jeudi 30 avril 2020

Le complotisme raciste des arménophiles-hellénophiles Edmond Lardy et René Puaux



René Puaux


Un peu de contexte d'abord pour comprendre les textes ensuite.

Lettre du consul général de France à Smyrne (İzmir) à Son Excellence M. le ministre des Affaires étrangères, 29 mars 1901, Archives du ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, microfilm P 16737 :
« La croyance au meurtre rituel [calomnie selon laquelle les Juifs assassinent des enfants chrétiens et se servent de leur sang pour faire du pain], répandue dans tout l’Orient et particulièrement chez les Grecs orthodoxes, vient de jeter encore une fois la perturbation dans la ville de Smyrne. […]
Dans la matinée du 28 mars, l’agitation dégénérait en émeute […] La force armée, qui avait fait preuve jusque-là de beaucoup de calme et de patience, intervint alors énergiquement et n’eut pas de mal à faire évacuer les abords de l’église [où des Grecs accusaient leur métropolite de « lâcheté » face aux Juifs] ; une quarantaine de Grecs furent blessés. […]
Aujourd’hui, le calme est revenu. On s’accorde à louer le sang-froid et l’excellence des dispositions prises par Kiamil Pacha [préfet d’İzmir], qui n’a eu recours à la force qu’à la dernière extrémité, et qui ne l’a employée que dans les limites strictement nécessaires.
On ne fait pas le même éloge du métropolite : certains de ses diocésains lui reprochaient d’avoir fourni un aliment à l’agitation populaire en accueillant de prime abord comme avéré un fait que l’événement a démenti [l’« enlèvement » d’un adolescent grec, retrouvé puis montré par la police ottomane] et en ne s’employant pas avec assez d’énergie à calmer la famille de l’enfant puis les meneurs du mouvement [antisémite]. »

Bernard Lewis, Islam et Laïcité. L’émergence de la Turquie moderne, Paris, Fayard, 1988, p. 458 :
« Les Turcs de la période jeune-turque étaient très loin de s’attacher au “pur sang turc” et il est certain que des musulmans turcophones ottomans d’origine balkanique, caucasienne ou autre ont eu une part considérable dans le mouvement. Rien ne semble attester, dans la masse d’ouvrages turcs sur les Jeunes-Turcs que les juifs aient joué un rôle un tant soit peu important dans leurs conseils, ou que les loges maçonniques n’aient jamais servi qu’à couvrir à l’occasion leurs réunions secrètes. L’avocat de Salonique, Emmanuel Carasso, dont le nom est souvent mentionné par les adversaires européens des Jeunes-Turcs, était un personnage mineur. Cavid, qui joua effectivement un rôle de grande importance [comme ministre des Finances], était un dönme (membre d’une secte syncrétiste judéo-islamique fondée au XVIIe siècle), et non un juif véritable ; quoi qu’il en soit, c’est, semble-t-il, le seul de sa communauté qui soit parvenu au premier plan. »

Feroz Ahmad, The Young Turks and the Ottoman Nationalities, Salt Lake City, University of Utah Press, 2014, p. 105 :
« L’ambassade britannique [à İstanbul] (et le Times), qui soutenaient la faction libérale des Jeunes-Turcs [c’est-à-dire l’Entente libérale, opposée au Comité Union et progrès et financée par des Grecs et des Britanniques] après juillet 1908 en vint à voir dans le mouvement unioniste un complot judéo-maçonnique, jusqu’à décrire le CUP comme “le Comité juif Union et progrès”.
Cette conception de la politique reflétait deux attitudes qui prévalaient à l’époque en Europe : d’abord l’antisémitisme et la théorie du complot juif visant à dominer le monde ; ensuite la conviction que les peuples non-occidentaux, comme les musulmans et les Turcs, étaient incapables d’avoir un gouvernement moderne et avaient besoin d’être guidés par une main européenne. »

Edmond Lardy (ancien chirurgien en chef de l’hôpital français d’İstanbul, arménophile de nationalité suisse et très lié à l’Entente libérale), « Lettre ouverte à S. E. le général Chérif Pacha à Paris », Mècheroutiette, 1er décembre 1910, p. 8 :
« […] et tout ce qui arrive m’étonne encore moins depuis que le “Mècheroutiette” [organe « libéral » d’opposition CUP] m’a appris que le premier sbire d’Ahmed-Riza [Ahmet Rıza], le trop célèbre Mahmoud Chevket Pacha est un Tzigane [faux], que Talaat Bey, en est un autre [faux encore], que Djavid bey, le docteur Nazim et tant d’autres sont des “mamins”, ou juifs renégats évadés des ghettos de Salonique [il n’y a jamais eu de ghetto à Salonique à l’époque ottomane et le docteur Nazım n’était pas un dönme, ce que Lardy appelle un mamin] ! »

Edmond Lardy, « Lettre ouverte à S. E. le général Chérif Pacha à Paris », Supplément au « Mècheroutiette », avril 1914 (non paginé) :
« On n’a mis à la tête de l’Empire que des Turcs qui étaient des arrivistes affamés et des deunmés (juifs renégats) qui ne demandaient qu’à manger les restes. »

René Puaux (« journaliste » au service du gouvernement grec et soutien du nationalisme arménien), « La Grèce et la question d’Orient », Revue bleue, 4 février 1922, p. 80 :
« Il faut ne pas connaître la mentalité des nationalistes turcs [il confond ici les kémalistes et les unionistes, deux groupes qui se recoupaient en partie mais ne se confondaient pas entièrement, loin de là] pour fonder quelque espoir sur un relèvement possible de la Turquie, en tous cas sous leur administration.
La Turquie, jusqu'en 1908, était sous le régime de la monarchie absolue dont Abdul Hamid fut le dernier et célèbre représentant. La révolution, faite, en 1908. par les jeunes turcs, amena un semblant de régime parlementaire qui n'était qu'une parodie des constitutions occidentales et qui eut surtout pour résultat de faire venir au pouvoir un petit clan d'arrivistes révolutionnaires Talaat, Djemal, Djavid, Enver et autres. Sous le nom de Comité Union et Progrès ces hommes, qui n’étaient nullement de vieux croyants musulmans, mais des métis de Juifs et [de] Turcs de Salonique, se mirent à exploiter l'empire pour leur bénéfice personnel. »

Merci à l’auteur du blog turquisme.blogspot.com d’avoir attiré mon attention sur le docteur Lardy, cité comme un courageux défenseur de la vérité par le sémillant Vincent Duclert dans son livre La France face au génocide des Arméniens, Paris, Fayard, 2015, où se trouve aussi, parmi les références, Paul du Véou (Paul de Rémusat), tenant du complot judéo-maçonnique et agent d’influence de l’Italie fasciste.


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mercredi 29 avril 2020

La France briando-poincariste contre l’axe FRA-Hoyboun (alliance de nationalistes arméniens et kurdes)





Après le renversement du cabinet Herriot II par le Sénat, en 1926, Raymond Poincaré est rappelé au pouvoir, redevenant président du Conseil et prenant le portefeuille des Finances, jusqu’à ce que sa santé l’empêcher de continuer, en 1929. Aristide Briand reste lui ministre des Affaires étrangères jusqu’en 1932.


Benjamin Thomas White, The Emergence of Minorities in the Middle East The Politics of Community in French Mandate Syria, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2011, p. 114 :
« À partir de 1928, quand il fut interdit à Alep, “à la suite de fortes protestations d’Ankara”, le comité [Hoyboun, première organisation nationaliste kurde présentant un certain danger pour la Turquie] devint un instrument pour la coopération kurdo-arménienne, obtenant apparemment des fonds du parti arménien Dachnak [Fédération révolutionnaire arménienne] pour soutenir l’activisme antiturc : ce fut en surveillant cette coopération que les Français purent rapporter, par exemple, que la société arménienne Matossian employait des notables kurdes comme “collecteur d’argents et comme vendeurs” dans la zone frontière [avec la Turquie], leur permettant aussi de mener des activités politiques. L’un de ces Kurdes, Kamran Ali Badr Khan, se plaignit plus tard au consul turc de Beyrouth — lors d’une rencontre étonnamment cordiale — qu’il avait perdu son emploi parce que les Français lui avaient interdit de voyager près de la frontière. Il expliqua aussi que les Français avaient expulsé un de ses frères de Syrie et répondu favorablement à “toutes les demandes présentées par votre gouvernement concernant les mesures à prendre concernant les Kurdes”. »

Charles de Chambrun (ambassadeur de France en Turquie de 1928 à 1933), Traditions et souvenirs, Paris, Flammarion, 1952 :
« M. Briand, au moment où je prenais congé de lui, m’avait retenu familièrement par un bouton de ma jaquette et, de sa voix caressante : “Je vous ai suivi”, dit le ministre des Affaires étrangères, “à Athènes lorsque vous avez arrêté la marche imprudente des Grecs en Bulgarie ; à Vienne, quand vous avez, d’accord avec Mgr Seipel [chancelier autrichien], écarté les menaces d’Anschluss [rattachement de l’Autriche à l’Allemagne]. Je ne vous pas quels sont vos trucs. Chacun a les siens. Tâchez de me régler cette irritante question de la frontière syrienne, qui nous tracasse, et de renouer notre amitié traditionnelle. Restez toujours en contact avec les Turcs d’Anatolie, surveillez les Russes, ménagez les Italiens. Je ne mentionne pas les Anglais, vous êtes dans leurs bonnes grâces. Inutile de m’écrire l’histoire des Turcs en cinq volumes, je la lirai dans les journaux, mais tenez-moi bien au courant de la suite des négociations.” » (pp. 116-117)
« C’est avec lui [Tevfik Rüştü Aras, ministre turc des Affaires étrangères, médecin de profession formé à Montpellier] et sous les auspices du Gazi [Kemal Atatürk] que, de 1929 à 1934, toutes les questions alors en suspens, qui intéressaient la France et le mandat français en Syrie, ont pu être réglées. L’énumération en serait fastidieuse : qu’il suffise de rappeler la délimitation de la frontière syrienne, les accords ferroviaires, les conventions commerciales, le traité d’amitié signé en février 1930 et ratifié en 1933, après le règlement de l’ancienne dette ottomane. » (p. 134)

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lundi 27 avril 2020

Acte rituel de sauvagerie à Erevan : malgré le coronavirus, le drapeau turc est brûlé


Traditionnellement, la destruction par le feu d’un ou plusieurs drapeaux turcs est, à Erevan, le fait de la Fédération révolutionnaire arménienne. Ses militants ont eu l’habitude de brûler de tels drapeaux à Marseille jusques et y compris en 2003 (date à laquelle cette destruction a donné lieu à une rixe avec des Franco-Turcs) et à Thessalonique jusqu’en 2007 (photographie ci-dessous), date à laquelle le parquet de cette ville s’est enfin décidé à ouvrir une information judiciaire, l’outrage aux drapeaux, même étrangers, étant un délit en Grèce.




Cette fermeté nouvelle n’a pas empêché les manifestants arméniens d’affronter la police hellénique à plusieurs reprises dans les années suivantes, notamment en 2017 et 2019, tout simplement parce qu’elle protégeait le consul de Turquie à Thessalonique.

En 2002 et 2003 (notamment), la FRA d’Arménie, voulant bien marquer qu’elle ne sépare pas son racisme antiturc de son antisémitisme, avait cousu des étoiles de David aux drapeaux turcs avant de les brûler.


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dimanche 26 avril 2020

L’hostilité (et la lucidité) de Raymond Poincaré envers les nationalismes arménien et grec




Homme d’État français, Raymond Poincaré (1860-1934) été (entre autres) président de la République de 1913 à 1920, président de la commission des Affaires étrangères du Sénat de 1920 à 1922, président du Conseil (Premier ministre) et ministre des Affaires étrangères de 1922 à 1924 puis une dernière fois président du Conseil (et ministre des Finances) de 1926 à 1929.

Arthur Beylerian, « L’échec d’une percée internationale : le mouvement national arménien (1914-1923) », Relations internationales, n° 31, automne 1982, p. 367 :
« En tout cas, le discours qu’a prononcé Poincaré, à l’ouverture de la conférence de la paix, n’a rien auguré de bon pour les Arméniens. Le président de la République a cité le nom de presque tous les peuples ou nationalités au rang des Alliés [l’Entente], qu’ils soient grands ou petits, qu’ils aient participé ou non aux combats, comme le Guatemala ou le Nicaragua. Les Arméniens n’ont pas été mentionnés (68).
__________
(68) Cf. Le Temps, 19 janvier 1919, n° 21015 ; Le Petit Parisien, 19 janvier 1919, n° 15231. »

ð  Feu Beylerian, qui était un nationaliste arménien et plus précisément un ramkavar, omet évidemment de préciser le conflit déjà en cours entre la République française et les comités arméniens, ces derniers réclamant avec véhémence une Arménie jusqu’à Mersin, et la France s’y opposant ; il évite à plus forte raison de parler des crimes des volontaires arméniens à Ourmia et plus récemment (décembre 1918) à İskenderun. Sa remarque sur le silence calculé de Poincaré n’en demeure pas moins, en elle-même, juste.

Lettre de Léon Maccas, ancien membre de la délégation grecque à la conférence de la paix, citée dans Dimitri Kitsikis, Propagande et pression en politique internationale. La Grèce et ses revendications à la conférence de la paix (1919-1920), Paris, Presses universitaires de France, 1963, p. 368 :
« Quant à Raymond Poincaré, il ne nous aimait guère, et il avait une antipathie innée contre [le Premier ministre Eleutherios] Venizelos. Il a eu avec ce dernier plusieurs prises de bec. »

Paul Mantoux, Les Délibérations du Conseil des Quatre, Paris, CNRS, 1955, tome II, pp. 327-328 (séance du 6 juin 1919) :
M. LLOYD GEORGE [Premier ministre britannique et turcophobe obsessionnel]. — Depuis, des commentaires ont paru aussitôt dans la presse turque sur l’amitié de la France. Depuis, M. Pichon [ministre des Affaires étrangères] a envoyé à Constantinople un télégramme de remerciements du président de la République [Raymond Poincaré] en réponse à un message de politesse du Prince impérial de Turquie.
M. CLEMENCEAU [président du Conseil de 1917 à 1920]. — J’ai dit d’abord que notre représentant ne devait pas décourager les Turcs. Après la communication que nous avons reçue de ceux-ci, nous avons décidé de leur envoyer une réponse par nos représentants à Constantinople. M. Pichon m’a proposé de faire cette démarche par les représentants de la France : j’ai refusé.
M. LLOYD GEORGE. — Ce qui est plus ennuyeux, c’est le télégramme du président de la République. Supposez le roi d’Angleterre envoyant une lettre au président [allemand Friedrich] Ebert.
M. CLEMENCEAU. — Ce que j’avais dit de faire était tout différent ; le président de la République n’avait rien à voir là. »

Raymond Poincaré, « Chronique de la quinzaine », Revue des deux mondes, 1er septembre 1920, p. 213 :
« La ville de Sèvres a maintenant, elle aussi, son fleuron dans la couronne de la paix. Le traité turc [prévoyant une Grande Arménie et une Grande Grèce] a été signé, à la manufacture nationale, au milieu des biscuits et des flambés. C’est lui-même un objet fragile, peut-être un vase brisé. »



Raymond Poincaré, « L’Entente cordiale », La Dépêche (Toulouse), 11 novembre 1921, p. 1 :
« Déjà, le traité de Sèvres et l’accord tripartie [franco-anglo-italien sur les zones d’influences en Anatolie] du 10 août 1920 avaient été préparés dans les conditions les plus étranges. On critique souvent, et parfois avec beaucoup d’âpreté, le traité de Versailles. On en connaît, du moins, les négociateurs, et si l’on veut leur adresser des reproches, ils sont là pour fournir leurs explications. Pour le traité de Sèvres, c’est le mystère et la nuit. Personne ne sait qui en a vraiment la responsabilité. Ceux qui l’ont signé ne l’ont pas négocié et il paraît être le produit, d’ailleurs mort-né, d’une étonnante génération spontanée. À peine a-t-il été mis au jour que tout le monde l’a condamné. Il a donc bien fallu le remplacer. »

Avetis Aharonian (président de la Délégation de la République arménienne), « From Sardarapat to Sèvres and Lausanne. A political Diary. Part X » (journal tenu par Aharonian de 1918 à 1923), Armenian Review, XVIII-3, automne 1965, p. 66 :
« Aujourd’hui 20 février [1922], après le dîner, [Gabriel] Noradounkian [numéro de la Délégation nationale arménienne] et moi avons eu un entretien avec Raymond Poincaré. […]
La sûreté des Arméniens en Turquie ne peut pas être assurée par le système des garanties pour les minorités, affirma Noradounkian, parce que les Turcs ont mille et une façons de contourner ces garanties. Ce sont des massacreurs, indignes de confiance et incorrigibles [On rappellera au passage que Noradounkian a été ministre Ottoman du Commerce de 1908 à 1909 puis des Affaires étrangères de 1912 à 1913. Curieux « massacreurs ».]. Les membres de la Grande Assemblée nationale à Ankara sont pour une grande part des criminels, des auteurs de crimes contre les Arméniens [On relèvera qu’il ne donne pas un seul exemple.]
POINCARÉ, qui écoutait avec un déplaisir manifeste tapa sur la table avec sa main et s’exclama : “Laissez le passé derrière vous, je vous le demande. Je n’ai pas de temps à perdre. Parlons des réalités.”
NORADOUNKIAN. — Ce n’était pas mon intention de vous provoquer contre les Turcs, mais simplement de vous expliquer la sombre réalité. Je n’ai rien de plus à dire sur l’Arménie turque. M. Aharonian vous dira tout ce que les Turcs ont fait dans l’Arménie caucasienne.
Poincaré se tourna vers moi, manifestant toujours sa colère à la suite de ce petit incident, le visage rouge. Pour dissiper cette impression déplaisante, je fus forcé de modifier ce que je voulais dire et d’aborder la question par un angle distant. »

Réunion des ministres des Affaires étrangères de Grande-Bretagne, d’Italie et de France, à Paris, pour traiter de la question d’Orient — 2e séance, jeudi 23 mars 1922, p. 16 (Archives du ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, 118 PA-AP 62) :
« M. Poincaré fait remarquer que c'est sur le traité de Sèvres qu'on est le moins d'accord. Ce n'est même pas un traité, c'est un projet de traité qui, s'il était présenté aux Chambres françaises, serait repoussé à l'unanimité ; il ne recueillerait pas une voix. M. Millerand l'a signé, il est vrai, mais il l'a déclaré inapplicable. Il a dit lui-même à M. Poincaré qu'il l'avait signé parce qu'il avait été préparé par ses prédécesseurs. M. Poincaré ne sait même pas par qui il a été préparé et ne veut pas le savoir. »

Roger de Gontaut-Biron et L. Le Révérend, D’Angora à Lausanne, les étapes d’une déchéance, Paris, Plon, 1924, p. 100 :
« Au commencement de juin [1922], le vapeur français Saint-Marc se dirigeait sur Mersine, avec un important chargement de camions automobiles Berliet, 10 000 fusils mitrailleurs, 7 avions et 150 tonnes de matériel sanitaire, à destination de l’armée turque [pour combattre l’armée grecque et ses volontaires arméniens, finalement battus à plate couture en août-septembre de la même année]. Afin de prévenir les incidents regrettable qu’eût pu faire naître la présence de la croisière [navire de guerre] grecque, le Saint-Marc fut dérouté sur Beyrouth et gagna ensuite Alexandrette [İskenderun], sous l’escorte de deux canonnières françaises. » 

ð  Cette livraison venait s’ajouter aux armes données gratuitement par ordre d’Aristide Briand, prédécesseur de Poincaré, en janvier 1922, à celles vendues à partir de septembre 1921 et aux munitions livrées par le corps français d’occupation d’İstanbul depuis décembre 1920.


Archives du ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, microfilm P 1380 :
« Le ministre des Affaires étrangères [Raymond Poincaré] au chargé d’affaires français à Washington, 26 septembre
Le général [Maurice] Pellé [haut-commissaire à İstanbul], l’amiral Dumesnil [commandant de la flotte française en Méditerranée orientale] et M. [Michel] Graillet [consul général à İstanbul] ont acquis la conviction que les Turcs ne sont pas responsables : avec des moyens limités, ceux-ci ont tout fait pour le combattre et le circonscrire. L’amiral Dumesnil a fait contrôler tout de suite et sur place les témoignages de certaines personnes affirmant avoir vu des soldats turcs arroser de pétrole les rues et les maisons : cette enquête a réduit les témoignages à néant.
D’autre part, la multiplicité des foyers d’incendie établit qu’ils ont été allumés par des mains criminelles. L’exaltation de la population arménienne et grecque a certainement permis de trouver les incendiaires désirés pour ne laisser aux Turcs qu’une ville en cendres.
Il est prouvé, du reste, par de nombreux témoignages, que les troupes grecques, en se retirant, ont mis méthodiquement le feu à Eski Chéir, Afion, Ouchak, Alachéir, et que Brousse [Bursa] aurait eu le même sort sans l’intervention de l’agent consulaire de France [officier de carrière], qui a obligé le général grec Soumila à révoquer l’ordre qu’il avait donné d’incendier la ville. »

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vendredi 24 avril 2020

23 avril 1920 : la justice française condamne l’ex-archevêque Moucheg Séropian pour terrorisme

Moucheg Séropian était un homme d’Église et un agitateur nationaliste arménien. Archevêque d’Adana à partir de 1908, il incita ses ouailles à l’insurrection. Absent quand les affrontements interethniques qu’il avait ainsi provoqué se déclechèrent, en avril 1909, il fut condamné à mort par contumace par la justice ottomane. Pour ne citer qu’une source non-turque à ce sujet, voici la conclusion révérend Thomas Christie (1843-1921), directeur de l’institution scolaire américaine Saint-Paul, à Tarsus, ville voisine d’Adana, qui se trouvait dans cette dernière cité quand la violence éclata :

« Les jeunes hommes arméniens d’Adana sont presque tous révolutionnaires, ce n’est pas comme ici [à Tarsus]. Des armes ont été vendues librement pendant des mois ; les deux parties ont entreposé des armes et des munitions. Les Arméniens ont été encouragés à procéder ainsi par un homme très mauvais, leur évêque [Mouchegh Séropian], qui est maintenant à l’abri, en Égypte. Si lui et quelques autres avaient été mis en prison à l’automne dernier, rien de tout cela ne se serait produit [souligné par moi]. Les Turcs étaient exaspérés par les menaces et les fanfaronnades arméniennes. Dans une atmosphère ainsi chauffée à blanc, ‟le coup de feu part tout seul”. La mort d’un Turc a mis le feu aux poudres. » (Bie Ravndal, consul des États-Unis à Beyrouth, dépêche au sous-secrétaire d’État, 25 avril 1909, p. 5, National Archives and Records Administration, College Park, Maryland, RG 84, Records of Foreign Service Posts, Diplomatic Posts Istanbul, vol. 216).

Revenu dans la ville d’Adana en 1919, Séropian loua une maison avec son frère (lui-même condamné à quinze ans de prison par la justice ottomane, avant 1914) où ils fabriquèrent des bombes et entreposèrent des armes à feu. Le 13 mars 1920, vers 9h 15, alors que Moucheg Séropian était en Égypte, son frère commit une erreur fatale, se tuant et tuant par la même occasion le boulanger arménien qui lui portait du pain. L'ex-archevêque terroriste fut condamné par contumace.

Centre des archives diplomatiques de Nantes, 1SL/1V/154 :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
CONSEIL DE GUERRE PERMANENT de la Ire division du Levant
Séant à Adana

JUGEMENT PAR CONTUMACE
Au nom du peuple français

Le Conseil de guerre permanent de la Ire D.A.F.L. a rendu le verdict suivant :
Aujourd’hui 23 avril mil neuf cent vingt, le Conseil de guerre permament de la Ire Division armée française au Levant, ouï le commissaire du gouvernement dans ses réquisitions et conclusions, a déclaré le nommé :

MONSEIGNEUR MOUCHEG SÉROPIAN (absent et contumax) coupable de :

1° Par 4 voix contre une : d’association de malfaiteurs ;
2° Par 4 voix contre une : de fabrication et détention d’engins meurtriers agissant par explosion ;
3° À l’unanimité de détention d’armes et de munitions de guerre ;
4° [À] l’unanimité de complicité d’homicide par imprudence.

En conséquence, ledit Conseil condamne par contumace, par 4 voix contre 1 le susnommé à la peine de :

Dix ans de travaux forcés et vingt ans d’interdiction de séjour, par application des articles
63-202-267 du C[ode de] J[ustice] M[ilitaire], 59-265-266-319 [du] C[ode] P[énal], 3 et 4 de la loi du 24 mai 1834, 3 de la loi du 19 juin 1871.

Et vu les articles 139 du Code de justice militaire et 9 de la loi du 22 juillet 1867, le Conseil condamne ledit susnommé à rembourser sur ses biens présents et à venir, au profit du Trésor public, le montant des frais du procès.

Vu :
Le commissaire du gouvernement
S[igné] : De Vaux.
Pour extrait conforme, le greffier.
Signé : illisible.


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jeudi 23 avril 2020

Avril 2001 : le boucher d’Orly libéré après le vote de la loi inconstitutionnelle « portant reconnaissance du génocide arménien »




Radio Free Europe / Radio Liberty, « Newsline », 7 mai 2001 :
« LE PREMIER MINISTRE ARMÉNIEN RENCONTRE UN MEMBRE LIBÉRÉ DE L’ASALA
Noyan Tapan et le bureau de RFE/RL à Erevan rapportent que, rencontrant le 4 mai [2001] Varoujan Garbidjian, un ancien membre de l’Armée secrète pour la libération de l’Arménie (ASALA), le Premier ministre Andranik Markarian a exprimé sa “joie” de voir Garbidjian libéré d’une prison française où il a purgé presque dix-huit ans de réclusion pour le rôle que lui a attribué [la justice française] dans l’attentat à l’explosif contre le bureau de la Turkish Airlines à Orly [erreur : la bombe était supposée exploser en vol, ce qui aurait tué 117 personnes, et ne visait donc pas le bureau lui-même]. »

Dominique Simonnot, « Le terroriste Garbidjian quitte les prisons françaises », Libération, 24 avril 2001 :
« Hier, Waroujan Garbidjian, 47 ans, un des ex-chefs militaires de l'Asala (Armée secrète pour la libération de l'Arménie), a quitté la prison de Saint-Maur (Indre) pour s'envoler vers son pays, l'Arménie. La nouvelle avait été tenue secrète depuis le 19 mars, date à laquelle les magistrats de la juridiction régi o na le de la libération conditionnelle ont décidé de sa libération anticipée, sous condition de son expulsion instantanée. Ainsi s'achève la détention en France d'un homme condamné le 3 mars 1985 par la cour d'assises du Val-de-Marne à la perpétuité pour “complicités d'assassinats, complicité d'attentat ayant pour but de porter le massacre et la dévastation, complicité de fabrication et détention de substances ou d'engins explosifs...”
Huit morts. Nous sommes le 15 juillet 1983, un vendredi à l'aéroport d'Orly. En cette période de vacances, les touristes se pressent au comptoir de la Turkish Airlines. Une bombe explose. Huit morts et cinquante blessés. Le lundi suivant, les enquêteurs ­ policiers et services secrets agissant ensemble, avec la DST, la DGSE et les RG ­ interpellent 51 personnes. Parmi elles, Waroujan Garbidjian, membre éminent de l'Asala, et trois autres activistes arméniens. Au domicile de l'un d'eux, les policiers découvrent des pistolets-mitrailleurs, des grenades, de la dynamite, des circuits électroniques. Garbidjian reconnaît être l'auteur de l'attentat d'Orly. […]
En février 1983, quelques mois avant l'attentat d'Orly, l'Asala s'attaque à une agence de voyages parisienne, tuant une employée [française, Renée Morin]. Des militants du mouvement dénonceront un peu plus tard la “dérive meurtrière et aveugle” d'Agop Agopian, fondateur de l'armée secrète. En 1985, devant ses juges, Garbidjian nie avoir posé la bombe d'Orly, s'embrouille dans ses déclarations. Le 3 mars, il est condamné à la perpétuité.
En 1990 naît la République arménienne, indépendante de l'ex-URSS. Le 29 janvier, le Parlement français reconnaît le génocide arménien perpétré par la Turquie. Ces deux événements ont probablement un lien avec cette libération, après plus de dix-sept ans de détention. Mais un changement législatif est également intervenu. Depuis le 1er janvier, ce sont en effet des juges et non le ministre de la Justice qui décident des libérations conditionnelles pour les longues peines. Ensuite, les avocats de Garbidjian, Mes [Gérard] Tcholakian, [Alexandre Armen] Couyoumdjian et Plouvier, ont longuement fait valoir leurs arguments devant la cour d'appel de Bourges. Selon eux, il y a les faits qui “s'inscrivent clairement dans un contexte politique ayant pour origine le génocide arménien, reconnu officiellement par la République française [...]. À l'émotion légitime qu'a pu inspirer la forme armée et criminelle de cette lutte identitaire, il faut ajouter la complète réadaptation de Garbidjian, l'inutilité sociale de son enfermement”. De plus, en Arménie: “Le ministre de la Justice souhaite qu'il puisse participer utilement à l’œuvre de consolidation de la jeune République.” »

ð  Quelques précisions s’imposent ici sur la défense de Varoujan Garbidjian. Lors de son arrestation, il désigne pour le défendre Henri Leclerc, qui avait déjà défendu Max Hraïr Kilndjian aux côtés de Patrick Devedjian et qui fait alors partie des avocats défendant les terroristes de l’ASALA auteurs d’une prise d’otages meurtrière au consulat de Turquie, en septembre 1981 (le procès se tient en janvier 1984). C’est seulement à l’automne 1984 qu’Hagop Hagopian ordonne à ses hommes incarcérés en France de refuser le soutien financier et politique du Comité de soutien aux prisonniers politiques arméniens (CSPPA), dirigé par Jean-Marc « Ara » Toranian (chef de la branche politique de l’ASALA en France jusqu’à la scission de l’été 1983). Le CSPPA paie les honoraires (et le cas échéant les frais) des avocats défendant les terroristes de l’ASALA en France et en Suisse. Henri Leclerc est alors remplacé par Jacques Vergès et Raffi Pechdimaldjian (autre défenseur des terroristes jugés à Paris en janvier 1984). Sur ce point, voir « Nouveau “comité” : Hagopian avance ses pions », Hay Baykar, 15 décembre 1984, p. 7.
Malgré cette rupture, M. Toranian appelle quand même à venir soutenir les accusés au procès de 1985, et après le verdict condamnant Varoujan Garbidjian à perpétuité, Soner Nayir à quinze ans et Ohannes Semerci à dix ans, l’éditorial du journal qu’il dirige alors fulmine (Hay Baykar, 11 mars 1985) :
« Un militant [sic] arménien vient d’être condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Ainsi la montée de la répression anti-arménienne que nous dénonçons inlassablement depuis des mois aura atteint, le dimanche 3 mars, à 3 heures du matin, son point culminant. […]
Ces trois condamnations constituent un nouveau coup porté à la cause arménienne. »
À une date indéterminée, Garbidjian change à nouveau de défenseurs, et le nom d’Alexandre Armen Couyoumdjian, donné par Libération, est tout sauf anodin. Cet avocat est coprésident de l’Association française des avocats et juristes arméniens (remarquez la terminologie, on ne peut plus communautariste). On lui doit, entre autres, une pitoyable tentative de justifier la proposition de loi Masse (prétendant réprimer « la contestation du génocide arménien »), rejetée par le Sénat en mai 2011, pour inconstitutionnalité criante. Plus récemment, lors d’une conférence tenue en 2017, pour commenter une décision (paragraphes 191 à 197) du Conseil constitutionnel censurant, entre autres, une tentative de pénaliser ceux qui n’approuveraient pas la qualification de « génocide arménien », Me Couyoumdjian a répété « doctrine Badinter », « doctrine Badinter », « doctrine Badinter ». On se demande bien pourquoi, M. Badinter n’ayant eu aucun rôle dans l’élaboration de cette doctrine juridique en question (dont l’origine est à chercher, notamment, chez Georges Vedel, Élisabeth Guigou, Guy Carcassonne[1] et Françoise Chandernagor) : il s’est contenté de la défendre.
Quant à Patrick Arapian, avocat curieusement non cité par Libération, et qui a aussi travaillé pour la libération du boucher d’Orly (cf. « Les Arméniens de Géorgie, victimes d’un “plan concerté de discrimination” », France-Aménie, 16 décembre 2008, p. 16), il est l’avocat de la Fédération révolutionnaire arménienne en France depuis les années 1980, ce qui éclaire la soi-disant « condamnation » de l’attentat d’Orly par la FRA en 1983 (dans un contexte où, depuis février 1983, le Parti socialiste français avait savoir à la FRA qu’elle n’aurait plus un seul de ses membres sur les listes PS aux municipales si elle ne prenait pas position contre l’ASALA). Me Arapian s’est entre autres illustré en citant à comparaître le grand historien Bernard Lewis, en 1994, parce que le défunt Lewis avait osé dire cette évidence que la qualification de « génocide arménien » ne repose sur aucune preuve. Patrick Arapian fut débouté. Il fut également débouté dix ans plus tard de son action, au civil, contre l’ex-consul général de Turquie à Paris pour le même motif.
Bref, ce sont, dans une large mesure, les mêmes qui ont défendu les terroristes arméniens (y compris le boucher d’Orly) et qui ont tenté d’imposer, sans aucune base légale, ce que l’historien Pierre Nora a qualifié de terrorisme intellectuel. Leur seul acquis juridique demeure, pour l’instant, la « loi » inconstitutionnelle du 29 janvier 2001, utilisée — avec succès — par les défenseurs du principal responsable de l’attentat d’Orly.

Varoujan Garbidjian est décédé le 29 janvier 2019. Je n’ai pas pu trouver de précision sur ses funérailles, mais les terroristes de l’ASALA sont d’habitude enterrés dans un cimetière spécial, construit par l’État arménien pour les honorer, et où des commémorations glorifiant leurs crimes ont lieu plusieurs fois par an, par exemple en août 2019.

Lire aussi :




[1] « La loi a pour vocation d’exprimer une volonté, de la traduire en normes, et non pas de dresser des constats ou de manifester des vœux, si légitimes et bien intentionnés soient-ils. […] Si l’on n’y prend garde, la loi peut devenir ainsi l’exutoire à toutes les rancœurs légitimes, et on les sait innombrables. Le Parlement se verra sommé, au lieu de définir le légal et l’illégal, de dire le vrai. […] On connaissait déjà les lois de pure circonstance. Voilà que l’on commence à découvrir les lois de pure complaisance. » (Guy Carcassonne, « La loi dénaturée », Le Point, 30 avril 1999, p. 19).

mercredi 22 avril 2020

La nature contre-insurrectionnelle du déplacement forcé d’Arméniens ottomans en 1915




Lettre de l’ambassadeur de Russie à Paris à son ministre, 13 mars 1913, reproduite dans René Marchand (éd.), Un livre noir. Diplomatie d’avant-guerre d’après les documents des archives russes, novembre 1910-juillet 1914, Paris, Librairie du travail, 1923, tome II, p. 47 :
« En cette affaire, les Arméniens [nationalistes] mettent toutes leurs espérances dans la puissante assistance de la Russie et ont la ferme intention de suivre en toutes choses les indications du gouvernement russe. »

Discours prononcé par M. Bérézosvky-Olghinsky (considéré comme un agent provocateur tsariste par l’ambassadeur de France à İstanbul), le 7 avril 1913, à un banquet qui lui a été offert par des jeunes à Arméniens, à Bitlis (Anatolie orientale), Archives du ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, microfilm P 16744 :
« Vous savez bien sans doute que tous nos représentants dans la Turquie travaillent conjointement avec les Tachnakistes [Fédération révolutionnaire arménienne], par exemple à Van, Erzéroum [Erzurum], Bayazid, etc. […]
N’entendez pas les promesses vagues de l’Angleterre, de la France et de l’Allemagne, qui vous font peut-être entendre beaucoup de choses par les missionnaires. La Russie ne veut, et n’a jamais voulu vous envoyer de missionnaires : elle préfère vous envoyer ses canons et ses soldats plutôt que des missionnaires. »




Le vice-consul britannique à Van, Ian Smith, à Sir Louis Mallet, ambassadeur à İstanbul, 10 janvier 1914, reproduit dans Muammer Demirel (éd.), British Documents on Armenians (1896-1918), Ankara, Yeni Türkiye, 2002, pp. 635-636 :
« Comme le sait Votre Excellence, ces trois partis [Fédération révolutionnaire arménienne, Hintchak et Armenakan/Ramkavar] se sont accordés, à Van, il y a six mois, pour mettre un terme à leurs divergences afin de traiter toutes les affaires concernant les intérêts généraux du Millet [de la communauté arménienne]. L’influence du parti Dachnakiste [la Fédération révolutionnaire arménienne], cependant, dépasse largement celle des deux autres, eu égard sa politique plus active et plus extrême. Il est bien organisé, dispose de revenus réguliers et apparemment considérables, qui lui viennent des souscriptions et il a ses agents à travers les villages arméniens du vilayet qui travaillent pour le parti et restent en contact avec le comité central de Van. Durant les dernières années, ce parti s’est activement occupé d’importer secrètement des armes de les distribuer parmi ses adhérents et partisans. Les pistolets Mauser sont leur arme favorite ; ils se cachent et [donc] s’importent facilement et ils peuvent être utilisés comme une carabine, leur tir ayant une portée qui va jusqu’à mille mètres. J’ai vu des Arméniens portant ouvertement ces armes dans le pays ; et bien que je n’aie pas vu de pistolets ou de fusils dans les quelques villages que j’ai eu l’opportunité de visiter, bon nombre de leurs habitants montraient par leur connaissance des différents types d’arme à feu qu’ils s’étaient familiarisés avec eux. À Van, on dit que les Arméniens sont maintenant mieux armés que les Kurdes, et il ne fait aucun doute qu’ils ont obtenu de nombreuses armes modernes, en sus des quelques vieux Martinis que le gouvernement [ottoman] a distribué dans chaque village. »

Carte de la province de Van en 1914. Source : Justin McCarthy, Esat Arslan, Cemaletti Taşkıran et Ömer Turan, The Armenian Rebellion at Van, Salt Lake City, University of Utah Press, 2006, p. 4.

Hovannès Katchaznouni (dirigeant de la Fédération révolutionnaire arménienne jusqu’en 1923, Premier ministre de la République d’Arménie de 1918 à 1919), The Armenian Revolutionary Federation Has Nothing to Do Anymore, New York, Armenian Information Service, 1955, pp. 5-6 (discours prononcé devant le congrès de la Fédération révolutionnaire arménienne à Bucharest, en avril 1923) :
« Alors même que la Turquie n’était pas encore entrée en guerre — bien qu’elle en commençât les préparatifs — des groupes de volontaires arméniens se formèrent [à partir d’août-septembre 1914], avec beaucoup de zèle. Malgré la résolution prise par le comité central à Erzurum, quelques semaines plus tôt [en août], la Fédération révolutionnaire arménienne contribua de façon active à la mise en place de ces groupes, et en particulier à leur armement, contre la Turquie.  […]
À l’automne 1914, des bandes de volontaires arméniens s’organisèrent, et combattirent contre les Turcs, parce qu’ils [ses membres] ne pouvaient pas s’en empêcher. Ce fut le résultat inévitable de la mentalité que le peuple arménien avait lui-même développée pendant toute une génération : cette mentalité avait trouvé son aboutissement et s’exprimait.
Si la formation des bandes fut une erreur, les origines de cette erreur doivent être cherchées beaucoup plus loin dans le passé. À présent, il est important de noter seulement cette évidence que nous [Fédération révolutionnaire arménienne-Dachnaktsoutioune, FRA-Dachnak] avons participé à ce mouvement de volontaires de la façon la plus large, en contradiction avec ce qui avait été décidé lors du congrès du parti. »

« Le nouveau gouverneur de Van », Le Temps, 13 août 1915, p. 2 :
« Les autorités russes du Caucase viennent de prendre une mesure qui aura une heureuse répercussion dans tous les milieux arméniens elles ont nommé au gouvernement du vilayet de Van le chef révolutionnaire bien connu Aram Manoukian. Né à Schouscha, dans 12 Caucase, vers 1877, ce dernier est une des figures les plus originales de ces régions si peu connues. Après des études secondaires dans l'école arménienne, au lieu de prendre le chemin de l'université, Aram prit celui des montagnes de Van, où il devint bientôt chef de bande. Ce fut longtemps la terreur des Turcs, et ses exploits tiennent de la légende. Arrêté enfin, en 1908, avec sa bande, il fut condamné à mort. La potence était déjà dressée; Aram et ses compagnons s'avancèrent fièrement au milieu d'une foule immense, quand l'annonce de la proclamation de la Constitution turque arriva. La population se précipita sur les soldats et leur arracha les condamnés.
Alors. Aram changea de vie et s'adonna à l'enseignement. Professeur à l'école d'Ordou, il devint bientôt directeur des écoles de la région d'Aghtamar, fonda des bibliothèques populaires et des salles de lecture. La guerre vint le surprendre dans ces paisibles occupations il reprit les armes et se mit à la tête des insurgés de Van qui se sont emparés de cette ville. La Russie, en le nommant gouverneur de cette province, a voulu donner satisfaction à l'élément arménien, dont la collaboration fut si précieuse dans la lutte contre les Turcs. »

Gaston Gaillard (journaliste), Les Turcs et l’Europe, Paris, Chapelot, 1920, p. 283 :
« Après la prise de Van, les Arméniens offraient un banquet au général Nicolaïef, commandant en chef de l’armée russe du Caucase, et celui-ci, dans le discours qu’il prononçait à cette occasion, déclarait : “Depuis 1626, les Russes ont toujours travaillé à délivrer l’Arménie, mais les circonstances politiques les ont empêché de réussir. Aujourd’hui que le groupement des nations s’est radicalement modifié, on peut espérer que la libération des Arméniens s’accomplira.” Aram Manoukian, dit Aram Pacha, que le général Nicolaïef nommait peu après gouverneur provisoire de Van, lui répondait : “Lorsqu’il y a un mois nous nous sommes soulevés, nous comptions sur l’arrivée des Russes. Notre position était très périlleuse. Nous devions ou nous rendre ou mourir. Nous avons préféré mourir, mais, à un moment inattendu, vous êtes accouru à notre secours.” (1)
(1) Hayassdan du 6 juillet 1915, n° 25. »

Jean Schlicklin (correspondant du Petit Parisien en Turquie), Angora. L’aube de la Turquie nouvelle, Paris, Berger-Levrault, 1922, p. 143 :
« Ainsi, les Turcs avaient affaire, non seulement à un ennemi extérieur puissant, mais à un ennemi intérieur organisé. Le front ottoman de l'est contre les armées du grand-duc Nicolas était déjà terriblement difficile à tenir. On se souvient qu'en 1897, M. Zinovieff, ambassadeur de Russie à Constantinople, avait signé avec la Sublime Porte un accord aux termes duquel aucune puissance étrangère, sauf la Turquie, n'avait le droit de construire des chemins de fer dans les régions limitrophes du Caucase. Cela équivalait à empêcher la Turquie, du moins pendant de longues années, d'organiser ces régions. »



Communication de l’ambassade de Russie à Paris au ministère des Affaires étrangères, le 23 février 1915, reproduite dans Arthur Beylerian (éd.), Les Grandes Puissances, l’Empire ottoman et les Arméniens dans les archives françaises (1914-1918), Paris, 1983, p. 7 :
« Le commandant en chef de l’armée [russe] du Caucase télégraphie à Petrograd qu’un représentant des Arméniens de Zeïtoun [Süleymaniye], arrivé à l’État-major de l’armée, a déclaré que près de 15 000 Arméniens étaient disposés à attaquer les communications turques, mais qu’ils manquaient de fusils et de munitions. Zeïtoun étant situé sur la ligne des communications de l’armée Erzeroum, il serait extrêmement désirable de faire diriger la quantité nécessaire de fusils et de munitions sur Alexandrette [İskenderun], où les Arméniens prendraient livraison. L’action projetée des Arméniens de Zeïtoun étant dans l’intérêt commun des pays de l’Entente, il serait peut-être possible, étant donné l’urgence de la situation et l’impossibilité d’introduire des armes directement de Russie, d’obtenir de la part des gouvernements français et anglais l’envoi des fusils et cartouches susmentionnés dans le port d’Alexandrette, à bord de transports français ou anglais.
Les ambassadeurs de Russie à Paris et à Londres sont chargés de s’enquérir du sentiment des deux cabinets alliés au sujet des suggestions ci-dessus exposées et M. Isvolsky serait en conséquence vivement obligé à Son Excellence Monsieur Delcassé de vouloir bien lui faire connaître le point de vue du gouvernement de la République à cet égard. »

Comité de la défense nationale arménienne, Note sur une opération militaire en Cilicie, 24 juillet 1915, reproduite dans Jean-Claude Montant (éd.), Documents diplomatiques français. 1915, tome III, 15 septembre – 21 décembre, Berne, Peter Lang, 2004, p. 98 :
« Comme suite à notre note en date du 20 juillet et sur la demande de Son Excellence sir John Maxwell, commandant en chef des forces de Sa Majesté en Égypte, nous avons l’honneur de résumer ci-après le plan d’action du Comité de la défense nationale arménienne.
Cette action se trouve réduite à une petite opération militaire et pourrait donner des résultats satisfaisants, en attendant que la demande de notre président, Son Excellence Boghos Nubar, relative à un débarquement sur les côtes de la Cilicie, puisse être accueillie en temps plus opportun. Qu’il nous soit cependant permis d’ajouter que ce débarquement n’aurait nécessité que l’emploi d’une force de 10 à 12 000 soldats alliés pour assurer : l’occupation d’Alexandrette [İskenderun], Mersine [Mersin] et Adana (avec les défilés), la jonction d’un corps de volontaires arméniens (10 000 environ) ainsi que le concours effectif de toute la population arménienne de cette région ; car dans une pareille éventualité, nous pourrions compter sur l’appui de 25 000 insurgés arméniens de la Cilicie et de 15 000 insurgés qui accourraient des provinces avoisinantes. Cette force considérable, de 50 000 au moins, réussirait à avancer au-delà même des frontières ciliciennes et constituerait certaine un important facteur pour kes Alliés [la Triple-Entente : Russie, Royaume-Uni, France]. Nous croyons faire une simple affirmation, maintes fois constatée, que en disant qu’en Turquie seules les populations arméniennes de l’Arménie [Anatolie orientale] et de la Cilicie [région d’Adana] ont des tendances insurrectionnelles très accentuées contre le régime turc. »

Edward J. Erickson, introduction à Edward J. Erickson (dir.), A Global History of Relocation in Counter-Insurgency Warfare, Londres-New York, Bloomsbury, 2019, pp. 4-5 :
« À l’aube du XXe siècle, les politiques contre-insurrectionnelles fondées sur l’évacuation contrainte et délibérée de populations civiles par des États émergèrent comme des pratiques viables et acceptables dans la guerre occidentale. Trois conflits, en particulier, constituèrent d’importants précédents pour le monde occidental pour la réponse face à des guérillas et des insurgés irréguliers. Ces guerres impliquèrent l’Espagne à Cuba (1895-1898), les États-Unis aux Philippines (1899-1902) [dans les deux cas contre les indépendantistes locaux] et la Grande-Bretagne en Afrique du Sud (1899-1902) [contre la guérilla des Boers, c’est-à-dire les descendants de Néerlandais]. Toutes trois virent évoluer des pratiques similaires, en termes stratégiques, opérationnels et tactiques, par les puissances occidentales. Au niveau stratégique, les puissances cherchaient la destruction des forces d’insurrection et de guérilla pour mettre fin aux soulèvements et, dans le cas des Boers, mettre fin à une guerre conventionnelle qui était entrée dans une phase de guérilla. En termes opérationnels, les puissances avaient pour principal dessein de séparer les guérilleros de leurs principales sources de soutien, c’est-à-dire les populations civiles favorables et ainsi de s’assurer la défaite des forces irrégulières, affaiblies par ce moyen. […] À divers degrés, ces campagnes furent des succès.
La réinstallation comme stratégie et comme approche opérationnelle réapparut sous des formes variées durant les soixante-dix années suivantes. »

Maxime Gauin, « Uneven Repression: The Ottoman State and its Armenians », ibid., p. 123 :
« Le nombre total des insurgés arméniens demeure inconnu à ce jour, mais il peut être estimé à 25 000 à Van, selon l’ambassadeur étasunien Henry Morgenthau qui était loin d’être un ami des Turcs, et qui était encore moins un ennemi des Arméniens. Un dirigeant nationaliste arménien [Aram Turabian], qui était en contact direct avec ses homologues du Caucase, a donné comme estimation 30 000 pour la province de Bitlis. Comme il a déjà été expliqué, il semble y avoir eu 15 000 rebelles à Sivas, 15 000 à Zeytun et 25 000 dans la région de Çukurova. Ces chiffres ne tiennent pas compte des insurgés de Buras, Urfa et d’autres endroits où la population arménienne était forte. Dans ces conditions, et tant qu’une investigation systématique n’est pas menée dans les archives ottomanes et russes, 100 000 rebelles (sans compter les volontaires de l’armée russe) est une estimation prudente. Si ce n’était certainement pas la majorité de la population arménienne ottomane, c’était un chiffre énorme pour une armée qui se battait déjà sur plusieurs fronts. »

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