mercredi 10 avril 2024

Le grand vizir Sait Halim Pacha et les Arméniens

 



« La crise turque — Le nouveau cabinet », Le Temps, 18 juin 1913, p. 2 :

« Le nouveau ministère est officiellement constitué. Il sera constitué comme suit :

Grand vizir : Said Halim Pacha.

[…]

Postes et télégraphes: Oskan [Mardikyan] Effendi (unioniste) [c’est-à-dire membre du Comité Union et progrès, le CUP, appelé à l’étranger « les Jeunes-Turcs »] »

 

Sevilay Kasap, Osmanlı Merkez Bürokrasisinde Gayrimüslimleri İstihdamı (1839-1876), thèse de doctorat, université de Marmara, 2011, p. 51, n. 328 :

« Oskan Mardikyan, né à Erzincan en 1868, est le fils d’Avedis Agha Mardikyan, l’un des commerçants de draperies d’Erzincan. […]

En février 1906, il fut nommé inspecteur des finances de Monastir et de Thessalonique. Oskan Efendi s’est révélé être une personne travailleuse et honnête dans ce poste qu’il a occupé pendant six ans et il a travaillé de village en village en Roumélie.

Il a réussi à éviter de nombreuses irrégularités en se déplaçant et a fait renvoyer de nombreux fonctionnaires qui abusaient de leurs fonctions. En septembre 1909, il fut nommé inspecteur de première classe ; puis, en avril 1912, il reçut la médaille Mecidiye de deuxième classé et fut nommé à Istanbul. Il a occupé ce poste pendant environ un an. Il a été ministre des Postes et Télégraphes dans le cabinet Mahmut Şevket Pacha, formé en janvier 1913. Oskan Efendi, qui faisait également partie du cabinet créé par Saïd Halim Pacha, a participé à la commission chargée de l’accord commercial qui devait être signé avec la Bulgarie en novembre 1913.

Il démissionna en novembre 1914 après l’implication de l’Empire ottoman dans la Première Guerre mondiale. Il n’a été nommé dans aucune fonction publique après cette date. En février 1915, il fut envoyé en Suisse pour six mois avec un congé spécial pour traitement. Le 8 décembre 1915 [Sait Halim Pacha était toujours Grand vizir à ce moment-là], il fut décidé de prolonger la période de congé et de continuer à lui verser son salaire. »

 

Otto Liman von Sanders (chef de la mission militaire allemande dans l’Empire ottoman, de 1913 à 1918), Cinq ans de Turquie, Paris, Payot, 1923 (1re éd., en allemand, 1919) :

« Le plus haut dignitaire de Turquie, le Grand vizir, prince Saïd Halim, joignait aux qualités d’un grand seigneur asiatique celles d’un diplomate moderne. Comme tous les autres ministres, il parlait parfaitement le français et était d’une exquise amabilité. […]

On comprend difficilement pourquoi l’Entente, au commencement de 1919, déporta à Moudros, avec d’autres personnages très haut placés, cet ancien grand dignitaire turc, qui, bien des fois pendant la guerre mondiale, avait couvert de sa protection des sujets ennemis habitant la Turquie. » (p. 13)

« D’ailleurs, les expulsions trouvaient en maints endroits à se justifier, les Arméniens ayant souvent fait cause commune avec les envahisseurs russes ; ils avaient aussi été les instigateurs de bien des actes de cruauté contre la population musulmane.

Il est hors de doute que les expulsions furent accompagnées d’actes terribles et vraiment condamnables. Mais il faut surtout les imputer aux agents subalternes qui, par haine personnelle ou par esprit de lucre, exagérèrent férocement les ordres donnés et travestirent les intentions des gouvernants. » (p. 185).

 

Johannes Lepsius (théologien allemand, turcophobe et antisémite, cofondateur en 1914 de l’Association Allemagne-Arménie, aux côtés du futur nazi Paul Rohrbach), Le Rapport secret de Dr Johannès Lepsius sur les massacres d’Arménie, Paris, Payot, 1918 :   

« La Porte avait alors si peu à reprocher à l’œuvre de Nubar Pacha [dirigeant du parti nationaliste arménien Ramkavar, qui était en réalité déjà dangereux, en raison de son ralliement à la Russie, mais jugé par le gouvernement ottoman comme le plus facile à retourner parmi les organisations de ce genre, en raison de sa sociologie très bourgeoise, identique à celle des élites arméniennes loyalistes] qu’elle le fit sonder pour savoir s’il accepterait lui-même l’office d’inspecteur Général dans les provinces orientales de l’Anatolie et que même le grand vizir Saïd Halim pacha lui offrit un poste de Ministre. » (p. 254)

« Le Grand-Vizir Said Halim pacha, le Président de la Chambre Halil bey et le Cheikh Ul-Islam étaient contraires à la déportation. » (p. 261)

Remarque : l’exécration des musulmans étant plus forte chez Lepsius que l’arménophilie, cette concession à la vérité sur Sait Halim (le plus religieux des dirigeants du CUP) et le cheikh-ül-islam (le plus haut dignitaire religieux de l’Empire) ne peut s’expliquer que par le poids exceptionnel des témoignages allemands en leur faveur, allié à la nécessité de se ménager un minimum de crédibilité. Rappelons que Lepsius s’exile aux Pays-Bas durant la Première Guerre mondiale, pour échapper à la police… allemande, en raison de ses liens avec la propagande britannique et son activisme contre un allié.  

 

Bilâl Şimşir, Les Déportés de Malte et les allégations arméniennes, Ankara, 1998, pp. 35-36 :

« Le 31 mars 1921, Lord Curzon [ministre britannique des Affaires étrangères] télégraphia à Sir A. Geddes, ambassadeur aritannique à Washington, la dépêche suivante:

Il y a dans les mains du gouvernement de la Couronne à Malte, un nombre de Turcs [dont Sait Halim Pacha] arrêtés pour complicité présumée dans les massacres arméniens.

Il y a d’énormes difficultés à établir des preuves de culpabilité...

Je vous prie de vous assurer si le gouvernement des États-Unis est en possession d’aucune preuve qui pourrait s’avérer utile au sujet de l’accusation.(82)

Aucune réponse n’est arrivée de Washington pendant environ deux mois, et à la même époque, le Procureur Général refusa de mener toute action contre les déportés Turcs de Malte. En désespoir de cause, Lord Curzon rappela Washington le 27 mai: “Nous vous saurions gré de savoir s’il y a une probabilité que la preuve soit recevable”, dit-il.(83)

En réponse a ce télégramme, le Foreign Office achemina à Washington une liste de noms et de brèves précisions sur 45 déportes turcs "qui étaient détenus à Malte en vue d’un procès en relation avec les atrocités qu’ils avaient perpétrées sur des Arméniens et autres Chrétiens" et demanda à nouveau à Sir A. Geddes "de s’assurer au plus tôt si le gouvernement des États-Unis était en mesure de fournir des preuves contre ces personnes."(85)

Le 13 juillet 1921 l’Ambassade Britannique de Washington envoya la réponse suivante :

"J’ai l’honneur d’informer Votre Seigneurie qu’un membre de mon personnel a rendu visite au Département d’Etat hier, le 12 courant, en ce qui concerne les Turcs qui sont pour le moment détenus a Malte en vue d’un procès... II a été autorisé à consulter une série de rapports établis par les consuls des États-Unis au sujet des atrocités commises en Arménie pendant la dernière guerre. Les rapports jugés par le Département d’Etat comme étant les plus utiles sur le sujet pour le gouvernement de Sa Majeste ont été choisis parmi plusieurs centaines.

J’ai le regret d’informer Votre Seigneurie qu’il n’y a rien là-dedans qui puisse être utilisé comme preuve contre les Turcs qui sont détenus dans l’attente d’un procès à Malte. Les rapports consultés... ne font mention que de 2 noms de fonctionnaires Turcs — ceux de Sabit Bey et de Suleiman Faik Pasha — qui dans ce cas précis étaient détenus pour des opinions personnelles d’après le rédacteur et aucun fait concret mentionné ne saurait constituer une preuve d’incrimination suffisante.

J’ai l’honneur d’ajouter que les fonctionnaires du Département d’État ont exprimé le vœu, au cours de la conversation, qu’aucune information fournie par leur service et en relation avec cette affaire ne soit utilisée devant un tribunal.

Respectueux de cet accord et du fait que ces rapports en possession du Département d’État ne doivent apparaitre en aucun cas comme contenant des preuves contre ces Turcs, même au sujet d’information déjà en possession du gouvernement de la Couronne, j’ai peur qu’il ne serve à rien d’adresser des requêtes supplémentaires au gouvernement des États-Unis, à ce sujet."(86)

_____________

(82) P.R.O. -F.O. 371/6500/E. 3552: Curzon to Geddes, Tel. No. 176 of 31.3.1921.

(83) P.R.O. -F.O. 371/6500/E. 5845: Curzon to Geddes, Tel. No. 314 of 27.5.1921.

(84) P.R.O. -F.O. 371/6500/E. 6311: Geddes to Curzon, Tel. No. 374 of 2.6.1921.

(85) P.R.O. -F.O. 371/6500/E. 6311: Foreign Office to Geddes, No. 775 of 16.6.1921.

(86) P.R.O. -F.O. 371/6504/E. 8515: Craigie, British Charge d’Affaires at Washington, to Lord Curzon, No. 722 of July 13, 1921. » (pp. 35-36)

« Un des déportés de Malte, l’ancien Grand Vizir le prince Said Halim Pasha, après avoir été libéré du camp de détention, partit pour Rome. Là, il fut assassine par un terroriste arménien nomme Arshavir Shiragian, le 6 décembre 1921. » (p. 45)

 

Lire aussi, sur la Première Guerre mondiale :

Le caractère mûrement prémédité de la révolte arménienne de Van (avril 1915)

La nature contre-insurrectionnelle du déplacement forcé d’Arméniens ottomans en 1915

Turcs, Arméniens : les violences et souffrances de guerre vues par des Français

Les massacres de musulmans et de juifs anatoliens par les nationalistes arméniens (1914-1918)

Hamit (Kapancı) Bey et les Arméniens

L’Empire ottoman tardif et ses catholiques (y compris les Arméniens catholiques)

 

Sur les Arméniens membres ou sympathisants du CUP :

L’assassinat du maire de Van Bedros Kapamaciyan par la Fédération révolutionnaire arménienne (1912)

Artin Boşgezenyan : un Jeune-Turc à la Chambre des députés ottomane

Zareh Dilber Efendi : conseiller d’État sous Abdülhamit II, sénateur jeune-turc et admirateur de Pierre Loti

Le rôle des Arméniens loyalistes dans l’Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale

Le rôle du député jeune-turc Dikran Barsamian dans la reconstitution du Comité Union et progrès, fin 1918


Sur l’opération Némésis :

Le terrorisme interarménien pendant l’entre-deux-guerres

L’assassin et menteur Soghomon Tehlirian : un modèle récurrent pour le terrorisme arménien contemporain

Misak Torlakian : du terrorisme de Némésis au renseignement du Troisième Reich

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