samedi 5 décembre 2020

Le terrorisme interarménien pendant l’entre-deux-guerres


 


Christopher Gunn, « Getting Away with Murder: Soghomon Tehlirian,ASALA, and the Justice Commandos, 1921-1984 », dans Hakan Yavuz et Feroz Ahmad (dir.), War and Collapse. World War I and the Ottoman State, Salt Lake City, University of Utah Press, 2016, p. 909 :

« La deuxième [question] était l’assassinat, par [Soghomon] Tehlirian [membre de Némésis, le groupe terroriste créé fin 1919 par la Fédération révolutionnaire arménienne, futur assassin de Talat Pacha, à Berlin, en mars 1921], d’un informateur arménien [de la police ottomane], Haroutioune Muguerditchian, à Istanbul, en mars 1919 [faute de frappe : 1920]. »

 

Archavir Chiragian (terroriste de Némésis), La Dette de sang, Bruxelles, Complexe, 2006 (1re édition, en arménien, 1963 ; 1re édition en français, 1982), pp. 127-128 :

« Le jour arriva enfin. C’était le 27 mars 1920. À l’aube, je quittai les locaux du journal Djagadamard [contrôlé par la FRA, son siège servait de lieu de réunion à Némésis en Turquie] et me dirigeai vers la rue qu’habitait [Vahé] Ihssan [Arménien loyaliste, corédacteur de la liste de 235 suspects arrêtés à la fin avril 1915, agent de renseignement du mouvement kémaliste à partir de 1919]. Les fenêtres de sa maison étaient closes et les rideaux tirés. Vers sept heures, j’allai d’un pas tranquille vers le boulevard Tarla-Bachi pour passer le temps. Je portais un sac en papier, gonflé d’air. Je voulais donner l’impression d’un homme qui fait des courses.

Mon camarade Archag Yezdanian, homme de confiance et d’expérience, qui avait liquidé le traître [Hemayag] Aramiantz [membre du parti Hintchak, impliqué dans le complot pour assassiner le ministre de l’Intérieur Talat, arrêté en 1914, il sauva sa tête en donnant des informations à la police], avait reçu l’ordre de se poster dans le voisinage, d’une part pour me venir en aide si j’avais des ennuis, d’autre part pour tenir le Bureau [de la FRA] informé de l’issue de ma mission. Je savais qu’il n’était pas loin, même s’il demeurait invisible. Il fit ensuite un bon compte-rendu de l’événement.

J’arpentai le boulevard jusqu’à huit heures et demie. […]

Je remontai encore une fois le boulevard et aperçus Ihssan qui venait vers moi. Il marchait les mains enfouies dans ses poches. Il était toujours prêt à utiliser son arme règlementaire. […] Je m’efforçai de prendre un air détendu et souris à Ihssan comme je l’avais fait des centaines de fois. Je sortis ma main libre de ma poche et lui fit un salut de la tête. Ihssan se sentit obligé de répondre à mon salut et sortit à son tour la main de sa poche. J’attendais cet instant. Je sortis mon revolver et tirai.

Ma première balle manqua son front et le toucha à la gorge. Il voulut sortir son arme tout en appelant à l’aide les passants. […]

Ma seconde balle atteignit Ihssan au bras. Quand il comprit qu’il ne pourrait pas utiliser son arme, il se mit à courir. Je tirai encore deux fois en le pourchassant. Les piétons criaient en cherchant à se couvrir. Les gens me jetaient des pots de fleur, chaussures et autres objets par les fenêtres. Personne, cependant, n’osait se mettre en travers de ma route ou m’attraper. Ihssan tomba ; sa tête heurta une pierre. Mes troisième et quatrième balles l’avaient touché, mais il semblait invulnérable. Il était toujours vivant. Il se mit sur les genoux et essaya de se relever. Les voisins, abrités dans leur maison, continuaient de nous lancer des projectiles. Tirant parti de la confusion, Ihssan réussit à sortir son arme. Il chercha à me viser. Je sautai sur lui et lui logeai mes deux dernières balles dans la tête. Je partis alors en courant mais m’arrêtai aussitôt, incapable de fuir. Il me fallait la certitude qu’il ne respirait plus. Par nervosité et par inexpérience [Hagop Der Hagopian, alias Chahan Nathalie, coresponsable de Némésis, avait décidé d’employer des terroristes amateurs], j’avais fait du vilain travail. Son crâne avait éclaté et sa cervelle giclé sur les pavés. »

 

Note pour le secrétariat général du Département, 11 février 1929, Archives du ministère des Affaires étrangères, microfilm P 16678 :

« L’an dernier, un certain Vartabédian, tachnakiste [membre de la FRA] fut assassiné [au Liban] par les Hintchakistes [membres du parti nationaliste arménien Hintchak]. L’assassinat, commis le 18 [17] janvier dernier, d’un Hintchakiste, a été attribué, non sans vraisemblance, aux Tachnakistes et le parquet [de Beyrouth] en a fait emprisonner un certain nombre. »

 

Télégramme du haut-commissariat français à Beyrouth, 14 février 1929, ibid. :

« M. Sarkis Kiderian, dit Bekrami, chef du parti arménien Hintchag [Hintchak] de Beyrouth, ayant été assassiné le 17 janvier dernier, une quinzaine de dirigeants du parti Tachnag [Fédération révolutionnaire arménienne] a été arrêtée à la suite de l’enquête ouverte par le parquet de Beyrouth, qui a révélé la nature exclusivement politique de ce crime.

M. [Vahan] Papazian est au nombre des personnes arrêtées et dont la justice estime la détention nécessaire. »

 




« Les assassins dachnaks à l’œuvre », Rouge-midi (journal communiste), 18 novembre 1933, p. 1 :

« Les Dachnaks [la Fédération révolutionnaire arménienne] sont les ennemis acharnés de l’Arménie soviétique et n’hésitent à abattre lâchement des ouvriers, des pères de famille, adversaires de leurs idées.

Leurs meurtres, les plus récents sont l’assassinat de l'ouvrier Maroukian à Grenoble ; de l’intellectuel Keyldjian à Athènes, et du journaliste Aghazarian [dirigeant du parti nationaliste Hintchak, prosoviétique] à Beyrouth. 

Leurs agissements ont assez duré. 

Un Comité a été formé, pour dénoncer les actes sauvages et sanguinaires des Dachnaks. Il se propose de dévoiler à l’opinion publique les actes fascistes des Dachnaks et il organise pour cela un grand meeting de protestation qui aura lieu dimanche 19 novembre, à 9 h. 30. au Cinéma de la rue Tapis-Vert, de nombreux orateurs y prendront la parole, parmi lesquels un délégué de notre parti. »


Kapriel Serope Papazian, Patriotism Perverted, Boston, Baikar Press, 1934, p. 70 :

« Bedros Atamian, directeur du journal du [parti nationaliste arménien] Ramkavar [en Grèce], Nor Alik, fut attaqué dans une rue de Salonique, en Grèce, le 4 novembre 1926 au soir — frappé à la tête et poignardé. Il mourut à l’hôpital quelques heures plus tard. Archak Enofkian, un dachnak [c’est-à-dire un membre de la FRA] fut arrêté pour ce crime, juste au moment où il tentait de fuir Salonique pour Marseille, muni d’un faux passeport. L’affaire fut jugée par la cour d’assises de Salonique, les 26, 27 et 28 janvier 1928. Archak Enofkian fut reconnu coupable de complicité, et condamné à quatre ans de travaux forcés, ainsi qu’à une amende de quinze mille drachmes. »

 

Ibid., p. 62 :

« […] Hairenik [organe de la FRA aux États-Unis] admit dans ses colonnes des textes qui appelaient à s’en prendre impitoyablement à l’archevêque [Léon Tourian, de New York, adversaire de la FRA]. Dans son édition du 27 juillet 1933, il publia une lettre où de l’argent était promis à qui donnerait une leçon à l’archevêque. L’auteur d’un autre courrier, publié dans Hairenik du 1er août 1933, demandait que Tourian fût “impitoyablement puni” et s’étonnait que “Tourian ait quitté Chicago sans être puni.”

Les résultats déplorables de cette agitation fanatique ne furent pas longs à s’en suivre. Le 13 août 1933, des vauriens appartenant à la société Dachnak [Fédération révolutionnaire arménienne] agressèrent le prélat [Tourian] à Westboro, dans le Massachusetts, et l’auraient gravement blessé s’ils n’en avaient pas été empêchés. Trois d’entre eux furent arrêtés, jugés et condamnés. Hairenik approuva cette agression dans un éditorial du 17 août 1933, présenta les coupables comme des héros et fit porter la responsabilité de l’affaire à la victime. »

 

Benjamin Alexander, « Contested Memories, Divided Diaspora: Armenian Americans, the Thousand-Day Republic, and the Polarized Response to an Archbishop's Murder », Journal of American Ethnic History, XVII-1, automne 2007, p. 32 :

« Le 24 décembre 1933, à l'église apostolique arménienne Holy Cross (qui existe toujours et fonctionne encore aujourd'hui) dans le quartier de Washington Heights, à New York, l’archevêque Levon [Léon] Tourian, élu primat du diocèse oriental de l'Église apostolique arménienne d'Amérique, a défilé en procession solennelle, ouvrant le service du matin de la divine liturgie au cours de laquelle il devait officier. Alors que le cortège descendait l'allée centrale, un groupe d'hommes a soudainement sauté des bancs, a entouré l'archevêque Tourian et l'a poignardé à mort avec un grand couteau de boucher. Ce fut dès lors le chaos. Les paroissiens ont commencé à frapper certains des assassins, tandis que d'autres se sont enfuis. La police est arrivée peu de temps et a arrêté deux hommes ; à la fin de la semaine, elle en avait arrêté neuf au total, placés en garde à vue. Les suspects appartenaient tous à une organisation politique connue sous le nom de Fédération révolutionnaire arménienne, ou parti Tashnag (translittéré aussi en Dashnag et Dashnak). Ils ont été jugés et ont été condamnés [dont deux condamnations à mort, commuées en réclusion à perpétuité par le gouverneur de New York] au début de l'été [1934]. »

 

Sarkis Atamian (membre de la FRA), The Armenian Community, New York, Philosophical Library, 1955, pp. 367-368 :

« Il est peut-être naturel que le terrorisme pratiqué par les antidachnaks après ces jours troublés [l’assassinat de Tourian] soit resté sans couverture médiatique. […] À Providence [Rhode Island, États-Unis], un membre dirigeant de la Dachnaktsoutioune [FRA] fut “accidentellement” tué en étant percuté par une voiture dont le chauffeur s’enfuit ; une tentative d’assassinat fut commise contre le révérend Martougessian [membre de la FRA lui aussi], mais heureusement, son garde du corps arrêta les balles et le général Sebouh, l’un des immortels meneurs de la révolte antisoviétique de févier [1921] échappa de peu à la mort, quand des antidachnaks firent exploser une bombe dans son commerce. »

 

Lire aussi :

Le rôle des Arméniens loyalistes dans l’Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale

Le rôle des Arméniens loyalistes en Turquie pendant la guerre de libération nationale et la conférence de Lausanne

Misak Torlakian : du terrorisme de Némésis au renseignement du Troisième Reich

Le dachnak Hratch Papazian : de l'opération "Némésis" aux intrigues hitlériennes

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L’assassinat du maire de Van Bedros Kapamaciyan par la Fédération révolutionnaire arménienne (1912)

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Après tout, qui se souvient de ce que faisait Vahan Papazian pendant la Seconde Guerre mondiale ? Du maquis des fedai à la collaboration avec le IIIe Reich, en passant par le soutien au Khoyboun : l'engagement de toute une vie au service de la FRA-Dachnak

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