mardi 13 juillet 2021

Le témoignage de Paul Grescovitch (chef d’une brigade de pompiers) sur l’incendie d’İzmir (« Smyrne ») en 1922

 



 « Rapport de M. Grescowitch [sic], commandant les sapeurs-pompiers des compagnies d’assurance », Échos de l’Orient, 1er mars 1923, pp. 540-541 :

« Au moment où la dernière offensive s’est déclenchée, les officiers et soldats hellènes ne se cachaient pas pour dire, à qui voulait les entendre : “Si nous sommes contraints à laisser Smyrne, nous brûlerons tout, nous démolirons tout.”

Le 8 septembre 1922, à six heures du soir [rappelons ici que l’armée turque a repris la ville le 9 septembre au matin], j’ai vu, quand j’arrivais à la hauteur de la maison habitée par M. Fullbridge, sujet anglais, et sise au n° 2 de la rue Tchaouch (quartier Hadji Estan), deux soldats hellènes enflammer une boîte d’allumettes et la jeter par la fenêtre, dans la maison. Craignant pour ma sécurité personnelle, je n’ai rien dit aux soldats, mais j’ai attendu pour partir la complète combustion de la boîte.

Pour ne pas alarmer le propriétaire, je ne lui ai pas parlé de la chose. À partir du samedi 9 septembre, à 2 heures de la relevée, c’est-à-dire après l’entrée à Smyrne de la cavalerie turque, aucun incident ne se produisit.

Le dimanche 10, les Anglais ont débarqué de leur navire de guerre 1 sous-officier et 8 marins. Ces derniers allèrent à la Tour (d’incendie), d’où ils communiquèrent par signaux avec leur navire.

Les signaux durèrent jusqu’au lendemain.

Le 11, un sous-officier vint vers moi, un papier à la main. Il me dit :

“Voici l’objet de nos signaux. Ils vont mettre le feu, ce soir, à l’hôpital turc de la Quarantaine.”

Le lendemain matin, je vis M. Jacques Missir, secrétaire général de la commission des sapeurs-pompiers à Boudja [Buca], qui me dit que deux trains étaient arrivés la veille vers minuit, pour prendre la colonie anglaise [de cette commune, qui n’était pas encore, en 1922, un quartier d’İzmir] et la conduire à Smyrne, à fins d’embarquement. Il comprit qu’une calamité inimaginable attendait Smyrne, et que ce dont les Grecs nous avertissaient arriverait.

Les 11 et 12 septembre, les sapeurs qui montaient la garde sur la Tour ont observé avec leurs lorgnettes les activités des Arméniens sur les toits de l’église et d’autres lieux élevés. Ils m’en ont rendu compte, tandis que d’autres sapeurs me signalaient que, du clocher, les Arméniens communiquaient par [mot effacé dans l’exemplaire qui se trouve à la Bibliothèque nationale de France].

Pendant trois jours, du 10 au 12, le nombre des incendies qui se sont produits dans le quartier arménien jusqu’au quartier Téfédjik dépasse, en nombre, les sinistres qui sont produits dans l’espace de trente années.

Le 12, à 1h du matin, on m’a signalé un incendie dans le quartier arménien.

Au moment où les sapeurs-pompiers dépassaient l’hôpital grec, je vis un groupe de 120 à 150 femmes et enfants. Ils poussaient des cris déchirants. Je leur demandai pourquoi ils criaient. Ils me répondirent :

“Nous habitons le [quartier] Séyiss Han. Les Arméniens l’ont incendié.”

C’étaient des Grecs. Ils m’ont dit que, de la maison contiguë, les Arméniens, ayant pratiqué une brèche dans le mur mitoyen, y avaient mis le feu.

J’ai protégé ces malheureux dans l’impasse pour les remettre, le lendemain matin, à une patrouille.

Le 13 septembre, à 10h 30 du matin, on me signala un incendie dans le quartier arménien. Pendant que je m’y rendais avec les pompes, j’ai vu brûler une maison arménienne, située à 50 mètres de l’église. Du rez-de-chaussée crépitaient des détonations et sortaient des flammes telles que je dus me retirer un peu en arrière.

Pendant que je travaillais à localiser le sinistre, on vint me dire que le feu avait pris à l’église arménienne. J’y courus avec mes hommes. Il était impossible d’accéder à l’église par le jardin. Nous sautâmes par-dessus les grilles et passâmes nos tuyaux. Nous constatâmes alors que ce n’était pas l’église qui brûlait. Les flammes qui nous avaient été signalées provenaient d’un lot d’environ 200 balles de marchandises et de vieux chiffons que l’on avait disposées dans le jardin, à proximité d’une petite bâtisse. Sur les balles, ont avait disposé 200 fusils et une quantité considérable de munitions, ce qui explique les détonations violentes et continues qui accompagnaient l’incendie. Nous en étions à travailler à circonscrire le sinistre quand on vint m’annoncer un incendie en face de Basma Hané. Je me dépêchai sur les lieux avec mes hommes. Je constatai, en effet, que des flammes sortaient d’une maison arménienne.

Pendant que nous nous efforcions d’étouffer les flammes, on vint nous avertir qu’il y avait le feu à Soghouk Tchechmé. Je m’y rendis avec deux sapeurs et étouffai le feu. Puis, je retournai à la maison de Basma Hané. J’y entendis des détonations formidables et la violence du feu augmentait à chaque instant.

À peine arrivé, on vint me dire de nouveau que l’église arménienne brûlait.

Pendant que, accompagné d’un peloton de sapeurs, je travaillais à éteindre l’incendie par l’eau, on m’en signala un autre à 300 mètres de là, à l’angle d’une rue située derrière.

Pendant le travail, je me suis retourné : ce n’était pas une seule maison, mais bien le quartier arménien en entier qui était devenu une véritable torche. D’au moins 25 endroits, différents, on voyait les flammes s’élever. Nous étions dans un cercle de feu. De partout, on tirait sur nous.

Voyant que nous étions encerclés par les flammes, je dus battre en retraite sur un point où je n’aurais pas le feu derrière moi, pour empêcher le sinistre de se propager plus avant encore.

J’en étais là quand on vint me signaler que le quartier arménien tout entier brûlait et que des détonations continues accompagnaient les flammes. Je compris alors qu’il ne m’était plus possible d’étouffer le feu par l’eau. Je me rendis de suite chez Kiazim Pacha, commandant de la place. Je lui exposai la situation, en le priant de faire cerner le quartier arménien et de donner des ordres pour faire sauter à la dynamite les maisons solides se trouvant à proximité du sinistre. Le général m’adjoignit 30 sapeurs [turcs], commandés par un sergent. Nous nous rendîmes en auto-camions sur les lieux.

À peine arrivés, nous nous astreignîmes à faire sauter les maisons du quartier Aydadimitri. Malheureusement, étant donné le peu de résistance des murs, la dynamite n’y faisait que des trous. Les murs ne tombaient pas.

La puissance des flammes et la longue durée du sinistre ont fait que bientôt, notre tuyauterie brûlait. Toutes les pompes aussi furent hors d’emploi. Nous continuâmes à travailler en vue d’éteindre le feu, quand on vint m’avertir que ça brûlait aussi à Pechtémaldhi-Tcharchi. Toute la ville était la proie des flammes. La violence du vent attisait le feu. Je me suis alors vu contraint de retirer du foyer de l’incendie mes hommes et mon matériel. Je formai quelques pelotons dans le but d’empêcher le feu de s’étendre aux quartiers encore indemne.

Or, ayant, avant la catastrophe, acquis la conviction que le feu serait intentionnellement mis, j’avais été voir, le 11 septembre, le président de la commission des sapeurs-pompiers, M. Bonnet. Je lui rappelai les indiscrétions des officiers et soldats hellènes et lui fis part de ma conviction que Smyrne serait mise en cendres et que les Grecs n’épargneraient rien pour réaliser leur but. Je priai donc le président de me donner carte blanche pour me procurer le personnel et le matériel nécessaires. M. Bonnet réunit le conseil d’administration et j’exposai la situation à ces Messieurs. Le conseil approuva ma proposition et je reçus l’ordre de laisser en permanence la pompe à moteur devant la douane. Je refusai d’y accéder, craignant de la voir jetée à la mer.

Dans l’espace de deux jours, j’ai fait tout ce qu’il était possible au point de vue organisation et recrutement du personnel. J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour sauver Smyrne de la catastrophe.

Quoi qu’il en soit, le second jour, pendant que je travaillais à circonscrire le sinistre, on tira sur moi. Les balles atteignirent et trouèrent les pompes.

Smyrne, septembre 1922

Signé : Le commandant des compagnies de sapeurs-pompiers des compagnies d’assurances de Smyrne, GRESCOWITCH [Paul Grescovitch] »

 

Jugement rendu par la 1re chambre civile du tribunal de la Seine (aujourd’hui, tribunal de Paris), 9 janvier 1924, reproduit dans Recueil de la Gazette des tribunaux, février-mars 1924, p. 264 :

« Que le commandant rédacteur, au moment des faits relatés dans ce rapport, est un Tchécoslovaque que rien n’autorise à soupçonner de déloyauté ;

Attendu que le rapport de mer du bateau Phrygie contient ce passage : “Le 13 septembre (jour de l’incendie), à la sortie des Dardanelles, forte brise du sud, mer houleuse, tangage et roulis. À 13 heures, mouillé sur rade de Smyrne, embarqué les réfugiés. La ville de Smyrne, incendiée sur plusieurs points, oblige les habitants à se réfugier sur les navires en rade” ;

Qu’il y a dans cette constatation : “incendiée sur plusieurs points” la confirmation de la pluralité des foyers d’incendie signalée par le commandant des pompiers ; »

 

Article de Mark O. Prentiss (cadre du Near East Relief), paru en janvier 1923 et reproduit dans Heath Lowry, « Turkish History: on Whose Sources Will it be Based? A Case Study on the Burning of Izmir », The Journal of Ottoman Studies, IX, 1989, pp. 21-27 :

« Les preuves recueillies par Paul Grescovicth, chef de la brigade des pompiers, que j’ai minutieusement vérifiées, ainsi que les informations venant d’autres sources, montrent que les Arméniens sont responsables de l’incendie. […]

C'est mercredi matin que Grescovitch lui-même a trouvé des preuves d'incendie. Il m'a dit que tôt ce matin-là, il avait vu deux prêtres arméniens escorter plusieurs milliers d'hommes, de femmes et d'enfants venant des écoles arméniennes et des églises dominicaines où ils s'étaient réfugiés, jusqu'aux quais. Lorsqu'il entra dans ces institutions, il trouva des déchets imbibés de pétrole, prêts à être brûlés.

Le chef [Gresvocitch] m'a dit, et il n'y avait aucun doute qu'il en était sûr, que ses propres pompiers, ainsi que des gardes turcs, avaient abattu de nombreux jeunes Arméniens déguisés soit en femmes, soit en soldats irréguliers turcs qui avaient été surpris en train d'allumer des incendies pendant mardi soir et mercredi matin. »

 



Mark O. Prentiss, « The Turk Comes to Town », The Atlantic Monthly, novembre 1923, p. 694 :

« L'incendie qui détruisit Smyrne éclata le 13 à midi.

De petits incendies s'étaient déclarés depuis une semaine et au cours des trois derniers jours, il y avait eu en moyenne cinq incendies par jour, bien plus que jamais auparavant. Le grand feu était le travail incendiaire et éclata simultanément en de nombreux endroits différents du quartier arménien et surtout près du Club Arménien et de la gare de Cassaba. Les Turcs affirment — et je les crois — que tous ces incendies ont été allumés par une organisation de jeunes gens grecs et arméniens, déterminés à brûler la ville plutôt que de la laisser aux mains des Turcs.

Paul Grescovich, pendant quinze ans chef des pompiers de Smyrne, avec qui j'ai parcouru le terrain pas à pas après l'incendie, n'avait aucun doute sur son origine criminelle. Il était né sujet autrichien, avait exercé ses fonctions d'abord sous le régime turc d'origine, puis sous les Grecs, et se retrouvait maintenant sous un gouvernement turc.

Il était donc aussi libre de préjugés que quiconque pouvait l'être et était certainement en mesure de savoir ce qui s'était passé. Avec la précision d'un ingénieur, il me montra les différents endroits où les incendies avaient été allumés. Ses quelques pompiers restants avaient été abattus et bombardés, tandis que des incendiaires cachés se glissaient, encore et encore, des ruelles et des portes pour couper le tuyau. Beaucoup de ces hommes ont été abattus, mais ils ont assez bien fait leur travail pour sacrifier la ville. Les Arméniens ouvraient les portes de leurs maisons, tiraient sur les pompiers ou les soldats que les Turcs avaient enfin envoyés pour aider à combattre l'incendie, et criaient qu'ils préféraient le feu à la domination turque, puis fermaient leurs portes et attendaient la mort. Le matin avant l'incendie, les prêtres arméniens ont été aperçus en train de conduire plusieurs milliers de leurs fidèles hors des églises et des enceintes où ils séjournaient depuis plusieurs jours. Apparemment, ils savaient ce qui allait arriver. »

 

Lire aussi :

L’amiral Charles Dumesnil et Raymond Poincaré sur les causes de l’incendie d’İzmir (« Smyrne »)

Le consensus de la presse française pour attribuer l’incendie d’İzmir (« Smyrne ») aux nationalistes arméniens (1922)

Le soutien nationaliste arménien à l’irrédentisme grec-constantinien, massacreur de marins français et de civils turcs

L’évolution d’Émile Wetterlé sur la question arménienne et les Turcs

Lothrop Stoddard : "Une puissante armée grecque (...) a commis des atrocités massives contre les habitants turcs"

Cinq témoignages américains contredisant la prétendue « extermination des chrétiens du Pont-Euxin » en 1921

Les Grecs en Asie mineure (1919-1922) : une défaite annoncée

Le complotisme raciste des arménophiles-hellénophiles Edmond Lardy et René Puaux

La grécophilie, l’arménophilie et l’antijudéomaçonnisme fort peu désintéressés de Michel Paillarès

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