vendredi 8 mai 2020

La popularité du fascisme italien et du nazisme dans la diaspora arménienne et en Arménie même



La statue du criminel nazi Garéguine Nejdeh inaugurée à Erevan en 2016.

Aram Turabian, « Le ciel et la terre en complot », Aiguillon, 1er février 1923, p. 2 :
« Et maintenant, que devons-nous faire ? Voilà, d’après notre conviction, ce qui reste à faire au peuple arménien : les deux délégations arméniennes de Paris doivent être balayées séance tenante par une main vigoureuse. Un Comité de Défense nationale doit être formé avec la participation des partisans de la manière forte, à la façon des Fascistes [souligné dans l’original]. Une contribution obligatoire doit être imposée à tout Arménien sans exception, à chacun suivant ses moyens. Le Comité doit former un projet politique, et pour l’exécuter, de préparer la formation des Fascistes arméniens [souligné aussi dans l’original]. C’est le seul salut que nous voyons pour l’Arménie ; tout le reste n’est que de la poudre aux yeux et de la cocaïne pour endormir les imbéciles. »

Georges Mamoulia, « L’histoire du groupe Caucase (1934-1939) », Cahiers du monde russe, 2007/1, pp. 56-57 :
« La création de l’Union arméno-géorgienne fut officiellement annoncée dans la seconde quinzaine de mai 1936, quelques semaines après la proclamation de l’empire d’Italie. Tout comme Vačnadzé, Archak Djamalian, ancien ministre des transports de l’Arménie indépendante et un des leaders du parti Dachnaktsoutioun [Fédération révolutionnaire arménienne] qui avait participé de la part arménienne à la création de l’Union, avait des relations dans les cercles gouvernementaux italiens.
Des contacts non-officiels avec les cercles dirigeants italiens étaient établis depuis quelque temps déjà. Selon les archives italiennes, à l’automne 1935 Isahakian, le représentant de l’Union en Italie, avait proposé à Rome la formation d’une légion arméno-géorgienne pour participer à la guerre en Ethiopie. Les auteurs de cette initiative escomptaient que l’intervention de Rome dans les affaires de l’Afrique du Nord aboutirait à un affrontement militaire avec la Turquie en Méditerranée orientale, comme en 1911.
[…]
Les Italiens continuèrent quelque temps d’utiliser le nom de l’Union [arméno-géorgienne], probablement afin d’exercer une pression sur la Turquie. Ainsi en août 1937, un des experts italiens pour le Caucase, Lauro Mainardi, soulignait dans l’hebdomadaire Fronte Unico [organe de l’aile la plus radical du Parti national fasciste] que seule la création d’un axe Tiflis-Erevan serait en mesure de saper l’influence de la Turquie et de l’Angleterre sur le Caucase. Soulignant que l’idéologie du parti arménien révolutionnaire Dachnaktsoutioun, à l’initiative duquel fut créée l’union, était proche du fascisme italien, l’auteur remarquait que les relations tendues entre les dachnaks et l’Eglise nationale arménienne qui se trouvait sous l’influence de l’Eglise épiscopale et des cercles conservateurs anglais, était la meilleure garantie contre l’influence britannique dans la région. »

Pierre Terzian, « La question arménienne aujourd’hui », Critique socialiste, 4e trimestre 1982, p. 59 :
« Archag Tchamalian [Archak Djamalian, évoqué dans la citation précédente], membre du Bureau politique [de la Fédération révolutionnaire arménienne], écrit : “Il y a beaucoup à apprendre pour nous en Italie” et entreprend des démarches auprès du gouvernement du Duce (14), tandis qu’un autre dirigeant fonde la revue Azk (nation) de contenu nationaliste-raciste ; cette publication disparaît en 1938 mais dès l’année suivante, les membres de son équipe adhèrent au groupe “Caucase” dont le but est de créer, sous la protection du troisième Reich, “un État caucasien indépendant de structure fédérale” (15). »

Lauro Mainardi (cadre du Parti national fasciste, mentionné plus haut), Armenia (brochure), Rome, HIM (maison d’édition du Comité arménien d’Italie), mai 1939 (réimpression d’un article paru dans Fronte Unico) :
« La défense de la civilisation pour laquelle le fascisme lutte avec tant de courage et abnégation, impose l’impérieux devoir à tous de connaître quels sont les peuples qui ont contribué et qui contribuent encore à sa création et à son développement. Cette connaissance, mettant en évidence une chaîne des peuples qui du Nord de l’Europe s’allonge en Méditerranée, en Asie-Mineure et s’étend jusqu’au berceau des Aryens, démontre l’ineffaçable formation d’une civilisation appelée à diriger le sort du monde. Une partie particulièrement importante et supérieure de cette chaîne c’est la nation arménienne, le pont culturel entre l’Occident et l’Orient. — L’Arménie a héroïquement accompli cette mission historique, elle a été la propagatrice des idées de Rome, la moelle de la civilisation, parmi les peuples avec qui elle a été en rapports constants au cours des siècles. Comme un magnifique ilot de l’esprit aryen, le plateau arménien, au cours de longs et douloureux siècles, a été le rempart du christianisme et de l’esprit indo-européen, résistant courageusement aux assauts des barbares et adoucissant, avec l’éclatante lumière de sa civilisation, le courroux des orientaux arriérés. Attachés à la merveilleuse besogne de la défense et de l’expansion de l’héritage psychique de l’aryanisme, l’Arménie a saigné et affaibli ses organes politiques en perdant finalement sa liberté et sa souveraineté nationale. L’Aryanisme a contracté une dette de profonde reconnaissance à l’égard de l’Arménie ! […]
Les projets sataniques de l’anéantissement de ce peuple, mis à exécution, avec une sauvagerie et une cruauté inouïes dans un passé bien proche, restèrent malgré des pertes immenses, sans résultats. La contribution de ce peuple à la civilisation est si grande, si précieuse que ce peuple vit réellement avec cette force psychique impérissable. Les Arméniens ne sont pas désarmés, et ne le seront jamais. L’Arménie ne reconnaît pas le désespoir. Sa prestigieuse histoire de trente siècles, ses apôtres, ses héros, ses martyrs lui donnent le droit à une vie personnelle; l’amour inextinguible de sa patrie malheureuse le rend digne de respect. »

Garéguine Nejdeh (créateur, en 1933, de l’organisation de jeunesse de la Fédération révolutionnaire arménienne aux États-Unis), déclaration à l’Hairenik Weekly, 10 avril 1936, citée dans [Arthur Derounian], « John T. Flynn and the Dashnags », The Propaganda Battlefront, 31 mai 1944 :
« Aujourd’hui, l’Allemagne et l’Italie sont fortes car, comme nations, elles vivent et respirent en termes de race. »

Éditorial d’Hairenik (organe de la Fédération révolutionnaire arménienne), 20 août 1936, cité ibid. :
« De même que les Britannique utilisent des navires de guerre pour occuper des territoires et protéger leur patrie, de même le Juif utilise l’internationalisme et le communisme comme une arme. »

Éditorial d’Hairenik, 21 août 1936, cité ibid. :
« Il est parfois difficile d’éradiquer ces poisons [les Juifs] lorsqu’ils ont contaminé jusqu’à la racine, comme une maladie chronique. Et quand il devient nécessaire pour un peuple de les éradiquer par une méthode peu commune, ces tentatives et ces méthodes sont considérées comme révolutionnaires. Durant une opération chirurgicale, il est naturel que le sang coule. […] Dans de telles conditions, un dictateur est considéré comme un sauveur. »

Éditorial d’Hairenik, 17 septembre 1936, cité ibid. :
« L’ancienne Allemagne, vaincue de la Grande Guerre, manquant d’unité populaire, menait une politique incertaine, confuse, au jour le jour, ce qui ne la menait nulle part. […] Et vint Adolf Hitler, après des combats dignes d’Hercule. Il fit vibrer la corde sensible, la corde raciale, des Allemands, faisant jaillir la fontaine du génie national, et mit à bas l’esprit de défaitisme.
Maintenant, il y a une Allemagne forte, unie, offensive, fière et autonome. […]
Jamais la pensée allemande n’a été si explicite, si claire et si riche qu’elle ne l’est maintenant. […] Et quoi que puissent penser ceux qui regardent les choses de l’extérieur à propos de l’hitlérisme et du fascisme comme mode de gouvernement […], il est prouvé qu’ils ont revitalisé et régénéré deux États, l’Allemagne et l’Italie. »

Jean-Pierre Alem (arménologue et arménophile), L’Arménie, Paris, Presses universitaires de France, 1959, pp. 96-97 :
« En France […] pendant l’occupation, le parti Dachnak [Fédération révolutionnaire arménienne] s’orienta vers la collaboration avec les Allemands […] »

Christopher Walker (auteur britannique très arménophile), Armenia. The Survival of a Nation, Londres, Routledge, 1990, p. 357 :
« Pour autant, il demeure ce fait incontestable : les relations entre dachnaks et nazis dans les régions occupés [par le Troisième Reich] furent étroites et actives. Le 30 décembre 1941, la Wehrmacht décida de créer un bataillon arménien, connu sous le nom de 812e bataillon. Il était commandé par Dro [de son vrai nom Drastamat Kanayan, principal dirigeant de la FRA de 1923 à sa mort en 1956, et ancien ministre de la Guerre de l’Arménie indépendante], formé d’un petit nombre de recrues engagées, et d’un plus grand nombre d’Arméniens sortis des camps de prisonniers de l’est. Initialement, l’effectif s’élevait à 8 000 ; puis il monta à 20 000. Le 812e bataillon opéra en Crimée et dans le nord du Caucase.
Un an plus tard, le 15 décembre 1942, un Conseil national arménien reçut la reconnaissance officielle d’Alfred Rosenberg, le ministre allemand des régions occupées. Le président de ce conseil était le professeur Ardashes Abeghian, son vice-président Abraham Giulkhandanian, et il comptait parmi ses membres Nejdeh et Vahan Papazian [tous membres de la FRA]. À partir de cette date, et jusqu’à la fin de 1944, fut publié un journal hebdomadaire, Armenien, dirigé Viken Shant (le fils de Levon), qui parlait aussi à Radio Berlin. »

Maayan Jaffe-Hoffman, « At Auschwitz liberation tribute, Israel should study tale of two monuments », The Jerusalem Post, 21 janvier 2020 :
« En mai 2016, ce pays de l’Asie occidentale [l’Arménie] a érigé un monument dans sa capitale, Erevan, pour honorer Garéguine Nzhdeh [Nejdeh] (1886-1955), un collaborateur des nazis et commandant de la Légion arménienne de la Wehrmacht. Cette unité a combattu en Crimée, dans le Caucase et dans le sud de la France pendant que les nazis s’emparaient des Juifs et des résistants pour les envoyer dans les camps de la mort. En 1945, Nzhdeh fut condamné à vingt-cinq ans de prison par un tribunal soviétique pour ses crimes de guerre, et pour avoir collaboré avec les nazis.
En outre, il était le fondateur du mouvement raciste Tseghagron [littéralement : « la religion de la race », rebaptisé Armenian Youth Federation en 1943 et qui existe toujours] conçu pour incarner “l’essence spirituelle et biologique de l’Arménien classique”, lequel doit gouverner son pays. L’idéologie de ce mouvement n’est pas sans rappeler le suprémacisme aryaniste épousé par les nazis, les camarades de Nzhdeh.
Nejdeh est considéré comme un héros national en Arménie. Son nom a été donné à une place [la deuxième de la ville en superficie] et une station de métro à Erevan [station située juste en dessous de la place en question] et son héritage est enseigné aux enfants dans les écoles publiques d’Arménie. Quand la statue fut érigée en 2016, l’opposition [de l’époque] fit la sourde oreille. Efraim Zuroff, spécialiste de la Shoah, qualifia cet évènement d’“outrageant […]. Une erreur malheureuse et une injure aux victimes des nazis, ainsi qu’à tous ceux qui ont combattu les nazis.”
Le monument n’a jamais été retiré.
De fait, en Arménie, l’héritage de Nzhdeh est partage avec un autre général arménien de l’armée nazie, qui était aussi officier de carrière, Drastamat Kanayan [« Dro »], dont le nom orne l’“Institut national Drastamat-Kanayan d’études stratégiques”, financé par l’État. Le ministère arménien de la Défense a créé une médaille portant son nom pour décorer les soldats, ainsi que les civils ayant fait preuve d’excellence dans leur entraînement militaire. 
La glorification de Nzhdeh ne doit être pas être vue comme un fait à part. […] Le sondage le plus récent réalisé par l’Anti-Defamation League sur l’antisémitisme dans plus de cent pays, en juin 2014 — enquête menée avant même que la statue [de Nejdeh/Nzhdeh] ne fût érigée — a montré que le taux de soutien pour les idées antisémites en Arménie (58 %) est le troisième plus élevé d’Europe et le plus fort de tous les pays de l’ancienne Union soviétique et d’Europe orientale. Quelque 68 % des Arméniens croient que “les Juifs sont plus loyaux à Israël” qu’aux pays dans lesquels ils vivent et 72 % sont d’accord avec la phrase selon laquelle “les Juifs ont trop de pouvoir dans le monde des affaires”, selon cette enquête. En outre, une étude du Pew Research Center menée peu de temps après a montré que 32 % [coquille : 35 %] des Arméniens n’accepteraient pas des Juifs comme des compatriotes.
Peut-être ce haut degré d’antisémitisme est-il dû aux vestiges de la haine des Juifs fondée sur l’enseignement des Églises orientales. En juin dernier, dans la Vieille ville de Jérusalem, soixante étudiants de l’Église arménienne attaquèrent deux jeunes Juifs qui marchaient dans la rue du patriarcat arménien et les frappèrent violemment.
Avant l’indépendance du pays, en 1991, la communauté juive d’Arménien comptait plus de 5 000 membres. Aujourd’hui, il n’y en a pas cent. »

Quelques mots de commentaire. La Fédération révolutionnaire arménienne a gouverné l’Arménie indépendante (1918-1920) par des méthodes dictatoriales (notamment pour faire taire le Parti social-révolutionnaire d’Arménie, qui s’opposait à son racisme et à sa politique de purification ethnique) et a pratiqué la violence physique, plusieurs fois même terroriste, dans la diaspora, non seulement contre les autres partis nationalistes, qui, du moins à l’époque, étaient eux aussi racistes-aryanistes (Hintchak et Ramkavar) mais aussi contre les Arméniens communistes et ceux qui n’appartenaient à aucun parti (nous y reviendrons sur ce blog). En France du moins, l’assimilation et l’incompétence de ses dirigeants actuels ont détruit la base militante de la FRA. Par contre, la prise de contrôle, dès 1991, de l’Arménie de nouveau indépendante par des admirateurs déclarés des nazis Nejdeh et « Dro » Kanayan (tous les gouvernements successifs se sont réclamés d’eux, l’actuel ne faisant nullement exception) est particulièrement inquiétante puisque, comme le souligne Mme Jaffe-Hoffman, leur doctrine est enseignée à l’école.

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