Arthur Beylerian, Les Grandes Puissances, l’Empire ottoman et
les Arméniens dans les Archives françaises (1914-1918), Paris, 1983 :
« L’un des faits les plus saillants de la Révolution de 1908 est le
rôle précis et actif de certains représentants de l’importante communauté
israélite de Salonique. Des personnalités juives et plus encore, des deunmehs,
ont, dès la première heure, collaboré étroitement avec les Jeunes Turcs pour l’établissement
du régime constitutionnel, entretenant avec eux des liens d’une confiance sans
égale. Carasso, avocat, et plus tard député juif de Salonique, bien connu dans
les milieux de la franc-maçonnerie occidentale, comptera ainsi parmi les
figures de premier plan durant l’époque constitutionnelle de 1908 à 1918. Avec
l’encouragement des Jeunes Turcs, Carasso fondera même plusieurs loges
maçonniques à Salonique et Constantinople, recrutant les membres principalement
dans les cercles du Comité Union et Progrès. Le cheïkh-ul Islam, lui-même, le
plus grand dignitaire de la religion musulmane dans l’Empire Ottoman, sera
initié dans la loge “Constitution” dont le vénérable est Djavid bey. Bien que
le siège central du CUP soit à Constantinople, Salonique restera le foyer du
mouvement jeune turc jusqu’à l’occupation grecque en 1912. » (p. XVI)
« L’influence des deunmehs chez les Jeunes-Turcs semble avoir été
importante au point qu’après la défaite de l’Empire ottoman en 1918, le nouveau
ministre turc de l’Intérieur Izzet bey en février 1919, avouait [sic] à un journaliste : “Les criminels
ne sont pas les vrais musulmans, mais ce sont les deunmehs!” [les lecteurs attentifs auront noté l’usage
de l’article défini : les dönmes] »
(p. LVI)
Il a déjà été expliqué
ici que le rôle des Juifs, des francs-maçons et des dönmes au Comité Union
et progrès a été exagéré de manière démesurée par divers antisémites
(britanniques, arméniens, grecs, maronites, islamistes, pseudo-libéraux…), et qu’en particulier, Emmanuel
Carasso n’a jamais été « une figure de premier plan durant l’époque
constitutionnelle, de 1908 à 1918 ». Il n’a, par exemple, jamais été
membre du comité central (contrairement à l’Arménien Bedros Hallaçyan, par
exemple). Quant aux loges créées par Carasso, elles servaient avant tout de
lieu de réunion pour le CUP, quand il était encore dans l’opposition, car la
police du sultan ne pouvait y pénétrer que difficilement.
Rappelons aussi que feu Beylerian s’appuyait sur les livres de Paul
de Rémusat et Michel
Paillarès, deux autres tenants de la thèse du « complot
judéo-maçonnico-dönme » : Arthur Beylerian, « L’échec d’une percée internationale : le mouvement national arménien (1914-1923) », Relations internationales, n° 31, automne 1982, p. 370. Or, Arthur Beylerian n’était pas n’importe qui :
outre qu’il a été secrétaire de l’Association arménienne d’aide sociale (AAAS),
il est cité régulièrement comme une référence incontestable. L’urologue Yves
Ternon (par ailleurs manipulateur de source et qui s’appuie lui aussi sur les
complotistes de Rémusat et Paillarès), la référence numéro 1 des militants
arméniens en France, a ainsi écrit : « Je
me mis aussitôt en rapport avec Arthur Beylerian pour lequel j’ai la plus
grande estime et que je tiens pour l’un des chercheurs les plus compétents sur
le génocide arménien. »
Le recueil cité ci-dessus a été réédité en 2018 par les éditions Sigest,
propriété de Jean Varoujan Sirapian (figure du parti Ramkavar et très marqué du
côté d’Alain Soral), avec une postface laudative de Raymond Kévorkian,
également Ramkavar et référence numéro 2 des militants arméniens en France,
depuis les années 1990. Les passages cités ci-dessus sont également reproduits
sur le site de Nil Agopoff, ancien dirigeant du Conseil de coordination des associations arméniennes de France, figure du parti Hintchak — et antisémite profond, comme les lecteurs réguliers de ce blog ont déjà pu le
constater.
Lire aussi :
La
grécophilie, l’arménophilie et l’antijudéomaçonnisme fort peu désintéressés de
Michel Paillarès
L’helléniste
Bertrand Bareilles : arménophilie, turcophobie et antisémitisme (ensemble
connu)¨
Racisme
et antisémitisme : les caricatures de Vrej Kassouny (dignes du Stürmer)
Jean-Marc
« Ara » Toranian semble « incapable » de censurer la frénésie antijuive de son
lectorat
Et sur l’héritage historique :
L’arménophilie
du régime de Vichy
De
l’anarchisme au fascisme, les alliances très variables d’Archag Tchobanian
L’arménophilie
de Johann von Leers
L’arménophilie
fasciste, aryaniste et antisémite de Carlo Barduzzi
Auguste Gauvain : arménophilie, grécophilie et croyance dans le « complot judéo-bolchevique »
L’arménophilie-turcophobie
d’Édouard Drumont, « le pape de l’antisémitisme », et de son journal
L’arménophilie
aryaniste, antimusulmane et antisémite de D. Kimon
Albert
de Mun : arménophilie, antidreyfusisme et antisémitisme
Maurice
Barrès : de l’antisémite arménophile au philosémite turcophile
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