« Le
Proche-Orient et le pétrole », Bulletin
de la Société française des ingénieurs coloniaux, n° 79, 1er
trimestre 1923, pp. 117-130 :
« Le Proche Orient a pour nous une importance majeure, et c’est
pourquoi nous jugeons utile de donner connaissance à nos collègues du récit
vécu que nous envoie l’un des nôtres, M. Camille Toureille-bey, de la prise de
Smyrne par Mustapha Kenial et de l’incendie de la ville par les Grecs et les
Arméniens.
“Depuis le 19 août., l’offensive de Mustapha Kemal s’est déclenchée et s’est
étendue progressivement.
Fidèles à leurs habitudes de dissimulation et de mensonges, les Grecs ont tout d’abord caché ces
attaques, puis ont travesti en victoires partielles leurs défaites successives,
dans leurs communiqués aux Smyrniotes.
Les nouvelles les plus proches de la vérité arrivaient rares et laconiques
par les journaux d’Europe.
La censure sévissait plus que jamais.
Le 27 août, le public apprit, à Smyrne, par des employés du chemin de fer,
que les Turcs avaient capturé deux trains de munitions, de vivres et de renforts
grecs, et que réellement la débâcle commençait.
Les officiers grecs ont prudemment lâché pied les premiers. Les soldats,
laissés sans vivres et sans direction, ont commencé à fuir vers Smyrne. Mais,
fidèles aux leçons allemandes, ils n’ont pas, en reculant, manqué d’incendier
tous les villages, après les avoir pillés, ainsi que toutes les fermes et les
maisons isolées, après avoir volé tout ce qu’ils ont pu emporter [au moins dans le cas de villes telles qu’Eskişehir
et Aydın, l’incendie a été méthodiquement organisé par le
commandement grec].
Tout a été saccagé, quel qu’en fût le propriétaire, Grec, Turc, ou autre,
puis incendié. Dans les habitations
turques, les habitants ont été, autant que les fuyards l’ont pu, brûlés vifs,
sans miséricorde, hommes, femmes, enfants. Ils ont incendié de même les
importantes et célèbres fabriques de tapis d’Ouchak.
Le produit de leurs vols chargé sur leurs épaules ou sur des animaux également
volés, ils l’offraient à vil prix en arrivant aux abords de Smyrne, notamment à
Cordélio, banlieue de la ville, à 15 kilomètres par le tour du golfe, ou à 4
kilomètres à vol d’oiseau. Ils apportaient ainsi tapis, couvertures, vêtements,
linge, chaussures, volailles, moutons, chèvres, ânes, mulets, chevaux.
En cours de route, ils avaient détruit les splendides récoltes de raisin et
de figues, richesse de Smyrne. Ils se vantaient d’avoir détruit tout ce qu’ils
n’avaient pu emporter.
Souvent, enfin, ils abandonnaient leurs vols sur les roules, et jetaient, en
même temps leurs munitions, dont une grande quantité fut retrouvée dans les
jardins et les rues de Cordélio. Ils vendaient leurs armes quand ils trouvaient
acheteurs, moyennant une livre lurque, 7 fr. 70 environ.
Les 4 et 5 septembre, des aéroplanes turcs, survolant les lignes grecques
et les bandes de fuyards, jetaient de petits papiers exhortant les Grecs à se
retirer sans rien détruire, et surtout sans rien incendier, et, à respecter la
propriété privée, grecque aussi bien que turque.
Les fuyards qui passaient à Cordélio racontaient que leurs officiers, avant
de fuir, leur avaient dit que, parmi les troupes turques, se trouvaient des
soldats français, italiens, anglais, et, beaucoup de bolcheviks [affirmations qui relèvent du mensonge, pour
ne pas dire de la mythomanie].
C’est alors qu’ils se sont enfuis également, en conspuant leur pays et leur
fameux roi Constantin, et en acclamant Lénine et Trotsky.
La population de Cordélio, premier point de contact avec les fuyards et les
déserteurs grecs, et comptant beaucoup de Grecs, a demandé, dès le 4 septembre,
aide et protection à la police grecque. Celle-ci a été renforcée. Mais de nombreux vols et viols ont été commis
par la soldatesque, ce qui fait juger de ce qu’ont pu faire les Grecs en Anatolie,
avant d’incendier les habitations.
Cette protection n’a pas duré plus de vingt-quatre heures, car, le 6
septembre, la police de Cordélio a été rappelée à Smyrne, de même que celle de
toutes les banlieues, nord et sud, de la ville.
Le 6 septembre, dans la soirée, et jusqu’au 7 septembre après-midi, les
Grecs ont embarqué les hommes qu’ils ont pu réunir, les canons qu’ils avaient pu
ramener, puis tout le personnel civil et militaire du port, de la douane, de la
ville et du port. Les bateaux de guerre grecs Lemnos et Kilkis ont
alors quitté le port de Smyrne, ainsi que les autres bateaux grecs moins
importants, et se sont retirés, près de File de Chio, en pleine mer, hors du
golfe de Smyrne.
Ils ont procédé à celle fuite en secret, laissant la ville sans police et sans
administration.
Le 8 septembre, ce fut une ruée de toute la population grecque et
arménienne et,’ de toute la lie de la ville, vers les dépôts d’approvisionnements
de l’armée grecque, sis dans le quartier de la ‘Punta’, au nord de la ville, près
de la gare du chemin de fer d’Aïdin. Les fuyards grecs pillèrent aussi, suivant,
leur constante habitude, et les wagons de marchandises, remplis de bagages de
réfugiés grecs d’Anatolie, à la gare voisine, n’échappèrent pas à cette curée.
Le même jour, les mêmes individus pillèrent les magasins du quartier commerçant
nord de Smyrne, entre l’église grecque de Sainte-Fotini et le Bazar, véritable
ville composée de magasins et de dépôts comme il n’en existe qu’en Orient, et
qui renfermaient des marchandises d’une valeur de plusieurs centaines de
millions de francs.
Les consuls, en présence de la défection grecque, firent, le 8 septembre,
débarquer des bateaux de guerre des détachements ‘de marins. Les Anglais gardèrent
leur consulat, la poste et les quais ; les Français, leur consulat, les banques
françaises, la poste, le palais de l’Alliance française et les églises
françaises ; les Italiens prirent, soin de leur consulat et des églises
italiennes, des écoles et de la poste.
Depuis le 4 septembre, de foutes les villes, de tous les villages, de toutes
les fermes, des habitations isolées, situées entre le golfe de Smyrne et le
front de bataille, les populations, craignant à juste titre les exactions des
troupes grecques en fuite, ainsi qu’elles l’avaient déjà fait en 1917, en 1919,
1920 et
1921, s’étaient enfuies, les unes, durant le jour, emportant ce qu’elles
pouvaient, les autres, surprises en pleine nuit, à moitié vêtues, souvent pieds
nus et les mains vides.
Ce furent d’abord des Turcs et des Grecs qui, craignant les fuyards Grecs, envahirent
les trains venant à Smyrne, des différentes stations de la ligne Smyme-Kassaba
et prolongements, d’Ouchak, où 2 000
maisons et les fabriques de tapis furent détruites, d’Afioum-Kara-Issar, d’Eskicheir,
de Magnésia, etc.
[…]
Il faut dire que, lors
de l’invasion grecque en Anatolie, l’armée grecque, se faisant consciemment
l’exécutrice des basses vengeances de la colonie grecque de Smyrne et de sa
banlieue, assassina froidement tous les Turcs qui lui étaient signalés comme
hostiles à cette invasion, facilitée par la faiblesse des gouvernements alliés
à l’égard de la politique dangereuse et incompréhensible de l’Angleterre.
Il y eut aussi à Smyrne quelques soulèvements turcs, férocement réprimés
par les Grecs.
De tout cela, les Turcs avaient gardé le souvenir, et connaissaient les
auteurs responsables de ces boucheries sauvages. Ceux-ci savaient qu’ils
devraient personnellement payer, si les Turcs reprenaient Smyrne.
Aussi, dès le mois de juin [1922], le Comité micrasiatique, composé
de Grecs et d’Arméniens, et beaucoup de propriétaires grecs et
arméniens, ne cachaient pas leur décision formelle et irrévocable d’incendier
chacun sa maison, quels qu’en fussent les occupants, si la Grèce devait, d’une
façon quelconque, évacuer Smyrne et la région, et renoncer à la souveraineté de
la riche province d’Anatolie. C’était un fait connu.
Les propriétaires grecs consciencieux devaient préalablement dénoncer leurs
contrats d’assurance, afin de n’être pas accusés d’avoir mis le feu à leurs
maisons pour en tirer profit, ainsi que le faisaient communément les
commerçants grecs à chaque instant, et de tout temps, à Smyrne.
L’armée grecque avait
commencé l’exécution de ce terrible programme en incendiant villes, villages,
fermes et récoltes pendant sa déroute.
Dès le 7 septembre, de nombreux habitants de Smyrne, constatant que la
ville, depuis le départ des autorités hellènes, était livrée aux pillards,
voleurs, violeurs incendiaires grecs, prirent peur pour eux-mêmes, et se
réfugièrent dans les locaux mis à leur disposition par les autorités consulaires
françaises et italiennes, ou dans les couvents et les églises.
Beaucoup demandèrent asile aux bateaux et aux paquebots qui se trouvaient
dans le golfe, tels que la Sardegna et des bateaux japonais et hollandais.
Le samedi 9 septembre, à midi, les premières troupes kémalistes arrivèrent
à Smyrne et défilèrent sur les quais.
Vers 11 heures et demie, u. fort groupe de Turcs, venant de leur quartier,
sis au sud de la ville, et qui est construit en amphithéâtre sur la montagne
dominant Smyrne, descendit sur les quais, drapeaux turcs en tête, et se dirigea
vers le nord de la ville, par où devaient venir les troupes kémalistes. Cette
manifestation toute pacifique terrifia les nombreux réfugiés grecs qui
occupaient les quais sur le bord de la mer. Des chalands, remorqués par des
chaloupes de l’escadre anglaise, vinrent les prendre et les conduisirent le
long du quai du port qui ferme celui-ci en face de la ville, à l’ouest et du
côté opposé à celle-ci.
Les pauvres gens abandonnèrent tous leurs biens pour sauver leur vie, qu’ils
croyaient, bien à tort, en péril.
Dans les rues parallèles et perpendiculaires aux quais, les magasins grecs,
très nombreux, fermèrent rapidement leurs portes ; les soldats grecs rencontrés
furent sommés par les passants de jeter leurs armes, et même de les briser.
Quelques-uns, qui s’y refusaient, furent quelque peu houspillés par les civils,
et s’empressèrent d’obéir lorsqu’ils apprirent que les kémalistes arrivaient,
afin de ne pas être pris pour des combattants.
Les troupes, en effet,
entrèrent et défilèrent sur les quais, se rendant au konak. Leur attitude était
des plus pacifiques.
En tête, deux cents soldats sans armes poussaient, devant eux six moutons,
puis venait un détachement de cavalerie commandé par un officier supérieur. Il
était suivi d’un fort groupe de soldats grecs prisonniers, et terminé par une
batterie d’artillerie. Derrière venaient, on ne sait pourquoi ni dans quel but,
six policemen anglais, fameux protecteurs des minorités chrétiennes.
Pendant cette pacifique prise de possession, un énergumène arménien lança
sur les troupes une grenade à main ou une bombe, qui ne fit aucun mal. La
population jeta l’homme à l’eau, et la peur de représailles de la part des
vainqueurs augmenta, sur les quais, la panique qui faisait fuir les réfugiés
sur les chalands.
Cet acte stupide fut simplement méprisé par la troupe kémaliste, mais il
fut répété près du konak. Ce n’est qu’un peu plus tard que des coups de feu
furent entendus du côté du konak, et l’on expliqua que des Arméniens, cachés derrière des dépôts de bois du Nord entassés sur
les quais, avaient tiré ou lancé des bombes, et blessé des soldats kémalistes.
A ce moment, ceux-ci ripostèrent et se défendirent.
Les Arméniens se
renfermèrent chez eux, et dans leur église patriarcale, où ils avaient entassé
toutes sortes d’armes, des grenades et des bombes incendiaires.
[…]
Les autorités kémalistes procédèrent à de nombreuses arrestations de personnes
signalées comme dangereuses pour la sécurité des Turcs civils et des troupes d’occupation,
et aussi dénoncées comme ayant servi d’indicateurs aux Grecs, lors de leur
invasion armée de 1917 [1919].
A partir du 11 septembre après midi, et jusqu’au 13 septembre à 8 heures du
matin, les communications terrestres et maritimes furent interdites entre
Cordélio et Smyrne, pour empêcher la fuite des suspects que les. Turcs
recherchaient; tout mouvement d’entrée et de sortie des bateaux de commerce
dans le port fut également défendu.
[…]
À l’approche des Turcs, les Grecs pillards avaient fui de Cordélio, comme
de Smyrne ; mais, dès le vendredi 8 sepLembrc, ceux-ci furent remplacés par une bande de brigands, de ‘Turcom’ [très probablement le « général »
Torcom, membre de la Fédération révolutionnaire arménienne], composée d’Arméniens, de Grecs et de racaille sans nationalité
bien définie, mais d’origine levantine. Cette bande partit du village turc
Choukouyou, à l’ouest de Cordélio, et dévalisa les habitations longeant la voie
ferrée entre Choukouyou et Pétrota, dans la direction de Smyrne, et, malmena
les habitants. Mais la police civile turque tua les deux principaux chefs, tous
deux Arméniens, un ou deux Grecs, et mit le reste de la bande en fuite.
Il est à remarquer qu’à Smyrne on trouva constamment des Arméniens mêlés
aux Grecs toutes les fois que des actes de brigandage furent commis à la faveur
des troubles, et chaque fois qu’il était possible de faire du mal aux Turcs. D’où
des répressions parfaitement justifiées de la part des troupes kémalistes.
[…]
Le samedi 9 septembre, les troupes turques arrivèrent à Cordélio, où elles
campèrent à l’ouest de la ville. Il en défila pendant plusieurs jours. Il est à
noter que, presque chaque fois qu’un officier supérieur turc passait devant la
maison de l’auteur de ces lignes, qui avait arboré un drapeau français, cet
officier saluait militairement le drapeau.
[…]
Dans la soirée des 11 et 12 septembre, les Grecs, fidèles à leur moi d’ordre,
pillèrent et incendièrent les villages de Bournaba, de Boudja et de Couldoudja,
autour de Smyrne, et aussi quelques magasins de Haïrakii.
Justement ému de ces vols et incendies, le 11 septembre encore, l’auteur de
ces lignes alla trouver le commandant adjoint de la police turque, auquel il
demandait protection pour sa maison, déclarant qu’il n’était pas belligérant,
qu’il possédait le titre de bey, était décoré des ordres turcs, et qu’enfin il
était Français.
Le commandant se leva à cette dernière déclaration et salua militairement,
disant que cette qualité suffisait pour que la maison fût protégée ; elle le
fut, en effet, efficacement.
Les 11 et 12 septembre, à Smyrne, tous les magasins restèrent fermés. Il fut
impossible d’obtenir la moindre nourriture : épiceries, boulangeries,
restaurants, tout était clos. Partout les réfugiés affluaient dans les endroits
qui leur étaient assignés. Les bateaux non militaires, italiens, japonais,
hollandais, ancrés dans le port, donnaient asile à leurs nationaux. Les quais
de Smyrne étaient fort sales, jonchés de débris de fusils. de literie, de
malles éventrées, de linge, etc.
Le soir de ces deux jours, comme les soirs précédents, la population de
Smyrne et de Cordélio a pu, au milieu de sa détresse, des misères qui s’augmentaient
de la terreur d’un avenir incertain, entendre que l’amiral anglais, dont le
vaisseau était ancré entre ces deux villes, du côté de la Pointe, dînait au son
des airs les plus brillants de la musique du bord. Sur les rives, on volait et on violait ; les Grecs incendiaient.
C’est ainsi que l’Angleterre protège les minorités chrétiennes et prend sa
part de leurs tristesses et de leurs souffrances.
On signalait de nombreux actes de provocation de la part des Arméniens à l’égard
des Turcs. Ils s’étaient réfugiés en grand nombre dans leur église patriarcale,
vaste édifice situé au milieu d’une grande cour entourée de hauts murs. Ils y
avaient entassé des munitions de toutes sortes, des bombes incendiaires et des
grenades à main. Ils refusaient de sortir, de se disperser, de rentrer
paisiblement chez eux ; les exhortations des consuls alliés ne purent rien sur
eux. Les Arméniens n’écoutent que leur clergé, ignorant, fanatique et stupide,
qui les conduit toujours à la révolte imbécile et, par là, à la mort.
Les Turcs avaient cerné l’église et une partie du quartier arménien ; ils
ne voulaient pas d’effusion de sang, mais ils voulaient assurer leur propre
sécurité. Les Arméniens leur jetaient des grenades à main pardessus les murs,
en réponse aux sommations qui leur étaient faites. Les Turcs reculaient devant
l’action énergique qui s’imposait, en présence de cette rébellion armée, parce
que, le vent régnant à Smyrne étant presque toujours nord ou nord-nord-ouest,
ils risquaient d’atteindre le quartier turc, situé au sud-sud-est, derrière le
quartier arménien.
[…]
A 14 heures et demie, de Cordélio on vit un incendie se déclarer à Smyrne,
dans le quartier grec. A 15 heures, il y avait trois foyers très importants,
assez distants les uns des autres, mais sur une même ligne. A 15 heures et
demie, un quatrième incendie éclata, très intense, tout à fait au sud de la
ville, au centre du quartier arménien, au pied du quartier turc.
Les Grecs et les Arméniens
exécutaient fidèlement leur consigne de brûler leurs maisons avant de se
retirer.
[…]
Les incendiaires avaient bien calculé leurs opérations. En commençant à
allumer les feux vers 14 et 15 heures, l’incendie devait avoir acquis une certaine
importance à 16 heures, moment où l’‘imbatte’ se produit à Smyrne, c’est-à-dire
moment où le vent nord ou nord-nord-ouest commence à souffler. La force du veut
s’accroît souvent jusqu’à 20 heures, puis elle tombe durant une heure, et s’élève
ensuite en tempête.
De toute façon, ce vent devait souffler en temps utile pour porter le feu
dans le quartier turc, qui s’étage, sur la montagne, en amphithéâtre, au
sud-sud-est de la ville, précisément au-dessus des quartiers grecs et
arméniens. De cette façon, les Grecs, obligés d’évacuer la ville, et les Arméniens,
qui se croyaient également dans le même cas, réalisaient leur terrible projet,
mais, par surcroît, ruinaient les Turcs en détruisant leur riche et populeux
quartier.
Mais, terrible expiation, le
vent, ce soir-là, a soufflé plein sud, et, s’élevant peu à peu, il a, de 20 à
22 heures, augmenté d’intensité ; il soufflait en tempête à partir de 22
heures.
Ce fait ne se produit pas
dix fois par an à Smyrne, et les incendiaires ne pouvaient penser que l’exception
se produirait précisément ce soir-là.
Il en est résulté que les richesses incalculables des Grecs et des Arméniens,
dans toute la ville, où ils possédaient la presque totalité des dépôts et des
magasins, ont été anéanties.
Mais, ce qui est infiniment plus triste encore que cette punition des vils
incendiaires, c’est que tous les Européens ont été ainsi victimes de ces
criminels.
À partir de 15 heures et demie on
entendit des explosions provenant du quartier arménien, puis du quartier grec.
La raison en est que, chez les uns et les autres, il se trouvait des bombes
incendiaires, puis, à mesure que le feu gagnait les quartiers européens,
les réserves de pétrole que chacun avait faites, en vue de l’hiver prochain,
explosaient à leur tour.
A 17 heures, l’incendie s’étendit et augmenta d’intensité, attisé par le
fort vent du sud. A 18 h 30, il y avait quatre immenses foyers d’incendie. On
entendait de Cordélio les cris que poussaient les Smyrniotes qui fuyaient vers
les quais. De fortes détonations étaient également entendues à mesure que le
feu s’étendait. A 20 heures, les quatre brasiers n’en formaient plus qu’un
seul, de plus d’un kilomètre de développement, et qui paraissait très profond.
A 21 h 30, l’incendie, après des alternatives d’affaissements et de reprises,
paraissait, à la suite d’effondrements d’édifices, diminuer d’int,ensit,é, et
deux foyers principaux continuaient seuls à brûler intensément. A 22 heures, il
se produisit une reprise soudaine du feu ; le vent, qui soufflait du sud au
nord, augmenta de violence. On sentit que la ville était perdue.
[…]
Nous apprîmes ce jour-là, à bord de l’Edgar-Quinet,
que le feu avait fait son apparition au quartier grec de Smyrne, dans une
maison paraissant inhabitée ; un notable franc s’était mis à la tête des
sapeurs-pompiers turcs de la ville, mais à peine le feu était-il attaqué que
quatre ou cinq maisons plus loin, dans la même rue, une autre prenait feu sans
cause apparente ; lorsqu’on voulut s’élancer vers cette maison c’est une troisième
située près de la première qui prenait feu à son tour. C’était à renoncer d’y
porter remède, en présence de semblable spontanéité apparente, et c’est ce qu’on
fut obligé de faire.
La seule explication plausible est que des foyers avaient été préparés et
munis de mèches. Il n’y avait alors personne dans la rue dont il s’agit. Il
paraît en avoir été de même au quartier arménien ; c’est de là qu’ont été
entendues les premières explosions. »
Lire aussi :
L’amiral
Charles Dumesnil et Raymond Poincaré sur les causes de l’incendie d’İzmir («
Smyrne »)
L’évolution
d’Émile Wetterlé sur la question arménienne et les Turcs
La
grécophilie, l’arménophilie et l’antijudéomaçonnisme fort peu désintéressés de
Michel Paillarès
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