vendredi 24 avril 2020

Avril 2001 : le boucher d’Orly libéré après le vote de la loi inconstitutionnelle « portant reconnaissance du génocide arménien »




Radio Free Europe / Radio Liberty, « Newsline », 7 mai 2001 :
« LE PREMIER MINISTRE ARMÉNIEN RENCONTRE UN MEMBRE LIBÉRÉ DE L’ASALA
Noyan Tapan et le bureau de RFE/RL à Erevan rapportent que, rencontrant le 4 mai [2001] Varoujan Garbidjian, un ancien membre de l’Armée secrète pour la libération de l’Arménie (ASALA), le Premier ministre Andranik Markarian a exprimé sa “joie” de voir Garbidjian libéré d’une prison française où il a purgé presque dix-huit ans de réclusion pour le rôle que lui a attribué [la justice française] dans l’attentat à l’explosif contre le bureau de la Turkish Airlines à Orly [erreur : la bombe était supposée exploser en vol, ce qui aurait tué 117 personnes, et ne visait donc pas le bureau lui-même]. »

Dominique Simonnot, « Le terroriste Garbidjian quitte les prisons françaises », Libération, 24 avril 2001 :
« Hier, Waroujan Garbidjian, 47 ans, un des ex-chefs militaires de l'Asala (Armée secrète pour la libération de l'Arménie), a quitté la prison de Saint-Maur (Indre) pour s'envoler vers son pays, l'Arménie. La nouvelle avait été tenue secrète depuis le 19 mars, date à laquelle les magistrats de la juridiction régi o na le de la libération conditionnelle ont décidé de sa libération anticipée, sous condition de son expulsion instantanée. Ainsi s'achève la détention en France d'un homme condamné le 3 mars 1985 par la cour d'assises du Val-de-Marne à la perpétuité pour “complicités d'assassinats, complicité d'attentat ayant pour but de porter le massacre et la dévastation, complicité de fabrication et détention de substances ou d'engins explosifs...”
Huit morts. Nous sommes le 15 juillet 1983, un vendredi à l'aéroport d'Orly. En cette période de vacances, les touristes se pressent au comptoir de la Turkish Airlines. Une bombe explose. Huit morts et cinquante blessés. Le lundi suivant, les enquêteurs ­ policiers et services secrets agissant ensemble, avec la DST, la DGSE et les RG ­ interpellent 51 personnes. Parmi elles, Waroujan Garbidjian, membre éminent de l'Asala, et trois autres activistes arméniens. Au domicile de l'un d'eux, les policiers découvrent des pistolets-mitrailleurs, des grenades, de la dynamite, des circuits électroniques. Garbidjian reconnaît être l'auteur de l'attentat d'Orly. […]
En février 1983, quelques mois avant l'attentat d'Orly, l'Asala s'attaque à une agence de voyages parisienne, tuant une employée [française, Renée Morin]. Des militants du mouvement dénonceront un peu plus tard la “dérive meurtrière et aveugle” d'Agop Agopian, fondateur de l'armée secrète. En 1985, devant ses juges, Garbidjian nie avoir posé la bombe d'Orly, s'embrouille dans ses déclarations. Le 3 mars, il est condamné à la perpétuité.
En 1990 naît la République arménienne, indépendante de l'ex-URSS. Le 29 janvier, le Parlement français reconnaît le génocide arménien perpétré par la Turquie. Ces deux événements ont probablement un lien avec cette libération, après plus de dix-sept ans de détention. Mais un changement législatif est également intervenu. Depuis le 1er janvier, ce sont en effet des juges et non le ministre de la Justice qui décident des libérations conditionnelles pour les longues peines. Ensuite, les avocats de Garbidjian, Mes [Gérard] Tcholakian, [Alexandre Armen] Couyoumdjian et Plouvier, ont longuement fait valoir leurs arguments devant la cour d'appel de Bourges. Selon eux, il y a les faits qui “s'inscrivent clairement dans un contexte politique ayant pour origine le génocide arménien, reconnu officiellement par la République française [...]. À l'émotion légitime qu'a pu inspirer la forme armée et criminelle de cette lutte identitaire, il faut ajouter la complète réadaptation de Garbidjian, l'inutilité sociale de son enfermement”. De plus, en Arménie: “Le ministre de la Justice souhaite qu'il puisse participer utilement à l’œuvre de consolidation de la jeune République.” »

ð  Quelques précisions s’imposent ici sur la défense de Varoujan Garbidjian. Lors de son arrestation, il désigne pour le défendre Henri Leclerc, qui avait déjà défendu Max Hraïr Kilndjian aux côtés de Patrick Devedjian et qui fait alors partie des avocats défendant les terroristes de l’ASALA auteurs d’une prise d’otages meurtrière au consulat de Turquie, en septembre 1981 (le procès se tient en janvier 1984). C’est seulement à l’automne 1984 qu’Hagop Hagopian ordonne à ses hommes incarcérés en France de refuser le soutien financier et politique du Comité de soutien aux prisonniers politiques arméniens (CSPPA), dirigé par Jean-Marc « Ara » Toranian (chef de la branche politique de l’ASALA en France jusqu’à la scission de l’été 1983). Le CSPPA paie les honoraires (et le cas échéant les frais) des avocats défendant les terroristes de l’ASALA en France et en Suisse. Henri Leclerc est alors remplacé par Jacques Vergès et Raffi Pechdimaldjian (autre défenseur des terroristes jugés à Paris en janvier 1984). Sur ce point, voir « Nouveau “comité” : Hagopian avance ses pions », Hay Baykar, 15 décembre 1984, p. 7.
Malgré cette rupture, M. Toranian appelle quand même à venir soutenir les accusés au procès de 1985, et après le verdict condamnant Varoujan Garbidjian à perpétuité, Soner Nayir à quinze ans et Ohannes Semerci à dix ans, l’éditorial du journal qu’il dirige alors fulmine (Hay Baykar, 11 mars 1985) :
« Un militant [sic] arménien vient d’être condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Ainsi la montée de la répression anti-arménienne que nous dénonçons inlassablement depuis des mois aura atteint, le dimanche 3 mars, à 3 heures du matin, son point culminant. […]
Ces trois condamnations constituent un nouveau coup porté à la cause arménienne. »
À une date indéterminée, Garbidjian change à nouveau de défenseurs, et le nom d’Alexandre Armen Couyoumdjian, donné par Libération, est tout sauf anodin. Cet avocat est coprésident de l’Association française des avocats et juristes arméniens (remarquez la terminologie, on ne peut plus communautariste). On lui doit, entre autres, une pitoyable tentative de justifier la proposition de loi Masse (prétendant réprimer « la contestation du génocide arménien »), rejetée par le Sénat en mai 2011, pour inconstitutionnalité criante. Plus récemment, lors d’une conférence tenue en 2017, pour commenter une décision (paragraphes 191 à 197) du Conseil constitutionnel censurant, entre autres, une tentative de pénaliser ceux qui n’approuveraient pas la qualification de « génocide arménien », Me Couyoumdjian a répété « doctrine Badinter », « doctrine Badinter », « doctrine Badinter ». On se demande bien pourquoi, M. Badinter n’ayant eu aucun rôle dans l’élaboration de cette doctrine juridique en question (dont l’origine est à chercher, notamment, chez Georges Vedel, Élisabeth Guigou, Guy Carcassonne[1] et Françoise Chandernagor) : il s’est contenté de la défendre.
Quant à Patrick Arapian, avocat curieusement non cité par Libération, et qui a aussi travaillé pour la libération du boucher d’Orly (cf. « Les Arméniens de Géorgie, victimes d’un “plan concerté de discrimination” », France-Aménie, 16 décembre 2008, p. 16), il est l’avocat de la Fédération révolutionnaire arménienne en France depuis les années 1980, ce qui éclaire la soi-disant « condamnation » de l’attentat d’Orly par la FRA en 1983 (dans un contexte où, depuis février 1983, le Parti socialiste français avait savoir à la FRA qu’elle n’aurait plus un seul de ses membres sur les listes PS aux municipales si elle ne prenait pas position contre l’ASALA). Me Arapian s’est entre autres illustré en citant à comparaître le grand historien Bernard Lewis, en 1994, parce que le défunt Lewis avait osé dire cette évidence que la qualification de « génocide arménien » ne repose sur aucune preuve. Patrick Arapian fut débouté. Il fut également débouté dix ans plus tard de son action, au civil, contre l’ex-consul général de Turquie à Paris pour le même motif.
Bref, ce sont, dans une large mesure, les mêmes qui ont défendu les terroristes arméniens (y compris le boucher d’Orly) et qui ont tenté d’imposer, sans aucune base légale, ce que l’historien Pierre Nora a qualifié de terrorisme intellectuel. Leur seul acquis juridique demeure, pour l’instant, la « loi » inconstitutionnelle du 29 janvier 2001, utilisée — avec succès — par les défenseurs du principal responsable de l’attentat d’Orly.

Varoujan Garbidjian est décédé le 29 janvier 2019. Je n’ai pas pu trouver de précision sur ses funérailles, mais les terroristes de l’ASALA sont d’habitude enterrés dans un cimetière spécial, construit par l’État arménien pour les honorer, et où des commémorations glorifiant leurs crimes ont lieu plusieurs fois par an, par exemple en août 2019.

Lire aussi :




[1] « La loi a pour vocation d’exprimer une volonté, de la traduire en normes, et non pas de dresser des constats ou de manifester des vœux, si légitimes et bien intentionnés soient-ils. […] Si l’on n’y prend garde, la loi peut devenir ainsi l’exutoire à toutes les rancœurs légitimes, et on les sait innombrables. Le Parlement se verra sommé, au lieu de définir le légal et l’illégal, de dire le vrai. […] On connaissait déjà les lois de pure circonstance. Voilà que l’on commence à découvrir les lois de pure complaisance. » (Guy Carcassonne, « La loi dénaturée », Le Point, 30 avril 1999, p. 19).

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