Quelques mots de contexte : le 15 mai 1919, l’armée grecque débarque à
İzmir, sous prétexte d’y maintenir l’ordre (ordre qui n’est en fait pas
menacé du tout, comme l’établit plus tard la commission d’enquête franco-anglo-italo-américaine)
et commence à y pratiquer la purification ethnique ; à partir de 1920, le
gouvernement britannique de David Lloyd George s’appuie sur la Grèce pour faire
exécuter le traité de Sèvres, l’opinion publique, au Royaume-Uni, ne pouvant
tolérer une intervention directe, après quatre ans de guerre mondiale ;
mais finalement, les forces grecques et leurs volontaires arméniens sont
écrasés en août-septembre 1922 et pratiquent alors la politique de la terre
brûlée. İzmir est prise sans combat le 9 septembre 1922, mais brûle en grande partie
du 13 au 16.
J’ai démontré en 2017, dans une revue américaine à comité de lecture, et sans être contesté depuis, que cet incendie est un
acte préparé par le commandement hellénique puis exécuté par les
nationalistes-révolutionnaires arméniens de la ville (qui n’étaient pas, en
tout cas en majorité, natifs d’İzmir). Voici maintenant, non pas l’ensemble
de mes sources (ce serait beaucoup trop long), mais les articles des envoyés
spéciaux de la presse française, ainsi qu’une source juive et deux sources
américaines pour les corroborer.
« Dans les décombres
de Smyrne — Ce sont les Arméniens qui allumèrent l’incendie en abandonnant leur
quartier », Le Matin, 22
septembre 1922, p. 1 :
« Smyrne, 20 septembre.
[DE NOTRE ENVOYÉ SÉCIAL]
Par radiodélégramme à bord
du Pierre-Loti
L’incendie qui s’était déclaré à Smyrne le mercredi 13 septembre, à ii
heures, était maîtrisé dès le jeudi 14. Il fut activé par un vent du sud-ouest,
qui rabattait les flammes vers la mer. Les maisons ont été détruites sur une
superficie de 280 hectares. Les deux tiers de la ville ont été anéantis.
Poussée sur le front de mer, la population fut prise de panique. Un grand
nombre de personnes tombèrent dans l’eau ou s’y jetèrent par frayeur. Hier
encore de très nombreux cadavres flottaient dans le port.
Je me suis promené longuement parmi les décombres, qui recèlent aussi des
cadavres. La puanteur est affreuse. Mon
enquête personnelle confirme absolument que l’incendie fut allumé par les
Arméniens dans leur quartier avant de l’abandonner. Le pillage qui s’ensuivit
fut l’œuvre des Kurdes qui suivent l’armée turque et de la racaille de Smyrne,
sans distinction de nationalité ni de race.
Mustapha Kemal pacha semble avoir gardé un pariait contrôle sur les troupes
régulières, sur lesquelles les. Arméniens, tous armés et surexcités par leurs
prêtres, ont tiré et jeté des grenades.
Les Français ont été
respectés et écoutés par les Turcs. Pendant l’incendie, nos marins ont eu toutes facilités pour procéder au
sauvetage des réfugiés : aussi travaillent-ils sans relâche et avec un dévouement
admirable à transporter des réfugiés à bord du Jean-Bart, de l’Edgar-Quinet et
des autres navires de guerre.
Le transport Tourville embarque
aujourd’hui 1.200 réfugiés. Le Pierre-Loti
emmène à Constantinople 300 malades, tous Arméniens ou Grecs provenant de camps
de concentration [au sens de : camps de prisonniers] visités par la Croix-Rouge
américaine.
Le général Pellé [haut-commissaire de France à İstanbul] est venu
conférer avec l’amiral Dumesnil et les autorités kémalistes au sujet de l’évacuation
des réfugiés. »
Jean Clair-Guyot, « Dans les rues de
Smyrne anéantie », L’Écho de
Paris, 22 septembre 1922, p. 1 :
« (De notre envoyé spécial.)
Smyrne, 20 septembre.
Je parviens à Smyrne, grâce à l’autorisation de l’amiral Dumesnil. Le
spectacle est identique à celui de Reims [cité ravagée par l’armée allemande],
mais, l’anéantissement de la ville a été total moins de 48 heures, par l’incendie.
[…]
L’enquête des autorités françaises conclut que l’incendie a été allumé par
les Grecs et les Arméniens pour que les Turcs trouvent la ville détruite. Les
passions politiques et religieuses rendent toute précision difficile, mais l’unanimité
reconnaît la barbarie des Grecs dévastant tout dans leur retraite vers
Smyrne. »
Georges Vitoux, « Une journée
dans les ruines de Smyrne », Le Petit
Parisien, 28 septembre 1922, p. 3 :
« Smyrne, 20 septembre (de notre
env. spéc.)
Les nouvelles de ces trois derniers jours nous avaient préparé au spectacle
de désolation qui nous attendait ici.
Dès l’entrée dans la baie de Smyrne, en effet, on a la sensation du
désastre qui vient d’accabler la ville. De multiples foyers dégagent encore d’épaisses
fumées couvrant l’horizon. Dans la rade, de nombreux bateaux sont à l’ancre,
parmi lesquels on aperçoit vite les pavillons des vaisseaux français Edgar-Quinet, Jean-Bart, du transport Tourville.
Au fur et à mesure que nous nous rapprochons du rivage, du reste, les
choses se précisent. Les quais du port apparaissent bientôt couverts d’une
foule grouillante dernière laquelle on aperçoit, s’étageant sur la colline, des
façades en ruine d’où surgissent, par endroits, quelques rares édifices paraissant
avoir moins souffert. Enfin, nous, jetons l’ancre à une courte distance des quais
et, à peine avons-nous mouillé qu’arrive, rapide, une vedette de l’Edgar-Quinet suivie bientôt de canots
qui amènent, à notre bord des réfugiés ou protégés français venant du bateau
amiral où ils sont hospitalisés depuis déjà près d’une semaine et que nous et
que nous allons devoir mener à Constantinople.
Allons-nous pouvoir descendre à terre ? Les premières conversations avec’
nos nouveaux hôtes peuvent nous faire craindre de sérieux empêchements.
Complètement affolés pour la plupart, ceux-ci, encore sous le coup des heures
atroces qu’ils viennent de vivre, nous rapportent avec horreur leurs angoisses.
Celles-ci durent être extrêmes et rien ne saurait le montrer davantage comme ce
récit que nous faisait tout à l’heure une des religieuses françaises embarquées
à notre bord, récit effroyable que lui avait fait une femme grecque, domiciliée
dans un des faubourgs de la ville, et qui, dès le début des troubles, s’était
réfugiée dans une cave avec ses six enfants. Dans la crainte de voir arriver
les pillards et de ne pouvoir leur échapper, comme elle ne réussissait pas à
faire taire ses enfants apeurés, cette mère n’hésita point à les égorger tous
successivement, mesure qui seule, déclarait-elle ensuite, avait pu lui permettre
d’échapper aux « Turcs assassins ». Et la même religieuse nous rapportait
encore la tragique aventure d’un fonctionnaire turc, habitant de Smyrne, qui, ayant
été du fait des événements, éloigné de sa demeure durant quarante-huit heures,
trouva à son retour, dans son jardin, pendu à un arbre par les seins, qui
avaient été abominablement tenaillés, le cadavre d’une jeune femme de ses
parentes.
De tels récits passent l’imagination et montrent sans doute possible que
les racontars circulant dans certains milieux et que s’empressent de propager
quelques journaux grecs royalistes que toutes les atrocités ont été le fait des
Turcs, sont réellement erronés. Aussi bien, comme nous le disait fort justement
à son bord, lorsque nous fûmes lui rendre visite avant de descendre à terre
accompagnés d’un officier et de quelques matelots armés, l’amiral Dumesnil, comment admettre que les Turcs arrivant à
Smyrne, dont la possession e:t pour eux de première importance, aient eu pour
première préoccupation de détruire cette ville et ses richesses considérables N’est-il
pas plus logique de penser que les Arméniens et les Grecs, qui, au cours de
leur retraite en Anatolie ravagèrent systématiquement toutes les villes situées
sur leur passage, ont joué un rôle prépondérant dans les destructions
effectuées à Smyrne ? Et de fait il semble bien qu’il en ait été de la sorte.
Les deux premiers jours de l’occupation turque se passèrent dans le calme.
C’est seulement le mercredi 13 septembre, en effet, vers midi, alors que
refluaient dans la ville Grecs et Arméniens, chassés par l’armée turque
victorieuse, que se déclara tout coup dans le quartier arménien, aux environs
de l’église, un premier foyer d’incendie, en même temps que de divers côtés
éclataient des grenades et qu’étaient tirés sur les soldats réguliers des coups
de fusil et de revolver, ce qui ne tarda pas, naturellement, à susciter des
représailles.
Dès lors, l’émeute fut déchaînée. Les incendies, qui durèrent trois jours,
se multiplièrent et, favorisés par le vent du sud qui se mit à souffler, ne
tardèrent pas à s’étendre sur une surface considérable, couvrant, sur une
longueur d’environ deux kilomètres, allant de la douane et du bazar qui furent
épargnés usqu’au quartier de la Pointe, et sur une largeur sensiblement égale,
un secteur limité vers l’est par la ligne du chemin de fer, vers l’ouest par la
mer, secteur comprenant notamment tout le quartier arménien et dans lequel il
ne subsiste aujourd’hui d’intacts que quelques rares monuments, entre autres le
temple protestant, l’église Saint-Jean, une partie de l’hôpital français, l’école
de l’Alliance israélite, l’immeuble du Crédit lyonnais, le couvent des
Lazaristes.
Comme on pouvait s’y attendre, devant le feu toute la population, prise d’une
effroyable panique, reflua sur le port où se produisirent des scènes atroces.
Sous les débris enflammés, qui tombaient à tous instants, irréguliers turcs,
kurdes, arméniens, grecs, tous les bandits de la contrée, dans une bousculade
qu’on ne saurait décrire, se livraient au pillage et au meurtre. Des centaines
et des centaines de malheureux furent précipités à la mer.
De telles horreurs, naturellement, ne pouvaient manquer, par ailleurs, de
susciter des actes de dévouement. Nos marins, en particulier, n’eurent garde d’oublier
leurs traditions. Sans retard, l’Edgar-Quinet,
le Jean-Bart, accueillirent des
refugiés et s’employèrent à assurer leur évacuation au moyen des bateaux
français en partance pour les ports méditerranéens ou de passage à Smyrne.
[…]
— Dr Georges Vitoux »
Louis Daussat, «
Dans Smyrne fumante — Visions d’horreur ! », Le Petit Marseillais, 28 septembre 1922, p. 1 :
« Combien les événements de Smyrne ont-ils fait de victimes ? Il
est impossible de le dire. Dans quelques jours, quand la mer rendra les
cadavres, on pourra avoir une approximation, très relative au surplus. Mais en
tout état de cause, il apparaît, nous disait une autorité, que l’on eût pu s’attendre
à des représailles autrement lourdes de la part d’une armée qui était enivrée
par sa victoire et qui venait de traverser le théâtre des exactions et des
crimes de ses ennemis. Qui est responsable de l’incendie et des horreurs qu’il
a entraînées ? Les Turcs, grisés par leur succès, fanatisés par l’Islam et
levant l’étendard vert du Prophète, affirment leurs adversaires. À cette thèse
s’oppose celle que ne formulent pas les seuls Turcs.
“Par quelle aberration les Turcs, à l’heure où ils la recouvraient sans
contestation, auraient-ils ruiné une des villes auxquelles ils tenaient le
plus ? Par contre, il est tout naturel que les destructeurs soient ceux
qui voyaient la ville leur échapper sans espoir, ceux qui ont un
compte séculaire de haine
sanglante ouvert avec les Turcs, ceux qui ont fusillé et mitraillé les
troupes turques qui faisaient une entrée paisible [dans İzmir], ceux qui
possédaient, chacun dans son intérieur, des armes, des munitions, qui étaient
fanatisés par une propagande incendiaire. Ceux-là, ce sont les Arméniens.”
Cette thèse-là n’a pas pour elle seule[ment] la force du raisonnement, mais
encore celle des preuves matérielles et c’est pourquoi les milieux français l’ont
adoptée. Quels qu’ils soient, les auteurs du crime de Smyrne sont au rang des
plus grands coupables de l’histoire. »
G. Ercole, « Devant Smyrne
en flammes », L’Illustration, 30
septembre 1922, pp. 278-279 :
« 13 septembre.
[…]
Vers 2 heures de l’après-midi, une épaisse fumée monte en ligne droite au-dessus
du quartier arménien. L’incendie, pourtant, ne se propage pas et semble bientôt
maîtrisé. Cependant, sur les quais, déferle un flot noir de gens affolés qui veulent
s’embarquer coûte que coûte. Un navire américain, qui se trouve presque à quai,
devant le consulat des États-Unis, est obligé de prendre le large, car des
hommes se sont jetés à l’eau pour tenter de monter à son bord.
Mais voici que l’on distingue, toujours dans le quartier arménien, deux nouveaux
foyers, beaucoup plus importants. La situation devient sérieuse, car le vent du
Sud augmente d’intensité et pousse les flammes vers le quartier européen, où quelques
lueurs apparaissent déjà. Des coups de feu crépitent, des grenades explosent. Ce sont les Arméniens qui, décidés à mourir
plutôt que de souffrir l’occupation turque, ont incendié leurs maisons et
engagé le combat avec les soldats turcs. Des dépôts de munitions sautent dans
un vacarme formidable. »
Et pour les lecteurs qui voudraient effectuer des recoupements, les lignes
suivantes leur sont soumises.
E. Amiel, directeur de l’école
de l’Alliance israélite universelle à Tire, lettre du 29 septembre 1922,
reproduite dans Henri Nahum (éd.), La
Grande Guerre et la guerre gréco-turque vue par les instituteurs de l’Alliance
israélite universelle d’İzmir, İstanbul, Les éditions Isis, 2003, p. 71 :
« Pour comble de malheur, Smyrne n’a pas échappé à ce sinistre ;
plus de la moitié de la ville fut incendiée par les Arméniens, une cause de
plus pour augmenter la misère des réfugiés israélites et autres. »
Dépêche du vice-consul américain Maynard Barnes, 9 octobre 1922,
reproduite dans Heath Lowry, «
Turkish History: On Whose Sources Will it Be Based? A Case Study on the Burning
of Izmir », The Journal of Ottoman
Studies, IX, 1989, p. 14 :
« Les atrocités commises à l’intérieur par les Grecs et les Arméniens
dépassent celles commises par les Turcs à Smyrne dans la sauvagerie et la
destruction gratuite. La majorité des Américains ici pense que Smyrne a été incendiée
par des Arméniens. »
Joseph L. Grabill, Protestant
diplomacy and the Near East: Missionary influence on American policy, 1810–1927,
Minneapolis, University of Minnesota Press, 1971, p. 263 :
« L’enquête menée par [Alexander] MacLachlan [directeur de l’école
américaine d’İzmir] sur les origines de l’incendie l’a convaincu que des terroristes arméniens, déguisés en soldats turcs, avaient mis
le feu à la ville. Apparemment, ces terroristes tentaient de provoquer une
intervention occidentale. »
Lire aussi :
Turcs,
Arméniens : les violences et souffrances de guerre vues par des Français
L’évolution d’Émile Wetterlé sur la question arménienne et les Turcs
L’évolution d’Émile Wetterlé sur la question arménienne et les Turcs
Ces informations sont les conclusions qui réfutent complètement les affirmations du livre de Marjorie Housepian “Smyrna 1922 The Destruction of a City” London, Faber and Faber ,1972 et confirment également le directeur décennal des pompiers d'Izmir, l'Autrichien Paul Greskovich.
RépondreSupprimerMerci M. Maxime Gauin encore une fois de plus d'avoir mis au jours des preuves irréfutables.