« Discours de M. Archag
Tchobanian » (dirigeant du parti nationaliste arménien Ramkavar), dans
La
Fraternité arméno-grecque, Paris, Ernest Leroux, 1919 :
« Vint le jour maudit où Byzance, le flambeau suprême de l’Orient, s’éteignit,
et le Turc étendit sa
ténébreuse domination sur nos fières montagnes et sur vos nobles contrées.
Pendant des siècles, nous subîmes la même souffrance, les mêmes tortures
physiques et morales, les mêmes atroces humiliations, sous le même joug abject.
Le Turc, aussi
perfide que cruel, fit tout pour tenir éloignés nos deux peuples l’un de l’autre,
pour les
exciter même l’un contre l’autre ; ces séparations
factices n’empêchèrent jamais nos deux nations de nourrir la même haine
contre le tyran qui
opprimait l’une et l’autre, de rêver le même rêve de libération, de vivre
de la même vie, d’avoir presque les
mêmes mœurs et de tenter sourdement, lentement, opiniâtrement chacune dans
son coin, Je même effort jamais lassé vers l’émancipation, vers la renaissance.
À certaines grandes heures, les cœurs meurtris de nos deux peuples se
penchaient l’un vers l’autre et s’envoyaient un profond et irrésistible salut
de fraternité dans la souffrance et dans la lutte. Longtemps nous avons lutté,
et nous avons rendu au monde et à la civilisation le service de miner par un
effort ininterrompu cet édifice
monstrueux, ce foyer de
ténèbres que fut l’Empire ottoman pour l’Orient.
Aux insurrections réitérées de votre glorieuse Crète répondaient les
insurrections toujours renaissantes de notre Zeitoun : les combats, précurseurs
de votre grande lutte de l’indépendance, étaient complétés par ceux que
livraient nos Méliks du Gharabagh ou nos chefs du Sassoun. La dernière et
victorieuse insurrection de Crète eut pour prélude la révolution arménienne, lutte
obscure et désespérée, mais qui ébranla les fondements de l’Empire ottoman.
Libérée du joug turc, la terre divine de l’Hellade est heureuse depuis un siècle.
Notre Arménie, ainsi que toutes vos contrées se trouvant encore sous le joug
turc, attendent depuis si longtemps l’heure de leur libération. » (pp.
17-19)
« […] nous espérons qu’elle trouvera sa réalisation entière : l’Arménie
libre saluera les terres grecques irrédentes [Anatolie occidentale et Thrace orientale] rendues à la vie hellénique
; la cité auguste illustrée jadis par les Héraclius et les Zymiscès, délivrée
de la domination du Touranien, chantera sous les voûtes de Sainte-Sophie
libérée, dans la langue de Sophocle et de saint Jean Chrysostome, la louange du
Dieu d’amour et la louange de la Liberté. (Applaudissements.)
Vive la nation grecque sœur de l’Arménie! Vive Vénizélos ! (Applaudissements.) » (p. 26)
L. de Bollmann (officier
prussien, volontaire parmi les insurgés grecs en 1821 puis démissionnaire à
cause des crimes de ces insurgés), Remarques sur l’état moral, politique et militaire de la Grèce, écrites sur les lieux,
Marseille, Carnaud et Simonin, 1822 :
« Jeunesse européenne, les Grecs d’autrefois n’existent plus ; l’aveugle
ignorance a succédé à Solon, à Socrate, à Démosthène, et la barbarie a remplacé
les sages
lois d’Athènes.
Sans doute est-il beau de combattre pour la liberté, mais n’est-ce pas l’acheter
bien chèrement que de l’acquérir par la destruction du genre humain ? Si
les Grecs l’obtiennent en combattant loyalement, en respectant le malheur d’un
ennemi vaincu, l’Europe les admirera ; mais si la soif du sang ottoman, si
l’affreux plaisir qu’ils prennent à piller, poignarder et brûler tous les êtres
innocents qui tombent entre leurs mains, femmes, enfants, vieillards,
continuent d’être leur principal mobile, l’histoire les jugera ; leur
cupidité, leurs cruautés inouïes, terniront pour toujours la gloire de leurs
aïeux. » (p. 3)
« Avant l’assaut de cette ville [Tripoli,
à l’époque Tripolizza], les Turcs, forcés par la famine, avaient proposé
une capitulation qui était déjà acceptée par les Grecs ; mais les Maniotes
[insurgés grecs], qui craignaient de
voir échapper une proie qu’ils regardaient comme certaine, forcèrent leurs
chefs et Colocotroni même à rejeter toute proposition et à prendre la ville par
un coup de main ; cette tentative ayant réussi, tout ce qui était musulman
fut massacré par les féroces vainqueurs, et afin d’éterniser ce carnage, on
construisit devant la porte de la ville par laquelle les assaillants entrèrent
une église en mémoire de cet événement ; ce monument dont l’ordonnance est
du plus mauvais goût, sans architecture, paraît plutôt être destiné à une
brasserie qu’à un temple dédié au dieu de Paix et de Miséricorde. […]
Nous avons été témoins de l’assassinat de plusieurs familles, qu’on ne
sacrifiait que pour les dépouiller ; voici un fait particulier qui mérite
d’être rapporté : une famille turque fut surprise par des Grecs dans des
caves, où elle s’était retirée ; à peine ces brigands commençaient-ils à
poignarder leurs victimes qu’un médecin allemand, accompagné de quelques francs
[probablement au sens de
« courageux »] de nos camarades, accoururent au bruit et
parvinrent à force de fermeté à faire prendre la fuite aux assassins avant qu’ils
eussent entièrement consommé leur forfait ; le libérateur de ces
infortunés s’empressa ensuite de panser leurs blessures.
Croirait-on que cet acte de courage et d’humanité nous occasionna des
reproches de la part du gouvernement [grec],
qui nous accusa de prendre le parti des Turcs ? Un capitaine français, de
nos camarades, fut chargé de porter notre réponse au Sénat [grec] et de lui notifier en même temps que désirions retourner
dans notre patrie, proposition qui fut rejetée, mais qui ne nous empêcha pas de
recevoir dans notre loge, le lendemain, trente-sept femmes et enfants fuyant le
poignard des Grecs ; nous les cachâmes dans le jardin, derrière la maison
que nous habitions, partageant avec eux notre ration […] » (pp. 9-11)
Vice-amiral Edmond Jurien de la
Gravière (grécophile affirmé), La Station du
Levant, Paris, Plon, 1876, tome I, p. 75 :
« Les propriétaires timariotes [turcs] se virent subitement attaqués et attaqués sur tous les points à la fois ; ils furent frappés sans merci, dépouillés sans remords. En moins d’un mois [mars-avril 1821] une population de vingt mille âmes avait disparu. L’extermination, assure-t-on, fut préméditée ; elle entrait dans les plans et dans les calculs de l’hétairie. Hommes, femmes, enfants, l’éruption du volcan n’avait rien épargné. Trois mille fermes au moins étaient réduites en cendres, des villages naguère florissants n’offraient plus que des monceaux de ruines, et sur ces débris les Klephtes agenouillés unissaient leur voix à celle des popes pour célébrer un si rapide et si complet triomphe.” »
Alfred Lemaître, Musulmans
et chrétiens. Notes sur la guerre d’indépendance grecque, Paris, G.
Martin, 1895, p. 84 :
« Je ne crois pas inutile de reproduire également les quelques phrases
que le baron Juchereau de Saint-Denys consacre aux vainqueurs. C'est un
philhellène qui parle : “Les Grecs, animés par la fureur et par l'avidité, ne
pensaient qu'à tuer et piller. Rien n'était respecté par eux : les vieillards,
les femmes, les enfants périssaient par le fer ou le feu. C'était en vain que
l'honnête Petro-bey, chef des Maïnotes, ordonnait de cesser les massacres et
réclamait la pitié des chrétiens. Ses cris et ceux du vertueux Athanase
Kanakaris n'étaient pas écoutés. Les propres soldats de Petro-bey, sortis avec
lui des montagnes du Taygète, n'écoutaient plus sa voix. Entraînés par les
autres Grecs, ils se distinguaient par leur amour du sang et du brigandage. Le
lendemain, 6 octobre [1821], la ville
[de Tripoli] ne présentait que des
monceaux de cadavres et de décombres. Le palais du pacha, les mosquées, les bains
publics avaient disparu. La citadelle, qui aurait pu continuer la défense si elle
avait été approvisionnée, consentit à capituler. Un écrivain anglais (M. Green,
consul d'Angleterre à Patras) dit que le nombre de prisonniers faits par les
Grecs à Tripolitza s'élevait à six mille hommes et à douze mille femmes et
enfants. Ces prisonniers, ajoute cet
écrivain, furent conduits hors de la ville et massacrés au nombre de douze
mille par leurs cruels vainqueurs. Les Juifs furent enveloppés dans ce
massacre. On épargna seulement les hommes qui pouvaient payer leur rançon. Les
jeunes filles et beaucoup d'enfants furent réservés pour être vendus comme
esclaves.” »
Michaël Molho, La Nouvelle Communauté juive d’Athènes,
New York, Jewish social studies, 1953, p. 1 :
« Pendant l’insurrection grecque contre l’Empire Ottoman (1821-1828),
les Juifs établis en divers centres urbains des territoires libérés par les
Armatoles sont l’objet d’atroces persécutions et de massacres, et les
survivants doivent se réfugier dans les provinces restées entre les mains des
Turcs, surtout à Salonique. Parmi les communautés dévastées figure celle
d’Athènes. »
Victor Bérard (grécophile
modéré), Les
Affaires de Crète, Paris, Armand Colin, 1900 :
« Sous la conduite des montagnards, ils [les insurgés grecs de Crète centrale] bloquèrent [en février 1897] les villages
musulmans, refoulèrent le peuple dans
les mosquées qu’ils allumèrent au pétrole ou firent sauter à la dynamite, — les
commerçants leur avaient donné les provisions nécessaires, — et, pendant plusieurs semaines, ce fut dans la
province une abominable tuerie.
“Déposition (devant les agents français) d’Emineh, fille de Mouça Miraboutakis, née au village de
Mouliana, demeurant actuellement à Roukaka, âgée de quinze ans. Un samedi, à la
fin de janvier (à la grecque), les chrétiens sont tombés en armes sur le
village de Roukaka, Ils ont tué son oncle, chez qui elle était. Elle fut
enlevée par un nommé Skizachilis, qui ne l’a pas violée, mais qui l’a cachée d’abord,
puis qui l’a emmenée chez lui et qui,
depuis, l’a épousée dans son village de Roukaka.
De sa cachette, elle a pu voir Halimeh, femme de Houssein Moula Mehemedakis,
que les chrétiens couchaient par terre ; à
coups de couteau, ils lui ouvrirent le ventre ; elle était enceinte ; ils ont
tiré l’enfant. Ils ont ouvert aussi Fatimé, fille de Moustapha Omer Effendakis
[remarque incidente : les patronymes
montrent qu’il s’agit, en l’occurrence, de Grecs convertis à l’islam plutôt que
ce Turcs ethniques] : ils l’ont fendue depuis la poitrine jusqu’au milieu
du dos. Ils avaient poussé les hommes dans la mosquée et, à mesure qu’on les
tuait, on les jetait dans le minaret, auquel on mit le feu avec du pétrole. Les
chiens couraient dans le village en emportant des mains et des pieds à demi
brûlés. Les enfants ont été tués à coups de couteau, et quelques-uns ont été
écrasés sous le minaret qui s’est renversé. Ceux qui tuaient n’étaient pas du
pays : ils étaient de Kritcha, et quelques-uns,
tout à fait étrangers, ne parlaient pas le dialecte crétois...
Elle a été emmenée par Skizachilis, qui lui a dit, au bout d’un mois, de se
faire chrétienne ; elle y a consenti ; il la épousée ; elle est maintenant
enceinte et elle ne veut pas quitter son mari, qu’elle préfère à ses parents,
bien que ceux-ci, réfugiés à Candie, offrent par l’intermédiaire des marins
français de la racheter et de la reprendre.”
Une division de la flotte internationale arriva sur rade. Elle se composait
de navires français, italiens et anglais, sous le haut commandement d’un
officier français. On occupa la ville où les musulmans se réfugièrent et d’où
les chrétiens s’enfuirent. On planta sur le donjon les drapeaux européens
autour du drapeau turc. On défendit aux chrétiens toute attaque contre les
musulmans réfugiés. Le commandant français intervint même directement dans
toute la province. Apprenant que dans les vallées écartées, certains villages
musulmans se défendaient encore, et que, dans les cavernes, sur les monts, dans
les fossés, des musulmans blessés, affamés, traqués, erraient et se cachaient à
grand’peine, le commandant envoya des officiers avec de faibles patrouilles,
qui arrachèrent ces malheureux au couteau [des
insurgés grecs] et les ramenèrent à la côte.
Il est regrettable que les rapports de ces expéditions n’aient pas été
publiés. On ne saura jamais tout ce que nos soldats et nos officiers ont fait
dans ce coin perdu. Ils y ont sauvé plus de deux mille personnes, et ce fut à
la suite de ces premières opérations que le conseil des amiraux décida d’intervenir
pareillement à l’autre bout de l’île. Là encore, dans la province de Sélino,
les musulmans de Kandanos, assiégés par !cs chrétiens, furent ramenés à la côte
par un détachement international : l’amiral italien félicita tout
particulièrement les troupes françaises qui avaient pris la meilleure part de
la peine et du danger. » (pp. 247-249)
« Dans les quatre-vingts
villages musulmans de la Crète centrale, il ne reste pas un toit, et les murs
ne sont plus que brèches croulantes. Quant aux oliviers et aux vignes, on
en commença la coupe systématique : s’il en reste encore, c’est faute de bras.
On avait eu l’idée d’appeler les montagnards à l’aide ; mais ils émirent la
prétention de s’approprier les olivettes, au lieu de les détruire, et les gens
des plaines, qui auraient perdu ces clients, acheteurs de leur huile,
renvoyèrent ces auxiliaires et se remirent seuls à l’ouvrage. Je ne dis rien
des minarets et des mosquées. Le pétrole et la dynamite ont simplifié la besogne,
et ces bons chrétiens éprouvent encore une pieuse joie à faire plusieurs
kilomètres (l’Europe leur donne des loisirs) pour venir y déposer leurs
ordures. » (p. 275)
Dotation Carnegie pour la
paix internationale, Enquête
dans les Balkans, Paris, Georges Crès & Cie, 1914, pp.
192-193 :
« Le journal Le Jeune Turc
semble se plaindre avec raison du sort de ses coreligionnaires en Macédoine. “Des
arrestations en masse de Turcs et de Juifs, écrivait-il vers la mi-octobre, se
pratiquent journellement à Salonique et pour les plus ridicules motifs. L’espionnage
s’y développe dans la plus large mesure, et les persécutions deviennent
révoltantes.” Malheureusement, la réalité était plus sombre encore que ce
tableau. Un autre journal turc, le Tasfiri
Efkiar, ajoute qu’on poursuit non seulement les habitants des villes, mais
aussi de simples villageois. “Les Musulmans des environs de Poroï (entre Doïran
et Demir-Hissar) ont été enfermés dans quarante wagons et transportés à
Salonique. Les autorités grecques ont persécuté de même les Musulmans de
Langadina (au nord-est de Salonique), d’où, sous prétexte de procéder à un
désarmement, toute la jeunesse a été emmenée à Salonique et y a été maltraitée.
A Saryghiol (près de Kukush), tous les hommes ont été conduits à Salonique,
puis les soldats grecs ont violé les
femmes et les jeunes filles. À Sakhna, à Serrés, à Pravichté, on a commencé
à convertir, si bien qu’il ne reste pas un seul musulman dans la caza de
Sakhna. — Le nombre des prisonniers turcs de la région de Salonique atteint le
chiffre énorme de 5 000 », ajoute l’Écho
de Bulgarie du 20 décembre/2 janvier. —Quelques mois plus tôt, M. Ivanov
faisait observer, dans ses “notes explicatives”, que “les groupes turcs de
Saryghiol (au sud de Kaïlaré), de Kaïlaré et d’Ostrovo, groupes forts par leur
nombre et par leur prospérité, avaient été particulièrement éprouvés à la suite
de l’invasion grecque. Toutes les villes, ainsi que les villages de cette
région, ont été dévastés et la population a cherché son salut dans la fuite. En
fuite, également, la population musulmane des villes situées autour de la
vallée d’Yénidjé, notamment de Vodéna, Négouché (Niaksta), Karaféria (Véria),
Yénidjé-Vardar. Cette dernière ville a été éprouvée entre toutes : tout le marché, ainsi que les quartiers
musulmans, ont été réduits en ruines.”
Il nous reste à jeter un coup d’œil sur la Macédoine orientale, dont nous avons
déjà parlé au chapitre II et dont la population bulgare s’est enfuie en masse
vers la Bulgarie, tandis que les Turcs et les Grecs ont pris le chemin de Salonique.
Gomme document le plus probant des violences commises par les Grecs contre la
population turque, nous publions aux Annexes (n° 13a ) une liste complète des
personnes tuées et des pillages commis dans la seule caza de Pravishta (à l’ouest
de Kavalla). Le document original a été communiqué à la Commission en turc : c’est
un procès-verbal officiel, rédigé et scellé par la communauté musulmane de
Pravishta. Il ne contient que des noms et des faits ; mais quelle lugubre
éloquence que celle de ces faits et de ces noms ! “Sur les 20.000 Turcs de cette caza, il n’en reste que 13 000”. “Parmi
les personnes tuées, il y a malheureusement beaucoup d’imams, des notables
turcs et des hommes instruits, ce qui montre bien que les Grecs poursuivaient
un but déterminé.” »
Lire aussi :
L’évolution d’Émile Wetterlé sur la question arménienne et les Turcs
Les crimes de l'armée grecque contre les Juifs d'Izmit (1921)
Les
massacres de musulmans et de juifs anatoliens par les nationalistes arméniens
(1914-1918)
Les
atrocités des insurgés arméniens en Anatolie orientale (avant les déportations
de 1915)
1917-1918
: la troisième vague de massacres de musulmans anatoliens par les nationalistes
arméniens
L’antisémitisme
arménien à l’époque ottomane dans le contexte de l’antisémitisme chrétien
L'antisémitisme
sanglant des nationalistes grecs
L’arménophilie
aryaniste, antimusulmane et antisémite de D. Kimon
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