vendredi 27 novembre 2020

Misak Torlakian : du terrorisme de Némésis au renseignement du Troisième Reich

 



Némésis était le nom donné par la Fédération révolutionnaire arménienne à un groupe terroriste contrôlé par les instances dirigeantes du parti, créé à la fin de 1919 et actif jusqu’en 1922 au moins, pour assassiner des anciens ministres ottomans, des anciens ministres azerbaïdjanais et des Arméniens loyalistes.

 

Eyal Ginio, « Debating the Nation in Court: The Torlakian Trial (Istanbul, 1921) », Armenian Review, LV/1-2, automne-hiver 2015, pp. 1-16 :

« Le 18 juillet 1921, vers minuit, un petit et joyeux groupe de trois hommes et une femme sont sortis du bâtiment de la municipalité à Topbaşı retour à son hôtel dans le quartier de Beyoğlu à Istanbul. Après avoir passé la soirée dans l'un des théâtres du quartier, le groupe était engagé dans une conversation animée. En raison de l'obscurité ambiante et la musique bruyante émanant du café voisin, des maisons et des clubs, personne dans le groupe n'avait pu remarquer qu'ils étaient suivis de près par un inconnu. Arrivés à l'hôtel Péra — leur résidence temporaire depuis leur arrivée de Bakou — le suiveur a ouvert le feu sur l'un d'eux avec son pistolet. L'homme visé, Behbud Han Cevançir, a été grièvement blessé. Il avait auparavant été ministre des Affaires intérieures de l’éphémère République indépendante d'Azerbaïdjan (1918-1920). Cependant, son séjour à Istanbul était dû à une nouvelle nomination qu’il avait pu obtenir après la dissolution de la jeune république. Il était maintenant l'attaché commercial représentant la République soviétique d’Azerbaïdjan — une entité politique intérimaire qui affirmait conduire sa propre politique étrangère, avant d'être incorporée, à la fin de 1922, dans la Fédération soviétique de Transcaucasie, une partie de l'Union soviétique.

Les deux autres hommes présents sur les lieux étaient ses deux frères ; la femme était son épouse. Alors que Cevançir était toujours blessé sur le au sol, ses frères ont pu poursuivre le tireur anonyme et l'appréhender avant l'arrivée de la police. L’identité du tireur a été immédiatement révélée : son nom était Misak Torlakian, un Arménien au début de la trentaine détenant la citoyenneté ottomane. Originaire de la région de Trabzon, il a passé une partie de la Première Guerre mondiale dans les territoires russes, notamment Bakou. En janvier 1921, Torlakian arriva à Istanbul où, plus tard, il rencontra sa victime. Alors que Torlakian était interrogé, Cevançir est décédé des suites de ses blessures dans un hôpital militaire britannique voisin. »

ð  Torlakian fut acquitté pour troubles mentaux (alors qu’il n’était pas cliniquement fou) par un tribunal militaire britannique (İstanbul était alors une ville occupée). Ce que Mme Ginio ne dit pas, probablement parce qu’elle ne le sait pas, c’est que les juges militaires ont reçu des menaces de mort.

 

Mehmet Perinçek, « Nazi-Dashnak collaboration during World War II », dans AVIM (dir.), Turkish-Russian Academics. A Historical Study on the Caucasus, Ankara, Terazi, 2016, pp. 199-231 :

« Après la bataille de Stalingrad, les responsables de l’Abwehr [service de renseignement de l’armée allemande] se mirent à former un groupe arménien particulier. Le groupe de Dro [Drastamat Kanayan, ancien ministre de la Guerre pendant la République indépendante d’Arménie, 1918-1920] (qui avait été promu au rang de général) faisait aussi partie de cette formation. Créé au début d’avril 1943, le groupe reçut le nom d’Abwehrgruppe (AG)-114 “Dromedar”. Initialement, il était prévu de parachuter ces hommes en Arménie [soviétique], depuis des avions, derrière la ligne de front [rappelons ici que si la bataille de Stalingrad fut une lourde défaite pour l’Axe, c’est celle de Koursk, en juillet 1943, qui brisa définitivement tout élan offensif des nazis et de leurs alliés sur le front de l’est]. Toutefois, les conditions sur le front en question étant défavorables, le commandement allemand et le quartier général de Dro durent changer quelque peu leurs plans.

À la fin d’avril 1943, le groupe reçut un statut indépendant. Le premier subordonné de Dro, était Kuro (Nikolai Tarhanian) et le chef d’état-major Tigran Bagdassarian. Misak Torlakian reçut la responsabilité des activités de renseignement et de sabotage. L’équipe d’espionnage de l’AG-114 était formée d’anciens membres de l’armée de l’Arménie dachnake (1918-1920). » (pp. 207-208)

« Lui [Torlakian] et Dro arrivèrent en Crimée en 1942, où il dirigea le bureau dachnak [donc la branche locale de la Fédération révolutionnaire arménien, « dachnak » étant le surnom donné aux membres de ce parti, et au parti lui-même]. Il présenta aussi à [Alfred] Rosenberg [ministre nazi pour les territoires soviétiques occupés] des documents sur les plans de la Turquie dans le Caucase. Il partit dans les Balkans avec les armées allemandes en 1944. Après la guerre, il mena des activités antisoviétiques avec Dro, aux États-Unis et en Allemagne occupée. » (p. 214)


« ARF Armenia Chairman Visits Montebello Armenian Community », Asbarez, 11 février 2020 :

« Le 6 février, Ishkhan Saghatelyan, président du Conseil suprême de la Fédération révolutionnaire arménienne d’Arménie, a rendu visite à la communauté arméno-américaine de Montebello, dans le cadre de son voyage de travail dans l’ouest des États-Unis.

Il était accompagné de Garo R. Madenlian, Levon Kirakosian, Aida Dimejian et Stepan Boyadjian, membres du Comité central de la FRA pour l’ouest des États-Unis, ainsi que du président de la section « Dro » de Montebello Viken Pakradouni, de Koko Artinian et Gev Iskajyan, autres cadres locaux, d’Ashod Mooradian, membre de l’ANCA [Armenian National Committee of America] de Montebello.

[…]

Après l’école Mesrobian, le groupe s’est dirigé vers le cimetière Evergreen où ils ont rendu hommage au héros national arménien Misak Torlakian dans la section arménienne du cimetière. Saghatelyan et son entourage ont déposé des couronnes sur la tombe ; des membres du clergé de la cathédrale arménienne de Sainte-Croix ont prié. »

 

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