mercredi 24 janvier 2024

La Légion arménienne, ses soutiens civils, leurs crimes et la dissolution de la légion par les autorités françaises (1919-1920)


Le général Henri Gouraud, liquidateur de la Légion arménienne


 

Lieutenant-colonel Maurice Abadie, Les Quatre sièges d’Aïntab, Paris, Charles-Lavauzelle, 1922, p. 32 :

« 5 novembre [1919] : à Adana, un chef de bureau de l’administration française en Cilicie, Kémal Bey, est assassiné par des Arméniens [légionnaires]. À Erzine, un professeur turc est également assassiné par des Arméniens [légionnaires aussi].

La nouvelle de ces deux crimes se répand très rapidement et cause une grosse émotion. »

 

Sous-lieutenant Georges Boudière, « Extrait de mon carnet de route », annexe à « Notes sur la campagne de Syrie-Cilicie : l’affaire de Maraş (janvier-février 1920) », Turcica, IX/2, 1978, p. 166 :

« 3 février […] Le soir, femmes violées par des [légionnaires] arméniens. »




 

Zaven Der Yeghiayan (patriarche arménien d’Istanbul de 1913 à 1922), My Patriarchal Memoirs, Waltham (Massachusetts), Mayreni Publishing, 2002 (1re édition, en arménien, Le Caire, 1947), p. 228 :

« La ville était le centre administratif d'un kaza et était défendue [en 1920] par environ 1 000 Arméniens armés. Ceux-ci étaient dirigés par un tashnagtsagan [c’est-à-dire un membre de la Fédération révolutionnaire arménienne, comme Der Yeghiayan à cette époque], Sarkis Jebejian. Après que Jebejian fut blessé, il fut remplacé par un autre tashnagtsagan, Aram Gaydzag, dont le premier acte de bravade fut de massacrer sans réfléchir les 300 Turcs qui se trouvaient à Hadjin — pour la plupart des hommes désarmés et dans un état pitoyable — et même le juge musulman de la ville, ainsi que sa famille. »

 

Lieutenant Maxime Bergès, La Colonne de Marach et autres récits de l’armée du Levant, Paris, La Renaissance du livre, 1924 (écrit en 1920-1921) :

« Quand je sors de ma maison, en ce matin du 7 février, ou plutôt à la fin de la nuit, car le jour est encore loin de paraître à l’heure où il faut se lever, je suis tout surpris de voir une des cabanes du village transformée en un immense bouquet de flammes ; j’en ressens d’abord une vive émotion, croyant que c’est la demeure des sous-officiers qui brûle ; je suis vite rassuré en constatant sur les lieux que cette cabane est vide... Oh ! mais, en voilà une autre qui commence à flamber - à  l’extrémité opposée du village, puis une autre, dont le toit s’auréole de petites flammes malfaisantes, puis une autre encore, et bientôt la moitié des maisons brûle avec un éclat sinistre, qui éclaire - tout le camp presqu’aussi fort que le plein jour. Ce sont tout simplement les Arméniens de la colonne qui ont trouvé cet excellent et prudent moyen de se venger des Turcs hors de leur présence, et qui déposent le feu partout, mais sans s’inquiéter de savoir si les maisons sont occupées, et si les soldats français qui y logent se sont éveillés à temps.

Il n’y a, heureusement, pas d’accident, et on attrape quelques-uns des délinquants pour les conduire au colonel. Ceux-ci, bien entendu, protestent avec la plus grande énergie de leur innocence, et, bien qu’ayant été surpris à promener des torches enflammées le long des murs, affirment qu’ils n’avaient pas le moins du monde l’intention d’y mettre le feu, et que ce sont les autres qui sont les incendiaires (il y a toujours « des autres » qui viennent fort à propos dans les discours des Asiatiques pris en faute; on ne peut d’ailleurs les accuser de délation ni de calomnie, car ils ne désignent nominativement personne, et “les autres”, c’est en somme une dénonciation assez vague).

Quoiqu’il en soit, le village a tôt fait de devenir véritable brasier ; à droite, à gauche, des toitures flambent, des charpentes s’effondrent en une pluie de tisons ; et la colonne qui se rassemble sur la place est éclairée d’une lueur fantastique et dansante que le vent active et assombrit tour à tour, en arrachant de temps à autre de grandes rafales d’étincelles. » (pp. 55-57)

« Il est vrai qu’elle l’expie durement, sa cruauté, tant par nos bombardements que par la lutte intestine qui multiplie chaque jour les foyers d’incendie ; en plus des Français et des Turcs qui cherchent à se détruire par le feu, les Arméniens de Marach assouvissent leurs vengeances. On voit, d’heure en heure, de nouvelles fumées noires dénoncer de nouveaux feux à mesure que les anciens s’évanouissent dans les cendres consumées. Ils naissent sournoisement, ces incendies, dans la pénombre du crépuscule neigeux ; on voit tout à coup, au hasard des ruelles, une petite flamme clignotante rosir la grisaille environnante ; elle a le rose vif et transi d’une engelure, le rose douloureux d’une chair qui a froid ; mais, bientôt, elle s’élance en un grand feu de joie bondissant, dévore sa proie et, son œuvre finie, reprend son clignotement transi parmi les décombres fumants : Marach brûle!

Je vois, avec peine, venir le tour de la grande mosquée au dôme brillant, qui disparaît brusquement dans un grand feu aux langues effilochées ; un minaret jaillit comme un fuseau de sa quenouille de flammes. » (p. 81)

 

Raoul Desjardins, Avec les Sénégalais par-delà l’Euphrate, Paris, Calmann-Lévy, 1925, pp. 184-185 :

« 3 juin [1920].— Consternation chez nos Arméniens, on annonce la nouvelle d’une pendaison à Ourfa : vingt Arméniens, dix Syriens, dit-on, tâtent du chanvre. Un vent de terreur souffle chez les chrétiens disséminés dans les douars qui nous entourent, les meuniers de Tell-Abiad demandent à se réfugier dans notre poste.

À la fin, ces gens nous embêtent : quand nous sommes menacés sans qu’eux-mêmes le soient, ils nous abandonnent totalement et ne se donnent même pas la peine de nous faire parvenir des nouvelles. Le fait de les recueillir ici, amènerait sûrement des représailles sur leurs coreligionnaires d’Ourfa.

Et puis, ils sont responsables d’une grande partie de nos malheurs. Dans leur propre intérêt, nous aurions dû nous montrer turcophiles, puisqu’ils se trouvent en minorité dans ces territoires. Cependant, ils n’admettaient pas le partage, il leur fallait un régime de faveur, alors que nous entendions faire régner la justice.

Si nous nous sommes bercés du leurre de voir Mardine, Diarbékir, Veranchaïr occupés, c’est que nous n’avons voulu entendre que la voix des chrétiens, nous sommes restés aveugles en ce qui concernait le patriotisme turc. Combien de déceptions encore, nous a fournies cette Légion arménienne, en laquelle nous mettions tant d’espoirs ! Tous ces soldats s’étaient engagés sans aucun esprit militaire, sans patriotisme véritable. Leur but était de trouver mainte occasion de se venger sur les biens ou la personne du Turc honni. Que de meurtres, de pillages à l’actif de ce corps dont les désertions éclaircissent presque totalement les rangs ! »

 

Le ministre de la Guerre à M. le président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, 20 mai 1920, Archives du ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, microfilm P 1426 :

« Par lettre n° 290/2L du 1er mai, ci-jointe en copie, le général commandant en chef de l’armée du Levant m’a rendu compte de la nécessité où il s’est trouvé d’ordonner le licenciement immédiat de la Légion arménienne, en raison du mauvais esprit manifesté par les légionnaires.

La constatation de ce mauvais esprit a maintes fois été faite depuis notre installation dans le Levant. En Cilicie, notamment, la présence des auxiliaires arméniens n’a fait que rendre de plus en plus délicat l’exercice de notre commandement, et l’on peut dire que les difficultés éprouvées au cours d’évènements récents proviennent pour une grande part de l’emploi de ces auxiliaires au milieu d’une population en majorité turque, sur laquelle ils n’aspirent qu’à assouvir leur vengeance.

Vous m’avez d’ailleurs fait connaître votre sentiment à cet égard, par vos dépêches n° 5097 et 5978, des 3 octobre et 11 décembre derniers, en me signalant que notre intérêt n’est plus d’accroître, ni même de maintenir, les effectifs arméniens, dont l’importance ne répond plus à l’œuvre qui nous incombe aujourd’hui dans le Levant, et en réservant au gouvernement la faculté de dissoudre la Légion syrienne et arménienne, soit par mesure générale, soit par des décisions individuelles. »   

ð Après avis conforme du ministère des Affaires étrangères, le 18 juin, l’autorisation est donnée en juillet au général Gouraud de licencier la Légion arménienne ; la dissolution est terminée en septembre (le délai étant dû aux offensives kémalistes de l’été).




 

Paul Bernard, Six mois en Cilicie, Aix-en-Provence, éditions du Feu, 1929 (journal tenu en 1920 par l’auteur, responsable des finances à l’administration française d’Adana) :

 « Nous faisons des prisonniers de guerre, trois bœufs et quelques veaux chassés du village par l’incendie. À la vérité, le mérite de la capture revient à des Arméniens, voyageurs de notre train, qui se proposaient de faire transborder avec eux leurs prises et de s’offrir à l’arrivée à Adana quelques festins à bon  compte. Mais un officier supérieur, mon compagnon de compartiment, donne l’ordre au piquet de garde du train de rassembler le bétail dans un fourgon et de le remettre au retour au gouverneur militaire de Tarsous. Désespoir des Arméniens dont le zèle pour la razzia est arrêté, ce qui permet à quelques autres bœufs et veaux que nous apercevons encore errants d’échapper à la boucherie militaire. » (pp. 16-17)

« Nous sommes en plein gâchis. Nous sommes alertés à chaque moment. On n’est plus maître des chrétiens ; tous les jours, des assassinats isolés sont commis en ville ; il y a quatre jours, tous les habitants d’un village turc ont été massacrés avec un odieux raffinement de cruauté. » (p. 49, entrée 18 juin 1920)

« En ville, ce sont tous les jours des meurtres  isolés, des pillages et des paniques. Il faut le reconnaître, les Arméniens, puisant du courage dans le fait de notre présence, sont le plus souvent les provocateurs, et depuis quelques semaines que dure la situation, la correction est du côté des Turcs. Au surplus, il n’y aura bientôt plus de Turcs dans Adana ; menacés chaque jour de pillage et d’égorgement, ils s’en vont les uns après les autres. Il y a certainement de la part des Arméniens une manœuvre, pour tenter de forcer la main à la Conférence de la paix, et en toute éventualité, rester maîtres de la ville. Mais si nous évacuons, ils n’en seront pas longtemps maîtres, et pour parler comme nos poilus, ils prendront quelque chose ; franchement, ils l’auront un peu cherché. » (pp. 59-60, entrée 4 juillet 1920)

« La potence a servi. Avant-hier, en entrant dans mon bureau, j’ai eu la désagréable surprise de voir un Arménien se balancer devant ma fenêtre dans la cour du Konak ; j’ai joui par force de ce spectacle macabre toute la matinée ; des exécutions clandestines ne frapperaient pas suffisamment les esprits ; aussi n’est-ce qu’à midi qu’on a décroché mon pendu. Hier on a dressé une autre potence en face de la première, afin de pouvoir à l’occasion faire un double exemple.

L’avertissement ne paraît pas avoir été compris. Cet après-midi, il s’est produit des événements gros de conséquences, mais dont on ne pourra sans doute jamais préciser la cause initiale.

Je venais de m’étendre pour faire un peu de sieste après le déjeuner, lorsque plusieurs coups de feu tirés à n’en pas douter de l’intérieur de la ville attirent mon attention ; j’ai l’impression qu’on tire de tous les côtés, des fenêtres, des terrasses.

Peu après m’arrive, armé en guerre, mon fidèle Joubert, un des jeunes officiers attachés à mon service, qui, au risque de recevoir une balle vient se mettre à ma disposition dans l’éventualité d’une attaque de la maison que j’occupe en commun avec un officier français de gendarmerie. Il nous renseigne sur le début de l’échauffourée ; les premiers coups de fusil semblent avoir été tirés d’une usine arménienne sur des Turcs qui passaient dans la rue, et en quelques instants tous les Arméniens se sont mis à tirailler d’un peu partout. Une généralisation aussi subite du mouvement peut paraître étrange.

Et cela a duré d’une heure à quatre heures, trois heures pendant lesquelles ont été tirées des centaines de coups de fusil au petit bonheur. Comment n’y a-t-il eu que six tués et quelques blessés, tous musulmans ; ce sont les seules victimes connues au moins jusqu’ici ? Et comment n’avons-nous pas eu de pertes parmi nos officiers et nos soldats qui ont dû prendre presque d’assaut certaines maisons transformées en forteresses ? C’est extraordinaire.

Les Turcs et les Arabes qui sont encore à Adana se sauvent, et ils n’ont pas tort. Il ne reste presque plus de musulmans dans la gendarmerie, et ce soir on est venu annoncer au gouverneur militaire de la ville, chez qui je dînais, que les policiers ont déserté en masse. » (pp. 63-64, entrée 10 juillet 1920)

 « Au moment où j’écris, les 75 entrent en action, nos batteries postées au nord tirent par-dessus la ville. On me téléphone que les Arméniens recommencent à fusiller les Turcs dans la ville ; cette complication nous manquait. » (pp. 70-71, entrée 20 juillet 1920).

« Au petit jour, une section d’artillerie a pu se mettre en batterie de l’autre côté du fleuve et a pris les bandits en enfilade. Mais nos obus ou les Arméniens, les Arméniens plutôt, ont mis le feu à des immeubles près de notre popote et tout le quartier flambe. […]

Ce soir, le quartier turc commence à brûler.

Au coucher du soleil, on a pendu un Arménien arrêté pour pillage dans des maisons abandonnées par des Turcs sortis de la ville. » (p. 71, entrée 21 juillet 1920)

« D’abord au coucher du soleil, double pendaison d’Arméniens pillards. […]

 À dix heures, immense incendie, sans doute encore allumé par les Arméniens ; la ville entière y passera.

Tous les Turcs qui ne se sont pas fait brigands évacuent la Cilicie ; les Arméniens s’y installent en maîtres et font ce qu’ils peuvent pour nous compromettre, voilà la vérité. » (p. 72, 23 juillet 1920)

« Nos postes ont réoccupé notre ancien quartier ; mais le feu continue à dévorer les quartiers turcs ; actuellement une centaine de maisons sont détruites. » (p. 73, entrée 24 juillet 1920)

« La ville est plus calme ; les Arméniens continuent à piller ; mais on signale à peine quelques petits incendies facilement localisés. » (p. 78, entrée 29 juillet 1920)

« Le péril kémaliste paraît à peu près conjuré ; il va falloir maintenant agir contre le péril arménien. Car il y a un péril arménien. Il paraît acquis que l’émeute du 10 juillet n’était qu’une mesure d’exécution du plan de réalisation de la Cilicie arménienne. Le rapporteur du Conseil de guerre, qui est saisi de l’affaire, arrivera-t-il à étayer son accusation, et pourra-t-il faire envoyer au poteau d’exécution les meneurs dont tout le monde ici prononce les noms ?

On a la certitude de l’existence d’un véritable gouvernement arménien occulte ; un tribunal prononcerait même, au nom de ce gouvernement, des condamnations qui, chose plus grave, seraient exécutées.

En tout cas, depuis trois semaines, certains des Arméniens d’Adana ou réfugiés à Adana se sont déshonorés par leurs crimes, pillages, incendies, meurtres commis dans des conditions de cruauté particulièrement odieuses. On a transporté à l’hôpital le cadavre d’une femme turque qui avait été atrocement mutilée. Des disparitions mystérieuses ont été constatées ; les puits ont leurs secrets.

Si l’on veut repeupler la ville de musulmans, il est indispensable de mettre fin à la situation ; on sait que la plupart des habitants partis à la suite des événements du 10 juillet, par peur des Arméniens, ne demanderaient qu’à rentrer s’ils savaient pouvoir le faire sans danger. Il faut donc réparer au plus vite l’erreur que nous avons commise en fournissant aux Arméniens des armes dont ils n’avaient pas besoin, ils n’en demandaient que pour donner une consécration légale à la détention de celle qu’ils avaient déjà en abondance.

Je m’en voudrais certes de prendre à mon compte l’assertion lancée en juin dernier, en plein séance du Parlement nationaliste d’Angora. Les Anglais, déclarait un député, auraient provoqué les événements de Marach en armant et en excitant les Arméniens, afin de se ménager un motif pour réoccuper la Cilicie ; le député en question affirmait même leurs relations étroites avec l’évêque arménien de Marach. Il n’en est pas moins exact, en ce qui concerne Adana, qu’avant leur départ de cette ville, les autorités militaires anglaises ont imprudemment vendu ou laissé vendre aux Arméniens, à des prix dérisoires, de nombreux fusils et des munitions provenant des stocks abandonnés par les troupes turco-allemandes. » (p. 82, entrée 31 juillet 1920)

« J’espère aussi que ce sera la fin du pillage et de la destruction de la ville turque. Une répression impitoyable devra mettre fin à une situation dont la prolongation serait une honte pour notre drapeau qui flotte sur la ville. On pend bien quelques voleurs pris sur le fait ; avant-hier, à sept heures du soir, ce fut le tour d’un Assyrien chrétien ; le lendemain à midi, un Arménien prenait sa place ; mais ce sont des milliers de pillards qui opèrent sans trêve et on n’arrêtera ce désordre qu’en faisait parcourir incessamment la ville par des patrouilles qui abattraient sur le champ les voleurs et les incendiaires. » (p. 85, entrée 3 août 1920)

« La proclamation d’une République chrétienne de Cilicie est un fait accompli. Une délégation des divers partis et rites arméniens, à laquelle s’étaient joints, pour la forme d’ailleurs, des représentants des autres groupements chrétiens, est venue hier en faire la notification officielle aux autorités françaises. La jeune République veut bien demander le protectorat de son aînée, la République française. Toute la ville est pavoisée aux couleurs arméniennes.

Le second acte s’est joué cet après-midi. Les membres du nouveau gouvernement, après s’être assurés pendant quelques instants du central téléphonique, grâce à la complicité d’employés leurs coreligionnaires, ont pénétré au nombre de cinq, le président de la République et quatre de ses ministres, dans le Konak, et du cabinet du Vali ont fait connaître qu’ils s’installaient aux lieu et place du représentant du gouvernement ottoman.

Le colonel Brémond leur a fait répondre par une sommation d’avoir à déguerpir au plus vite. Le président de la République, qui connaît l’histoire en sa qualité d’ancien pédagogue, a voulu parodier la réponse de Mirabeau au marquis de Dreux-Brézé : ‘personnellement, il aurait été disposé à déférer à un ordre de l’autorité française, mais, mandaté par le peuple arménien, il ne pourrait abandonner la place qu’après avoir consulté son peuple ; coïncidence curieuse, le jeune officier délégué pour notifier l’ultimatum est un marquis authentique. La suite ne s’est pas fait attendre ; un piquet de tirailleurs algériens a fait faire une sortie plutôt piteuse au gouvernement cilicien, plus exactement aux quatre de ses membres qui restaient ; le cinquième, le ministre de l’Instruction publique, pourtant officier des volontaires assyriens qui contribuent, très courageusement, à la défense de la ville, s’était prudemment esquivé lorsqu’il a vu que les choses se gâtaient.

Et le traité de paix qui, dit-on, rend la Cilicie à l’administration turque a dû être signé aujourd’hui à Sèvres !

Quelle comédie ces gens-là tentent-ils de jouer sous notre égide ? Pourvu que la comédie ne finisse pas en tragédie.

Le Konak est occupé militairement ; la ville est sillonnée de patrouilles et tout rassemblement est interdit. Le Général, commandant de la Division, va lancer ce soir une proclamation dont les termes ne seront pas des plus agréables aux Arméniens. » (pp. 87-89, entrée 5 août 1920).

« Les Arméniens s’étaient jurés d’empêcher par la force la rentrée des musulmans. Ils n’en ont rien fait, naturellement ; mais ils se sont servis de l’arme qu’ils manient si volontiers, la torche incendiaire ; profitant de l’absence de forcée de surveillance en ville, ils ont encore mis le feu sur plusieurs points et de nombreux immeubles sont en flammes. » (p. 100)

« Bien que toutes les indications que nous recevons à ce sujet soient tenues secrètes, il en filtre assez pour que les Arméniens sachent que les négociateurs du traité de paix ont écarté leur rêve d’une Cilicie arménienne. Aussi l’agitation des partis extrémistes, renforcés d’éléments révolutionnaires et même bolchevistes étrangers au pays, s’est encore accentuée dans ces dernières semaines, et un coup de force était à craindre.

Mais la fermeté de notre politique intérieure s’affirme de plus en plus, et on n’hésite pas à aller au-devant du danger. Ce matin, on a procédé à l’arrestation des principaux meneurs qui ont été dirigés séance tenante sur Karatache, d’où ils vont être conduits dans un lieu de déportation.

Concurremment, deux bataillons d’infanterie et un escadron de cavalerie cernaient les vaillantes troupes de la République arméno-cilicienne, une république dissidente qui s’est constituée après l’effondrement lamentable de l’autre. Cette armée, qui n’avait pas jugé prudent de tenir garnison dans la capitale, avait installé son quartier général dans la plaine entre Adana et Karatache, où elle luttait désespérément contre le bétail et les basses-cours des paysans, n’hésitant pas à punir par les armes et le feu ceux-ci lorsqu’ils émettaient la prétention de s’opposer à son ravitaillement gratuit. La vérité m’oblige à die que l’affaire n’a pas été chaude, l’ennemi a de suite mis bas les armes et nous avons capturé l’armée entière, 400 hommes environs, avec deux commissaires du peuple qui étaient sur la liste des proscrits et qu’on avait vainement cherchés le matin dans Adana ; tous ont pris le chemin de l’exil. » (pp. 107-108, entrée 22 septembre 1920)

« Les mesures énergiques prises contre quelques dirigeants et contre l’armée de la République [arménienne autoproclamée] n’ont pas intimidé les partis avancés [Fédération révolutionnaire arménienne et Hintchak], qui tout au contraire viennent de nous donner une série d’avertissements. Ils ont mis à prix plusieurs têtes, dont celle du général commandant la division. Fait assez curieux, l’ex-président de leur République mort-née, ainsi que l’évêque arménien orthodoxe [Kévork Arslanian] (1), qui leur ont cependant donné assez de gages, sont sur la liste des condamnés ; sans doute ont-ils été jugés coupables de mollesse ; on est toujours le réactionnaire de quelqu’un. Dans la nuit du 24 au 25, un attentat était commis contre le nouveau vali, une bombe jetée dans la cour de sa maison, ne causant heureusement que des dégâts matériels. Le lendemain, vers neuf heures du matin, d’autres bombes détruisaient et incendiaient deux maisons.

(1) Ce dernier devait être, quelques semaines plus tard, victime d’un attentat dans sa cathédrale ; un coup de clef bien asséné lui fendit le crâne ; trépané à l’hôpital militaire, il se rétablit assez vite. » (pp. 109-110, entrée 27 septembre 1920)

 

Général Henri Gouraud, Réponse à la note 9153/A du général de La Panouse, au sujet des Arméniens, 25 novembre 1920, Archives du ministère des Affaires étrangères, microfilm P 17784 :

« Précédemment, en effet, des armes avaient été distribuées aux Arméniens, soit pour défendre leurs villages, soit pour former des contingents auxiliaires, adjoints aux colonnes françaises opérant en Cilicie.

Dans chaque circonstance, les Arméniens ont profité de ce qu’ils étaient armés pour se conduire à l’égard des Turcs précisément comme ils se plaignaient d’avoir été traités par eux, pillant et incendiant les villages, massacrant les musulmans désarmés.

Quand, au contraire, on a fait appel à leur concours pour débloquer Tarsus, sur 2 000 volontaires promis, 17 se sont présentés pour marcher avec nos troupes. Il a fallu en conséquence désarmer les Arméniens ; quant aux expulsions, elles ont été prononcées, non à la suite de la dissolution du contingent arménien destiné à secourir Hadjin, mais à la suite d’une tentative faite le 4 août par les Arméniens d’Adana pour proclamer, à la faveur de l’exode des Turcs, la République arménienne de Cilicie. »




 

Lire aussi :

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