Henri Nahum, « Portrait
d’une famille juive de Smyrne vers 1900 », dans Paul Dumont et François
Georgeon (dir.), Vivre dans l’Empire
ottoman : Sociabilités et relations intercommunautaires (XVIIIe-XXe siècles),
Paris, L’Harmattan, 1997, p. 166-167 :
« Périodiquement, aux alentours de
la Pâque juive, la communauté juive est accusée d’avoir assassiné un enfant
chrétien pour mêler son sang au pain azyme. Des émeutiers grecs et arméniens
font irruption dans le quartier juif, molestent les passants, cassent les
devantures des magasins, pillent les marchandises. On a beau retrouver
quelques jours plus tard l’enfant disparu qui en général a fait une fugue, rien
n’y fait : la calomnie de meurtre rituel renaît l’année suivante. À Smyrne, il
y a eu des incidents analogues en 1888, 1890, 1896. Quelques mois après la
photographie qui fait l’objet de cet article, en mars 1901, un jeune Grec
disparaît. La foule envahit le quartier juif, conspue l’archevêque orthodoxe
qui essaye de calmer les émeutiers, monte au clocher de l’église et sonne le
tocsin. Le vali (gouverneur) rétablit le calme et ordonne un procès. On
retrouve le jeune garçon disparu qui était allé passer quelques jours à
Tchechmé chez des amis. »
« VI. Fausses
accusations », Bulletin de l’Alliance
israélite universelle, 1887, pp. 41-42 :
« 1. Un journal de Constantinople, le Stamboul, dans son numéro du 4 avril, prétendait que deux Juifs s’étaient
emparés, dans cette ville, d’une jeune fille arménienne, âgée d’environ huit
ans, et l’avaient mise dans un sac pour la tuer. Interrogés par deux passants
au sujet du contenu de leur sac, les deux Juifs se seraient sauvés en abandonnant
leur charge, les passants auraient alors ouvert le sac et trouvé l’enfant à
demi asphyxiée. Un des deux Juifs aurait été arrêté et l’autre serait parvenu à
s’échapper. Cette histoire émut la
population chrétienne, plusieurs colporteurs juifs furent maltraités dans
divers quartiers de Constantinople. Sur la prière du grand rabbin, une
enquête fut immédiatement ordonnée par S[on]
A[ltesse] le grand vizir. Elle prouva
qu’il n’y avait pas un mot de vrai dans toute cette histoire, si ce n’est l’arrestation
du Juif et les faits de violences contre les Israélites. Le colporteur juif, qui se nommait Semaria, fut immédiatement remis en
liberté et le procureur général de Stamboul fit publier dans les journaux
turcs du 26 avril le communiqué suivant :
“L’homme qui aurait sauvé la petite fille de Semaria et de son complice n’a
pu être découvert, bien qu’étant
arménien, d’après les affirmations de l’enfant, il ait eu intérêt à se
présenter pour témoigner de la véracité des déclarations de la petite victime,
qui est arménienne comme lui. Or, ce sauveur inconnu n’ayant pas donné signe de
vie, il est certain que la petite fille
a récité une fable qu’on lui a peut-être racontée jadis pour la divertir ou
pour hâter son sommeil.
Enfin, l’autre Juif, qu’on avait dit être le complice de Semaria, n’a pu
être non plus découvert. Par ces motifs, la mise en liberté de Semaria est
confirmée.”
Le bruit d’une autre disparition d’enfant a été répandu à Constantinople le
10 avril, dans le quartier de Yéni Mahalle-Haskeuy [Hasköy, où les Juifs et les Arméniens étaient nombreux à l’époque] ;
naturellement, les Juifs étaient encore les coupables. Mais la police retrouva
bien vite l’enfant, qui se promenait à Stamboul. »
L’accusation de « crime rituel » a été abondamment reprise, à
partir des années 1920, par le journal nazi Der
Stürmer et ce fut l’unique accusation antisémite que son directeur, Julius
Streicher, osa maintenir au procès de Nuremberg, ce qui provoqua d’ailleurs une
altercation publique avec son propre avocat. Elle n’était d’ailleurs pas le
seul prétexte invoqué par des antisémites arméniens et grecs, à la fin de l’époque
ottomane, afin de s’en prendre aux Juifs.
« IV. Israélites de
Turquie », Bulletin de l’Alliance
israélite universelle, 2e semestre 1884-1er semestre 1885, pp. 24-25 :
« Voici un autre incident qui prouve avec quelle facilité la
population grecque porte contre les israélites, sans preuve aucune, les
accusations les plus odieuses :
Samedi matin, 18 avril, un épicier grec nommé Stépan, établi dans le
quartier de Haïdar Pacha, où demeurent une centaine de familles juives, trouva
sur le seuil de sa boutique une croix couverte d’ordures. Il fit part de sa
découverte à ses voisins, la nouvelle se répandit très rapidement et il se
forma bientôt un grand rassemblement. Des menaces et des imprécations furent
proférées contre les juifs, qu’on accusa d’avoir commis ce sacrilège. Des
injures on passa bientôt aux faits, et la foule ameutée brisa les vitres de
quelques maisons juives.
La police, avertie, courut sur les lieux ; elle fut impuissante à
lutter contre les émeutiers. Une délégation de la communauté [juive] se rendit à Scutari, dont relève
Haïdar Pacha, pour demander des renforts ; d’autres coururent chez le
grand rabbin, à Couscoundjouk, pour l’informer de ce qui se passait.
Dans cet intervalle, on découvrit les vrais coupables. C’étaient deux
gendarmes musulmans d’un corps de garde voisin de l’épicerie de Stépan, qui, s’étant
pris de querelle avec l’épicier quelques jours auparavant, lui avaient joué
cette farce singulière ; on les jeta immédiatement en prison.
Mais l’agitation ne se calma
pas. Le gouverneur de Scutari, fit chercher des soldats. Les éphories des
églises grecques et arméniennes cherchèrent de leur côté à apaiser les
esprits [ce qui signifie qu’il y avait
des Arméniens parmi les briseurs de vitres]. Les Grecs continuèrent à injurier les Juifs et
lancèrent contre les passants et les maisons israélites une grêle de pierres.
Pendant toute la soirée du samedi, les fenêtres d’un grand nombre de maisons
juives furent brisées. Le lendemain, dimanche, la situation devint plus grave.
Une foule de gens sans aveu accoururent des quartiers voisins, les désordres
augmentèrent et un grand nombre de familles juives, accompagnées de quelques
notables grecs et escortées d’un piquet de soldats, quittèrent le village et s’embarquèrent
à bord d’un bateau que la police avait mis à leur disposition. Ils se rendirent
à Haskeuy et à Balata, où ils passèrent la nuit.
Dimanche soir, M. Barouch Cohen, membre du comité régional de l’Alliance [israélite universelle], s’est
rendu auprès de S[on] E[xcellence] Osman Pacha, ministre de la
Guerre, qui a promis de prendre les mesures nécessaires pour éviter tout
nouveau conflit. MM. Agiman, Félix Bloch et Fernandez Diaz, autres membres du
comité, ont également fait des démarches auprès des autorités turques et du
Patriarche [orthodoxe], pour empêcher
le renouvellement de scènes pareilles.
La police et les autorités
ont pris des mesures énergiques contre les émeutiers, une centaine d’arrestations
ont été faites, et cette intervention vigoureuse a permis aux israélites de
retourner en toute sécurité dans leurs foyers. Il faut ajouter qu’ici encore, comme pour l’incident
de Tchorlou, le patriarcat œcuménique [c’est-à-dire
orthodoxe] a contribué grandement à apaiser les esprits en blâmant
sévèrement les fauteurs de désordre. »
Lire aussi :
L’antisémitisme
arménien à l’époque ottomane dans le contexte de l’antisémitisme chrétien
1897
: le choc entre le loyalisme juif à l’État ottoman et l’alliance
gréco-arménienne
L’arménophilie-turcophobie
d’Édouard Drumont, « le pape de l’antisémitisme », et de son journal
L’arménophilie
aryaniste, antimusulmane et antisémite de D. Kimon
Albert
de Mun : arménophilie, antidreyfusisme et antisémitisme
La
place tenue par l’accusation de « génocide arménien » dans le discours soralien
L’helléniste
Bertrand Bareilles : arménophilie, turcophobie et antisémitisme (ensemble
connu)
Aram
Turabian : raciste, antisémite, fasciste et référence du nationalisme arménien
en 2020
L'arménophilie
de Johann von Leers
La
Fédération révolutionnaire arménienne exprime son antisémitisme sans masque
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