mardi 14 septembre 2021

Le témoignage de l’ingénieur français Camille Toureille sur la politique de la terre brûlée mise en œuvre par l’armée grecque et sur l’incendie d’İzmir

 


Extrait du Petit Parisien, 20 septembre 1922, p. 2 


« Le Proche-Orient et le pétrole », Bulletin de la Société française des ingénieurs coloniaux, n° 79, 1er trimestre 1923, pp. 117-130 :

« Le Proche Orient a pour nous une importance majeure, et c’est pourquoi nous jugeons utile de donner connaissance à nos collègues du récit vécu que nous envoie l’un des nôtres, M. Camille Toureille-bey, de la prise de Smyrne par Mustapha Kenial et de l’incendie de la ville par les Grecs et les Arméniens.

“Depuis le 19 août., l’offensive de Mustapha Kemal s’est déclenchée et s’est étendue progressivement.

Fidèles à leurs habitudes de dissimulation et de mensonges, les Grecs ont tout d’abord caché ces attaques, puis ont travesti en victoires partielles leurs défaites successives, dans leurs communiqués aux Smyrniotes.

Les nouvelles les plus proches de la vérité arrivaient rares et laconiques par les journaux d’Europe.

La censure sévissait plus que jamais.

Le 27 août, le public apprit, à Smyrne, par des employés du chemin de fer, que les Turcs avaient capturé deux trains de munitions, de vivres et de renforts grecs, et que réellement la débâcle commençait.

Les officiers grecs ont prudemment lâché pied les premiers. Les soldats, laissés sans vivres et sans direction, ont commencé à fuir vers Smyrne. Mais, fidèles aux leçons allemandes, ils n’ont pas, en reculant, manqué d’incendier tous les villages, après les avoir pillés, ainsi que toutes les fermes et les maisons isolées, après avoir volé tout ce qu’ils ont pu emporter [au moins dans le cas de villes telles qu’Eskişehir et Aydın, l’incendie a été méthodiquement organisé par le commandement grec].

Tout a été saccagé, quel qu’en fût le propriétaire, Grec, Turc, ou autre, puis incendié. Dans les habitations turques, les habitants ont été, autant que les fuyards l’ont pu, brûlés vifs, sans miséricorde, hommes, femmes, enfants. Ils ont incendié de même les importantes et célèbres fabriques de tapis d’Ouchak.

Le produit de leurs vols chargé sur leurs épaules ou sur des animaux également volés, ils l’offraient à vil prix en arrivant aux abords de Smyrne, notamment à Cordélio, banlieue de la ville, à 15 kilomètres par le tour du golfe, ou à 4 kilomètres à vol d’oiseau. Ils apportaient ainsi tapis, couvertures, vêtements, linge, chaussures, volailles, moutons, chèvres, ânes, mulets, chevaux.

En cours de route, ils avaient détruit les splendides récoltes de raisin et de figues, richesse de Smyrne. Ils se vantaient d’avoir détruit tout ce qu’ils n’avaient pu emporter.

Souvent, enfin, ils abandonnaient leurs vols sur les roules, et jetaient, en même temps leurs munitions, dont une grande quantité fut retrouvée dans les jardins et les rues de Cordélio. Ils vendaient leurs armes quand ils trouvaient acheteurs, moyennant une livre lurque, 7 fr. 70 environ.

Les 4 et 5 septembre, des aéroplanes turcs, survolant les lignes grecques et les bandes de fuyards, jetaient de petits papiers exhortant les Grecs à se retirer sans rien détruire, et surtout sans rien incendier, et, à respecter la propriété privée, grecque aussi bien que turque.

Les fuyards qui passaient à Cordélio racontaient que leurs officiers, avant de fuir, leur avaient dit que, parmi les troupes turques, se trouvaient des soldats français, italiens, anglais, et, beaucoup de bolcheviks [affirmations qui relèvent du mensonge, pour ne pas dire de la mythomanie].

C’est alors qu’ils se sont enfuis également, en conspuant leur pays et leur fameux roi Constantin, et en acclamant Lénine et Trotsky.

La population de Cordélio, premier point de contact avec les fuyards et les déserteurs grecs, et comptant beaucoup de Grecs, a demandé, dès le 4 septembre, aide et protection à la police grecque. Celle-ci a été renforcée. Mais de nombreux vols et viols ont été commis par la soldatesque, ce qui fait juger de ce qu’ont pu faire les Grecs en Anatolie, avant d’incendier les habitations.

Cette protection n’a pas duré plus de vingt-quatre heures, car, le 6 septembre, la police de Cordélio a été rappelée à Smyrne, de même que celle de toutes les banlieues, nord et sud, de la ville.

Le 6 septembre, dans la soirée, et jusqu’au 7 septembre après-midi, les Grecs ont embarqué les hommes qu’ils ont pu réunir, les canons qu’ils avaient pu ramener, puis tout le personnel civil et militaire du port, de la douane, de la ville et du port. Les bateaux de guerre grecs Lemnos et Kilkis ont alors quitté le port de Smyrne, ainsi que les autres bateaux grecs moins importants, et se sont retirés, près de File de Chio, en pleine mer, hors du golfe de Smyrne.

Ils ont procédé à celle fuite en secret, laissant la ville sans police et sans administration.

Le 8 septembre, ce fut une ruée de toute la population grecque et arménienne et,’ de toute la lie de la ville, vers les dépôts d’approvisionnements de l’armée grecque, sis dans le quartier de la ‘Punta’, au nord de la ville, près de la gare du chemin de fer d’Aïdin. Les fuyards grecs pillèrent aussi, suivant, leur constante habitude, et les wagons de marchandises, remplis de bagages de réfugiés grecs d’Anatolie, à la gare voisine, n’échappèrent pas à cette curée.

Le même jour, les mêmes individus pillèrent les magasins du quartier commerçant nord de Smyrne, entre l’église grecque de Sainte-Fotini et le Bazar, véritable ville composée de magasins et de dépôts comme il n’en existe qu’en Orient, et qui renfermaient des marchandises d’une valeur de plusieurs centaines de millions de francs.

Les consuls, en présence de la défection grecque, firent, le 8 septembre, débarquer des bateaux de guerre des détachements ‘de marins. Les Anglais gardèrent leur consulat, la poste et les quais ; les Français, leur consulat, les banques françaises, la poste, le palais de l’Alliance française et les églises françaises ; les Italiens prirent, soin de leur consulat et des églises italiennes, des écoles et de la poste.

Depuis le 4 septembre, de foutes les villes, de tous les villages, de toutes les fermes, des habitations isolées, situées entre le golfe de Smyrne et le front de bataille, les populations, craignant à juste titre les exactions des troupes grecques en fuite, ainsi qu’elles l’avaient déjà fait en 1917, en 1919, 1920 et 1921, s’étaient enfuies, les unes, durant le jour, emportant ce qu’elles pouvaient, les autres, surprises en pleine nuit, à moitié vêtues, souvent pieds nus et les mains vides.

Ce furent d’abord des Turcs et des Grecs qui, craignant les fuyards Grecs, envahirent les trains venant à Smyrne, des différentes stations de la ligne Smyme-Kassaba et prolongements, d’Ouchak, où 2 000 maisons et les fabriques de tapis furent détruites, d’Afioum-Kara-Issar, d’Eskicheir, de Magnésia, etc.

[…]

Il faut dire que, lors de l’invasion grecque en Anatolie, l’armée grecque, se faisant consciemment l’exécutrice des basses vengeances de la colonie grecque de Smyrne et de sa banlieue, assassina froidement tous les Turcs qui lui étaient signalés comme hostiles à cette invasion, facilitée par la faiblesse des gouvernements alliés à l’égard de la politique dangereuse et incompréhensible de l’Angleterre.

Il y eut aussi à Smyrne quelques soulèvements turcs, férocement réprimés par les Grecs.

De tout cela, les Turcs avaient gardé le souvenir, et connaissaient les auteurs responsables de ces boucheries sauvages. Ceux-ci savaient qu’ils devraient personnellement payer, si les Turcs reprenaient Smyrne.

Aussi, dès le mois de juin [1922], le Comité micrasiatique, composé de Grecs et d’Arméniens, et beaucoup de propriétaires grecs et arméniens, ne cachaient pas leur décision formelle et irrévocable d’incendier chacun sa maison, quels qu’en fussent les occupants, si la Grèce devait, d’une façon quelconque, évacuer Smyrne et la région, et renoncer à la souveraineté de la riche province d’Anatolie. C’était un fait connu.

Les propriétaires grecs consciencieux devaient préalablement dénoncer leurs contrats d’assurance, afin de n’être pas accusés d’avoir mis le feu à leurs maisons pour en tirer profit, ainsi que le faisaient communément les commerçants grecs à chaque instant, et de tout temps, à Smyrne.

L’armée grecque avait commencé l’exécution de ce terrible programme en incendiant villes, villages, fermes et récoltes pendant sa déroute.

Dès le 7 septembre, de nombreux habitants de Smyrne, constatant que la ville, depuis le départ des autorités hellènes, était livrée aux pillards, voleurs, violeurs incendiaires grecs, prirent peur pour eux-mêmes, et se réfugièrent dans les locaux mis à leur disposition par les autorités consulaires françaises et italiennes, ou dans les couvents et les églises.

Beaucoup demandèrent asile aux bateaux et aux paquebots qui se trouvaient dans le golfe, tels que la Sardegna et des bateaux japonais et hollandais.

Le samedi 9 septembre, à midi, les premières troupes kémalistes arrivèrent à Smyrne et défilèrent sur les quais.

Vers 11 heures et demie, u. fort groupe de Turcs, venant de leur quartier, sis au sud de la ville, et qui est construit en amphithéâtre sur la montagne dominant Smyrne, descendit sur les quais, drapeaux turcs en tête, et se dirigea vers le nord de la ville, par où devaient venir les troupes kémalistes. Cette manifestation toute pacifique terrifia les nombreux réfugiés grecs qui occupaient les quais sur le bord de la mer. Des chalands, remorqués par des chaloupes de l’escadre anglaise, vinrent les prendre et les conduisirent le long du quai du port qui ferme celui-ci en face de la ville, à l’ouest et du côté opposé à celle-ci.

Les pauvres gens abandonnèrent tous leurs biens pour sauver leur vie, qu’ils croyaient, bien à tort, en péril.

Dans les rues parallèles et perpendiculaires aux quais, les magasins grecs, très nombreux, fermèrent rapidement leurs portes ; les soldats grecs rencontrés furent sommés par les passants de jeter leurs armes, et même de les briser. Quelques-uns, qui s’y refusaient, furent quelque peu houspillés par les civils, et s’empressèrent d’obéir lorsqu’ils apprirent que les kémalistes arrivaient, afin de ne pas être pris pour des combattants.

Les troupes, en effet, entrèrent et défilèrent sur les quais, se rendant au konak. Leur attitude était des plus pacifiques.

En tête, deux cents soldats sans armes poussaient, devant eux six moutons, puis venait un détachement de cavalerie commandé par un officier supérieur. Il était suivi d’un fort groupe de soldats grecs prisonniers, et terminé par une batterie d’artillerie. Derrière venaient, on ne sait pourquoi ni dans quel but, six policemen anglais, fameux protecteurs des minorités chrétiennes.

Pendant cette pacifique prise de possession, un énergumène arménien lança sur les troupes une grenade à main ou une bombe, qui ne fit aucun mal. La population jeta l’homme à l’eau, et la peur de représailles de la part des vainqueurs augmenta, sur les quais, la panique qui faisait fuir les réfugiés sur les chalands.

Cet acte stupide fut simplement méprisé par la troupe kémaliste, mais il fut répété près du konak. Ce n’est qu’un peu plus tard que des coups de feu furent entendus du côté du konak, et l’on expliqua que des Arméniens, cachés derrière des dépôts de bois du Nord entassés sur les quais, avaient tiré ou lancé des bombes, et blessé des soldats kémalistes. A ce moment, ceux-ci ripostèrent et se défendirent.

Les Arméniens se renfermèrent chez eux, et dans leur église patriarcale, où ils avaient entassé toutes sortes d’armes, des grenades et des bombes incendiaires.

[…]

Les autorités kémalistes procédèrent à de nombreuses arrestations de personnes signalées comme dangereuses pour la sécurité des Turcs civils et des troupes d’occupation, et aussi dénoncées comme ayant servi d’indicateurs aux Grecs, lors de leur invasion armée de 1917 [1919].

A partir du 11 septembre après midi, et jusqu’au 13 septembre à 8 heures du matin, les communications terrestres et maritimes furent interdites entre Cordélio et Smyrne, pour empêcher la fuite des suspects que les. Turcs recherchaient; tout mouvement d’entrée et de sortie des bateaux de commerce dans le port fut également défendu.

[…]

À l’approche des Turcs, les Grecs pillards avaient fui de Cordélio, comme de Smyrne ; mais, dès le vendredi 8 sepLembrc, ceux-ci furent remplacés par une bande de brigands, de ‘Turcom’ [très probablement le « général » Torcom, membre de la Fédération révolutionnaire arménienne], composée d’Arméniens, de Grecs et de racaille sans nationalité bien définie, mais d’origine levantine. Cette bande partit du village turc Choukouyou, à l’ouest de Cordélio, et dévalisa les habitations longeant la voie ferrée entre Choukouyou et Pétrota, dans la direction de Smyrne, et, malmena les habitants. Mais la police civile turque tua les deux principaux chefs, tous deux Arméniens, un ou deux Grecs, et mit le reste de la bande en fuite.

Il est à remarquer qu’à Smyrne on trouva constamment des Arméniens mêlés aux Grecs toutes les fois que des actes de brigandage furent commis à la faveur des troubles, et chaque fois qu’il était possible de faire du mal aux Turcs. D’où des répressions parfaitement justifiées de la part des troupes kémalistes.

[…]

Le samedi 9 septembre, les troupes turques arrivèrent à Cordélio, où elles campèrent à l’ouest de la ville. Il en défila pendant plusieurs jours. Il est à noter que, presque chaque fois qu’un officier supérieur turc passait devant la maison de l’auteur de ces lignes, qui avait arboré un drapeau français, cet officier saluait militairement le drapeau.

[…]

Dans la soirée des 11 et 12 septembre, les Grecs, fidèles à leur moi d’ordre, pillèrent et incendièrent les villages de Bournaba, de Boudja et de Couldoudja, autour de Smyrne, et aussi quelques magasins de Haïrakii.

Justement ému de ces vols et incendies, le 11 septembre encore, l’auteur de ces lignes alla trouver le commandant adjoint de la police turque, auquel il demandait protection pour sa maison, déclarant qu’il n’était pas belligérant, qu’il possédait le titre de bey, était décoré des ordres turcs, et qu’enfin il était Français.

Le commandant se leva à cette dernière déclaration et salua militairement, disant que cette qualité suffisait pour que la maison fût protégée ; elle le fut, en effet, efficacement.

Les 11 et 12 septembre, à Smyrne, tous les magasins restèrent fermés. Il fut impossible d’obtenir la moindre nourriture : épiceries, boulangeries, restaurants, tout était clos. Partout les réfugiés affluaient dans les endroits qui leur étaient assignés. Les bateaux non militaires, italiens, japonais, hollandais, ancrés dans le port, donnaient asile à leurs nationaux. Les quais de Smyrne étaient fort sales, jonchés de débris de fusils. de literie, de malles éventrées, de linge, etc.

Le soir de ces deux jours, comme les soirs précédents, la population de Smyrne et de Cordélio a pu, au milieu de sa détresse, des misères qui s’augmentaient de la terreur d’un avenir incertain, entendre que l’amiral anglais, dont le vaisseau était ancré entre ces deux villes, du côté de la Pointe, dînait au son des airs les plus brillants de la musique du bord. Sur les rives, on volait et on violait ; les Grecs incendiaient.

C’est ainsi que l’Angleterre protège les minorités chrétiennes et prend sa part de leurs tristesses et de leurs souffrances.

On signalait de nombreux actes de provocation de la part des Arméniens à l’égard des Turcs. Ils s’étaient réfugiés en grand nombre dans leur église patriarcale, vaste édifice situé au milieu d’une grande cour entourée de hauts murs. Ils y avaient entassé des munitions de toutes sortes, des bombes incendiaires et des grenades à main. Ils refusaient de sortir, de se disperser, de rentrer paisiblement chez eux ; les exhortations des consuls alliés ne purent rien sur eux. Les Arméniens n’écoutent que leur clergé, ignorant, fanatique et stupide, qui les conduit toujours à la révolte imbécile et, par là, à la mort.

Les Turcs avaient cerné l’église et une partie du quartier arménien ; ils ne voulaient pas d’effusion de sang, mais ils voulaient assurer leur propre sécurité. Les Arméniens leur jetaient des grenades à main pardessus les murs, en réponse aux sommations qui leur étaient faites. Les Turcs reculaient devant l’action énergique qui s’imposait, en présence de cette rébellion armée, parce que, le vent régnant à Smyrne étant presque toujours nord ou nord-nord-ouest, ils risquaient d’atteindre le quartier turc, situé au sud-sud-est, derrière le quartier arménien.

[…]

A 14 heures et demie, de Cordélio on vit un incendie se déclarer à Smyrne, dans le quartier grec. A 15 heures, il y avait trois foyers très importants, assez distants les uns des autres, mais sur une même ligne. A 15 heures et demie, un quatrième incendie éclata, très intense, tout à fait au sud de la ville, au centre du quartier arménien, au pied du quartier turc.

Les Grecs et les Arméniens exécutaient fidèlement leur consigne de brûler leurs maisons avant de se retirer.

[…]

Les incendiaires avaient bien calculé leurs opérations. En commençant à allumer les feux vers 14 et 15 heures, l’incendie devait avoir acquis une certaine importance à 16 heures, moment où l’‘imbatte’ se produit à Smyrne, c’est-à-dire moment où le vent nord ou nord-nord-ouest commence à souffler. La force du veut s’accroît souvent jusqu’à 20 heures, puis elle tombe durant une heure, et s’élève ensuite en tempête.

De toute façon, ce vent devait souffler en temps utile pour porter le feu dans le quartier turc, qui s’étage, sur la montagne, en amphithéâtre, au sud-sud-est de la ville, précisément au-dessus des quartiers grecs et arméniens. De cette façon, les Grecs, obligés d’évacuer la ville, et les Arméniens, qui se croyaient également dans le même cas, réalisaient leur terrible projet, mais, par surcroît, ruinaient les Turcs en détruisant leur riche et populeux quartier.

Mais, terrible expiation, le vent, ce soir-là, a soufflé plein sud, et, s’élevant peu à peu, il a, de 20 à 22 heures, augmenté d’intensité ; il soufflait en tempête à partir de 22 heures.

Ce fait ne se produit pas dix fois par an à Smyrne, et les incendiaires ne pouvaient penser que l’exception se produirait précisément ce soir-là.

Il en est résulté que les richesses incalculables des Grecs et des Arméniens, dans toute la ville, où ils possédaient la presque totalité des dépôts et des magasins, ont été anéanties.

Mais, ce qui est infiniment plus triste encore que cette punition des vils incendiaires, c’est que tous les Européens ont été ainsi victimes de ces criminels.

À partir de 15 heures et demie on entendit des explosions provenant du quartier arménien, puis du quartier grec. La raison en est que, chez les uns et les autres, il se trouvait des bombes incendiaires, puis, à mesure que le feu gagnait les quartiers européens, les réserves de pétrole que chacun avait faites, en vue de l’hiver prochain, explosaient à leur tour.

A 17 heures, l’incendie s’étendit et augmenta d’intensité, attisé par le fort vent du sud. A 18 h 30, il y avait quatre immenses foyers d’incendie. On entendait de Cordélio les cris que poussaient les Smyrniotes qui fuyaient vers les quais. De fortes détonations étaient également entendues à mesure que le feu s’étendait. A 20 heures, les quatre brasiers n’en formaient plus qu’un seul, de plus d’un kilomètre de développement, et qui paraissait très profond. A 21 h 30, l’incendie, après des alternatives d’affaissements et de reprises, paraissait, à la suite d’effondrements d’édifices, diminuer d’int,ensit,é, et deux foyers principaux continuaient seuls à brûler intensément. A 22 heures, il se produisit une reprise soudaine du feu ; le vent, qui soufflait du sud au nord, augmenta de violence. On sentit que la ville était perdue.

[…]

Nous apprîmes ce jour-là, à bord de l’Edgar-Quinet, que le feu avait fait son apparition au quartier grec de Smyrne, dans une maison paraissant inhabitée ; un notable franc s’était mis à la tête des sapeurs-pompiers turcs de la ville, mais à peine le feu était-il attaqué que quatre ou cinq maisons plus loin, dans la même rue, une autre prenait feu sans cause apparente ; lorsqu’on voulut s’élancer vers cette maison c’est une troisième située près de la première qui prenait feu à son tour. C’était à renoncer d’y porter remède, en présence de semblable spontanéité apparente, et c’est ce qu’on fut obligé de faire.

La seule explication plausible est que des foyers avaient été préparés et munis de mèches. Il n’y avait alors personne dans la rue dont il s’agit. Il paraît en avoir été de même au quartier arménien ; c’est de là qu’ont été entendues les premières explosions. »

 

Lire aussi :

Le témoignage de Paul Grescovitch (chef d’une brigade de pompiers) sur l’incendie d’İzmir (« Smyrne ») en 1922

L’amiral Charles Dumesnil et Raymond Poincaré sur les causes de l’incendie d’İzmir (« Smyrne »)

Le consensus de la presse française pour attribuer l’incendie d’İzmir (« Smyrne ») aux nationalistes arméniens (1922)

Le soutien nationaliste arménien à l’irrédentisme grec-constantinien, massacreur de marins français et de civils turcs

Lothrop Stoddard : "Une puissante armée grecque (...) a commis des atrocités massives contre les habitants turcs"

L’évolution d’Émile Wetterlé sur la question arménienne et les Turcs

Le rapport de la Commission interalliée d'enquête sur l'occupation grecque de Smyrne et des territoires adjacents (1919)

La contribution française à la victoire de la Turquie kémaliste sur la Grèce constantinienne (1921-1922)

La grécophilie, l’arménophilie et l’antijudéomaçonnisme fort peu désintéressés de Michel Paillarès

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