dimanche 28 novembre 2021

L’arménophilie de Walter Duranty (falsificateur au bénéfice de Staline)

 


 

Robert Conquest, Sanglantes moissons, Paris, Robert Laffont, 1995 :

« De plus, une grande partie du grain arraché si douloureusement à la paysannerie [ukrainienne, provoquant ainsi la mort intentionnelle de millions de personnes] ne servit à rien. Comme auparavant (et comme cela arrive encore couramment aujourd’hui), le gâchis fut prodigieux. Postychev note en novembre 1933 qu’“une quantité assez considérable de grains a été perdue par manque de soins”. La presse en cite d’innombrables exemples : à la gare de Kiev-Petrovka, un immense tas de blé pourrit ; au poste de ramassage Traktorski, vingt wagons furent inondés ; à Krasnograd, le blé pourrit dans les balles ; à Bakhmach, il pourrit, entassé sur le sol. Le correspondant — prosoviétique — du New York Times, Walter Duranty, remarqua (sans toutefois l’écrire dans son journal) que “l’on voyait de grosses quantités de grain dans les gares, dont une grande partie en plein air”. » (p. 288)

« En septembre 1933, Walter Duranty déclara à l’ambassade de Grande-Bretagne que “la population du Caucase du Nord et de la Basse-Volga [avait] diminué de 3 millions au cours de l’année passée, celle de l’Ukraine de 4 à 5 millions” et qu’il semblait “tout à fait possible” que le bilan total atteignît 10 millions. » (p. 328)

« Sa qualité d’Occidental qui coopérait étroitement aux falsifications soviétiques valut à Walter Duranty toutes sortes de privilèges — de se voir complimenter et accorder des interviews par Staline en personne, notamment. Il bénéficia en même temps de l’adulation sans réserve de milieux occidentaux influents.

“Il n’y a pas de famine ni de véritable manque de nourriture, et il n’y en aura vraisemblablement pas”, écrivait Duranty en novembre 1932. Puis, lorsque de nombreuses informations parurent sur la famine dans les pays occidentaux et que des articles rédigés par ses collègues furent publiés dans son propre journal, il changea de méthode et se mit à en minimiser l’importance, en parlant de “malnutrition”, de “pénurie de vivres” ou de “résistance affaiblie”.

“Parler de famine en Russie relève aujourd’hui de l’exagération ou de la propagande malveillante”, écrivit-il le 23 août 1933. “La pénurie alimentaire qui a touché la quasi-totalité de la population l’an dernier, notamment dans les régions céréalières — c’est-à-dire en Ukraine, dans le Caucase du Nord et la Basse-Volga — a cependant causé de lourdes pertes humaines.” Le taux de mortalité normal, qui représentait “environ un million d’individus” dans les régions citées, devait, selon toute probabilité, “être au moins triplé”.

Mais ces deux millions de morts supplémentaires qu’il jugeait regrettables, Duranty en minimisait l’importance et niait que l’on pût parler de “famine” (Il en rejetait partiellement la faute sur “la fuite de certains paysans et la résistance passive de certains autres”.)

En septembre 1933, premier correspondant à être admis dans les régions touchées par la famine, Duranty déclara que “l’emploi du mot ‘famine’ à propos du Caucase du Nord était une pure absurdité” ; au moins en ce qui concernait cette région, le nombre de morts excédentaires qu’il avait précédemment prévu lui paraissait désormais “exagéré”. “Bébé dodus” et “mollets grassouillets” étaient un spectacle typique au Kouban [région largement peuplée d’Ukrainiens]. (Litvinov [ministre soviétique des Affaires étrangères] ne manqua pas de citer ces dépêches dans sa réponse à la lettre de Kopelmann.)

Les bruits faisant état d’une famine étaient répandus par des émigrés qu’encourageaient l’ascension d’Hitler et, si “des anecdotes sur la famine étaient alors courantes à Berlin, Riga, Vienne et dans d’autres villes“, c’était parce que “des éléments hostiles à l’Union soviétique y faisaient une tentative de dernière heure pour empêcher qu’elle fût reconnue par les États-Unis, en la décrivant comme un pays en ruine et en proie au désespoir.”

[…]

Malcolm Muggeridge, Joseph Alsop et d’autres journalistes expérimentés le considéraient tout simplement comme un menteur ; “le plus grand menteur de tous les journalistes que j’aie rencontrés en cinquante ans de carrière”, précisa Muggeridge par la suite. » (pp. 344-345)

 




Anne Applebaum, Famine rouge. La guerre de Staline en Ukraine, Paris, Grasset, 2019, pp. 363-364 :

« Duranty fut le correspondant du New York Times à Moscou de 1922 à 1936 : pendant un temps, ce rôle le rendit relativement riche et célèbre. Britannique de naissance, il n’avait aucun lien avec la gauche idéologique. Il se voulait “réaliste”, pragmatique et sceptique, essayant d’écouter les deux versions d’une même histoire. “On peut objecter que la vivisection est une chose triste et affreuse, et il est vrai que le sort des koulaks et d’autres qui se sont opposés aux expériences soviétiques n’est pas heureux“, écrivit-il en 1935. “Dans les deux cas“, cependant, “la souffrance infligée l’est dans un noble dessein.”

Cette position le rendit terriblement utile au régime, qui prit soin de veiller à ce qu’il vive confortablement à Moscou. Disposant d’un grand appartement, d’une voiture et d’une maîtresse, il avait de meilleurs accès qu’aucun autre correspondant et, à deux reprises, il eut le privilège d’interviewer Staline. L’attention que lui valurent ses reportages semble avoir été cependant la principale raison de sa couverture flatteuse de la vie en URSS. »


Gedeon Haganov, Le Stalinisme et les Juifs, Paris, Spartacus, 1951, p. 3 :

« “Staline, en deux ans, a fusillé plus de Juifs que, dans le même laps de temps, il n'en a été tué en Allemagne” : ainsi s'exprimait en 1939 un journaliste stalinien notoire, M. Duranty, dûment stylé au Kremlin, à l'époque où Staline pratiquait la politique de “la main tendue” à Hitler, lequel se faisait prier.

Il s’agissait alors de laisser entendre, par l’intermédiaire d'un correspondant officieux, que rien ne s'opposait à un accord entre les deux États totalitaires, et qu'en matière même d'antisémitisme, Staline avait quelque avance sur Hitler. Le New York Times crut devoir censurer pudiquement l'observation déplaisante de son collaborateur trop “inspiré” mais la phrase fut remarquée néanmoins dans les journaux américains de la “chaîne” où passaient les articles de M. Duranty. Relevée, commentée par diverses publications, notamment la Russie Nouvelle, de Paris, citée dans le Figaro (7 mai 1939), elle mérite d’être tirée de l’oubli au moment où les mesures antisémites de Staline s'amplifient et s'accentuent d'une manière indubitable. 

M. Duranty faisait allusion, pour amadouer les nazis, aux sanglantes “épurations” commises par Staline lors des fameux procès de Moscou en 1936-1938. »

 

Walter Duranty, Stalin & C°. The Politburo—the Men who rule Russia, Londres, Secken and Warburg, 1949, pp. 146-147 :

« À Constantinople [le choix de cet ancien nom, bien après l’adoption officielle d’İstanbul, traduit en soi un mépris des Turcs], ils ont un dicton selon lequel un Grec peut rouler trois Juifs, et un Arménien peut rouler trois Grecs. Les Arméniens, comme les Juifs, ont subi une persécution raciale choquante ; et, comme les Juifs, ils y ont survécu. Pourtant, entre les Juifs et les Arméniens, il y avait une différence fondamentale. Les deux nations ont été dispersées à travers la surface de la terre comme commerçants et étrangers vivant par leur intelligence, mais les Arméniens ont toujours eu une patrie qu’ils aimaient ; et la persécution des Arméniens, contrairement à celle des Juifs, a été menée dans cette patrie, jamais à l’étranger. J’ai connu des patriotes irlandais, des Américains, Britanniques, Français et Texans mais parmi eux tous il n’y a pas de plus grand amour de leur patrie que chez les Arméniens.

Sous les tsars, l’Arménie était une “colonie” comme l’Asie centrale, exploitée et vidée de ses richesses [quelles richesses ? Il ne le dit pas…]. La moitié de la population arménienne vivait en dehors de l’empire tsariste sous domination turque. Pendant la Première Guerre mondiale et durant les années suivantes, ils ont été si complètement “éliminés” qu’aujourd’hui il n’y a pas un seul Arménien dans les provinces de l’Est de la Turquie, Kars et Ardahan, dont la population était autrefois arménienne pour les neuf dixièmes [affirmation aussi grotesque que les autres]. La domination tsariste était une froide belle-mère pour l’Arménie russe ; les Turcs assassiné les Arméniens qui se trouvaient sous leur domination.

Une visite en Arménie soviétique (ce que les étrangers font rarement) fournit une preuve tout à fait convaincante que ce petit pays des hautes terres a plus tiré de la révolution bolchevique que presque tous les États ou nationalités qui composent l’U.R.S.S. Une indication en est que l’Arménie est la seule République soviétique dans laquelle un grand nombre de ses ressortissants vivant à l’étranger, même aux États-Unis, sont volontairement retournés ces dernières années [dès 1947, la déception a été profonde et l’immigration s’est arrêtée en 1948, les « rapatriés » ne trouvant que misère]. C’était le premier pays soviétique à jouir d’une pleine liberté religieuse [sic !], et a fait de grands progrès dans l’agriculture et l’industrie grâce à un programme de travaux généreux, en particulier les projets d’irrigation, menés par Moscou.

L’Arménie doit sans aucun doute ces avantages au premier degré à l’énergie et la diligence de ses gens, qui sont immensément reconnaissants aux bolcheviks de leur protection contre les Turcs et pour l’aide apportée aux survivants arméniens de Turquie pour retourner en Arménie soviétique. Mais le pays doit aussi beaucoup à son premier citoyen, Anastas Ivanovich Mikoyan, membre depuis 1935 du Politburo bolchevique. »

 

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