mercredi 24 juin 2020

L’arménophilie vichyste d’André Faillet — en osmose avec l’arménophilie mussolinienne et collaborationniste




« Les rapports de l’Italie, par l’intermédiaire de sa paradiplomatie, avec les groupes nationaux-démocrates (géorgiens en particulier) se doivent également à nombre d’initiatives individuelles. Ainsi, en janvier 1934, l’ambassade italienne à Varsovie reçoit une lettre, qui est envoyée aussitôt à une personnalité de très haut niveau au ministère des Affaires étrangères, probablement à Mussolini lui-même. Il s’agit d’un projet rédigé en français par [Léo] Keressdlidze, sur papier à en-tête du mouvement nationaliste pro-fasciste géorgien, Thetri Guiorgui. Il constate la nécessité de réunir “le parti national-démocrate et toutes les organisations nationalistes géorgiennes et celles des différents peuples du Caucase en une seule et même organisation fasciste”, dont le noyau devrait justement être Thetri Guiorgui. » (p. 58)
« La sympathie démontrée [par l’arménophile Lauro Mainardi, cadre du Parti national fasciste et spécialiste du Caucase dans le régime mussolinien] à l’égard de Thetri Guiorgui peut être aussi due à la profession de foi plus clairement exprimée par cette association. » (p. 71)

André Faillet, cité dans « L’opinion des autres », Le Figaro, 5 janvier 1929, p. 3 :
« Nous avons trop l’orgueil d’être français pour aller chercher hors de nos frontières des exemples ou des leçons. […] Qu’on nous comprenne bien. Nous éprouvons une grande admiration pour l’œuvre accomplie par M. Mussolini : du chaos politique, économique et social dans lequel son pays menaçait de sombrer, ce grand patriote a su faire surgir les hommes et les institutions grâce auxquels l’Italie redressée, réorganisée, reconstituée, peut désormais prétendre aux plus beaux destins. »

« Un animateur franco-géorgien : M. André Faillet, président du Comité France-Géorgie », Momavali. Organe de l’association « Thetri Guiorgui », août 1934, p. 1 :
« Patriote passionné, défenseur résolu de la liberté et du véritable progrès social, M. André Faillet est un ennemi acharné du marxisme et des Soviets.
Il a combattu les socialo-communistes dans maints journaux, et dans d’innombrables réunions, chassé de Paris le chef judéo-socialiste Léon Blum, et participé à de nombreuses tentatives antisoviétiques, en particulier lors de l’assassinat du général Koutièpoff. »

« Une manifestation de l’Union franco-arménienne », L’Action française, 30 mars 1940, p. 2 :
« Récemment constituée [erreur : il s’agit d’une rénovation du Comité franco-arménien, créé en 1933 et neutralisé très rapidement par le ministère des Affaires étrangères, soucieux de ne susciter aucun litige avec la Turquie] sous la présidence de M. Louis Marin, député, ancien ministre, l’“Union franco-arménienne”, dont l’animateur est notre confrère M. André Faillet, vient de donner une brillante réception dont la nombreuse assistance était composée par la colonie arménienne et ses amis français.
[…]
Des discours furent prononcés par MM. Louis Marin, René Fiquet, ancien président du conseil municipal de Paris ; le sénateur Justin Godart ; le poète Archag Tchobanian ; A[lexandre] Khatissian, ancien président du Conseil d’Arménie, et André Faillet, délégué général de l’“Union franco-arménienne”. »

« Les Syriens sont-ils des étrangers ? » (éditorial non signé), L’Œuvre (journal autrefois de gauche et turcophile, devenu fasciste après sa prise de contrôle par Marcel Déat en 1940), 17 août 1941, p. 1 :
« Il paraît que la loi du 16 août 1940, interdisant l’exercice de la médecine à tous les praticiens d’origine étrangère, n’est pas très vigoureusement appliquée. Il se peut bien, en effet, que l’on ait pris toutes sortes de précautions à l’égard de personnes puissamment recommandés, même s’ils sont aussi peu aryens que possible, et si leur origine non française est surabondamment prouvée. En revanche, la loi a été appliquée sans ménagement, et avec une parfaite brutalité, à des gens à qui la France aurait pu manifester un peu plus de reconnaissance, et qu’il est simplement odieux de considérer comme des étrangers.
Nous voulons parler d’un petit nombre de médecins d’origine arménienne, devenus syriens de fait ou de droit, et qui ont délibérément choisi, pour y faire leurs études, la Faculté de médecine de Beyrouth. Après quoi, ayant, pour beaucoup d’entre eux, servi la France dès l’autre guerre [1914-1918], ils ont été naturalisés français, ce qui n’était qu’une formalité entérinant une volonté dès longtemps affirmée, et ils ont exercé leur métier en des coins de France divers, où la sympathie de la population ne leur a pas manqué.
Les Arméniens ne sont pas des Juifs, autant que nous sachions, et la France les a toujours considérés comme ses protégés. Les Syriens ne sont pas des étrangers, autant que nous puissions en juger. […]
Nous demandons instamment au nouveau secrétaire d’État à la Santé publique, et au ministre de l’Intérieur, de qui il relève, de bien vouloir examiner une situation exceptionnelle, qui appelle, pour l’honneur de la France et pour son bon renom dans le Proche-Orient, un rapide redressement. »

André Faillet, « Les Arméniens et nous », L’Œuvre, 27 août 1941, p. 4 :
« C’est avec une bien vive satisfaction que je lis dans l’Œuvre de ce matin, je lis l’éditorial que vous avez consacré à nos frères [souligné dans l’original] arméniens.
Acte de justice, dont je tiens à vous remercier chaleureusement, au nom de l’Union franco-arménienne ; notre gratitude, aussi, pour un noble peuple qui, depuis l’époque des Croisades, […] est demeuré fidèle à notre traditionnelle amitié.
De race purement aryenne et n’ayant jamais toléré la moindre infiltration sémitique, les Arméniens — qui ont constitué un des plus anciens États chrétiens — sont, depuis des siècles, les pionniers de l’influence et de la culture française en Orient.
Ils furent nos héroïques compagnons d’armes pendant la guerre de 1914-1918, servant doublement sous nos drapeaux (Légion étrangère et Légion d’Orient) et sacrifiant à la cause commune le quart de leur population massacrée. […]
Aussi est-il inadmissible — comme vous le soulignez si pertinemment — que les médecins arméniens soient victimes de la loi du 16 août 1940. Dès le mois de septembre de l’an dernier, je suis intervenu auprès du Dr Carle — alors secrétaire général des syndicats médicaux — et des Pouvoirs publics. Depuis, d’autres démarches ont été faites, auxquelles plusieurs grands maîtres français ont tenu à s’associer. […]
Tout récemment, d’ailleurs, à la demande de l’Union franco-arménienne, qui compte nombre d’éminentes personnalités, le gouvernement du Maréchal [Philippe Pétain] a mis à l’étude un statut spécial, conférant aux Arméniens une protection et les garanties que justifie leur loyalisme reconnu [y compris au régime de Vichy, donc] et leur participation à nos charges nationales. »

« L’œil en coulisse », L’Auto, 17 juin 1942, p. 2 :
« Salle Pleyel, sous la présidence de M. l’ambassadeur de France [Georges] Scapini et de l’Union franco-arménienne, le Gala des étudiants arméniens s’est déroulé au profit du Comité central d’assistance aux Prisonniers de guerre et de la famille du prisonnier. »

Rouben Khérumian (médecin arménien lié à l’occupant nazi), Introduction à l’anthropologie du Caucase : les Arméniens, Paris, Paul Geuthner, 1943, p. 10 :
« L’Union franco-arménienne a bien voulu se charger de surmonter les difficultés auxquelles se heurte de nos jours l’édition. Nous les remercions très sincèrement, ainsi que M. M. Petrossian pour son aide dans nos démarches. »

« — Le chef de l’État [Philippe Pétain] a reçu en audience M. [Archag] Tchobanian [vice-président de l’Union franco-arménienne animée par son ami André Faillet], président du comité central des réfugiés arméniens [issu de la transformation de la Délégation nationale arménienne après 1923], qui lui a remis le second versement d’une collecte faite parmi la colonie arménienne de Paris au profit des œuvres sociales du Maréchal. Le versement total atteint 909 885 francs. »

Remarquons la très grande discrétion, sur ce sujet, des auteurs favorables au nationalisme arménien ou qui s’en réclament. Cyril Le Tallec évoque en deux phrases l’Union franco-arménienne, mais, par manque de connaissances, il pense qu’il s’agit vraisemblablement d’un regroupement de communistes renégats, « "retourné" par des éléments pétainistes ou germanophiles », à cause de la similarité de nom avec l’Union populaire franco-arménienne, créée en 1938 par le Parti communiste pour succéder au Comité de soutien à l’Arménie (HOG) et dissoute par le gouvernement Daladier en 1939 (La Communauté arménienne de France, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 144). Edmond Khayadjian, dans son ouvrage apologétique sur Archag Tchobanian (Archag Tchobanian et le mouvement arménophile, Marseille, CRDP, 1986), ne dit mot d’André Faillet. Étant donné le travail systématique de M. Khayadjian dans la correspondance de Tchobanian (qui se trouve désormais à Erevan), ce silence, sans vouloir faire de procès d’intention, étonne.
Il est également étonnant de ne pas trouver la moindre mention de Faillet, dans Claire Mouradian et Anouche Kunth, Les Arméniens de France. Du chaos à la renaissance, Paris, Les éditions de l’attribut, 2010. Mme Mouradian a eu pour étudiant de thèse Georges Mamoulia, pionnier de l’étude des rapports entre la Fédération révolutionnaire arménienne et ses amis géorgiens d’une part, l’Italie fasciste d’autre part ; et c’est dans un séminaire animé par cette même Mme Mouradian que Mme Penati, citée ci-dessus, a parlé des rapports entre certains nationalistes caucasiens et le régime mussolinien. Elle avait donc deux pistes à explorer (sans parler de Tchobanian lui-même), qui auraient pu la mener à André Faillet.
J’en profite pour remercier l’auteur du blog Arménologie ; c’est en le lisant que j’ai eu l’idée de chercher des informations complémentaires sur Tchobanian pendant la Seconde Guerre mondiale. Je n’avais rien trouvé de significatif aux archives de la préfecture de police de Paris, sur ce dirigeant nationaliste arménien, pendant cette période en particulier.

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