lundi 27 septembre 2021

1897 : le choc entre le loyalisme juif à l’État ottoman et l’alliance gréco-arménienne

 


 

Paul Dumont, « La structure sociale de la communauté juive de Salonique à la fin du dix-neuvième siècle », Revue historique, n° 534, avril-juin 1980, p. 387 :

« Les polémiques suscitées par l’affaire Dreyfus commençaient à peine à s’atténuer lorsque, en avril 1897, la guerre éclata entre la Turquie et la Grèce. Cet événement allait aussitôt raviver les dissensions au sein de la population salonicienne. D’ordinaire pleins de circonspection, les Israélites s’étaient dès le début des hostilités laissés emporter par leur zèle loyaliste. Ils avaient pris une part importante à la souscription ouverte pour la réorganisation de l’armée ottomane et avaient multiplié les gestes spectaculaires de dévouement à l’Empire. C’est ainsi, en particulier, qu’à l’annonce des premières victoires remportées par la Turquie, la communauté avait organisé sur ordre du Grand-Rabbin de Constantinople il est vrai des actions de grâce pour louer Dieu du succès qu’Il venait d’accorder aux généraux du sultan. Chez les Grecs, ces manifestations de patriotisme provoquèrent bien entendu une immense consternation. Dans l’immédiat, les journaux de Salonique n’étaient pas en mesure de monter à l’assaut, mais en territoire hellène, la presse se montra implacable. L’Acropolis du 2 mai 1897 alla jusqu’à prétendre que les Juifs de Salonique, perdant toute retenue, crachaient au visage des femmes chrétiennes et profanaient les églises. »

 

Julia Philips Cohen, « “Zeal and Noise”. Jewish Imperial Allegiance and the Greco-Ottoman War of 1897 », dans Michael M. Laskie et Yaakov Lev (dir.), The Divergence of Judaism and Islam, Gainesville, University Press of Florida, 2011, pp. 29-50 :

« Des Juifs se joignirent aux efforts organisés par des groupes de femmes, d’hommes et de jeunes gens musulmans à Salonique. En particulier, ils commencèrent à participer aux nouveaux projets patriotiques, tels que l’organisation du Croissant rouge, récemment créée. Quand des souscriptions pour les efforts du Croissant rouge [en faveur de soldats ottomans blessés] sont parues dans la presse, des noms de philanthropes juifs figuraient régulièrement à côté de ceux de philanthropes musulmans. Les journaux ont également écrit sur la façon dont les sociétés de femmes juives envoyaient de l’argent aux hôpitaux de campagne, organisés près du front. Vers la même époque, un groupe des jeunes juifs ont commencé à collecter de l’argent pour faire envoyer des lits sur le front, une autre action parallèle aux projets du Croissant-Rouge. Bientôt des nouvelles parurent, selon lesquelles des médecins juifs de Vienne et des étudiants en médecine, Juifs ottomans, récemment rentrés de leurs études à Paris se portèrent volontaires pour soigner dans la région frontalière où se déroulaient les combats. Les souscriptions en faveur des musulmans expulsés de Crète ont été constamment abondées par des dons faits par des Juifs aussi bien que par des musulmans. La presse juive de Salonique a également publié des notes du grand rabbin de Crète, racontant comment 100 des familles musulmanes de cette île ont trouvé refuge dans les maisons de Juifs locaux. » (pp. 31-32)

« Ce jour-là [28 avril 1897], alors qu’un train chargé de prisonniers grecs blessés revenait de le champ de bataille a traversé Salonique, des musulmans et des juifs locaux se seraient rassemblés à la gare et ont commencé à narguer les passagers du train. » (p. 35)

« Les Juifs de la ville [İzmir] et de ses environs ont organisé des cérémonies spéciales pour leur armée [l’armée ottomane] et ont prié pour sa victoire rapide et totale. Ils ont également prononcé des discours publics en ladino et en turc soulignant leur dévouement à la cause et à leur État ; beaucoup ont donné de l’argent, des vêtements ou de fournitures à des fonds créés pour les soldats majoritairement musulmans de l’armée ottomane.

En fait, cette forme particulière d’identification s’est concrétisée par la participation juive aux activités du Croissant-Rouge et à d’autres projets visant directement à aider les populations musulmanes déplacées par la guerre, notamment celles de Crète. L’alignement avec les musulmans ottomans locaux et même éloignés était devenu une partie intégrante de la façon dont les Juifs ottomans ont exprimé leur loyauté à l’empire pendant la guerre, à İzmir comme à Salonique. » (pp. 40-41)

 

Archag Tchobanian, « L’Arménie, avant-garde de la civilisation gréco-latine en Orient », dans La Renaissance de l’Orient, Paris, Ernest Leroux, 1919, p. 14 :

« Les luttes grecques pour l’indépendance ont trouvé jadis parmi nous [les nationalistes arméniens] l’accueil le plus enthousiaste, et les héros de cette épopée sont des plus populaires chez nous ; la révolte crétoise nous passionna autant que nos propres luttes menées contre la même tyrannie ; à la guerre gréco-turque de 1897, des volontaires arméniens allèrent se battre dans l’armée grecque contre le Turc, et la joie que nous éprouvâmes lorsque la Crète fut libérée du joug ottoman se renforçait en nous par la pensée que le discrédit jeté sur la Turquie par le retentissant martyre de l’Arménie sous Abdul-Hamid avait contribué à cette délivrance […] »

 

Lire aussi :

L’antisémitisme arménien à l’époque ottomane dans le contexte de l’antisémitisme chrétien

Une des "raisons" de l’antisémitisme arménien : la loyauté des Juifs ottomans à leur Etat, sous Abdülhamit II (Abdul-Hamid II) et les Jeunes-Turcs

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