mardi 17 septembre 2024

L’agitation irrédentiste dans l’Arménie soviétique à l’époque de l’alliance entre Staline et Hitler

 



« L’évolution de la situation diplomatique », L’Ouest-Éclair, 28 octobre 1939, p. 3 :

« Paris, 27 octobre (de notre rédaction parisienne). Les informations de source anglaise concernant la concentration de 300 000 soldats turcs sur la frontière soviétique, près de la République d’Arménie sont confirmées.

Simple précaution, nous disait une personnalité compétente. En voici la raison.

Quand, en 1920, l’Arménie fut bolchevisée, Moscou céda à la Turquie, dont il sollicitait à ce moment l’appui, des territoires arméniens Kars et Ardahan [c’est légèrement plus compliqué : en décembre 1920, le dernier gouvernement dachnak (nationaliste) d’Arménie signe le traité de Gümrü, qui prévoit un référendum pour la région de Kars, à majorité musulmane ; en février 1921, avec l’autorisation du dernier gouvernement géorgien indépendant, la Turquie reprend Ardahan, revendiquée par l’Arménie mais jusque-là sous contrôle géorgien ; puis, en octobre 1921, le gouvernement arménien soviétique, le gouvernement géorgien soviétique et la Russie soviétique signent avec la Turquie le traité de Kars, qui consacre les provinces de Kars et d’Ardahan comme turques]. Il s’agissait de deux régions moins importantes pour leur richesse que pour leur valeur stratégique. Bien que soumis aux Soviets, les Arméniens protestèrent. La perte de ces territoires exposait leur jeune République, soi-disant autonome, au danger d’une invasion turque. Moscou mit fin à cette réaction par ses méthodes habituelles.

On peut s’imaginer après cela l’étonnement de M. Saradjoglou, le ministre des Affaires étrangères turc, quand, au cours de ses négociations à Moscou, l’autre semaine, il s’entendit réclamer la cession de Kars et Ardahan. Naturellement, Ankara a repoussé cette prétention, en même temps que les autres formulées au sujet des Balkans et de la Mer Noire.

Presque aussitôt une agitation irrédentiste a éclaté en Arménie, près de la frontière turque : des meetings ont été organisés à Erivan et Léninakan, et ailleurs, sous les auspices des autorités soviétiques On y vote des motions et des adresses à Staline, afin que les frères de race soumis à la Turquie soient libérés bientôt. On avait entendu des slogans semblables en U.R.S.S., à la veille de la libération des Ukrainiens et des Blancs Russes [Biélorusses] opprimés par les Polonais.

Résolu à couper court à la manœuvre, le gouvernement d’Ankara a pris des dispositions militaires appropriées, celles qui ont été annoncées hier. Très probablement, le dictateur rouge laissera traîner les choses dans le Sud, pendant qu’il est occupé encore dans le Nord avec la Finlande. »

 

« Turquie et URSS », Le Populaire, 15 décembre 1939, p. 3 :

« Une information arrive de Turquie : le président de la République, le maréchal Ismet Inönü, s’est rendu à Erzeroum, où la population s’est lui a fait un accueil enthousiaste. Il est difficile de ne pas mettre en liaison ce voyage avec l’importance prise au cours de ces derniers mois par la frontière russo-turque.

[…]

Aujourd’hui, Moscou [a] envie de se servir du nationalisme arménien contre Ankara, en profitant des griefs historiques de cette nation à l’égard de l’ancienne Turquie. Des fêtes ont été données cet automne dans la capitale soviétique en l’honneur de l’Arménie, dont on a célébré les traditions et la littérature.

L’Arménie a perdu sous le régime stalinien toute autonomie et les patriotes arméniens ont été massacrés et déportés tout comme les nationalistes ukrainiens, géorgiens, caucasiens. Mais Staline veut améliorer la situation stratégique de son Empire face à la Turquie et sur la mer Noire, et les aspirations arméniennes peuvent lui fournir une base d’action, suivant la méthode hitlérienne qu’il a adoptée d’emblée et dont il se propose de tirer tout le profit possible. »

 

Mary Kilbourne Matossian, The Impact of the Soviet Policies in Armenia, Leyde, E. J. Brill, 1962, p. 163 :

« Le point décisif était : si les sentiments et les valeurs du nationalisme arménien se trouvaient servir les objectifs communistes, ils étaient encouragés ; sinon, ils étaient supprimés. Il se trouve que durant la Seconde Guerre mondiale et juste après, le nationalisme arménien était utile aux communistes. »

 

Lire aussi :

L’alliance soviéto-nazie (1939-1941) et les projets staliniens contre la Turquie

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