mercredi 17 mars 2021

Le mensonge selon lequel cinq des « documents Andonian » auraient été « authentifiés » au procès Tehlirian (1921)


 

 

Après les mensonges proférés par Soghomon Tehlirian, assassin de l’ex-grand vizir et ex-ministre ottoman de l’Intérieur Talat Pacha, lors de son procès (il prétendait avoir agi seul, alors qu’il faisait partie de Némésis, groupe terroriste créé par la Fédération révolutionnaire arménienne ; il prétendait avoir été déporté en 1915, alors qu’il a rejoint l’armée russe, dès 1914, depuis Belgrade, où il résidait ; etc.), voici un mensonge concernant le déroulé du procès lui-même.

  

Comité de soutien aux prisonniers politiques arméniens (c’est-à-dire aux terroristes ; ce comité était dirigé par Jean-Marc « Ara » Toranian), 1915. Le génocide des Arméniens, Paris, 1984, p. 77 :

« Seul Soghomon Teilirian [sic : il s’appelait Tehlirian et, parmi les terroristes de l’opération Némésis, Misak Torlakian, a également été arrêté] est arrêté et jugé à Berlin, les 2 et 3 juillet 1921. A l’issue d’un procès qui se transformera rapidement en procès de la “victime” (Talaat), Teilirian est acquitté. Son acte ne pèse rien face à l’énormité et l’évidence du crime de génocide (28).

Au cours du procès, plusieurs documents accablants mettant en évidence la responsabilité directe de Talaat sont présentés au tribunal, en particulier les télégrammes chiffrés adressés par Talaat à la préfecture d'Alep et ordonnant l’extermination des déportés [l’auteur anonyme parle ici de certains des faux publiés en 1920 par Aram Andonian]. Le télégramme suivant, figurant parmi les documents authentifiés et admis comme preuve par le tribunal de Berlin, se passe de tout commentaire.

__________

(28) “Minutes du procès de Tehlirian, traduit de l'allemand par Marcus Fisch” est paru sous le titre “Justicier du Génocide Arménien. Le Procès de Tehlirian”, Diasporas, Paris, 1981. Cet ouvrage contient également en annexe de nombreux documents et témoignages concernant le génocide arménien. »

 

Jean-Marie Carzou (Zouloumian), Arménie 1915, un génocide exemplaire, Paris, 2006, p. 329 :

« Il faut préciser en outre que, bien que l’accès aux archives turques soit également interdit pour cette période [mensonge grossier], on peut disposer d’un certain nombre de documents officiels, soit parce qu’ils ont pu être récupérés lors de la défaite turque de 1918 (c’est le cas des télégrammes reproduits dans l’ouvrage d’Aram Andonian — et nous ne citons que ceux qui ont été présentés et authentifiés à Berlin en 1921, lors du procès de Tehlirian) […]. »

 

Aurore Bruna, L’Accord d’Angora de 1921. Théâtre des relations franco-kémalistes et du destin de la Cilicie, Paris, Le Cerf, 2018, p. 184 :

« C’est la mise en place de l’opération Némésis qui rend la justice aux Arméniens. Soghomon Tehlirian assassine le grand vizir Talat pacha et grand ordonnateur de l’extermination des Arméniens [faute de syntaxe maintenue ici], à Berlin, où ce dernier s’était enfui. Les témoignages de Tehlirian [Mme Bruna ignore, ou fait mine de ne pas savoir, que Tehlirian a menti de bout en bout, par exemple en prétendant avoir agi seul], de Christine Terzibashian, Johannes Lepsius ou même du général Liman von Sanders [sic : voir ci-dessous quelques passages du témoignage en question, qui, au contraire, innocentait Talat], ainsi que les documents retenus, parmi lesquels 5 télégrammes chiffrés adressés par Talat à Naïm Bey [un festival : même le faussaire Aram Andonian, qui a publié ces « télégrammes », ne prétendait pas qu’ils fussent adressés au douteux « Naim Bey » en particulier], donnent une nouvelle dimension au procès, où le crime génocidaire de Talat et des Jeunes-Turcs [rappelons ici que l’Arménien Bedros Hallaçyan faisait partie des dirigeants jeunes-turcs…] est à son tour mis en accusation. Le tribunal acquitte Soghomon Tehlirian [pour folie, ce que Mme Bruna ne précise pas]. »

 

Ara Krikorian (éd.), Justicier du génocide arménien. Le procès de Tehlirian (traduction en français du compte-rendu du procès Tehlirian), Paris, Diasporas, 1981 :

« Déposition de l’expert Son Excellence Otto Liman von Sanders, 66 ans, protestant

Je voudrais ajouter quelques précisions d’ordre liminaire à ce qu’a dit M. le Dr. [Johannes] Lepsius.

À mon avis, tout ce qu’on appelle en général “massacres arméniens” peut se diviser en deux moments : le premier est sans aucun doute un ordre du gouvernement jeune-turc de procéder à la déportation des Arméniens [pas de tous]. De cet ordre, on peut rendre responsable le gouvernement jeune-turc, mais non lui en imputer toutes les conséquences. » (p. 127)

« En tout cas, je dois dire que, durant les cinq années que j’ai passées en Turquie, je n’ai jamais vu une seule signature de Talat contre les Arméniens. » (p. 130)

« Le défenseur [Adolf] von Gordon [avocat de Soghomon Tehlirian] (à S. E. Liman von Sanders) : Excellence, sans le dire positivement, vous avez fait comprendre que ce sont des fonctionnaires subalternes qu’il faut rendre responsables de tous les actes de cruauté ?

L’expert Liman von Sanders : Des cruautés, oui ; mais pas des déportations elles-mêmes.

Le défenseur von Gordon : Mon devoir m’oblige à répondre à ce que vous avez avancé en montrant 5 dépêches de la direction d’Alep [cinq des faux documents publiés par Aram Andonian en 1920].

(Le conseiller privé von Gordon va mettre ces dépêches sur la table.)

En demandant qu’on les considère comme des preuves, je vais lire ici deux de ces dépêches ; M. le professeur Lepsius les a vérifiées.

Le président : En les lisant ici, vous leur enlèverez leur valeur de preuve.

Le défenseur von Gordon : Mais je dois au moins dire leur sens. Les cinq dépêches prouvent que c’est Talat en personne qui a donné l’ordre d’exterminer tous les Arméniens, y compris les enfants. […] Je ne devrais faire vérifier les preuves que si les jurés n’étaient pas convaincus.

Le procureur : Je vous prie de refuser l’authentification. M. le président a déjà permis ici des explications assez vastes sur la responsabilité de Talat dans les cruautés envers les Arméniens. Cette question est tout à fait insignifiante. Car, à mon avis, il est hors de doute que l’accusé était persuadé de tuer en Talat celui qui portait la responsabilité de ces cruautés. Maintenant, la question est élucidée. Je pense aussi qu’il ne peut être question ici, dans ce tribunal, de la responsabilité de Talat. Car on prononcerait un jugement historique pour lequel il faudrait davantage de matériel que celui dont nous disposons.

Le défenseur Niemeyer [autre avocat de Tehlirian] : Je voudrais rappeler que Talat était le fonctionnaire le plus haut placé, c’est-à-dire le grand vizir [sic : Talat n’est devenu grand vizir qu’en 1917, donc après le déplacement forcé de 1915-1916]. Talat était le grand responsable de tout, on ne peut que le croire.

Le défenseur von Gordon : Après cette prise de position du ministère public et l’influence qu’elle a eue sur Messieurs les jurés, je crois que c’est le cœur gros que je vais me passer de cette demande de vérification. » (pp. 137-138)

« C’est pour cela que je [c’est ici le procureur qui prononce son réquisitoire] crois avoir le droit d’accorder la plus grande valeur à la déposition de l’autre expert, M. le général Liman von Sanders : il était sur les lieux à l’époque, avec un haut grade, et il très au courant de tout ce qui s’est passé. Ils nous a montré qu’il fallait bien distinguer les raisons qui ont dicté au gouvernement de Constantinople l’ordre de déportation et la manière dont cet ordre a été exécuté. Si le gouvernement de Constantinople a cru utile, pour des raisons d’État ou de nécessités militaires de prendre des mesures de déportation, c’est pour que les Arméniens ne les trahissent pas, pour qu’ils ne conspirent pas avec l’Entente et pour qu’ils n’attaquent pas les Turcs dans le dos et ne profitent pas de la situation pour exiger leur indépendance. […]

Il faut que je fasse cette digression pour faire remarquer que les témoins et les experts n’ont pas le droit de dire : “Il est prouvé que Talat Pacha est le responsable direct et conscient des actes de cruauté.” L’utilisation des documents produits ne peut pas non plus m’induire en erreur. Je sais, en tant que procureur, comment des documents portant des signatures de hautes personnalités sont apparus chez nous lors des troubles révolutionnaires et comment on a montré par la suite qu’ils étaient falsifiés. » (pp. 160-161)

 

Şinasi Orel et Sürreya Yuca, Les « Télégrammes » de Talat Pacha. Fait historique ou fiction ?, Paris, Triangle, 1986, pp. 95-99 :

« Cette partie sur les déportés de Malte est en rapport étroit avec les “documents” d’Andonian.

Celui-ci, nous l’avons vu, fondait “l’authenticité des documents” qu’il publiait sur la prétendue signature du préfet d’Alep, Mustafa Abdulhalik Bey.

De même on a vu que les forces britanniques qui occupaient Istanbul avaient exilé à Malte certains Turcs “qui avaient été estimés coupables des événements arméniens” pour y être jugés, et que ce même Mustafa Abdulhalik Bey était du nombre. […]

À la suite de l’armistice de Moudros du 30 septembre 1918, par lequel l’État ottoman acceptait la reddition, les pays de l’Entente qui avaient occupé Istanbul et certaines régions de I’Anatolie avaient procédé sous divers prétextes à des arrestations parmi les dirigeants ottomans. Parmi eux se trouvaient ceux qui étaient considérés comme responsables des “événements arméniens” [approximatif : seul le Royaume-Uni a procédé ainsi].

Les arrestations se faisaient d’après les listes préparées par les soins de la “section gréco-arménienne” qui travaillait auprès du Haut-Commissariat britannique à Istanbul et qui, dans cette besogne, n’épargnait aucun effort. Les Britanniques avaient transféré ensuite les détenus à Malte. Andonian précise dans l’édition française de son livre qu’il était au courant de ce développement:

“Au moment où j‘écris ces lignes, une nouvelle arrivée à Londres dit que les autorités anglaises de Constantinople [Istanbul], craignant sans doute qu’on ne cessât le procès et qu’on ne laissât en liberté tous ces criminels, les ont fait déporter à Malte dans un bateau spécial [51].”

Le préfet d’Alep, Mustafa Abdulhalik (Renda) Bey, a été déporté le 7 juin 1920 à Malte, et son numéro d’exilé était 2.800 [52].

Les pays de l’Entente avaient consacré, en outre, les articles 226 à 230 du traité de Sèvres du 10 août 1920, qu’ils avaient imposé au gouvernement ottoman, à la traduction en justice des “criminels de guerre ottomans”, y compris “ceux qui étaient tenus responsables des événements arméniens”.

[…] Comme on le voit, pas plus dans les archives des États-Unis qu’ailleurs les “preuves” que les Anglais cherchaient contre les déportés de Malte n’avaient pu être trouvées. Le Foreign Office, malgré tout, pour faire condamner les 42 personnes, dont le préfet d’Alep Mustafa Abdulhalik Bey, “responsables des événements arméniens”, avait tenté d’influencer le procureur général [de Sa Majesté en Angleterre et au Pays de Galle] en avançant la raison d’État et les “importantes nécessités politiques” ; le procureur général n’en avait pas moins persisté, à juste titre, à refuser de condamner qui que ce fût sur la base des “preuves” qu’il possédait et il en avait averti le Foreign Office par une lettre du 29 juillet 1921 [60].

La propagande étant battue par le droit, la question des «responsables turcs des événements arméniens» fut ainsi close et les déportés de Malte furent tous libérés.

L’un des 17 exilés rentrés de Malte en Turquie, à Inebolu, le 1er novembre 1921, à bord du Chrysanthemum fut Mustafa Abdulhalik Bey [61].

[…]

Le livre d’Andonian a été publié en Grande-Bretagne et en France en 1920. Cette parution, avec celle des “documents” prétendus “authentiques”, est arrivée juste au moment où les Britanniques cherchaient partout des preuves contre les déportés de Malte, fouillant les archives turques aussi bien que celles des États-Unis d’Amérique [il faut ajouter ici que des doubles de certains faux d’Andonian figurent au dossier d’accusation de plusieurs ex-dignitaires ottomans internés à Malte]. Il aurait suffi de quelques-uns seulement de des “documents” pour faire condamner nombre des prétendus responsables des “événements arméniens”, entre autres Mustafa Abdulhalik Bey. Pourquoi donc les Britanniques n’ont-ils pas accordé crédit à ces “documents” et cherché à les utiliser contre les déportés de Malte ? La réponse à cette question est simple : les Britanniques savaient que les “documents” étaient des faux et qu’ils avaient été fabriqués par les milieux [nationalistes] arméniens. »

 

Lire aussi :

L’assassin et menteur Soghomon Tehlirian : un modèle récurrent pour le terrorisme arménien contemporain

Maxime Gauin réplique à Conspiracywatch, site en pleine dérive (où il est, notamment, question des faux « documents » publiés par Andonian)

Le terrorisme interarménien pendant l’entre-deux-guerres

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Turcs, Arméniens : les violences et souffrances de guerre vues par des Français

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