jeudi 15 avril 2021

Les massacres d’Azéris par les dachnaks et les divisions entre Arméniens à ce sujet (1918-1920)


Cadavres d’Azerbaïdjanais (Azéris) massacrés par les dahcnaks à Bakou (printemps 1918)
 


Firuz Kazemzadeh, The Struggle for Transcaucasia, New York-Oxford, Philosophical Library/George Ronald Publisher, 1952, pp. 71-75 :

« Mais ce ne sont ni les Kadets [constitutionnels-démocrates], ni les mencheviks [socialistes], ni les SR [sociaux-révolutionnaires, parti divisé entre partisans et adversaires de bolcheviks] qui ont sauvé le Soviet [de Bakou] pendant les jours de mars [1918]. Ce fut la Dashnaktsutiun [Fédération révolutionnaire arménienne, FRA, aussi appelée « les dachnaks »], avec son organisation militaire, qui fit pencher la balance en sa faveur. Au début, le Conseil national arménien a proclamé sa neutralité dans la querelle entre le Musavat [parti national azerbaïdjanais] et le Soviet. Il a même été sous-entendu que les Arméniens [de la FRA] auraient dit au Musavat que ce dernier pourrait s'attendre à leur aide contre les bolcheviks. Si c'était le cas, alors les Arméniens [de la FRA] étaient en grande partie responsables du massacre qui s'en est suivi, car le Musavat s'est plongé dans le conflit armé en pensant qu'il n'avait qu'un seul ennemi [les bolcheviks] à affronter. […]

Les Arméniens qui avaient jusque-là proclamé, avec force, leur neutralité, se tournèrent soudain vers les Soviétiques et se joignirent à l’attaque contre le Musavat. […]

Du côté arménien, l’archevêque Bagrat écrivit une lettre à la mission américaine de Bakou. […]

En ce qui concernait le massacre de la population musulmane, l’archevêque Bagrat nia que les Arméniens y aient pris part [rappelons ici que ses héritiers idéologiques hurlent « négationnisme » quand ils font face à des arguments qu’ils ne savent pas contrer]. Il prétendait au contraire que les Arméniens avaient accueilli vingt mille musulmans pendant l’affrontement.

Les Azerbaïdjanais portèrent la contradiction sur chaque affirmation de cette version arménienne. Ils dirent que c’était un désir de vengeance nationale, ou celui de partager le pouvoir avec les bolcheviks qui était à l’origine des attaques par des Arméniens et du massacre de la population civile [musulmane] de Bakou. Il ne fait aucun doute que l’attaque était dirigée tout autant contre la population civile que contre les détachements militaires du Musavat. Tout Azerbaïdjanais que les bandes dachnaks attrapaient était tué. Beaucoup de Persans y perdirent la vie, eux aussi. Les Arméniens iraniens de Bakou essayèrent de sauver la vie de leurs compatriotes et y réussirent en effet, ce qui est peut-être la base à partir de laquelle l’archevêque Bagrat présenta son affirmation exagérée, selon laquelle vingt mille musulmans avaient été sauvés par des Arméniens. […]

Sur la base des éléments présentés ci-dessus, il est possible d’affirmer que le Soviet a provoqué la “guerre civile” dans l’espoir de briser la puissance de son plus redoutable rival, le Musavat. Cependant, une fois que le Soviet eut appelé la Dachnaktsoutioun à prêter son assistance dans la lutte contre les nationalistes azerbaïdjanais, la “guerre civile” a dégénéré en massacre, les Arméniens [de la FRA] tuant les musulmans quelle que fût leur affiliation politique ou leur position sociale et économique. Les Russes non bolcheviques se rangèrent du côté du soviétique pour la simple raison qu'ils étaient Russes et préféreraient voir le triomphe du soviétique qui obéit à Moscou, plutôt que la victoire du Musavat indépendantiste.

Quand enfin un semblant d'ordre a été rétabli à Bakou, les rues débarrassées des milliers de cadavres et les incendies éteints, le Soviet est apparu comme la plus grande force de la ville. Les musulmans ont été vaincus et complètement désarmés, tandis que les Arméniens étaient affaiblis. »

 

Justin McCarthy, Death and Exile. The Ethnic Cleansing of Ottoman Muslims, 1821-1922, Princeton, Darwin Press, 1995, p. 215 :

« Le gouvernement turc a déclaré que 199 villages musulmans de la République arménienne avaient été détruits [en 1919], ce qui n’est probablement pas très exagéré. En mars 1920, la République d’Azerbaïdjan a officiellement protesté contre les massacres en République d’Azerbaïdjan, énumérant nommément les villages détruits et estimant que l'État arménien “avait dévasté plus de 300 villages et massacré la plupart des musulmans qui peuplaient lesdits villages”. Même le gouvernement persan, qui ne n’est pas plaint parce qu'il était largement sous le contrôle des soldats du corps d’occupation britannique, s'est prononcé contre le massacre. Cependant, les critiques les plus éloquentes sont venues d’Arméniens — du  Parti social-révolutionnaire de la République arménienne :

“Au président du Parlement :

Nous vous prions d'adresser au ministre de l'intérieur la demande suivante. Le Ministre est-il informé qu'au cours des trois dernières semaines, sur le territoire de la République arménienne, dans les limites des districts d'Echmiadzin, Erivan et Sourmalin, une série de villages tatars, par exemple Pashakend, Takiarli, Kouroukh-Giune, Oulalik de la société Taishouroukh, Agveren, Dalelar, Pourpous, Alibek Arzakend, Djan-Fida, Kerim-Arch, Agdjar, Igdalou, Karkhoun, Kelani-Aroltkh du district d'Echmiadzin, de même qu’une série d'autres villages ont été purgés de la population tatare [azérie] et ont été par visés par vols et des massacres ? Est informé que la police locale, non seulement n'a pas empêché, mais a même participé à ces vols et à ces massacres, que ces événements ont laissé une très mauvaise impression sur la population locale qui est dégoûtée de ces vols et désordres et qui souhaite vivre en paix avec ses voisins et demander que les coupables soient jugés et punis en conséquence, car ils sont à ce jour impunis ?” »

Il va sans dire que cette protestation est restée sans effet.

 

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