Le 18 novembre 2021 s’est tenu le procès en appel que j’ai engagé contre
Jean-Marc « Ara » Toranian, ancien chef de la branche « politique »
de l’Armée secrète arménienne pour la libération de l’Arménie (ASALA) et
Laurent Leylekian, ancien directeur de France-Arménie
(organe de la Fédération révolutionnaire arménienne), qui m’avaient traité de « négationniste »
et de « suppôt de l’État turc ». Comme en première instance, a été
plaidée ma question
prioritaire de constitutionnalité (QPC) contre la loi du 29 janvier 2001
(rupture d’égalité devant la loi pénale, autorisation d’abus de la liberté d’expression,
normativité incertaine) et, comme en première instance, la défense n’a su
apporter aucun argument un tant soit peu sérieux. Nous nous sommes entendus
répondre qu’aucune loi n’avait été censurée, dans le cadre d’une QPC, pour
normativité incertaine. Et alors ? La question ne s’était pas encore
posée, voilà tout. Plus risible fut la prétention à soutenir que la loi ne
serait pas applicable au litige, alors qu’elle est utilisée nommément par la
défense de M. Leylekian pour demander sa relaxe. « Pile, je gagne ;
face, vous perdez » : non, dans un État de droit, ce raisonnement est
impossible.
Une fois de plus, ceux que je poursuis ont tenté d’inverser les rôles et
une fois de plus, ils ont été confrontés aux faits. Par exemple, M. Toranian a
osé prétendre que ce serait mon « onzième procès » contre lui.
Sa propre avocate, Me Lucille Vidal, s’est sentie obligée de
rectifier. Interrogé par mon avocat, Me Olivier Pardo, sur un
article qu’il avait publié en 1982 pour faire l’éloge de l’attentat perpétré
par l’ASALA contre l’aéroport d’Ankara (neuf touristes tués, dont une Américaine
et un Allemand), M. Toranian a tenté de biaiser. Questionné sur sa vision de
ces attentats aujourd’hui, il a complètement perdu le contrôle de ses nerfs, l’espace
d’un instant, et s’est mis à hurler pour répondre qu’il ne réprouvait toujours
pas, en aucune manière, ces crimes — qu’il continuait, en 2021, de les
justifier.
Quant à M. Leylekian, il s’est permis de m’accuser de « racisme »,
pas moins, uniquement parce que j’ai dit la vérité sur Patrick Devedjian
(néofasciste sans remords, adepte de la violence sans limite) et sur Charles
Aznavour (effectivement condamné pour fraude fiscale, sous le coup d’une
procédure judiciaire pour le même motif à la fin de sa vie et défenseur du
terrorisme arménien, auquel il ne reprochait que ses divisions). Interrogé par
mon avocat sur un article ultra-raciste qu’il a commis en 2009 et publié de
nouveau en 2012, M. Leylekian n’a rien regretté. Pour rappel, voici le pire
passage :
« Alors oui, les “maudits Turcs” restent coupables ; ils restent tous coupables
quelle que soient leur bonne volonté, leurs intentions ou leurs actions. Tous,
de l’enfant qui vient de naître au vieillard qui va mourir, l’islamiste
comme le kémaliste, celui de Sivas comme celui de Konya, le croyant comme
l’athée, le membre d’Ergenekon comme Orhan Kemal Cengiz qui est “défenseur des
droits de l’homme, avocat et écrivain” et qui travaille pour “le Projet kurde
des droits de l’homme”. Aussi irrémédiablement coupables que Caïn, coupables
devant les Arméniens, devant eux-mêmes, devant le tribunal de l’Histoire et
devant toute l’Humanité. »
C’est exactement le style de Julius Streicher, directeur du journal nazi Der Stürmer, condamné à mort puis pendu à Nuremberg, en 1946 :
« Une grande guerre — la Guerre mondiale — s’était
déchaînée et n’avait finalement laissé qu’un monceau de décombres. De cette
guerre effroyable, un seul peuple était sorti victorieux, un peuple dont le
Christ disait qu’il avait le Diable pour père. Ce peuple avait ruiné le peuple
allemand corps et âme.
[…] [Grâce à Hitler], l’humanité sera libérée de
ce peuple qui, marqué du signe de Caïn a erré sur le globe pendant des siècles
et des millénaires. » (Julius Streicher, discours du 22 juin 1935, cité
dans Raul Hilberg, La Destruction des
Juifs d’Europe, Paris, Gallimard, 2006, tome I, p. 48)
Comme M. Leylekian est un ancien responsable de la Fédération
révolutionnaire arménienne et que ce parti a
collaboré avec l’Allemagne
nazie, sur des
bases idéologiques, et qu’il continue, aujourd’hui, de se réclamer
fièrement de ses
dirigeants et de ses
cadres de l’époque qui ont porté l’uniforme du Troisième
Reich, toute cette ignominie est logique.
Interrogé par le président sur mes thèses concernant 1915, j’ai expliqué, à
nouveau la nature contre-insurrectionnelle de la décision de déplacer une
partie (mais une partie seulement) des Arméniens ottomans, la répression des
agissements criminels (massacres, assassinats individuels, viols, pillages) par
le gouvernement jeune-turc, la place des Arméniens loyalistes au Parlement
ottoman (huit députés,
quatre sénateurs,
de 1914 à 1918), y compris après 1918 (avec l’exemple de Dikran
Barsamian) et la coopération de l’Empire ottoman avec les Américains pour
faciliter l’acheminement de l’aide qui ne s’appelait pas encore humanitaire,
dès 1915. Je n’ai eu droit à aucune contestation là-dessus de la part de la
défense, qui signifiait une fois plus de son incapacité totale à me répondre
sur le fond. M. Toranian ayant invoqué (avec des chiffres exagérés, mais
passons) la chute de la population arménienne dans ce qui est devenu la
Turquie, le président a voulu savoir quelle était mon explication là-dessus.
J’ai donc expliqué que le déplacement forcé de 1915 est une des principales
raisons de cette chute, mais non la seule. En 1917-1918, la troisième vague de
massacres de Turcs et autres musulmans par les nationalistes arméniens a
provoqué la fuite d’environ 50 000 Arméniens d’Anatolie orientale, qui
craignaient d’être confondus avec la minorité responsable de ces crimes.
Pendant l’occupation française de la région d’Adana, les crimes des légionnaires arméniens et de la fraction des civils qui les soutenaient, crimes qui ont commencé dès la fin de 1918, ont créé une ambiance délétère, et surtout, lors de l’évacuation
française, les nationalistes arméniens ont employé tous les moyens, y compris
les menaces de mort, pour pousser à l’émigration de leurs coreligionnaires, comme je l’explique longuement dans ma thèse.
Enfin, la politique de la terre brûlée mise en œuvre par l’armée grecque, en
1922, s’est accompagnée d’un exode forcé des civils chrétiens (Grecs et
Arméniens) pour aggraver encore le marasme économique. À la conférence de Lausanne, le chef de la délégation turque, İsmet İnönü, a proposé un retour massif, à la seule condition de revenir comme citoyens loyaux de la nouvelle Turquie, mais en vain. Là encore, la défense n’a
rien répliqué.
Je relève avec intérêt qu’une des conseillères (assesseurs) m’a demandé de
rappeler le contexte du tweet poursuivi — c’est-à-dire une discussion qui n’avait
rien à voir, à la base, avec les Arméniens. Me Vidal l’a bien
compris et a tenté, dans sa plaidoirie, d’en limiter les effets, mais à l’impossible,
nul n’est tenu. Avant cela, elle m’a interrogé sur ma réaction à une
déclaration stupide de M. Macron. J’ai répondu que la séparation des pouvoirs
et le principe de compétence territoriale s’opposent à ce que le président de
la République française s’érige en juge de l’histoire des autres pays. Elle est
tout de suite revenue à la charge en me demandant si je contesterais d’autres
commémorations, ce à quoi j’ai répondu : « S’il s’agit d’un génocide
condamné par un tribunal international reconnu par la France ou par la justice
française, bien sûr que non. » Il n’y eut pas, cette fois, de relance.
Quant aux témoins de la défense, ce serait sadique d’insister outre mesure
sur leur piètre performance. Quelques lignes sont pourtant inévitables. Vincent
Duclert, qui, selon le mot du propre fils de M. Toranian, avait été « ridiculisé »
par mon avocat en première instance, a voulu insister. Yves Ternon, ridiculisé
au moins autant, n’a pas souhaité s’acharner. Claire Mouradian, plus que
déstabilisée par mes réponses lors du procès de 2019 (par exemple lorsque j’ai
rappelé que son propre étudiant de thèse, Georges Mamoulia, est l’un des
historiens qui a le plus traité de la collaboration de la FRA avec l’Italie fasciste),
n’a pas souhaité renouveler l’expérience. Il y a donc une spécificité de M.
Duclert et je doute qu’elle soit attribuable à des raisons glorieuses. Mieux
habillé, mais surtout plus agressif que la dernière fois (il savait que j’avais
déjà parlé et que l’heure tardive rendait improbable que la possibilité que je
répliquasse), M. Duclert a, encore davantage qu’en première instance, manié le
mensonge. Il a répété que ma thèse « ne serait pas admise en France »
et l’a qualifiée de « thèse maison ». Toute personne alphabétisée peut constater
que c’est faux : sur cinq membres de mon jury, deux n’appartenaient pas à
mon université, parmi lesquels la présidente du jury — l’autre membre
extérieure, Yonca Anzerlioğlu, étant non
seulement professeur des universités, mais directrice de département. Cette
situation est tout à fait comparable à ce qui se pratique en France. Ajoutons
qu’il est risible de donner des leçons quand, comme M. Duclert, on n’a pas
utilisé un seul carton d’archives pour sa thèse d’habilitation à diriger des
recherches.
En première
instance, il avait déclaré : « Je n’ai jamais prétendu être
spécialiste du génocide arménien. » En appel, il a prétendu que si, puis
qu’en fait non. La cohérence n’était pas au rendez-vous. En première instance
comme en appel, il a été incapable d’apporter la moindre critique sur le fond.
Mais cette fois, il a ajouté deux mensonges à sa vacuité. D’abord, il a
prétendu que je ne citerais jamais Raymond Kévorkian dans ma thèse. En
réalité, je le cite et le critique à plusieurs reprises. Puis, il a prétendu
que mes articles seraient tous parus dans la revue du Centre d’études
eurasiennes (AVIM, où je travaille) et dans des revues similaires. C’est
complètement faux : j’ai aussi écrit dans l’European Journal of International Law (revue Oxford), le Journal of
Muslim Minority Affairs (Routledge) et le Journal
of South Asian and Middle Eastern Studies (revue éditée par l’université
de Villanova, aux États-Unis) ; j’ai contribué à un
ouvrage collectif publié par Bloomsbury Academics (un grand éditeur
londonien), ouvrage qui a été salué cette année dans de grandes revues, comme
le Journal of Contemporary History et
le Journal of Military History. J’ai
cherché sur Google scholars sans trouvé la moindre trace d’un article de M.
Duclert paru dans une revue anglo-saxonne, ni de la moindre traduction d’une
seule de ses publications en anglais. L’interrogatoire par mon avocat fut une
nouvelle épreuve pour lui. Encore une fois, je n’aurai pas la cruauté de m’y
attarder.
Quant à Mikaël
Nichanian, spécialiste des Arméniens à l’époque byzantine, c’est-à-dire au
Moyen Âge, il a été aussi bref qu’inconsistant, tout en réussissant à devenir
ennuyeux. Il n’a pas prétendu avoir lu ma thèse, n’a pas pu citer précisément
une seule de mes publications, et a parlé de « négationnisme » à mon
sujet sans donner un seul fait précis, sans donner un quelconque exemple de
source que j’aurais altérée ou arbitrairement écartée — et pour cause.
Mon a avocat a bien plaidé, comme d’habitude. Celle de M. Toranian, très gênée par le cadeau empoisonné que lui ont fait les juges de première instance, a successivement plaidé que les termes poursuivis sont une opinion, une injure et une diffamation de bonne foi — trois qualifications incompatibles en droit. La plaidoirie de l’avocat de M. Leylekian fut encore plus confuse et inintéressante que la fois dernière. L’arrêt a été mis
en délibéré au 6 janvier. Le collectif VAN, qui avait pourtant soutenu
vigoureusement M. Toranian avant le procès, s’est abstenu de tout commentaire
sur l’audience, ou même d’un simple résumé. Le site armenews.com lui-même n’a
pas publié de compte-rendu le soir même ; il a attendu le lendemain, ce
qui est sans précédent.
Faut-il s’arrêter
là ? Hélas non. Il a déjà été expliqué
ici, source à l’appui, qu’en janvier 1982, une foule déchaînée a menacé
ouvertement de lyncher la cour d’assises d’Aix-en-Provence. Y figurait Franck « Mourad »
Papazian, cousin germain de M. Toranian, venu le soutenir, comme à chaque fois
(j’ai rappelé cette affaire à l’audience, et cité la présence de M. Papazian,
qui n’a pas aimé). Lors du procès de quatre terroristes de l’ASALA, janvier
1984, les énergumènes les plus ouvertement agressifs ont été refoulés par la
police à coups de matraque, mais, selon le chroniqueur judiciaire de France 3,
cela n’a pas suffi à ôter tout doute pour leur sécurité aux jurés et aux juges.
Dans Hay Baykar du 20 décembre 1986,
M. Toranian a
écrit qu’il fallait perpétrer de nouveaux attentats, y compris des
attentats de type Orly, pour tordre le bras à la justice française. Le 24 avril 2009, il a appelé « à
renouer l’esprit de la lutte [c’est-à-dire le terrorisme] des années 1975-1980 »,
1980 étant l’année qui a vu le palais de justice de Genève partiellement
dévasté par une bombe de l’ASALA, pour intimider la justice locale. En
2012, le président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Debré a
été menacé par des fanatiques arméniens, qui ont ainsi tenté, en vain, d’empêcher
la censure de la proposition de loi Boyer. En 2017, M. Toranian (forcément
au courant, puisque M. Debré en a parlé dans un livre paru en 2016) a déclaré :
« La cible, c’est effectivement le Conseil constitutionnel » — un choix de mot dépourvu d’ambiguïté. Pas plus tard que cette année, plusieurs ses partisans
ont soit appelé à
intimider la justice française, soit l’ont couverte
d’injures, sans qu’il s’en montrât ému.
Dans ces
conditions, comment ne pas redouter que le président et les conseillères ne
reçoivent des lettres anonymes, menaçant de vitrioler ou de tuer leurs enfants ? Que
vont faire les ministères de la Justice et de l’Intérieur à ce sujet ?
Maxime Gauin
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