Lucien Guyénot, « Combien
de guerres mondiales pour Sion ? », Egaliteetreconciliation.fr, 17 mars 2016 :
« Peu avant le déclenchement de la guerre mondiale, en 1908, le Sultan
Abdülhamid II [qui s’entendait bien avec Theodore Herzl, au point de l’avoir
décoré, qui fut vitupéré par l’antisémite
Édouard Drumont et présenté par la très antijuive Assiette au beurre comme l’ami des banquiers juifs ; mais M.
Guyénot esquive la question] aura été acculé à la capitulation par la
révolution laïque [la laïcité n’est devenue importante dans le programme des
Jeunes-Turcs qu’à partir de 1917, après le retrait de Sait
Halim Pacha] des Jeunes Turcs, le mouvement qu’Herzl envisageait de
mobiliser dès 1900. Les Jeunes Turcs sont un mouvement originaire de Salonique
et largement dirigé par d’“ardents Dönmeh” [affirmation foncièrement inexacte :
voir le commentaire ci-après] qui, bien qu’officiellement musulmans, “avaient
pour vrai prophète Sabbataï Tsevi, le messie de Smyrne”, selon le rabbin
Joachim Prinz [16] [ce rabbin l’a peut-être écrit mais c’est, au mieux,
exagéré]. On sait qu’après avoir attiré dans leur révolution les Arméniens par
la promesse d’une autonomie politique [à la différence de l’Entente libérale, le Comité
Union et progrès, le CUP, n’a jamais promis d’autonomie aux Arméniens, lesquels
ont joué un rôle négligeable dans la révolution de juillet 1908], et une fois
au pouvoir, les Jeunes Turcs [parmi lesquels se trouvaient des Arméniens, comme
Bedros Hallaçyan et Artin Boşgezenyan, puisque la solution du CUP était
l’ottomanisme] réprimèrent l’aspiration nationaliste de ces mêmes Arméniens par
l’extermination d’un million deux cent mille d’entre eux en 1915-1916
[manipulation statistique empruntée à l’urologue Yves Ternon, lequel ne répugne
pas à citer un autre adepte de la théorie du « complot judéo-maçonnique »,
Paul
de Rémusat : M. Guyénot sait manifestement chez qui il se fournit].
Une ancienne et vivace tradition rabbinique assimilait les Arméniens aux
Amalécites [inversion des rôles : ce sont des Arméniens d’Ankara qui ont
importé en Anatolie l’accusation de « crimes rituels », dès le XVIe
siècle], premiers ennemis des Hébreux sur le chemin de Canaan, dont Yahvé
déclare vouloir “effacer le souvenir de dessous les cieux” (Ex 17.14 et De
25.19), et exterminer, “hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et
brebis, chameaux et ânes” (1 S 15.3) [17].
À partir du moment où fut décidée la chute de l’Empire ottoman, celui-ci a
donc été soumis à deux types d’agression : d’une part, une agression interne,
sous la forme d’une révolution préparée par un réseau crypto-juif
redoutablement efficace [c’est du Comité Union et progrès qu’il parle, alors
même que le but premier de parti était justement la sauvegarde de l’Empire
ottoman…], d’autre part, une agression externe sous la forme d’une guerre
mondiale orchestrée par un autre réseau juif opérant de façon également
largement occulte, mais depuis l’Angleterre et les États-Unis [la fraction de
sionistes qui a choisi l’Entente n’a presque jamais choisi l’action occulte,
son rôle dans la défaite ottomane a été négligeable et David Ben Gourion a
soutenu l’Empire ottoman jusqu’en 1917, préférant une province juive autonome
dans l’Empire ottoman à toute espèce de rapprochement avec des gouvernements
alliés à la Russie des pogromes]. »
J’ai
déjà rappelé que la présence, au Comité Union et progrès, des dönmes
(rameau de l’islam constitué par des descendants de Juifs convertis, et qui n’a
jamais dissimulé ses spécificités par rapport au sunnisme) a été follement
exagérée : parmi eux, seul Cavit Bey a joué un rôle de premier plan, comme
ministre des Finances. Par ailleurs, M. Guyénot maîtrise tellement bien son sujet qu’il donne, comme illustration, une capture d’écran tirée d’un film de fiction, Ravished Armenia, lui-même tiré d’un livre fondé sur « l’interprétation » (par un missionnaire américain qui ne parlait pas l’arménien au-delà de quelques mots) du témoignage d’une réfugiée arménienne qui ne parlait (à l’époque) ni l’anglais, ni le français ni l’allemand (mais même dans ce livre, il n’est jamais question de crucifixions, contrairement au film). L’autre image montre des insurgés condamnés à mort et décapités, bien avant 1915.
Si M. Guyénot n’avait pas eu le courage de signer, en 2016, ce texte (dont
je ne m’infligerai pas le tâche d’une réfutation paragraphe par paragraphe, le
passage pertinent pour ce blog suffit pour juger de son sérieux), depuis, il semble
s’être enhardi, puisque non seulement son nom a été ajouté mais encore a-t-il
commis un
livre, publié bien entendu par la maison d’édition d’Alain Soral (la
description mêle l’antijudaïsme le plus éculé à un « antisionisme »
radical), et tout récemment un
article tendant à réhabiliter, au moins partiellement, le nazisme, tout en
faisant un clin d’œil aux négationnistes (les vrais, ceux qui nient l’existence
de la Shoah). Tout cela est parfaitement cohérent, étant donné l’arménophilie
nazie.
Ce n’est donc pas un obscur commentateur en bas d’article qui est cité ici,
mais un élément du soralisme qui prend de plus en plus d’importance depuis 2016
(dans un contexte où le caractère difficile de M. Soral et l’accumulation des
condamnations lui font perdre des militants, le plus connu étant Vincent
Lapierre). Sans surprise, ceux qui n’ont que « négationnisme » et « fascisme
turc » à la bouche n’ont jamais jugé bon de rédiger ne fût-ce qu’une ligne
sur le thème « Pas en notre nom ».
Lire aussi, sur l’arrière-plan historique de ces théories du complot :
L’helléniste
Bertrand Bareilles : arménophilie, turcophobie et antisémitisme (ensemble
connu)
La
grécophilie, l’arménophilie et l’antijudéomaçonnisme fort peu désintéressés de
Michel Paillarès
De
l’anarchisme au fascisme, les alliance très variables d’Archag Tchobanian
L'arménophilie
de Johann von Leers
L'arménophilie
de Paul Rohrbach
L'"antisionisme"
de la mouvance ASALA
Hagop
Hagopian (futur dirigeant de l’ASALA) et le massacre des athlètes israéliens à
Munich
Sur leur actualité :
Alain
Soral de nouveau mis en examen : rappels sur Jean Varoujan Sirapian et le
soralisme
La
Fédération révolutionnaire arménienne et l’extrême droite mégrétiste
Le
problème du négationnisme (le vrai) en Arménie
Aram
Turabian : raciste, antisémite, fasciste et référence du nationalisme arménien
en 2020
Et sur l’accusation de « génocide arménien » :
La
nature contre-insurrectionnelle du déplacement forcé d’Arméniens ottomans en
1915
Première
Guerre mondiale : les efforts pour ravitailler et aider les déportés arméniens
Le
rôle des Arméniens loyalistes dans l’Empire ottoman durant la Première Guerre
mondiale
Les
massacres de musulmans et de juifs anatoliens par les nationalistes arméniens
(1914-1918)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire