchaient l’un vers l’autre et s’envoyaient un profond et irrésistible salut de fraternité dans la souffrance et dans la lutte. Longtemps nous avons lutté, et nous avons rendu au monde et à la civilisation le service de miner par un effort ininterrompu cet édifice monstrueux, ce foyer de ténèbres que fut l’Empire ottoman pour l’Orient.

Aux insurrections réitérées de votre glorieuse Crète répondaient les insurrections toujours renaissantes de notre Zeitoun : les combats, précurseurs de votre grande lutte de l’indépendance, étaient complétés par ceux que livraient nos Méliks du Gharabagh ou nos chefs du Sassoun. La dernière et victorieuse insurrection de Crète eut pour prélude la révolution arménienne, lutte obscure et désespérée, mais qui ébranla les fondements de l’Empire ottoman.

Libérée du joug turc, la terre divine de l’Hellade est heureuse depuis un siècle. Notre Arménie, ainsi que toutes vos contrées se trouvant encore sous le joug turc, attendent depuis si longtemps l’heure de leur libération. » (pp. 17-19)

« […] nous espérons qu’elle trouvera sa réalisation entière : l’Arménie libre saluera les terres grecques irrédentes [Anatolie occidentale et Thrace orientale] rendues à la vie hellénique ; la cité auguste illustrée jadis par les Héraclius et les Zymiscès, délivrée de la domination du Touranien, chantera sous les voûtes de Sainte-Sophie libérée, dans la langue de Sophocle et de saint Jean Chrysostome, la louange du Dieu d’amour et la louange de la Liberté. (Applaudissements.)

Vive la nation grecque sœur de l’Arménie! Vive Vénizélos ! (Applaudissements.) » (p. 26)

 

L. de Bollmann (officier prussien, volontaire parmi les insurgés grecs en 1821 puis démissionnaire à cause des crimes de ces insurgés), Remarques sur l’état moral, politique et militaire de la Grèce, écrites sur les lieux, Marseille, Carnaud et Simonin, 1822 :

« Jeunesse européenne, les Grecs d’autrefois n’existent plus ; l’aveugle ignorance a succédé à Solon, à Socrate, à Démosthène, et la barbarie a remplacé les sages lois d’Athènes.

Sans doute est-il beau de combattre pour la liberté, mais n’est-ce pas l’acheter bien chèrement que de l’acquérir par la destruction du genre humain ? Si les Grecs l’obtiennent en combattant loyalement, en respectant le malheur d’un ennemi vaincu, l’Europe les admirera ; mais si la soif du sang ottoman, si l’affreux plaisir qu’ils prennent à piller, poignarder et brûler tous les êtres innocents qui tombent entre leurs mains, femmes, enfants, vieillards, continuent d’être leur principal mobile, l’histoire les jugera ; leur cupidité, leurs cruautés inouïes, terniront pour toujours la gloire de leurs aïeux. » (p. 3)



« Avant l’assaut de cette ville [Tripoli, à l’époque Tripolizza], les Turcs, forcés par la famine, avaient proposé une capitulation qui était déjà acceptée par les Grecs ; mais les Maniotes [insurgés grecs], qui craignaient de voir échapper une proie qu’ils regardaient comme certaine, forcèrent leurs chefs et Colocotroni même à rejeter toute proposition et à prendre la ville par un coup de main ; cette tentative ayant réussi, tout ce qui était musulman fut massacré par les féroces vainqueurs, et afin d’éterniser ce carnage, on construisit devant la porte de la ville par laquelle les assaillants entrèrent une église en mémoire de cet événement ; ce monument dont l’ordonnance est du plus mauvais goût, sans architecture, paraît plutôt être destiné à une brasserie qu’à un temple dédié au dieu de Paix et de Miséricorde. […]

Nous avons été témoins de l’assassinat de plusieurs familles, qu’on ne sacrifiait que pour les dépouiller ; voici un fait particulier qui mérite d’être rapporté : une famille turque fut surprise par des Grecs dans des caves, où elle s’était retirée ; à peine ces brigands commençaient-ils à poignarder leurs victimes qu’un médecin allemand, accompagné de quelques francs [probablement au sens de « courageux »] de nos camarades, accoururent au bruit et parvinrent à force de fermeté à faire prendre la fuite aux assassins avant qu’ils eussent entièrement consommé leur forfait ; le libérateur de ces infortunés s’empressa ensuite de panser leurs blessures.

Croirait-on que cet acte de courage et d’humanité nous occasionna des reproches de la part du gouvernement [grec], qui nous accusa de prendre le parti des Turcs ? Un capitaine français, de nos camarades, fut chargé de porter notre réponse au Sénat [grec] et de lui notifier en même temps que désirions retourner dans notre patrie, proposition qui fut rejetée, mais qui ne nous empêcha pas de recevoir dans notre loge, le lendemain, trente-sept femmes et enfants fuyant le poignard des Grecs ; nous les cachâmes dans le jardin, derrière la maison que nous habitions, partageant avec eux notre ration […] » (pp. 9-11)

 

Vice-amiral Edmond Jurien de la Gravière (grécophile affirmé), La Station du Levant, Paris, Plon, 1876, tome I, p. 75 :

« Les propriétaires timariotes [turcs] se virent subitement attaqués et attaqués sur tous les points à la fois ; ils furent frappés sans merci, dépouillés sans remords. En moins d’un mois [mars-avril 1821] une population de vingt mille âmes avait disparu. L’extermination, assure-t-on, fut préméditée ; elle entrait dans les plans et dans les calculs de l’hétairie. Hommes, femmes, enfants, l’éruption du volcan n’avait rien épargné. Trois mille fermes au moins étaient réduites en cendres, des villages naguère florissants n’offraient plus que des monceaux de ruines, et sur ces débris les Klephtes agenouillés unissaient leur voix à celle des popes pour célébrer un si rapide et si complet triomphe.” »

 

Alfred Lemaître, Musulmans et chrétiens. Notes sur la guerre d’indépendance grecque, Paris, G. Martin, 1895, p. 84 :

« Je ne crois pas inutile de reproduire également les quelques phrases que le baron Juchereau de Saint-Denys consacre aux vainqueurs. C'est un philhellène qui parle : “Les Grecs, animés par la fureur et par l'avidité, ne pensaient qu'à tuer et piller. Rien n'était respecté par eux : les vieillards, les femmes, les enfants périssaient par le fer ou le feu. C'était en vain que l'honnête Petro-bey, chef des Maïnotes, ordonnait de cesser les massacres et réclamait la pitié des chrétiens. Ses cris et ceux du vertueux Athanase Kanakaris n'étaient pas écoutés. Les propres soldats de Petro-bey, sortis avec lui des montagnes du Taygète, n'écoutaient plus sa voix. Entraînés par les autres Grecs, ils se distinguaient par leur amour du sang et du brigandage. Le lendemain, 6 octobre [1821], la ville [de Tripoli] ne présentait que des monceaux de cadavres et de décombres. Le palais du pacha, les mosquées, les bains publics avaient disparu. La citadelle, qui aurait pu continuer la défense si elle avait été approvisionnée, consentit à capituler. Un écrivain anglais (M. Green, consul d'Angleterre à Patras) dit que le nombre de prisonniers faits par les Grecs à Tripolitza s'élevait à six mille hommes et à douze mille femmes et enfants. Ces prisonniers, ajoute cet écrivain, furent conduits hors de la ville et massacrés au nombre de douze mille par leurs cruels vainqueurs. Les Juifs furent enveloppés dans ce massacre. On épargna seulement les hommes qui pouvaient payer leur rançon. Les jeunes filles et beaucoup d'enfants furent réservés pour être vendus comme esclaves. »

 

Michaël Molho, La Nouvelle Communauté juive d’Athènes, New York, Jewish social studies, 1953, p. 1 :

« Pendant l’insurrection grecque contre l’Empire Ottoman (1821-1828), les Juifs établis en divers centres urbains des territoires libérés par les Armatoles sont l’objet d’atroces persécutions et de massacres, et les survivants doivent se réfugier dans les provinces restées entre les mains des Turcs, surtout à Salonique. Parmi les communautés dévastées figure celle d’Athènes. »

 

Victor Bérard (grécophile modéré), Les Affaires de Crète, Paris, Armand Colin, 1900 :

« Sous la conduite des montagnards, ils [les insurgés grecs de Crète centrale] bloquèrent [en février 1897] les villages musulmans, refoulèrent le  peuple dans les mosquées qu’ils allumèrent au pétrole ou firent sauter à la dynamite, — les commerçants leur avaient donné les provisions nécessaires, — et, pendant plusieurs semaines, ce fut dans la province une abominable tuerie.

“Déposition (devant les agents français) d’Emineh,  fille de Mouça Miraboutakis, née au village de Mouliana, demeurant actuellement à Roukaka, âgée de quinze ans. Un samedi, à la fin de janvier (à la grecque), les chrétiens sont tombés en armes sur le village de Roukaka, Ils ont tué son oncle, chez qui elle était. Elle fut enlevée par un nommé Skizachilis, qui ne l’a pas violée, mais qui l’a cachée d’abord, puis qui l’a  emmenée chez lui et qui, depuis, l’a épousée dans son village de Roukaka.

De sa cachette, elle a pu voir Halimeh, femme de Houssein Moula Mehemedakis, que les chrétiens couchaient par terre ; à coups de couteau, ils lui ouvrirent le ventre ; elle était enceinte ; ils ont tiré l’enfant. Ils ont ouvert aussi Fatimé, fille de Moustapha Omer Effendakis [remarque incidente : les patronymes montrent qu’il s’agit, en l’occurrence, de Grecs convertis à l’islam plutôt que ce Turcs ethniques] : ils l’ont fendue depuis la poitrine jusqu’au milieu du dos. Ils avaient poussé les hommes dans la mosquée et, à mesure qu’on les tuait, on les jetait dans le minaret, auquel on mit le feu avec du pétrole. Les chiens couraient dans le village en emportant des mains et des pieds à demi brûlés. Les enfants ont été tués à coups de couteau, et quelques-uns ont été écrasés sous le minaret qui s’est renversé. Ceux qui tuaient n’étaient pas du pays : ils étaient de  Kritcha, et quelques-uns, tout à fait étrangers, ne parlaient pas le dialecte crétois...

Elle a été emmenée par Skizachilis, qui lui a dit, au bout d’un mois, de se faire chrétienne ; elle y a consenti ; il la épousée ; elle est maintenant enceinte et elle ne veut pas quitter son mari, qu’elle préfère à ses parents, bien que ceux-ci, réfugiés à Candie, offrent par l’intermédiaire des marins français de la racheter et de la reprendre.”

Une division de la flotte internationale arriva sur rade. Elle se composait de navires français, italiens et anglais, sous le haut commandement d’un officier français. On occupa la ville où les musulmans se réfugièrent et d’où les chrétiens s’enfuirent. On planta sur le donjon les drapeaux européens autour du drapeau turc. On défendit aux chrétiens toute attaque contre les musulmans réfugiés. Le commandant français intervint même directement dans toute la province. Apprenant que dans les vallées écartées, certains villages musulmans se défendaient encore, et que, dans les cavernes, sur les monts, dans les fossés, des musulmans blessés, affamés, traqués, erraient et se cachaient à grand’peine, le commandant envoya des officiers avec de faibles patrouilles, qui arrachèrent ces malheureux au couteau [des insurgés grecs] et les ramenèrent à la côte.

Il est regrettable que les rapports de ces expéditions n’aient pas été publiés. On ne saura jamais tout ce que nos soldats et nos officiers ont fait dans ce coin perdu. Ils y ont sauvé plus de deux mille personnes, et ce fut à la suite de ces premières opérations que le conseil des amiraux décida d’intervenir pareillement à l’autre bout de l’île. Là encore, dans la province de Sélino, les musulmans de Kandanos, assiégés par !cs chrétiens, furent ramenés à la côte par un détachement international : l’amiral italien félicita tout particulièrement les troupes françaises qui avaient pris la meilleure part de la peine et du danger. » (pp. 247-249)

« Dans les quatre-vingts villages musulmans de la Crète centrale, il ne reste pas un toit, et les murs ne sont plus que brèches croulantes. Quant aux oliviers et aux vignes, on en commença la coupe systématique : s’il en reste encore, c’est faute de bras. On avait eu l’idée d’appeler les montagnards à l’aide ; mais ils émirent la prétention de s’approprier les olivettes, au lieu de les détruire, et les gens des plaines, qui auraient perdu ces clients, acheteurs de leur huile, renvoyèrent ces auxiliaires et se remirent seuls à l’ouvrage. Je ne dis rien des minarets et des mosquées. Le pétrole et la dynamite ont simplifié la besogne, et ces bons chrétiens éprouvent encore une pieuse joie à faire plusieurs kilomètres (l’Europe leur donne des loisirs) pour venir y déposer leurs ordures. » (p. 275)

 

Dotation Carnegie pour la paix internationale, Enquête dans les Balkans, Paris, Georges Crès & Cie, 1914, pp. 192-193 :

« Le journal Le Jeune Turc semble se plaindre avec raison du sort de ses coreligionnaires en Macédoine. “Des arrestations en masse de Turcs et de Juifs, écrivait-il vers la mi-octobre, se pratiquent journellement à Salonique et pour les plus ridicules motifs. L’espionnage s’y développe dans la plus large mesure, et les persécutions deviennent révoltantes.” Malheureusement, la réalité était plus sombre encore que ce tableau. Un autre journal turc, le Tasfiri Efkiar, ajoute qu’on poursuit non seulement les habitants des villes, mais aussi de simples villageois. “Les Musulmans des environs de Poroï (entre Doïran et Demir-Hissar) ont été enfermés dans quarante wagons et transportés à Salonique. Les autorités grecques ont persécuté de même les Musulmans de Langadina (au nord-est de Salonique), d’où, sous prétexte de procéder à un désarmement, toute la jeunesse a été emmenée à Salonique et y a été maltraitée. A Saryghiol (près de Kukush), tous les hommes ont été conduits à Salonique, puis les soldats grecs ont violé les femmes et les jeunes filles. À Sakhna, à Serrés, à Pravichté, on a commencé à convertir, si bien qu’il ne reste pas un seul musulman dans la caza de Sakhna. — Le nombre des prisonniers turcs de la région de Salonique atteint le chiffre énorme de 5 000 », ajoute l’Écho de Bulgarie du 20 décembre/2 janvier. —Quelques mois plus tôt, M. Ivanov faisait observer, dans ses “notes explicatives”, que “les groupes turcs de Saryghiol (au sud de Kaïlaré), de Kaïlaré et d’Ostrovo, groupes forts par leur nombre et par leur prospérité, avaient été particulièrement éprouvés à la suite de l’invasion grecque. Toutes les villes, ainsi que les villages de cette région, ont été dévastés et la population a cherché son salut dans la fuite. En fuite, également, la population musulmane des villes situées autour de la vallée d’Yénidjé, notamment de Vodéna, Négouché (Niaksta), Karaféria (Véria), Yénidjé-Vardar. Cette dernière ville a été éprouvée entre toutes : tout le marché, ainsi que les quartiers musulmans, ont été réduits en ruines.”

Il nous reste à jeter un coup d’œil sur la Macédoine orientale, dont nous avons déjà parlé au chapitre II et dont la population bulgare s’est enfuie en masse vers la Bulgarie, tandis que les Turcs et les Grecs ont pris le chemin de Salonique. Gomme document le plus probant des violences commises par les Grecs contre la population turque, nous publions aux Annexes (n° 13a ) une liste complète des personnes tuées et des pillages commis dans la seule caza de Pravishta (à l’ouest de Kavalla). Le document original a été communiqué à la Commission en turc : c’est un procès-verbal officiel, rédigé et scellé par la communauté musulmane de Pravishta. Il ne contient que des noms et des faits ; mais quelle lugubre éloquence que celle de ces faits et de ces noms ! “Sur les 20.000 Turcs de cette caza, il n’en reste que 13 000”. “Parmi les personnes tuées, il y a malheureusement beaucoup d’imams, des notables turcs et des hommes instruits, ce qui montre bien que les Grecs poursuivaient un but déterminé.” »

 

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Le témoignage de Paul Grescovitch (chef d’une brigade de pompiers) sur l’incendie d’İzmir (« Smyrne ») en 1922

Cinq témoignages américains contredisant la prétendue « extermination des chrétiens du Pont-Euxin » en 1921

L’évolution d’Émile Wetterlé sur la question arménienne et les Turcs

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1917-1918 : la troisième vague de massacres de musulmans anatoliens par les nationalistes arméniens

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