samedi 17 avril 2021

L’arménophilie du nazi norvégien Vidkun Quisling

 



 Hans Fredrik Dahl, Quisling: A Study in Treachery, Cambridge-New York, Cambridge University Press, 1999, p. 59 :

« Les Arméniens s’étaient vus promettre une patrie par les grandes puissances, mais ces promesses ne furent jamais concrétisées [affirmation doublement inexacte : aucune des grandes puissances, pas même la Russie, n’a fait de promesse précise pour « une patrie » ; et la nouvelle URSS a non seulement créé une République soviétique d’Arménie, mais pris acte de la purification ethnique au Zanguezour, en attribuant à l’Arménie soviétique cette région, majoritairement azerbaïdjanaise jusqu’en 1920]. À la Société des nations, leur cause menaçait de devenir un scandale international [aux yeux de qui ?] lorsque [Fridtjof] Nansen la prit en charge en 1924. Ses motifs étaient entièrement humanitaires ; durant sa visite en Sibérie avant la guerre, il avait rencontré de malheureux exilés arméniens, envoyés là-bas en raison de leur lutte pour l’indépendance [vision simpliste : il s’agissait de membres de la Fédération révolutionnaire arménienne, souvent terroristes, qui avaient combattu la Russie aux côtés des Jeunes-Turcs, avant de se retourner contre ses derniers, au profit de la Russie justement, en 1912]. Quisling [alors très lié à Nansen, y compris sur la question arménienne] ajoutait à cette question une part d’idéologie : les Arméniens, déclara-t-il quelques années plus tard [en 1933, ce qui n’est pas innocent, vu son évolution idéologique] “représentent le dernier avant-poste de l’Europe chrétienne et constituent dès lors le principal canal par lequel les idéaux et la culture occidentaux pénètrent en Asie.”

Le voyage que Nansen et Quisling firent en Arménie et dans le reste du Caucase en juin 1925 fut prometteur et marqué par l’optimisme. Partout ils rencontrèrent des autorités qui se montraient coopératives. Au moins semblait-il possible de faire quelque chose pour les Arméniens. L’idée était d’aider la République soviétique d’Arménie à rapatrier autant que possible — peut-être cinquante mille — des trois cents mille Arméniens qui vivaient en Turquie ou comme réfugiés au Proche et Moyen-Orient. »

Le projet périclita, au grand déplaisir de Nansen et Quisling.

 

Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, Paris, Gallimard, 2006, tome II, pp. 1017-1022 :

« En 1939, quelque 1 800 Juifs vivaient en Norvège sans être inquiétés, principalement à Oslo et Trondheim. Un demi-Juif, Hambro, avait accédé à la direction du Parti conservateur et au poste de délégué principal de la Norvège auprès de la Société des nations. La position d’Hambro, ainsi que le statut dont jouissaient tous les Juifs du pays, agaçait un petit groupe politique, le Rassemblement national (Nasjonal Samling, ou NS) d’inspiration nationaliste, pronazie et antisémite, fort de 15 000 membres, et qui avait à sa tête un ancien officier de l’état-major et du ministère de la Guerre, Vidkun Quisling [le NS a été créé en 1933, l’année même où Quisling a exprimé son arménophilie de suprémaciste chrétien].

Quand, au printemps de 194[0], la Norvège fut occupée à la suite d’une invasion éclair Quisling devint le chef du gouvernement norvégien. […] Au-dessous de lui, Quisling se heurtait à un peuple frondeur, dont les éléments indisciplinés se rebellaient, même au sein de son propre parti.

[…]

À la suite d’une demande de Redless, le ministre norvégien de la Police, Jonas Lie, ordonna le 17 janvier 1942 qu’un J soit apposé sur les cartes d’identité des Juifs. Cette mesure nécessitait une définition du mot “Juif” : on suivit alors le principe de Nuremberg, avec une stipulation complémentaire, à savoir que tous les membres de la communauté religieuse juive devaient être considérés comme “Juifs”. […]

Le samedi 24 octobre 1942, l’Hauptsturmführer Wagner [officier de la Gestapo chargé des Juifs en Norvège] se rendit au domicile du chef de la Police d’État norvégienne Karl Mathinsen, avec pour instruction d’étendre ces arrestations à tous les Juifs du pays. Cette police d’État était une petite organisation formée dans le courant de l’été 1941 et exclusivement composée de SS sûrs. Pendant le week-end, elle dressa des listes avec l’aide du Bureau de la statistique et, le 26 octobre, Marthinsen lança les rafles avec ses propres hommes, secondés par des membres de la Police criminelle, de la Police régulière dans les zones rurales et les circonscriptions policières, ainsi que d’hommes de la division norvégienne Germanske SS-Norge. […]

Toujours le 26 octobre, le cabinet Quisling s’empressa de décréter la mise sous séquestre des biens juifs. […]

Le 17 novembre le gouvernement Quisling ordonna à tous les citoyens qui avaient au moins un grand-parent juif de se faire connaître aux bureaux locaux de la police. À ce moment-là, la rumeur de ce qui se tramait se propageait déjà rapidement. Beaucoup de Juifs se cachèrent, et les dimanches 15 et 22 novembre des services spéciaux furent célébrés dans les églises luthériennes de Suède pour les victimes des arrestations. […]

Après que ce premier lot de victimes eut été embarqué [vers l’Allemagne, puis Auschwitz], une vive agitation s’empara de toute la péninsule norvégienne. L’émoi de la population gagna les cercles de la collaboration, qui firent preuve d’un “manque de compréhension” (Verständnislosigkeit) manifeste, et l’on parla même de démissions dans le propre mouvement de Quisling. »

 

Lire aussi, sur le versant nationaliste arménien :

La popularité du fascisme italien et du nazisme dans la diaspora arménienne et en Arménie même

La collaboration de la Fédération révolutionnaire arménienne avec le Troisième Reich

Les massacres de Juifs par les dachnaks en Azerbaïdjan (1918-1919)

 

Sur l’arménophilie nazie et fasciste :

L’arménophilie d’Alfred Rosenberg

L’arménophilie de Johann von Leers

L’arménophilie de Paul Rohrbach

L’arménophilie fasciste, aryaniste et antisémite de Carlo Barduzzi

L’arménophilie de Lauro Mainardi

Paul de Rémusat (alias Paul du Véou) : un tenant du « complot judéo-maçonnique », un agent d’influence de l’Italie fasciste et une référence pour le nationalisme arménien contemporain

 

Sur l’arménophilie d’extrême droite en France à la même époque :

L’arménophilie du régime de Vichy

Paul Chack : d’un conservatisme républicain, philosémite et turcophile à une extrême droite collaborationniste, antisémite, turcophobe et arménophile

L’arménophilie vichyste d’André Faillet — en osmose avec l’arménophilie mussolinienne et collaborationniste

De l’anarchisme au fascisme, les alliances très variables d’Archag Tchobanian

Camille Mauclair : tournant réactionnaire, antisémitisme, turcophobie, soutien à la cause arménienne, vichysme

L’arménophilie-turcophobie du pétainiste Henry Bordeaux

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