Un peu comme Jean Longuet, l’helléniste Victor Bérard (1864-1931) est instrumentalisé, aujourd’hui, dans la littérature nationaliste arménienne et apparentée, au prix d’une lecture très sélective de ses ouvrages et discours. Voici donc un correctif.
Victor Bérard, La Révolution turque,
Paris, Armand Colin, 1909, p. 338 :
« Mais la nation [française] ne saurait rien gagner à
ces opérations douteuses : nos intérêts nationaux exigeraient de notre part l’honnêteté
la plus scrupuleuse à l'égard du Trésor ottoman ; toute affaire qui développe
la richesse ou diminue la misère du Turc nous enrichit ; toute affaire qui
gaspille les revenus de la Porte ou les compromet, nous appauvrit : le chemin
de fer Danube-Adriatique aurait dû n'avoir pas d'adversaires plus déclarés que
nous. »
Victor Bérard, La France et
le monde de demain, Rouen, Imprimerie E. Cagniard, 1912, p. 9 :
« Vous sentez bien, n’est-ce pas, qu’après la crise
bosniaque d’hier, la crise tripolitaine d’aujourd’hui [écrit à la fin de 1911],
la crise égyptienne, albanaise, macédonienne,
que sais-je, arabe ou syrienne de demain, le jour du dernier
jugement balkanique pourrait soudain se présenter devant vous. Si demain éclataient
sous les murs d’Avlona, de Salonique et de Stamboul les fanfares vous annonçant
la curée, si vous perdiez dans la Méditerranée levantine ce correspondant, cet
associé, cet ami que, depuis quatre siècles,
fut pour vous l’empire ottoman, croyez-vous que rien ne serait changé dans vos
sécurités ni dans vos risques ? Quand disparut du Continent l’héroïque Pologne,
le résultat pour vous fut un siècle de guerres continentales et d’invasions,
puis quarante ans de cette paix armée qui vous tient à la gorge. Le jour où disparaîtrait
l’héroïque Turquie, soyez sûrs qu’il vous faudrait le courage et la force
d’endosser en votre domaine méditerranéen la même armure pacifique qu’à votre
trouée des Vosges, — sinon les deux Frances qui se font aujourd’hui
vis-à-vis sur les rivages de Toulon et de Bizerte pourraient sentir les
menaces, les douleurs peut-être de la séparation.
Ces risques sont dès aujourd’hui si évidents, si instants,
ils apparaissent si nets et si redoutables à ceux-là même qui, des années
durant, voulurent ne pas les apercevoir, que j’éprouverais quelque embarras à
vous en entretenir plus longuement. »
Victor Bérard, article dans la Revue française, avril
1913, cité dans Léon Rouillon, Pour la Turquie. Documents, Paris,
Grasset, 1921, pp. 41-42 :
« Stamboul est là, sous les coups de l’étranger,
tendant vainement les mains à l’Europe, qui semble ne plus la connaître,
invoquant la bienveillance de ces roi et de ces politiciens qui, hier encore,
se disputaient ses bagchiches et ses décorations ! […]
C’est pour vous [Français] un devoir de la prendre en pitié,
si vous comprenez vos intérêts essentiels. C’est un devoir pour vous de lui
témoigner, à défaut de dévouement actif, quelque sympathie apitoyée, parce
que vous avez envers elle trois siècles de dettes ; depuis trois siècles,
vous avez compté sur son dévouement : elle ne vous l’a jamais marchandé.
Depuis trois siècles, vous avez considéré la survivance de l’Empire ottoman et
la présence du Turc au fond de la Méditerranée comme une des conditions de
votre sécurité nationale, une sauvegarde de l’équilibre méditerranéen, un des
éléments de votre existence même ! »
Boghos Nubar, compte-rendu de la rencontre avec Victor
Bérard, 29 mai 1915, dans Vatche Gazarian (éd.), Boghos Nubar’s papers and the
Armenian Question 1915-1918: Documents, Waltham, Mayreni Publishing, 1996, p.
67 :
« M. Bérard a parlé avec insistance de l’Arménie
[provinces turques de Van, Bitlis, Erzurum, etc.] comme de “l’Anatolie
orientale”. »
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