« Appel des sénateurs
ottomans », Orient & Occident,
septembre 1922, pp. 117-118 :
« Les sénateurs ottomans ont adressé l'appel suivant à leurs collègues
français :
Constantinople, le 6 Juillet 1922.
Monsieur le Sénateur.
Le moment nous semble venu d'en appeler aux sentiments humanitaires de
Messieurs les membres de la Haute Assemblée, pour les prier d'envisager avec
intérêt la désolation qui règne dans les régions cruellement éprouvées par
l'invasion des Hellènes.
La Haute Assemblée n'est pas sans connaître que les troupes helléniques ont
occupé Smyrne le 15 mai 1919, pour des raisons injustifiées. Depuis cette date,
elles n'ont cessé de commettre les plus horribles et les plus criminels actes
de cruauté envers la population musulmane des villages et des villes qu'elles
ont dévastés. Dans la province de Smyrne, la marche de l'envahisseur a été
partout accompagnée de massacres, de viols, de pillages, d'incendies, etc. Ces
faits notoires ayant nécessité une enquête interalliée, les grandes puissances
avaient résolu de confier cette tâche à une Commission composée d' un amiral
américain, M. Bristol, de trois généraux M. Hare, anglais, M. Bunoust, francais,
et M. Dall'Olio, italien. L'enquête ouverte a établi l'authenticité des faits
imputés, et la Commission les a consignés dans le rapport qu'elle a remis
auxdites puissances.
Cependant ce rapport n'a pu être intégralement publié et l'impunité qui en
a résulté n'a fait qu'enhardir dans leurs œuvres les auteurs de ces crimes. C'est dire que les envahisseurs hellènes se
sont de plus en plus acharnés contre les musulmans, n'épargnant ni vieillards,
ni femmes, ni enfants. Au cours de leurs exploits criminels, ils n'ont pas perdu
de vue les moyens de s'enrichir ; le prétexte auquel ils ont eu constamment recours,
fut de porter de fausses accusations sur des gens riches ou des notables
réputés comme tel, de maltraiter, d'emprisonner, de torturer ou déporter
quiconque ne pouvait racheter sa liberté. Ceux qui ont réussi à échapper aux
agresseurs se sont enfuis vers les régions intérieures de l'Anatolie, ou
réfugiés à Constantinople. Le nombre des émigrés à Constantinople, parmi
lesquels se trouvent aussi des
Israélites, dépasse 60 000. La plupart de ces malheureux sont, à l'heure
qu'il est, entretenus par le Gouvernement ottoman et des Comités de secours
turcs, anglais, français et américains. Plusieurs personnes étrangères qui ont
visité les locaux, hâtivement aménagés pour abriter ces malheureux émigrés, ont
dû mesurer l'étendue des atrocités commises par la soldatesque effrénée de l'invasion
et constater, en même temps, la façon horrible dont un grand nombre de ces
personnes a été lâchement mutilé.
Parmi ces visiteurs, nous devons citer les hauts commissaires de
Grande-Bretagne, de France, d'Italie et d'Amérique, les officiers supérieurs
des armées de ces puissances, les notables anglais, français, italiens,
américains, etc., ainsi que leurs familles. De même, une mission, composée du
général Franks (anglais), du colonel Vicq (français), du colonel Roletto
(italien) et d'autres personnalités étrangères, entre autres, M. Maurice
Gehri, délégué du Comité international de la Croix-Rouge, Miss Allen et Miss
Billings, etc., qui sont allés dans les régions littorales de la Marmara, et
dans les autres contrées ravagées par les Hellènes et leurs acolytes grecs
indigènes, ont fait la même constatation pénible. Malheureusement cette
constatation a subi identiquement le même sort que l'enquête précédente.
Un fait non moins fâcheux, qui mérite d'être également signalé, c'est que,
bien que Constantinople soit placé depuis plus de deux ans sous l'occupation
militaire des trois grandes puissances alliées, les Hellènes et leurs acolytes,
certains Grecs indigènes osent y commettre, ainsi que dans les environs
immédiats de la capitale, des actes que la législation de tous les pays
qualifierait de crime et punirait comme tel ceux qui s'en rendraient coupables,
et il n'est pas jusqu'au clergé qui n'y apporte sa part active. Ainsi, les
agents, tant civils que militaires de Grèce, même le Patriarcat Œcuménique siégeant
à Constantinople, enrôlent des Grecs indigènes, les soumettent à des impôts dont
le rendement est destiné à alimenter l'armée hellène, les poussent au
soulèvement contre l'État dont ils sont les ressortissants et tout cela est
fait aux acclamations des journaux attachés à leur cause, des prêtres et
d'autres propagandistes grecs.
Placé qu'il est sous le régime de l'occupation, le Gouvernement ottoman est
condamné à rester inactif et ne peut réagir contre ces pratiques subversives. Malgré
tout ce qui précède, tandis que les plaintes et les protestations légitimes et fondées
des Turcs ne trouvent pas d'échos, la propagande calomnieuse, sans cesse
dirigée contre eux, semble être accueillie avec sympathie. Ainsi, les
accusations de l'Américain M. Ward, ont immédiatement trouvé crédit, tandis
qu'elles sont déclarées infondées par les
concitoyens mêmes de l'accusateur, qui résident dans la même localité.
Profondément affligés de l'injustice à laquelle le peuple turc se trouve exposé
depuis plus de trois ans, les soussignés, sénateurs de l'Empire ottoman, ont
l'honneur de s'adresser aux sentiments de justice et d'équité de leurs
honorables collègues français, en les priant de vouloir bien prêter leur
précieux concours pour mettre fin à l'occupation dont il s'agit, occupation qui
est, sans contredit, la source principale de cette situation intolérable.
Dans l'espoir que notre demande, légitime sous tous les rapports, sera agréée
par la Haute Assemblée, nous vous prions, Monsieur le sénateur, de vouloir bien
agréer les assurances de notre très haute considération. -
Chérif Ali Haïdar pacha. — Chérif Nassir bev. — Chérif Djafer pacha. — Séïd
Abdulkadir effendi. — Maréchal Fouad pacha. — Maréchal Omer Ruchdi pacha. — Youssouf
Zia pacha. — Réouf pacha. — Arif Hikmet pacha. — Halid pacha. — Général Mahmoud
pacha. — Adbubrahman Chéref effendi. — Halim bey. — Ibrahim bey. — Rifat bey. —
Général Hadi pacha. — Adil bey. — Général Izzet Fouad pacha. — Général Suleiman
pacha. — [Süleyman] Bustany effendi. — Moustafa effendi. —
Nouri bey. — Faïk bey. — Eram [Aram] effendi.
— Séïd bey. — Naïm bey. — Suleïmanulbarouni effendi. »
Claude Farrère, « La
Turquie ressuscitée — Choses vues », Les
Œuvres libres, décembre 1922, p. 55 :
« Mais rien n’approche en horreur à la Goya les campements de réfugiés
campements de réfugiés , épars sur la terre nue, sans literie , sans paille
même, et qui serre leur cercle sinistre autour d'une soupe économique,
distribuée deux fois par jour. J’ai passé parmi ces campements-là . J'ai
caressé les enfants — déjà tristes — que me tendaient les mères. Et souvent, au
passage, des hommes et même des femmes ont découvert pour moi telle plaie affreuse,
ou telle mutilation dont la sauvagerie eût effrayé un cannibale : les Grecs
avaient fait cela ; — oui ! les Grecs, réguliers ou irréguliers, et, parfois,
sur l'ordre de leurs chefs…
Mais les misères musulmanes se portent en silence . Et je l'ai dit,
Stamboul, dévasté , affamé, et occupé , — occupé à l'anglaise ! — continue d'étonner ses hôtes par son irréprochable et splendide dignité. »
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