mardi 31 mars 2020

Camille Mauclair : tournant réactionnaire, antisémitisme, turcophobie, soutien à la cause arménienne, vichysme




Camille Mauclair (Séverin Faust, 1872-1945) était un écrivain, critique d’art et voyageur qui évolua de la gauche dreyfusarde à l’extrême droite réactionnaire vers 1905-1906, puis antisémite, et finalement vichyste. Ce fut aussi un défenseur du nationalisme arménien et un raciste antiturc.

Romy Golan, « From Fin-de-Siècle to Vichy: The Cultural Hygienics of Camille (Faust) Mauclair », dans Linda Nochlin et Tamar Garb (dir.), The Jew in the Text. Modernity and the Construction of Identity, Londres, Thames & Hudson, 1995, pp. 159-160 :
« Or, si, en 1905, les réalisations de Mauclair comme homme de lettres éclairé furent reconnues dans une modeste monographie — qui faisait partie d’une nouvelle collection consacrée E. Sansot & Cie aux « Célébrités d’aujourd’hui —, et par l’attribution de la Légion d’honneur, il est possible de soutenir qu’à ce moment-là, ses meilleures années étaient déjà derrière lui. En effet, toute l’attitude de Mauclair semble avoir changé, en seulement quelques mois, à partir du moment où il publia chez Fasquelle Trois crises de l’art actuel, en 1906. Prenant modèle sur le pesant pessimisme de Nietzsche dans Le Crépuscule des idoles, Mauclair adoptait un point de vue entièrement négatif. Les jeunes artistes étaient incapables [selon lui] de créer une nouvelle forme de symbolisme en peinture ; l’impressionnisme s’était abaissé à une sorte de sous-impressionnisme avec Cézanne et Gauguin ; les arts décoratifs en France étaient devenus triviaux avec l’industrialisation et la production de masse ; l’Art nouveau qu’il [Mauclair] avait acclamé en 1897, il le voyait désormais comme un style maniaque, hybride et ridiculement compliqué. […]
À mon avis, il ne fait nul doute que la nouvelle obsession de Mauclair pour la sauvagerie, la décadence et la corruption morale (tout cela convergeant vers une théorie du complot) provenait largement du choc et de la frustration qu’il a ressentis, comme beaucoup de catholiques français, par la récente décision du Bloc des gauches de séparer l’Église et l’État. […] Cette crise eut une forte résonance chez Mauclair. »

Thierry Roger, « Le dernier clerc : Camille Mauclair, témoin de “Mallarmé chez lui” », Revue d’histoire littéraire de la France, 2014/2, p. 433 :
« “Oublier Mauclair (1) ?”, telle serait l’injonction première à laquelle se plier lorsque l’on considère le parcours idéologiquement nauséabond d’un homme de plume figurant sur la liste noire des écrivains collaborationnistes publiée par Les Lettres françaises en 1944, auteur, à partir de 1928, de brûlots xénophobes et antisémites stigmatisant la “farce de l’art vivant”, désormais livré aux “métèques” comme aux “consortiums juifs (2)”
___________
1 Séverin Faust, alias « Camille Mauclair », originaire d’une famille alsacienne, est né à Paris en 1872 il a échappé aux poursuites de l’épuration par sa mort, tenue secrète, et survenue le 23 avril 1945 : voir à ce propos l’article nécrologique des Nouvelles littéraires (21 juin 1945).
2 Voir Camille Mauclair, La Farce de l’art vivant. Une campagne picturale (1928-1929), Paris, éditions de la Nouvelle revue critique, 1929 ; La Farce de l’art vivant II : Les métèques contre l’art français, Paris, éditions de la Nouvelle revue critique, 1930 ; La Crise de l’art moderne, Paris, CEA, [1944]. »

Edmond Khayadjian, Archag Tchobanian et le mouvement arménophile en France, Marseille, CNDP, 1986, pp. 250-251 :
« En effet, à l’occasion de cette polémique [avec Pierre Loti fin 1918, à la suite de son article dans L’Écho de Paris], la Commission de propagande arménienne [qui se résume essentiellement à la personne Archag Tchobanian, lequel travaille pour la Délégation nationale arménienne à Paris] vient de diffuser largement une série de publications où figurent tous ces textes. C’est tout d’abord une brochure intitulée Pour l’Arménie libre. Pages écrites pendant la guerre, et dans laquelle Camille Mauclair revient à la charge, expliquant pourquoi il a adressé cette lettre ouverte à Pierre Loti, qu’il reproduit ici avec tous ses écrits arménophiles […]
Plusieurs lettres de Mauclair montrent que l’initiative de cette publication revient à Tchobanian […]
Dans l’allocution qu’il [Mauclair] prononcera, le 14 mai 1938, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, pour le jubilé de Tchobanian — et dont le texte est conservé dans les archives de Tchobanian —, il déclarera avoir été “depuis plus de quarante ans [sic : en réalité, surtout depuis 1917] un défenseur obstiné de cette cause arménienne à laquelle [l’]avaient initié Anatole France et Pierre Quillard. »

Camille Mauclair, article paru dans Le Phare de la Loire, 8 juillet 1919, et reproduit dans Pour l’Arménie libre. Pages écrites au cours de la Grande guerre, Paris, Imprimerie Flinikowsky, 1919, pp. 54-55 :
« Les cruels et fourbes Ottomans seront dépouillés de leurs rapts : leurs victimes leur échapperont enfin, et ils seront parqués en Anatolie. Ils ne sont guère que six millions : Ils auront de la place, et les “giaours” grecs ou arméniens qu'ils massacraient pour se distraire, sous la protection du très-chrétien Kaiser, pourront vivre en paix sans voir surgir les hordes immondes. Il se peut que les Turcs restent à Constantinople, mais sans autorité. Il se peut aussi — espérons-le — qu'ils soient entièrement rejetés du sol européen. Leur règne de terreur et de mensonge est bien fini, et malin qui dira en quel coin de Caucase ou de Bochie se terre le “Napoléon turc”, l’aventurier Enver, ami personnel d'un de nos plus illustres écrivains turcophiles.
Il y aura une Arménie qui ne sera pas davantage russe que turque, et qui ressuscitera en nation autonome. Elle a étonné le monde par sa douceur, sa foi, son courage : elle l'étonnera par la rapidité de son relèvement de race intelligente et industrieuse au point que les Turcs eux-mêmes, tout en l'exécrant, étaient forcés de lui demander ingénieurs, commerçants et fonctionnaires. »

Camille Mauclair, « Un noble peuple méconnu — Les Arméniens », L’Indépendant, 5 août 1939 :
« C’est donc avec chagrin, avec indignation, que j’ai vu récemment à propos d’une colonie arménienne établie à Valence [dans la Drôme], et s’y tenant aussi parfaitement que les Espagnols rouges [les Espagnols républicains, qui avaient combattu le franquisme allié à Hitler et Mussolini] traiter les Arméniens en “chômeurs étrangers”. Chômeurs ? Peut-être, par force. Mais “étrangers” ? Ce sont des protégés et ce nom seul leur convient. On ne les verra jamais se confondre avec les suspects, les indésirables qui nous envahissent, et qui pourraient, dans le sinistre calcul des communistes, devenir les auxiliaires du chambardement social. Parmi ces Arméniens réfugiés en France, nous ne trouverions, à l’heure du danger, que de loyaux soldats. Et il est urgent de leur accorder un statut spécial, car ils sont des nôtres. »

« La débâcle des métèques et des affairistes internationaux, l'expulsion des juifs du commerce des tableaux, marquent pour la peinture française la fin d'une crise très grave. Non seulement te marché pictural était entièrement, depuis plus de vingt ans, aux mains d'une maffia. mais l’art lui-même était contaminé par des théoriciens chambardeurs dont les desseins étaient facilités par la résignation du grand public, l'inertie académique, l'acquiescement de certains fonctionnaires et l'espoir de spéculation des snobs et des faux amateurs.
Tout cela est maintenant dénoncé et plus que menacé. On sait ce que couvrait réellement l'affichage tapageur de “l'art vivant”. Il n'y a plus d'école de Paris, c'est-à-dire d'école métèque ou se disant indûment de Paris. Il n'y a plus de Maison de la culture et d'Association des artistes révolutionnaires, foyers bolchevisants. Il n'y a plus d'art de gauche. Les officines des mercantis juifs sont fermées ou gérées par des aryens, et il n'est plus que de rares petites boutiques pour exhiber encore des laissés pour compte de la laideur. »

Camille Mauclair, « Pourquoi l’Angleterre est enjuivée », Le Matin, 16 novembre 1943, p. 1 :
« C’est une question que se posent bien des gens, qui se représentent l'Anglais comme un être égoïste, calculateur apparemment frigide, et dont le puritanisme s'accommode de l'avidité politique et du souci primordial des affaires, dur confort et de l'or. Mais Il y a aussi en lui une singulière propension au symbolisme et au merveilleux. C'est d'elle que les Juifs se sont habilement servis pour inculquer aux Britanniques une croyance très singulière, une sorte de mystique leur promettant la domination du monde. Cela est inconnu du public français ; et cela seulement permet de répondre à la question. […]
Seulement, les Juifs, qui ont le flair des rats, sentent que les choses vont mal pour le vaisseau Albion, et ils le désertent pour les Etats-Unis, frères de race, mais rivaux.. et où le Yankee se croit a son tour le peuple élu. Lui aussi compte tout dominer, lui aussi est Ivre de prophéties, et enjuivé mais cela lui coûtera cher, car le Juif apatride se sert de toutes les patries, mais les hait et les lâche.
Un jour, il dressera contre le Yankee le bolchevik, troisième peuple élu qui dévorera les deux autres après les avoir infectés. »

Remarques :
1)     Nulle part dans son étude hagiographique citée plus haut, Edmond Khayadjian ne prétend que les idées d’extrême droite, xénophobes et antisémites de Camille Mauclair auraient gêné, si peu que ce fût, même sous l’Occupation, son ami Archag Tchobanian ;
2)      Dans La France face au génocide des Arméniens (2015), Vincent Duclert n’évoque Mauclair qu’en passant, occultant ainsi son rôle central dans le (petit) mouvement arménophile de France, entre 1917 et 1919, et l’amitié de toute sa vie avec Tchobanian. Il ne dit pas non plus un mot des idées d’extrême droite désormais professées par Mauclair, se contentant de rappeler son passé dreyfusard, sans aucun rapport avec ce qu’il pensait désormais.

dimanche 29 mars 2020

Patrick Devedjian et le négationniste-néofasciste François Duprat





François Duprat (1940-1978) fut cofondateur du Parti nationaliste français en 1959 (dissous une semaine après sa déclaration en préfecture), du groupuscule néofasciste Occident en 1964, la tête pensante du mouvement Ordre nouveau (continuation d’Occident) à partir de 1969, cofondateur du Front national en 1972 puis idéologue et stratège du parti de 1974 à sa mort (attentat à la voiture piégée). Dès son adolescence, l’antisémitisme fut son substrat idéologique. Bien avant Robert Faurisson (qui lui a largement emprunté ses idées), il a répandu le négationnisme, le vrai, c’est-à-dire la contestation de l’existence de la Shoah en général et des chambres à gaz en particulier.

Abel Mestre et Caroline Monnot, « La “folle jeunesse” de Madelin et Devedjian revient sur le devant de la scène », Lemonde.fr, 26 février 2010 :
« Dans son livre paru en 2005 au Seuil, Génération Occident, Frédéric Charpier raconte : “Une vingtaine d'individus, blousons et manteaux de cuir noir a transpercé le brouillard. Ils brandissent des barres de fer, l'un d'eux, un trident. Ils hurlent “Occident vaincra, Occident passera, De Gaulle au poteau!”, se ruent avec une hargne incroyable sur les porteurs de pancarte du Comité Viet-Nâm et s'emparent du drapeau Viet-Cong. [...] Certains militants agressés ne se relèvent pas. Ils gisent à terre au milieu des débris de verre, des boulons des barres de fer et des chaises tordues, dans des flaques de sang. Un militant de la JCR, Serge Bolloch [qui deviendra journaliste au Monde] est dans le coma. Un coup de clé anglaise lui a enfoncé la boîte crânienne. On retrouvera dans sa chair un éclat de métal, c'est dire avec quelle violence le coup a été asséné.
L'enquête de la police à la suite de ce raid crée un climat de suspicion généralisée dans le groupe. Chacun soupçonne l'autre d'avoir parlé. François Duprat est d'ailleurs frappé et pourchassé. Des interrogations se font jour sur Patrick Devedjian. Un piège lui est tendu. “Il est convoqué rue Soufflot prétendument pour une réunion. A peine a-t-il franchi le pas de la porte qu'il est frappé, déshabillé, jeté dans une baignoire. Quatre de ses camarades l'accusent d'avoir balancé aux flics et l'immerge sous l'eau. Ils veulent lui faire signer des aveux”, raconte encore Frédéric Charpier. M. Devedjian parviendra à s'échapper en sautant par la fenêtre. Et sera ramassé par les policiers. »

François Duprat, « Le mystère des chambres à gaz », Défense de l’Occident, n° 63, juin 1967, p. 30 :
« Suite à une attaque lancée par Le Monde contre le NDP, le 10 mai, ce journal [Le Monde] vient d'annoncer dans un discret entrefilet que l'assertion des militants NPD, selon laquelle: “Aucun camp de concentration comportant une chambre à gaz n'a existé sur le territoire du Reich” est exacte.
Citant la déclaration de l'Institut d'Histoire Contemporaine de Munich en date du 19 août 1960: “Il n'y a eu de chambre à gaz en aucun camp de concentration sur le territoire de l'ancien Reich”, Le Monde admet ainsi la remise en cause fondamentale d'une des légendes le plus tenaces de la IIe guerre mondiale.
On ne peut certes qu'admirer l'objectivité du Monde, reconnaissant avec pas mal de retard tout de même, un fait si important.
Mais l'on peut s'étonner à bon droit de voir Le Monde s'arrêter en si bon chemin; les journalistes de ce journal si sérieux n'ont pas d'archives très au point sur la question. Nous allons nous efforcer de leur apporter une telle documentation, qu'ils sauront, nous n'en doutons pas, exploiter avec la même objectivité.
Le SS Oberstummbannführer Sühren a été condamné à mort et pendu pour avoir fait construire et utiliser, à partir de mars 1945 (!) une chambre à gaz dans le konzentration läger de Ravensbruck, situé sur le territoire du Reich Grand-Allemand. Sühren a fait les aveux les plus complets et les Cahiers d'Histoire de la 2e guerre mondiale (Le système concentrationnaire allemand, No 15-16, juillet-septembre 1954) ont étudié en détail l'histoire de cette fameuse chambre à gaz, avec force témoignages à l'appui. Nous pouvons donc considérer que la déposition de Sühren à son procès est un faux pur et simple, probablement extorqué par des moyens douteux.
Les témoignages du Comité d'Histoire de la 2e guerre mondiale sont donc, eux aussi, nuls et non avenus.
Mais tout ceci est fort grave, car si Sühren a été contraint de mentir, d'autres SS n'ont-ils pas été, eux aussi, obligés à altérer la vérité? Si les témoins de Ravensbruck sont des faux témoins, l'historien ne doit-il pas jeter un regard plein de soupçons sur les témoins d'Auschwitz et de Dachau ? »

ð  François Duprat manipulait ici une lettre de l’historien Martin Broszat dans un hebdomadaire allemand (Martin Broszat, « Keine Vergasung in Dachau », Die Zeit, 19 août 1960, p. 16). En réalité, le professeur Broszat affirmait qu’il n’y avait pas eu de chambres à gaz dans certains camps de concentration situés dans les frontières allemandes de 1937 ; mais il n’affirmait en aucune manière qu’aucun camp de concentration de cette sorte n’avait de chambre à gaz.

François Duprat, « L’agression israélienne », Défense de l’Occident, n° 64, juillet-août 1967, pp. 22-25 :
« Les Israéliens sont-ils débarrassés des tares physiques de leur race ? […] En fait, là aussi, il n’y a guère de changements sur le ghetto, sauf un teint moins livide. […]  Israël, un pays débarrassé de la lèpre de l’internationalisme, de cet internationalisme juif, plaie de tous les peuples de ce monde ? Rien de moins vrai : si les Israéliens n’apprécient que modérément leurs frères de l’intérieur, ils savent pouvoir compter en toute circonstance sur la juiverie internationale, toujours prête à entrer en action lorsque les intérêts de la “race élue” sont menacés, n’importe où dans le monde. […]
Bâti sur une injustice et un véritable génocide (car l’expulsion de tout un peuple de patrie est un génocide, au même titre que son extermination), Israël poursuit, grâce au soutien inconditionnel de la juiverie internationale, sa “solution finale” du problème arabe. […]
L’exploitation des pseudo “six millions de morts” du national-socialisme a arraché à l’Allemagne fédérale un milliard de dollars depuis 1952. […] Le frénétique impérialisme sioniste se donne libre cours, grisé par son écrasante victoire militaire. […] Le but de la diplomatie juive est donc clair : il faut, pour Tel-Aviv, réaliser le plus vite possible le plus grand Israël, et asservir totalement les peuples arabes. »

ð  François Duprat théorisait ici le triangle antisémitisme-antisionisme-négationnisme, repris par Robert Faurisson à la fin des années 1970 et plus récemment par Alain Soral.

Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, François Duprat, l’homme qui inventa le Front national, Paris, Denoël, 2012 :
« L’antisionisme n’est ici pas séparable de l’accusation de génocide à l’encontre des Palestiniens et du négationnisme. Le sionisme est censé concerner tous les Juifs, il devient le meilleur instrument de la délégitimation antisémite, puisqu’il permet de faire reposer sur celle-ci une rationalité politique et non raciale, et ainsi de contourner l’ombre réprobatrice du judéocide. […]
Pour développer cette propagande, Duprat crée deux structures et prend langue avec divers interlocuteurs. Il constitue un Centre d’études et de documentation des problèmes du Proche-Orient et un Rassemblement pour la libération de la Palestine. » (p. 83)
« En effet, des réunions ont lieu afin de mettre en place un “Front commun antimarxiste” […] Y participent, pour le Mouvement Jeune Révolution, Jean Caunes et Nicolas Kayanakis […] et Patrick Devedjian, en qualité de secrétaire-trésorier du Centre d’études et de documentation des problèmes du Proche-Orient présidé par Duprat. » (p. 91)
« Poursuivis pour coups et blessures au Centre d’Assas, [François] Duprat et [Alain] Robert ont pour avocat P. Devedjian, qui obtient leur relaxe — RGPP, 28 novembre 1972, 3 p. ; idem, 11 décembre 1972 (APP, GAD8 666.293). » (p. 298)
« Ce que [Duprat,] le leader des GNR [Groupes nationalistes révolutionnaires] vise bien est la liquidation du libéralisme politique tel que connu depuis le siècle des Lumières, au profit d’une vision de fusion organique de la communauté du peuple et de l’État. Un point de vue qui justifie son autoqualification comme fasciste, mais qui relève donc de la branche “droite” de ce dernier, soucieuse de sa revanche contre la Révolution française […]. » (p. 223)

Patrick Devedjian, entretien au Monde, 13 février 2005 :
« Je ne me suis jamais caché de mon passé. J’étais d’origine arménienne et c’était aussi une façon, pour moi, de me sentir français. J’étais anticommuniste et, finalement, je n’ai pas changé. Je me suis engagé pour la cause de l’Algérie française. J’ai quitté Occident en 1966, après avoir découvert Raymond Aron. Ce mouvement n'avait rien à voir avec l'extrême droite de Jean-Marie Le Pen. C'était une autre époque, on ne peut pas comparer. »
Patrick Devedjian parvenait ainsi à cumuler plusieurs mensonges en quelques lignes :
  •   Il a d’abord nié, en 1983, avoir milité, à quelque moment que ce fût, à l’extrême droite ;
  •   Il n’a pas quitté Occident en 1966, de sa propre initiative : il en a été exclu en 1967 (voir plus haut) ;
  •  Les anciens dirigeants d’Occident, après la dissolution de 1968, ont créé, l’année suivante, Ordre nouveau, c’est-à-dire le mouvement qui a créé, en 1972… le Front national (le tout sous l’inspiration de François Duprat). Et le choix de Jean-Marie Le Pen, aussi étrange que cela puisse paraître aujourd’hui, était justement une première tentative de « dédiabolisation », un national-populiste comme Jean-Marie Le Pen faisant moins peur que les néofascistes à barre de fer d’Ordre nouveau et les vétérans de la collaboration comme Victor Barthélémy.

Il est à relever cependant qu’encore en 2005, Patrick Devedjian ne regrettait rien, ni de son passage à Occident, ni de ses affinités avec François Duprat : bien au contraire, il justifiait son passé au nom de « l’anticommunisme », éternel alibi des fascistes, de même que « l’antifascisme » est celui des staliniens et autres partisans du communisme totalitaire. Voilà qui est très ironique pour quelqu’un qui n’avait que « négationnisme » (quand ce n’était pas « fascisme turc ») à la bouche pour répondre à ses contradicteurs sur le conflit turco-arménien.

Quoi qu’il en soit, tout cela conduit nécessairement à se demander pourquoi Patrick Devedjian s’est tellement acharné contre l'historien anglo-américain Bernard Lewis (encore dans un entretien à Marianne, numéro spécial d'avril 2015) alors qu'il n'a jamais rien dit contre l'universitaire français Xavier de Planhol, dont les conclusions sur le conflit turco-arménien n'étaient pas foncièrement différentes de celles de feu Lewis, et alors que le défunt de Planhol les exprimait de manière au moins aussi nette.


Lire aussi : Patrick Devedjian (1944-2020) : un soutien constant pour le terrorisme antifrançais et antiturc

Patrick Devedjian (1944-2020) : un soutien constant pour le terrorisme antifrançais et antiturc






Patrick Devedjian, plaidoirie en défense pour Mardiros Jamgotchian, terroriste l’Armée secrète arménienne pour la libération de l’Arménie (ASALA), assassin de Mehmet Savaş Yergüz, secrétaire du consul de Turquie à Genève, 19 décembre 1981, reproduite dans Jean-Pierre Richardot, Arméniens, quoi qu’il en coûte, Paris, Fayard, 1982, p. 117 :
« Mehmet Yergüz [sans arme et abattu dans le dos] était un soldat. Un soldat au service d’un combat qui n’est pas beau. Il a été tué par un soldat [Mardiros Jamgotchian] qui combat pour une cause, et si on fait pencher la balance du côté de l’horreur, elle ne penchera pas de notre côté. »

Patrick Devedjian, plaidoirie en défense pour Max Hraïr Kildjian, terroriste des Commandos des justiciers du génocide arménien (CJGA), jugé pour tentative d’assassinat sur l’ambassadeur de Turquie à Berne, 23 janvier 1982, reproduite dans Comité de soutien à Max Kilndjian (éd.), Les Arméniens en cour d’assises. Terroristes ou résistants ?, Roquevaire, Parenthèses, 1983, pp. 173-174 :
« Je voudrais aussi répondre à ce qu’a dit Maître [Alain] Vidal-Naquet [avocat de l’ambassadeur, partie civile] en parlant de ceux qu’on qualifie de “terroristes arméniens”, et qui ne sont que des résistants. Je rappelle qu’il faut le rappeler, qu’il y a des mots qu’il faut employer avec prudence. Le mot “terroriste” est un mot qui a été inventé par la propagande nazie [mensonge : ce mot est apparu dans la langue française à la fin du XVIIIe siècle et a été revendiqué par la Fédération révolutionnaire arménienne, maison-mère des CJGA, dans son programme de 1890] pour désigner les résistants. Le mot “terroriste” a été appliqué pour la première fois aux résistants qui se battaient contre le nazisme. »

ð  Parmi les actes de « résistance » commis à cette date, citons le double attentat d’Istanbul par les CJGA, le 29 mai 1977 (cinq morts et une cinquantaine de blessés), l’assassinat de Neslihan Özmen, tuée par Monte Melkonian (alors numéro 2 de l’ASALA), le 31 juillet 1980, pour le crime d’être née turque, l’attentat à l’explosif de l’ASALA à la gare Cornavin, le 29 juillet 1981 (un jeune Suisse tué) et la tentative de mettre le feu à l’usine d’allumettes de Nyon, le 21 janvier 1982 (ce qui, en cas de succès, aurait complètement ravagé cette ville suisse). Les faits reprochés à Max Hraïr Kilndjian furent requalifiés en complicité de tentative d’assassinat après que la cour d’assises fut menacée de lynchage par les partisans de l’accusés. Franck « Mourad » Papazian a ainsi écrit dans Haïastan de février 1982, p. 14 : « Cette foule [...] qui a su quand il le fallait crier, chanter ou garder le silence, a sûrement influencé la décision du jury. [...] Et puis, cette foule, non pas excitée, mais convaincue, quelle allait être sa réaction [en cas de condamnation supérieure au temps passé en détention provisoire] ? Mieux vaut ne pas y penser. »

Patrick Devedjian, entretien à Nokta, 19 janvier 1983, imprimé dans l’édition du 7 mars, cité dans L’Humanité du 12 août puis dans Le Monde du 13 :
« Jusqu'à aujourd'hui, le terrorisme arménien était un signe de colère. Maintenant, il va falloir instaurer un système qui fera réellement pression sur la Turquie. […] Il s'agit, plutôt que d'un simple attentat, de faire boycotter la Turkish Airlines et de répandre l'idée que la T.H.Y. est dangereuse pour voyager. »

ð  Six mois plus tard, ce fut l’attentat d’Orly et ses huit morts, dont quatre français (sans compter les blessés).

Entretien de Serge Der-Loughian, directeur du Trait d’union (journal arménien de France) au mensuel Armenia (Marseille), octobre 1983, p. 19 :
« En fait, il [Patrick Devedjian] ne peut rien nier puisque cette interview a été enregistrée. »

« Il était environ 15 h 30, lundi, lorsqu'une violente explosion a secoué le petit immeuble du 8, rue Boudreau, dans le neuvième arrondissement de Paris. Trois niveaux, dont un entresol sur rez-de-chaussée, que se partagent une société de personnel intérimaire, une maison de cravates, le siège parisien de la British Legion et les bureaux d'une agence de voyages spécialisée dans le tourisme en Turquie, la société Marmara. […]
Dans les bureaux de Marmara, au premier étage, Mme Renée Morin, vingt-six ans, célibataire, employée depuis dix-huit mois en qualité de secrétaire, est tuée sur le coup, par la chute du faux plafond de son bureau. Les vitres ont volé en éclats, blessant sans gravité quatre passants, mais la charge explosive, déposée sur le palier du premier, et dont le poids se situerait, selon les premières constatations des experts, entre 500 grammes et 1 kilo, a dégondé la porte blindée de l'agence de voyages, brisé plusieurs cloisons et plafonds et descellé la cage d'escalier, dont plusieurs volées de marches se sont effondrées. 
Lors de l'explosion, la colonne de gaz s'est rompue mais, par miracle, ni le feu ni une nouvelle explosion [ce qui aurait tué tout le monde dans l’immeuble] ne se sont déclarés. »

Patrick Devedjian, entretien à l’Armenian Reporter (New York), 6 juin 1985, p. 2 :
« Ils appellent ça terrorisme, j'appelle ça résistance. Je défends ces garçons [les terroristes de l'ASALA] parce que ce sont des Arméniens en révolte. »

« Quatre Français faisant partie d'un groupe de 25 touristes français ont été enlevés samedi soir près de Tatvan (Kurdistan de Turquie). Selon les autorités locales, un commando de 15 personnes, dont 7 femmes, appartenant au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, indépendantiste), avait intercepté, samedi soir, l'autocar des touristes. Ankara a indiqué que les 4 personnes enlevées sont MM. Pierre Six (quarante-trois ans), Michel Coudray (cinquante-deux ans), Robert Audoin (cinquante et un ans) et Fernand Haron (soixante-six ans). »

« Treize militants kurdes condamnés pour racket contre des Turcs », Libération, 18 avril 1996 :
« Treize militants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ont été condamnés hier par la 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour le racket ou des tentatives de racket de ressortissants turcs dans le sud-ouest de la France en 1993 et 1994. Hasim Gonul, dit «Zana», a été notamment condamné à trois ans d'emprisonnement, dont six mois avec sursis, et trois ans d'interdiction du territoire français.
Selon le tribunal, Gonul est un “important responsable du PKK expédié dans le Sud-Ouest pour effectuer la collecte de fonds de l'année 1993, avec utilisation, en cas de nécessité, de violences ou de menaces”. Il a été déclaré coupable d'extorsion de fonds, tentatives d'extorsion de fonds, et participation à une association à caractère terroriste. “Terroriste”, dit le tribunal présidé par Mme Jacqueline Rebeyrotte, car “l'action principale du PKK, la lutte armée en Turquie, s'accompagne d'actes de violence contre les personnes et les biens à l'étranger, notamment en France”. »

« Le député RPR Patrick Devedjian a estimé que les autorités turques ont commis “un acte de piraterie internationale” en capturant le chef du PKK. »

Patrick Devedjian, entretien à Marianne, numéro hors série, avril 2015 :
« C’est le terrorisme arménien qui a fait connaître la cause arménienne. Le premier fut l’affaire Kilndjian, un socialiste arménien, buraliste sur la Canebière, jugé par la cour d’assise d’Aix en Provence, en 1982, pour sa participation présumée à une tentative d’assassinat contre l’ambassadeur de Turquie à Bern.

Le procès, qui a duré 8 jours [sic : deux], a donné lieu à une mobilisation fabuleuse [la menace de lynchage contre les jurés et juges vue plus haut]. Deux mille Arméniens campent en permanence au Palais de justice. Ce fut la première médiatisation forte du génocide. Kilndjian a été condamné à une peine qui couvrait sa préventive. »

« Patrick Devedjian au dîner de l’AFAJA » (Association des avocats et juristes arméniens de France), 27 novembre 2012 :
« Dans l’hommage qu’il lui a rendu, Me Alexandre Couyoumdjian, président de l’AFAJA, a rappelé l’implication de Patrick Devedjian depuis plus de trente ans, comme avocat, dans la défense de la cause arménienne, à travers notamment les procès d’Alec et Suzy [ASALA], Mardiros Jamgotchian, Max Kilndjian, Dimitriu Giorgiu (Monté Melkonian), le commando Van [également de l’ASALA] et enfin Bernard Lewis. »

Jean-Marc « Ara » Toranian, ancien chef de la branche « politique » de l’ASALA en France, « Adieu Patrick », armenews.com, 29 mars 2020 :
« Avec sa disparition […] le monde arménien la plus grande figure publique qu’il lui restait, après la mort il y a un an et demi de Charles Aznavour. La perte est immense. À la hauteur de l’émotion qui est en train de submerger la communauté. Car cet avocat de profession était l’un des plus grands défenseurs de sa cause, depuis les années 75 où il s’était porté volontaire pour plaider en faveur des premiers combattants emprisonnés : les membres de l’Opération Van, Max Kilndjian, Monté Melkonian. Tout en étant à l’époque le conseil de Jacques Chirac et du RPR ! C’est-à-dire, du pouvoir en place, de l’ordre national et international établi. Mais lorsqu’il était question du génocide - qui l’avait structuré avait-il dit dans une interview à Marianne-, Patrick Devedjian n’écoutait que son cœur arménien, qui le poussait à chaque combat à se porter en première ligne. »

Effectivement, quand on exalte le terrorisme qui a conduit à Orly, on n’« écoute » rien de français…

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