Les nationalistes arméniens, du moins en France et en Belgique, adorent se
référer au « jugement » du soi-disant « Tribunal permanent des
peuples ». Outre que ce « tribunal » n’en était pas un (un
tribunal est une institution créée par un État ou une institution interétatique ;
le « TPP » ne comptait pas un seul magistrat dans ses rangs), il est
important de savoir qui présidait la séance de 1984, au terme de laquelle, sans
qu’aucun membre n’ait mis les pieds aux archives ottomanes, ni aux archives
britanniques relatives à l’enquête de 1919-1921 (qui s’est soldée par l’échec
le plus complet à trouver des preuves contre les 144 ex-dignitaires ottomans
internés à Malte), sans avoir entendu un seul historien contestant la
qualification de « génocide arménien » (Türkkaya Ataöv, Heath Lowry, Andrew
Mango, Justin McCarthy, Stanford Jay Shaw, Salâhi Sonyel…) a retenu cette
qualification. Le président de séance était le Belge François Rigaux, partisan
résolu du régime des Khmers rouges au Cambodge — et, ce
qui va de pair, irréductible ennemi d’Israël.
Franck Latty, « François Rigaux
(1926-2013) », Sfdi.fr, 2013 :
« A travers la Fondation pour le droit et la libération des peuples
qu’il préside, Rigaux est à l’origine de la Déclaration universelle des droits
des peuples, signée à Alger le 4 juillet 1976, puis de la création en 1979 du
Tribunal permanent des peuples. Cette “instance éthique”, à la tête de laquelle
Rigaux est porté, destinée à répondre au “besoin de justice” des peuples opprimés,
prononcera plusieurs “jugements” concernant le Sahara occidental, le génocide
arménien, le Tibet etc. Défenseur du peuple palestinien, Rigaux parrainera la
mise en place du tribunal Russell pour la Palestine. Le militantisme juridique
de Rigaux confine néanmoins à l’aveuglement lorsque, président de l’Association
Belgique-Kampuchéa, il se rend au
Cambodge en août 1978 à l’invitation des Khmers rouges sans discerner, ni
condamner a posteriori, les horreurs commises par le régime en place. »
Anthony Bochon, « Les
Belges qui ont soutenu les Khmers rouges doivent sortir de leur silence »,
Le Soir (Bruxelles), 18 mars 2010 :
« Le cas du massacre du peuple cambodgien par ses dirigeants khmers
rouges entre 1975 et 1979 demeure à ce jour une des atrocités du XXe siècle
dont l’ampleur et les motivations idéologiques restent méconnues du grand
public européen. Plongé dans une guerre civile jusqu’au début des années
nonante, le Cambodge n’a guère pu livrer à la justice internationale les
auteurs de cette élimination systématique d’un peuple, au nom d’une idéologie
prônant l’émergence d’un Homme nouveau. Et pour cause, la qualification de
génocide reste discutée, au grand dam des familles des victimes. Cette impasse
juridique n’a pas empêché la création de tribunaux ad hoc qui, depuis plusieurs
années, permettent au peuple cambodgien de traduire en justice une partie de
leurs bourreaux. Le procès actuellement en cours de Duch, chef de la prison
S-21, montre que, à des degrés divers, les responsabilités de ces crimes contre
l’Humanité n’ont pas encore été toutes clairement établies.
Ce travail progressif en faveur d’une justice rendue au nom des droits de
l’homme ne peut camoufler la complaisance avérée de nombreux intellectuels
occidentaux dans les années septante en faveur du Kampuchéa démocratique. C’est
en effet le nom que les Khmers rouges avaient attribué à leur pays dès leur
prise du pouvoir en avril 1975. Transformé en véritable camp de concentration à
ciel ouvert, ce pays fut visité par plusieurs délégations dont celle de
l’Association Belgique-Kampuchéa. Présidée par le professeur François Rigaux –
depuis fait grand officier de l’Ordre de Léopold – cette ASBL avait publié au
retour d’un séjour effectué en 1978 à l’invitation de Pol Pot un bulletin
dithyrambique sur la société et la famille au Kampuchéa. Il fut résumé lors
d’une conférence de presse tenue le 14 septembre 1978. L’Histoire nous
confirmait cependant cinq mois plus tard que le modèle familial khmer rouge
reposait sur la dénonciation des parents par leurs enfants et que la société
pratiquait l’assassinat de toutes les personnes soupçonnées d’être des
intellectuels. […]
Les œillères idéologiques sont incompatibles avec un engagement en faveur
des droits humains et rendent ceux qui ne peuvent s’en départir responsables,
par leur vision déformée, de ne pas avoir profité de ces voyages en délégation
pour dénoncer au monde entier les atrocités du régime khmer rouge.
À la même époque, le journaliste français Jean Lacouture avait pourtant déjà admis s’être
trompé quant à la nature du régime du Kampuchéa démocratique. Il lui
suffisait – à lui du moins mais pas à d’autres – de prêter foi aux flots
grossissants de témoignages de survivants, sans qu’il n’ait besoin de se rendre
sur place pour vérifier leurs dires. Ces récits attestant la violence du régime
de Pol Pot furent malheureusement discrédités à cause de l’engagement de ces
intellectuels occidentaux dépeignant un Kampuchéa pastoral, agreste mais somme
toute idyllique ! Ce fut là une non-assistance à un peuple en danger.
Les anciens membres de
l’Association Belgique-Kampuchéa n’ont, au contraire d’homologues étrangers,
jamais exprimé le moindre regret sur cet aveuglement idéologique – pour ne pas
dire plus. Par un véritable pied de nez à la raison, son ancien président
François Rigaux est depuis estimé comme un expert des droits de l’homme et
couvert de tous les honneurs académiques et nationaux. Etre un brillant intellectuel n’excuse en rien
des agissements inadmissibles.
Le retour sur la complicité idéologique avec le régime khmer rouge est un
impératif. »
Il est remarquable que François Rigaux soit mort en ayant obstinément
refusé (y compris après la parution, dans un des quotidiens les plus vendus de Belgique,
de la tribune citée ci-dessus) de présenter la moindre apparence de regret. La
seule explication à un tel refus, c’est qu’il est resté toute sa vie convaincu
que les méthodes des Khmers rouges étaient les bonnes.
De même, il n’est nullement anecdotique ou accidentel qu’un partisan déclaré des crimes de Pol Pot ait joué un rôle fondamental dans la propagande nationaliste arménienne des années 1980, et plus précisément dans un contexte (1984) où les attentats de Paris, Orly, Lisbonne et Marseille, en 1983, avaient considérablement terni l’image du nationalisme arménien. Ce n’est nullement anecdotique car le journal, en France, de l’Armée secrète arménienne pour la libération de l’Arménie (ASALA), dirigé par Jean-Marc « Ara » Toranian, a largement dépendu, jusque vers 1980, de l’aide du quotidien Libération[1], créé avec une ligne maoïste et qui s’est réjoui de la victoire des Khmers rouges en 1975.
De même, Jacques Vergès, avocat de dirigeants khmers rouges en
raison d’une complaisance assumée pour ce régime, avait été avocat de Varoujan
Gardibjian, principal responsable de l’attentat d’Orly, là encore en raison d’affinités
(feu Vergès appartenait de fait au groupe Carlos, lui-même très lié à l’ASALA).
Cette filière cambodgienne doit se comprendre aussi au vu de l’héritage
stalinien, encore pleinement revendiqué de nos jours, d’une partie du nationalisme
arménien.
Lire aussi :
La popularité du stalinisme dans la diaspora arménienne
Le stalinisme en France et le mythe Manouchian
L’engagement (non regretté) d’Henri Leclerc (avocat de terroristes arméniens) au PCF stalinien
L’arménophilie stalinienne de Léon Moussinac
Janvier 1984 : la police de la République met au pas les énergumènes de Jean-Marc « Ara » Toranian
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire