mardi 19 mai 2020

Non, il n’y a pas eu de « massacre d’Arméniens » à Kars en 1920 (ce fut le contraire)




Yves Ternon, « Rapport sur le génocide des Arméniens de l’Empire ottoman », in Gérard Chaliand (dir.), Le Crime de silence, Paris: Flammarion, 1984, p. 193 :
« Je n’ai pas mentionné les victimes arméniennes du soulèvement kémaliste : les dizaines de milliers de morts de Cilicie en 1920 [il ne cite ici aucune source, mais dans L’Empire ottoman. La chute, le déclin, l’effacement, Paris, éditions du Félin, 2002, p. 518, il ose citer, faute du moindre document, le conspirationniste antisémite Paul de Rémusat], l’extermination des Arméniens de Kars et Ardahan, en octobre 1920 [on mesure d’emblée à quel point il maîtrise le sujet : la prise d’Ardahan date de février 1921], la déportation des Arméniens et des Grecs de la région du Pont, en 1921 — qui fut une répétition du génocide de 1915 —, l’incendie de Smyrne et les massacres des derniers Arméniens d’Anatolie en 1922. »

Vincent Duclert, « 1915-2015 : le centenaire du génocide des Arméniens », p. 10 :
« Au chiffre des victimes du génocide de 1915-1917 s’ajoutent […] 100 000 morts [sic] des “génocides miniatures“ ou “complémentaires” [sic !] perpétrés de 1918 à 1922 dans le Caucase, en Cilicie [rappelons encore une fois que, comme M. Ternon, M. Duclert considère Paul de Rémusat comme une référence, ce qui, certes, est cohérent avec la référence, dans La France face au génocide des Arméniens, Paris, Fayard, 2015, au raciste Edmond Lardy] et dans des villes comme Smyrne par les bandes unionistes armées et les nationalistes turcs partisans de Mustafa Kemal. »

Ah vraiment, Messieurs ? Vous ne daignez citer aucune source. Or, des sources, en voici.

Georges Labourel, « Impressions de Turquie — Le vrai péril », Le Gaulois, 20 décembre 1920, p. 2 :
« À part un ou deux hommes de valeur, les hommes d’Etat arméniens sont des instituteurs que leur niveau de culture met à peine dans l’état de gérer un chef-lieu de canton. Ce sont des Arméniens qui m’ont donné ces renseignements, et c’est plus que symptomatique les Arméniens intelligents ne croient pas à l’Arménie. L’emprunt national, par exemple, lancé à grand-fracas de publicité, n’a produit qu’une somme dérisoire.
Les origines de la courte campagne entre Arméniens et nationalistes rétablit d’ailleurs les faits sous leur jour véritable : les nationalistes [turcs] ne sont entrés en campagne que sur les provocations de leurs voisins, brûlant les villages musulmans et massacrant les habitants. Des membres de la mission américaine de Kars en ont été les témoins. Il est prouvé par contre que les nationalistes — par calcul politique sans doute — n’ont pas commis d’atrocités pendant leur avance. »

Jean Schlicklin (correspondant du Petit Parisien en Turquie), Angora. L’aube de la Turquie nouvelle, Paris, Berger-Levrault, 1922, pp. 147-148 :
« Lors de l’occupation de Kars par les troupes arméniennes, 100 soldats musulmans étaient massacrés ; dans les villages environnants, les notables turcs étaient assassinés ou expulsés après confiscation de leurs biens. Au village de Hadgi Halil, huit chefs de famille musulmans étaient ainsi massacrés; 1 500 têtes de bétail enlevées et le pillage produisait une valeur de 200 000 livres turques. Les femmes et les enfants qui réussissaient à fuir devant ces atrocités mouraient de faim et de froid dans les montagnes. Dans le seul district de Dikov, cinquante-huit villages étaient détruits et, d’après les témoignages recueillis, près de 15 000 malheureux étaient massacrés. Dans le district de Bardyz quinze villages subissaient le même sort et un millier de victimes s’ajoutaient aux listes tragiques.
Durant toute l’année 1920, les bandes arméniennes opéraient sans relâche. Le plan d’extermination systématique des populations musulmanes était sauvagement mis à exécution. Les Tachnakistes ne se contentaient pas seulement de poursuivre leurs exploits sur le territoire de la République arménienne, ils pénétraient jusque sur le territoire de l’Azerbeïdjan et dans le district de Kara-Dag incendiaient une cinquantaine de villages après avoir massacré la population. Ces actions menaçaient singulièrement la sécurité des habitants des provinces orientales de l’Asie Mineure. Le 24 septembre 1920, les postes turcs étaient attaqués, ripostaient vigoureusement et poursuivaient l’envahisseur dans la région de Sari-Kamiche, uniquement peuplée de Turcs.
L’agression avait pour objectif la prise d’Erzeroum. Kars était bientôt reprise par les troupes turques. Au cours de cette action, 3 généraux, 12 colonels, 16 capitaines, 55 lieutenants, 16 élèves officiers, 4 sous-officiers et 1 150 soldats arméniens étaient faits prisonniers. Parmi eux se trouvait le général Epremof avec son état-major. L’ennemi était poursuivi dans la direction d’Alexandropol.
Le commissaire américain à Kars adressait au commissaire américain à Constantinople le télégramme suivant :
“Kars, le 31 octobre 1921 [1920].
Amiral Bristol. U. S. Navy Constantinople.
Tous les Américains de Kars sont tranquilles et l’armée turque leur prodigue toutes les marques de la considération. Nous avons permission de continuer notre organisation comme par le passé.
Les soldats turcs sont bien disciplinés et il n’y a pas eu de massacres.
Edgard Fox,
District Commander Near [East Relief] Kars.” »

Henri Rollin, La situation en Turquie au 1er décembre 1920, Service historique de la défense, Vincennes, 1 BB7 236 :
« Dans une interview de Kiazim Bey [Kazım Karabekir] donnée à Tiflis [Tbilissi] le 18 novembre, ce dernier a fort bien montré les motifs de l’agression turque ; on doit reconnaître l’exactitude de certaines de ses déclarations en ce qui concerne les massacres de Tartares [Azéris] par les Arméniens il y a quelques mois, massacres constatés de visu par des Européens dignes de foi, en particulier dans le district de Katar,  où les Arméniens comblèrent des puits en y jetant leurs victimes. Il est difficile de savoir qui a commencé dans ces histoires de massacres où tour à tour Turcs et Arméniens s’égorgent, mais on doit reconnaître que, de l’aveu même des fuyards arméniens, les troupes turques n’ont pas commis cette fois d’atrocités lors de leur avance. Nos informations, de bonne source française, confirment en tous points celle des Américains présents, à Kars en particulier. »

James Barton


Lettre de James Barton, président du Near East Relief, à l’amiral Mark Bristol, haut-commissaire américain à İstanbul, 6 mai 1921, Bibliothèque du Congrès (Washington), département des manuscrits, Bristol papers, carton 34 :
« S’agissant des contrevérités qui sont répandues sur des massacres d’Arméniens par des Turcs [à Kars et Ardahan] : nul ne saurait les désapprouver davantage que moi. Mais la situation qui prévaut ici [aux États-Unis] est difficile à décrire. Il y a un jeune Arménien, brillant, diplômé de l’université de Yale, du nom de [Vahan] Cardashian [aucun lien de parenté avec Kim Kardashian, ou alors très lointain]. C’est un avocat, dont le cabinet se trouve à Wall Street je crois. Il a organisé, soi-disant, un comité [American Committee for the Independence of Armenia], qui ne s’est jamais réuni et qui n’a jamais été consulté, avec M. [James] Gerard [ancien ambassadeur américain en Allemagne] comme président.  Cardashian fait tout. Il a mis en place ce qu’il appelle un Bureau arménien de publicité, ou quelque chose de ce genre [Armenian Press Bureau], avec du papier à en-tête. Gérard signe tout ce que Cardashian écrit. Il me l’a dit lui-même une fois. […] Nous avons eu de nombreuses discussions avec des dirigeants arméniens sur ce qui peut être fait pour arrêter cette propagande malveillante menée par Cardashian. Il rapporte constamment des atrocités qui n’ont jamais eu lieu et produit des informations erronées sur la situation en Arménie et en Turquie. Nous n’aimons pas nous manifester et l’attaquer en public. Cela ferait du mal à toute la cause que nous essayons tous de défendre, parce que les gens [les donateurs] diraient que nous nous querellons entre nous et ils perdraient confiance dans toute cette affaire. »

Cela n’aurait évidemment aucun sens de déduire de l’absence de massacre à Kars, en 1920, la même absence à Diyarbakır, dans la partie sud d’Erzurum, etc., en 1915, ou dans l’actuel Irak en 1916. L’affaire de Kars est un exemple, parmi d’autres, sur l’absence de sérieux manifestée si souvent par les Ternon et les Duclert, y compris la période de la guerre de libération nationale turque. Ni plus, ni moins.

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