mardi 21 juillet 2020

L’engagement (non regretté) d’Henri Leclerc (avocat de terroristes arméniens) au PCF stalinien



L’Humanité dimanche, 6 mars 1952


J’ai déjà rappelé, citations à l’appui, qu’Henri Leclerc est allé au-delà du devoir d’un avocat, c’est-à-dire que, dans le cas de plusieurs terroristes arméniens, il a non seulement défendu des personnes mais explicitement approuvé leurs crimes. Voyons maintenant d’où il vient idéologiquement, ce qui explique bien des choses.

Henri Leclerc, déclaration à France Culture (« La fabrique de l’histoire », 17 décembre 2013) :
« Ils [les époux Rosenberg] ont été exécutés [pour espionnage au profit de l’Union soviétique]. J’ai été très affecté, très secoué par ça. C’est vingt ans après que j’ai appris beaucoup de choses sur cette affaire. Mais à l’époque, c’était très simple. Après, j’ai moi-même adhéré au Parti communiste, où je suis resté deux ans. Et d’ailleurs, cette affaire Rosenberg n’est d’ailleurs pas pour rien dans cette adhésion que j’ai eue au Parti communiste, parce que j’avais trouvé que cet engagement des militants communistes était tout à fait remarquable — et je ne regrette pas mon engagement. Je ne regrette pas mon engagement parce que c’est le moment, tout de même, où ces espèces d’immenses élans populaires pour une cause juste, c’est très, très important, si vous voulez, c’est vraiment ce qui peut se passer à un moment, dans la vie de quelqu’un qui se rend compte que les combats solitaires sont inutiles, que ce qu’il faut, c’est combattre tous ensemble.
Il y avait là une espèce de ferveur. Les militants communistes, qui étaient aussi des militants ouvriers… Je me rappelle aussi du défilé du 1er mai, des choses comme ça… C’est quelque chose qui, pour un jeune banlieusard… Mais pas banlieusard au sens actuel ; une famille modeste de fonctionnaires qui n’étaient pas riches du tout, mais qui avait les moyens, je dirai, d’une certaine façon… Et donc, cette ferveur, pour sauver un certain nombre de gens… […] Mais donc ces grandes manifestations populaires sur un cas pareil font que c’est petit à petit, quand est avocat et en même temps militant… C’est vrai que l’erreur judiciaire, tout ça, ça marque beaucoup. Et après, j’ai eu beau apprendre la vérité, je dis que cet élan, les gens qui manifestaient là, c’était des gens qui, bien entendu [sic], manifestaient pour ce qu’ils croyaient être la vérité à ce moment-là. Et même, bon, ils manifestaient contre l’exécution de gens, et ça, ces premiers grands élans contre la peine de mort [sic : le Parti communiste « français » de 1952-1955 était pour la peine de mort], après, bien sûr, j’y ai passé ma vie. »

Voyons donc ce qu’était le Parti communiste « français » de cette époque et ce qu’est « la vérité » sur l’affaire Rosenberg que M. Leclerc a comprise « vingt ans après », alors qu’une partie crevait déjà les yeux en 1952.

André Kaspi, « ROSENBERG (affaire). 1950-1953 », dans Jacques Julliard et Michel Winock (dir.), Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Le Seuil, 2009, pp. 1225-1226 :
« À la fin de l’année 1952 [alors que la condamnation des Rosenberg date du printemps 1951], voilà que les adhésions se multiplient [au comité de soutien créé en août 1951]. Des comités surgissent en Angleterre, en France, en Israël, en Autriche, en Italie, en Suisse, en Allemagne, en Australie, en Nouvelle-Zélande, à l’est du Rideau de fer. Les communistes ont décidé d’entrer en campagne. C’est qu’un procès vient de commencer en Tchécoslovaquie qui aboutira, en décembre, à la condamnation à mort de Rudolf Slansky [secrétaire général du Parti communiste tchèque, démis de ses fonctions] et de quelques autres. Les condamnés sont [presque tous] juifs, tout comme les médecins soviétiques [arrêtés en janvier 1953] qui auraient fomenté le “complot des blouses blanches” [légère erreur : deux non-Juifs figuraient parmi ces médecins arrêtés sans aucune preuve]. Or, l’antisémitisme ne saurait exister dans un régime socialiste. En conséquence, ces juifs sont coupables de diffuser le sionisme, qui équivaut à l’impérialisme américain [rappelons ici que l’alliance américano-israélienne ne commence qu’en 1962-1963, avec John F. Kennedy, donc dix ans après le procès Slansky, et ne prend son ampleur actuelle que vers 1970, avec Richard Nixon] et au colonialisme. Dans L’Humanité, Jacques Duclos fait savoir que “la condamnation des espions atomiques Julius et Ethel Rosenberg est un exemple d’antisémitisme, alors que l’exécution de huit juifs en Tchécoslovaquie n’en est pas un.” […]
Le Figaro, sous la plume de Thierry Maulnier et celle de Rémy Roure, rejoint Le Populaire [journal du Parti socialiste SFIO] pour regretter que “Eisenhower ait fourni ‘deux martyrs’ de plus à la propagande stalinienne.” […]
Un demi-siècle plus tard, la vérité nous échappe un peu moins [grâce à la publication des télégrammes chiffrés de l’ambassade soviétique à Washington, progressivement décodés par les services américains de renseignement lors de l’opération Venona]. […] Il est plus que vraisemblable que les Rosenberg n’étaient pas innocents. Ils ont fait partie d’un réseau d’espionnage. Ont-ils révélé à l’Union soviétique les secrets de la bombe atomique ? Sans doute non. Ils ne méritaient pas la mort. Une propagande habile les a métamorphosés en martyrs. »

« Londres, 31 janvier (U. P.). - Les effectifs du parti communiste britannique se sont sérieusement réduits depuis l'année dernière, et le parti est actuellement en proie à de graves difficultés financières parce que ses sympathisants lui ont retiré leur appui financier en guise de protestation contre l'antisémitisme qui sévit actuellement dans les pays de derrière le rideau de fer.
Le Daily Worker, organe du parti, signale que le “fonds du combat”, qui, dit-on, fait vivre le journal en collectant 3 500 livres sterling de donations volontaires par mois, n'a recueilli en janvier que 979 livres.
On estime que les effectifs du parti en Grande-Bretagne ont diminué d'au moins 30 %. Le secrétaire du parti pour le district de Londres, John Mahon, a annoncé récemment qu'il y a actuellement sept mille deux cent vingt-trois membres du parti dans la capitale, c'est-à-dire 24 % de moins qu'il y a un an. »

Robert Simon (membre du PCF), « Les communistes français et l'affaire Slansky-Clémentis-London », Le Monde, 11 août 1970 :
« Si, à l'époque, le correspondant de l'Humanité à Prague n'a pas été en mesure d'aborder, dans ses communiqués, les “procédures” qui nous sont révélées dans les trois premières parties du récit l'Aveu, il a vécu par contre en partie celles qui, du 20 au 27 novembre 1952, ont constitué le “grand procès”, à partir duquel, huit jours durant, il a téléphoné à Paris des comptes rendus d'une extrême dureté à l'encontre de Slansky, de London et de leurs coaccusés. L'Humanité du 28 novembre 1952, particulièrement violente contre les quatorze condamnés, approuvait bruyamment le verdict et ses auteurs.
Le même 28 novembre, à Bordeaux, Jacques Duclos cinglait âprement, de la même philippique, les traîtres de Prague et ceux de Paris : André Marty, Charles Tillon [exclus du Parti communiste « français » en 1952]. Des onze communistes tchécoslovaques condamnés à être pendus et des trois autres à mourir en prison, il disait notamment : “[…] Dans la mesure où ces gens-là pensaient pouvoir compter sur les trahisons intérieures, ils auraient pu alors, plus facilement, se laisser aller à la tentation de brusquer les événements pour déclencher la guerre.” Puis, évoquant l'accusation d'antisémitisme portée contre les autorités de Prague, il protestait : “C'est une canaillerie et une stupidité ! Ce procès est, en définitive, un épisode de la guerre des classes entre, d'une part, ceux qui veulent conserver leurs privilèges et les reconquérir là où ils les ont perdus et, d'autre part, ceux qui veulent se libérer de la servitude, de l'exploitation et de la misère.” »

Anne Grynberg, « Des signes de résurgence de l’antisémitisme dans la France de l’après-guerre (1945-1953) ? », Les Cahiers de la Shoah, n° 5, 2001/1, pp. 171-223 :
« Quelques semaines plus tard, dans L’Humanité des 13, 16, 18 et 19 janvier 1948, Léon Blum est présenté comme un “ennemi de la classe ouvrière” et son origine juive est évoquée maintes fois en termes injurieux. Au même moment, Monmousseau ironise, dans La Vie ouvrière, sur le fait que “Blum en yiddish veut dire fleur”. Et, dans L’Aisne libre en date du 10 janvier 1948, Roger Briard, candidat local du PCF dans ce département, écrit dans un article intitulé “Le Plan Rothschild” :
“Les noms de Blum, Moch et Mayer ne sentent bon ni la Beauce, ni le Berry, mais évoquent plutôt tout ce qui depuis des siècles exploite le labeur français, vit de la fatigue française, fait des fortunes sur la misère des Français.”
Et le député communiste Arthur Ramette souligne qu’au contraire, “nous, communistes, n’avons que de vrais noms français.” » (p. 197)
« Cette tendance ne va nullement s’infléchir, au contraire. À partir de 1954, Jacques Duclos, président du groupe communiste à l’Assemblée nationale, ne cessera d’invectiver Pierre Mendès France, “ce lâche, ce petit Juif peureux qui bavarde et n’ose pas agir”, rejoignant ainsi les députés de la droite qui accusent “Capitule Mendès” de brader l’Indochine. Et tous de reprendre la même formule, comme un leitmotiv : “Mendès, ou France ?”. » (p. 198)
« En revanche, le PCF fait entendre sa voix en janvier 1953, quand éclate l’affaire du “complot des blouses blanches” : des médecins juifs d’Union soviétique auraient été stipendiés par les services secrets américano-israéliens – via le Joint, organisation caritative juive américaine – pour attenter à la vie des dirigeants soviétiques. Pendant quelques mois, L’Humanité reprend ces accusations délirantes. Dès le 22 janvier, le quotidien communiste publie un extrait des propos tenus la veille par Auguste Lecœur, secrétaire à l’organisation au sein du PCF :
“Lorsque, en Union soviétique, est arrêté le groupe des médecins assassins travaillant pour le compte des services d’espionnage terroristes anglo-américains […], alors, la classe ouvrière applaudit de toutes ses forces.”
[…]
Entre le 27 janvier et le 1er février 1953, Pierre Hervé publie dans le quotidien Le Soir [coquille : Ce soir] une série de six articles intitulée “Les assassins en blouse blanche”, que le secrétariat du PCF a imposée au rédacteur en chef, Pierre Daix. Il y développe en particulier l’argument selon lequel le Joint serait un instrument de “la grande finance juive” – laquelle a “commandité Hitler” –, une organisation d’espionnage entre les mains de qui “la Diaspora devient une arme de guerre froide au service du Département d’État de Washington”. Il est question, au fil des lignes, de cosmopolites “dégénérés”, de “sionistes-trotskystes”… De tels propos suscitent un malaise diffus parmi les militants du PCF, mais ces réserves sont loin d’être unanimes. Au contraire : Emmanuel Le Roy Ladurie se souvient que les responsables du cercle des étudiants communistes de la rue d’Ulm envisagèrent de “demander à ceux de [leurs] camarades qui étaient juifs de prendre une position particulièrement militante et énergique dans le soutien qu’ils donneraient à l’URSS en guerre contre les ‘Blouses blanches’”. » (p. 203)

Laurent Rucker, Staline, Israël et les Juifs, Paris, Presses universitaires de France, 2001, p. 339 :
« La répression s’est d’abord abattue sur ceux qui avaient été les premiers vecteurs de cette autonomisation — les dirigeants du CAJ [Comité antifasciste juif] —, puis elle a atteint ceux qui en étaient des porteurs potentiels — les cadres juifs de l’appareil d’État et du Parti [communiste d’URSS] — ; elle menaçait de s’élargir à l’ensemble des Juifs soviétiques avant que la mort de Staline n’y mette un terme. »



Serge Wolikow (professeur émérite à l’université de Bourgogne et communiste déclaré) et Antony Todorov, « L’expansion européenne d’après-guerre », dans Michel Dreyfus et alii (dir.), Le Siècle des communismes, Paris, Le Seuil, 2004, p. 340 :
« La répression anticommuniste ainsi que la suspicion régnant dans le Kominform [qui a succédé à l’Internationale communiste] à l'égard de toute critique relative à l'URSS favorisent le renforcement [de 1947 à 1953-1954] de l'autoritarisme et du sectarisme au sein des partis [communistes d’Europe occidentale, notamment en France]. »
ð  À propos des « critiques relatives à l’URSS », rappelons que la réalité de ce régime est déjà connue au moment où Henri Leclerc adhère au PCF, notamment grâce au Staline de Boris Souvarine (paru pour la première fois en 1935), au Retour de l’URSS d’André Gide (1936), à L’U.R.S.S. telle qu’elle est de Robert Guiheneuf, qui signe Yvon (1938), à Vingt ans au service de l’URSS de l’ancien ambassadeur soviétique Alexandre Barmine (1939), ouvrage laissé sans réponse par les partis communistes ; et bien entendu grâce à J’ai choisi la liberté d’Alexandre Kravchenko (un des tout premiers témoignages directs parus dans la langue de Molière sur la famine en Ukraine de 1932-1933), paru en français en 1947 (Kravchenko fit ensuite condamner ses diffamateurs staliniens, à Paris) puis grâce à David Rousset, lui-même survivant du système concentrationnaire nazi, qui fit également condamner pour diffamation des adorateurs « français » de Staline.



Jacques Fauvet et Alain Duhamel, Histoire du Parti communiste français, de 1920 à 1976, Paris, Fayard, 1977 :
« À la question : “Que feriez-vous si l’Armée rouge occupait Paris ?” Maurice Thorez [secrétaire général du Parti communiste « français »] répond le 22 février 1949 : “Les travailleurs de France pourraient-ils se comporter envers l’armée soviétique autrement que ceux de Pologne, de Roumanie, de Yougoslavie ?” » (p. 414)
« Le troisième point de la note [rédigée par Maurice Thorez en 1952] implique le rejet de l’action parlementaire comme moyen d’aboutir à un changement de gouvernement et de politique. Il suppose même le refus de se lier trop étroitement au mouvement de la paix [où les communistes sont nombreux sans le contrôler tout à fait] s’il n’accepte pas de passer à l’action de masse. Le Parti communiste irait alors seul à la bataille. » (p. 427)


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