Camille Mauclair (Séverin
Faust, 1872-1945) était un écrivain, critique d’art et voyageur qui évolua de
la gauche dreyfusarde à l’extrême droite réactionnaire vers 1905-1906, puis
antisémite, et finalement vichyste. Ce fut aussi un défenseur du nationalisme
arménien et un raciste antiturc.
Romy Golan, « From Fin-de-Siècle to Vichy: The Cultural Hygienics of Camille (Faust) Mauclair », dans Linda Nochlin et Tamar Garb (dir.),
The Jew in the Text. Modernity and the
Construction of Identity, Londres, Thames & Hudson, 1995, pp. 159-160 :
« Or, si, en
1905, les réalisations de Mauclair comme homme de lettres éclairé furent
reconnues dans une modeste monographie — qui faisait partie d’une nouvelle
collection consacrée E. Sansot & Cie aux « Célébrités d’aujourd’hui —,
et par l’attribution de la Légion d’honneur, il est possible de soutenir qu’à
ce moment-là, ses meilleures années étaient déjà derrière lui. En effet, toute
l’attitude de Mauclair semble avoir changé, en seulement quelques mois, à
partir du moment où il publia chez Fasquelle Trois
crises de l’art actuel, en 1906. Prenant modèle sur le pesant
pessimisme de Nietzsche dans Le
Crépuscule des idoles, Mauclair adoptait un point de vue entièrement
négatif. Les jeunes artistes étaient incapables [selon lui] de créer une
nouvelle forme de symbolisme en peinture ; l’impressionnisme s’était
abaissé à une sorte de sous-impressionnisme avec Cézanne et Gauguin ; les
arts décoratifs en France étaient devenus triviaux avec l’industrialisation et
la production de masse ; l’Art nouveau qu’il [Mauclair] avait acclamé en
1897, il le voyait désormais comme un style maniaque, hybride et ridiculement
compliqué. […]
À mon avis, il ne
fait nul doute que la nouvelle obsession de Mauclair pour la sauvagerie, la
décadence et la corruption morale (tout cela convergeant vers une théorie du
complot) provenait largement du choc et de la frustration qu’il a ressentis,
comme beaucoup de catholiques français, par la récente décision du Bloc des
gauches de séparer l’Église et l’État. […] Cette crise eut une forte résonance
chez Mauclair. »
Thierry Roger, « Le dernier clerc : Camille Mauclair, témoin de “Mallarmé chez lui” », Revue d’histoire littéraire de la France, 2014/2, p. 433 :
« “Oublier
Mauclair (1) ?”, telle serait l’injonction première à laquelle se plier lorsque
l’on considère le parcours idéologiquement nauséabond d’un homme de plume
figurant sur la liste noire des écrivains collaborationnistes publiée par Les Lettres françaises en 1944, auteur,
à partir de 1928, de brûlots xénophobes et antisémites stigmatisant la “farce
de l’art vivant”, désormais livré aux “métèques” comme aux “consortiums juifs
(2)”
___________
1 Séverin Faust,
alias « Camille Mauclair », originaire d’une famille alsacienne, est né à Paris
en 1872 il a échappé aux poursuites de l’épuration par sa mort, tenue secrète,
et survenue le 23 avril 1945 : voir à ce propos l’article nécrologique des Nouvelles littéraires (21 juin 1945).
2 Voir Camille
Mauclair, La Farce de l’art vivant. Une campagne picturale (1928-1929), Paris,
éditions de la Nouvelle revue critique, 1929 ; La Farce de l’art vivant II :
Les métèques contre l’art français, Paris, éditions de la Nouvelle revue critique, 1930 ; La Crise de l’art moderne, Paris, CEA, [1944]. »
Edmond Khayadjian, Archag Tchobanian et le mouvement arménophile en France, Marseille,
CNDP, 1986, pp. 250-251 :
« En effet,
à l’occasion de cette polémique [avec Pierre
Loti fin 1918, à la suite de son article dans
L’Écho de Paris], la Commission de
propagande arménienne [qui se résume essentiellement à la personne Archag
Tchobanian, lequel travaille pour la Délégation nationale arménienne à Paris] vient
de diffuser largement une série de publications où figurent tous ces textes. C’est
tout d’abord une brochure intitulée Pour
l’Arménie libre. Pages écrites pendant la guerre, et dans laquelle Camille
Mauclair revient à la charge, expliquant pourquoi il a adressé cette lettre
ouverte à Pierre Loti, qu’il reproduit ici avec tous ses écrits arménophiles […]
Plusieurs lettres de Mauclair montrent que l’initiative
de cette publication revient à Tchobanian […]
Dans l’allocution
qu’il [Mauclair] prononcera, le 14 mai
1938, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, pour le jubilé de
Tchobanian — et dont le texte est conservé dans les archives de Tchobanian —,
il déclarera avoir été “depuis plus de quarante ans [sic : en réalité,
surtout depuis 1917] un défenseur
obstiné de cette cause arménienne à laquelle [l’]avaient initié Anatole France
et Pierre Quillard. »
Camille Mauclair, article paru dans Le Phare de la Loire, 8 juillet 1919, et
reproduit dans Pour
l’Arménie libre. Pages écrites au cours de la Grande guerre, Paris, Imprimerie
Flinikowsky, 1919, pp. 54-55 :
« Les
cruels et fourbes Ottomans seront dépouillés de leurs
rapts : leurs
victimes leur échapperont enfin, et ils seront parqués en Anatolie. Ils ne
sont guère que six millions : Ils auront de la place, et les “giaours” grecs ou
arméniens qu'ils
massacraient pour se distraire, sous la protection du très-chrétien Kaiser,
pourront vivre en paix sans voir surgir les hordes
immondes. Il se peut que les Turcs restent à Constantinople, mais sans
autorité. Il se peut aussi — espérons-le — qu'ils soient entièrement rejetés du
sol européen. Leur
règne de terreur et de mensonge est bien fini, et malin qui dira en quel
coin de Caucase ou de Bochie se terre le “Napoléon turc”, l’aventurier
Enver, ami personnel d'un de nos plus illustres écrivains turcophiles.
Il y aura une
Arménie qui ne sera pas davantage russe que turque, et qui ressuscitera en
nation autonome. Elle a étonné le monde par sa douceur,
sa foi, son
courage : elle l'étonnera par la rapidité de son relèvement de race
intelligente et industrieuse au point que les Turcs eux-mêmes, tout en l'exécrant,
étaient forcés de lui demander ingénieurs, commerçants et fonctionnaires. »
Camille Mauclair, « Un noble peuple méconnu — Les Arméniens », L’Indépendant, 5 août 1939 :
« C’est donc avec chagrin, avec indignation, que j’ai vu récemment à propos d’une colonie arménienne établie à Valence [dans la Drôme], et s’y tenant aussi parfaitement que les Espagnols rouges [les Espagnols républicains, qui avaient combattu le franquisme allié à Hitler et Mussolini] traiter les Arméniens en “chômeurs étrangers”. Chômeurs ? Peut-être, par force. Mais “étrangers” ? Ce sont des protégés et ce nom seul leur convient. On ne les verra jamais se confondre avec les suspects, les indésirables qui nous envahissent, et qui pourraient, dans le sinistre calcul des communistes, devenir les auxiliaires du chambardement social. Parmi ces Arméniens réfugiés en France, nous ne trouverions, à l’heure du danger, que de loyaux soldats. Et il est urgent de leur accorder un statut spécial, car ils sont des nôtres. »
Camille Mauclair, « La jeune
peinture française, libérée des métèques et des juifs, va renouer avec ses
vraies traditions », Le Matin,
13-14 décembre 1941, p. 1 :
« La débâcle
des métèques et des affairistes internationaux, l'expulsion des juifs du
commerce des tableaux, marquent pour la peinture française la fin d'une crise
très grave. Non seulement te marché pictural était entièrement, depuis plus de
vingt ans, aux mains d'une maffia. mais l’art lui-même était contaminé par des théoriciens
chambardeurs dont les desseins étaient facilités par la résignation du grand
public, l'inertie académique, l'acquiescement de certains fonctionnaires et
l'espoir de spéculation des snobs et des faux amateurs.
Tout cela est
maintenant dénoncé et plus que menacé. On sait ce que couvrait réellement l'affichage
tapageur de “l'art vivant”. Il n'y a plus d'école de Paris, c'est-à-dire
d'école métèque ou se disant indûment de Paris. Il n'y a plus de Maison de la
culture et d'Association des artistes révolutionnaires, foyers bolchevisants.
Il n'y a plus d'art de gauche. Les officines des mercantis juifs sont fermées
ou gérées par des aryens, et il n'est plus que de rares petites boutiques pour
exhiber encore des laissés pour compte de la laideur. »
Camille Mauclair, « Pourquoi l’Angleterre
est enjuivée », Le Matin, 16
novembre 1943, p. 1 :
« C’est une
question que se posent bien des gens, qui se représentent l'Anglais comme un
être égoïste, calculateur apparemment frigide, et dont le puritanisme
s'accommode de l'avidité politique et du souci primordial des affaires, dur
confort et de l'or. Mais Il y a aussi en lui une singulière propension au symbolisme
et au merveilleux. C'est d'elle que les Juifs se sont habilement servis pour inculquer
aux Britanniques une croyance très singulière, une sorte de mystique leur
promettant la domination du monde. Cela est inconnu du public français ;
et cela seulement permet de répondre à la question. […]
Seulement, les
Juifs, qui ont le flair des rats, sentent que les choses vont mal pour le
vaisseau Albion, et ils le désertent pour les Etats-Unis, frères de race, mais rivaux..
et où le Yankee se croit a son tour le peuple élu. Lui aussi compte tout
dominer, lui aussi est Ivre de prophéties, et
enjuivé mais cela lui coûtera cher, car le Juif apatride se sert de toutes
les patries, mais les hait et les lâche.
Un jour, il
dressera contre le Yankee le bolchevik, troisième peuple élu qui dévorera les
deux autres après les avoir infectés. »
Remarques :
1) Nulle part dans son étude hagiographique citée plus haut, Edmond Khayadjian ne prétend que les idées d’extrême droite, xénophobes et antisémites de Camille Mauclair auraient gêné, si peu que ce fût, même sous l’Occupation, son ami Archag Tchobanian ;2) Dans La France face au génocide des Arméniens (2015), Vincent Duclert n’évoque Mauclair qu’en passant, occultant ainsi son rôle central dans le (petit) mouvement arménophile de France, entre 1917 et 1919, et l’amitié de toute sa vie avec Tchobanian. Il ne dit pas non plus un mot des idées d’extrême droite désormais professées par Mauclair, se contentant de rappeler son passé dreyfusard, sans aucun rapport avec ce qu’il pensait désormais.
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