François Georgeon, « La
presse de langue française entre les deux guerres mondiales », in Gérard Groc
and İbrahim Çağlar (ed.), La Presse
française de Turquie, de 1795 à nos jours, İstanbul, Les éditions Isis,
1985, p. 33, n. 18 :
« Michel Paillarès était l’auteur d’un violent pamphlet contre le
kémalisme [édité par lui-même] : Le
Kémalisme devant les Alliés, Constantinople-Paris, 1922. Ayant pour
bailleur de fonds un banquier grec, Hamopoulo (cf. Archives de la Guerre, 20 N 1103, 30.11.1922), le Bosphore [dirigé par Paillarès à partir
d’octobre 1919] cessa sa parution en novembre 1922. Pour récompenser Michel
Paillarès “pour les services rendus à la cause de l’hellénisme”, le
gouvernement grec avait décidé de “lui fournir les moyens de déployer son
activité journalistique ailleurs qu’à Constantinople, où il était menacé par
les nationalistes turcs à cause de son attitude grécophile”, en essayant de lui
procurer une participation financière dans le journal français l’Éclair : sur cette affaire, AAE, série Europe, Grèce, vol. 15, fol.
10-31. »
Sûreté générale, Bureau de
contrôle des étrangers, PAILLARÈS, Michel, Joseph. Paris, le 13 mars 1923
(copie), Archives du ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, microfilm
P 3958 :
« PAILLARÈS, Michel, Joseph, est né le 17 avril 1871 à Nice
(Alpes-maritimes) de feux Étienne [Paillarès] et de CORTIC, Marguerite, Rose.
Il est marié à LAFFON, Caroline, Marie, Éponine, née le 22 décembre 1869 à
Lanarca (Chypre) et père d’une fille prénommée Marguerite, Marie, Odette, née
le 29 décembre 1894 à Constantinople.
PAILLARÈS, qui se dit publiciste, est domicilié depuis dix-huit mois
environ 13, rue de Rivoli [rue chic et chère], dans un appartement situé au
troisième étage sur la rue, d’un loyer annuel de 3 000 francs, mais cette
location est au nom de M. Pamelard, domicilié actuellement à Moret-sur-Loing
(Seine-et-Marne), qui lui aurait sous-loué son appartement.
Mme Paillarès et sa fille n’exercent aucune profession […]
PAILLARÈS se rendrait souvent à Constantinople pour s’occuper de ses
intérêts dans le journal “Le Bosphore” et il se pourrait que le versement des
12 000 francs effectué par la Légation de Grèce à Paris à ce dernier lui ait
été faite au titre de propagande pour ce journal. […]
Rentré en France au début de la guerre, il a été mobilisé puis mis en
sursis d’appel puis directeur d’une fonderie de cuivre et de fonte [nulle part
dans ce rapport, ni dans aucun des documents que j’ai lus, n’apparaît une
quelconque qualification de Paillarès dans ce domaine] à Oust-Maris,
arrondissement d’Abbevile (Somme). Cette
entreprise était commanditée par de riches sujets grecs et possédait des
bureaux 7, rue Mogador, à Paris, ainsi qu’un atelier de fonderie 120 avenue
Jean-Jaurès, à Paris.
PAILLARÈS a fait l’objet de
plusieurs plaintes en escroquerie et abus de confiance à l’occasion de la
gestion de cette fonderie mais celles-ci furent classées sans suite.
Il a également bénéficié d’un non-lieu dans une plainte [pour faux] et
usage de faux.
[…]
PAILLARÈS Michel possède également un dossier n° 141/109 aux Archives du
Contrôle général des recherches judiciaires, où l’on trouve une lettre adressée
à M. le garde des Sceaux, ministre de la Justice, le 15 juillet 1919, par une
demoiselle COLAS, Marguerite, 2, rue des Acacias (XVII[e arrondissement de
Paris]), celle-ci ayant déposé une plainte pour escroquerie et abus de
confiance contre PAILLARÈS, s’élevait contre une demande de passeport que ce
dernier se proposait d’adresser pour aller en Grèce.
Il est noté comme suit aux Sommiers judiciaires : Mandat d’amener — M.
Durand — 9.7.1919 — escroquerie et abus de confiance. »
Je ne citerai pas ici tous les documents que j’ai trouvés sur Michel
Paillarès, ni tous les exemples d’escroquerie intellectuelle que contient son
livre Le Kémalisme devant les Alliés
et que j’ai exposés dans ma thèse, mais tout de même, pour ne pas être accusé d’attaquer
la personne seule, voici un début d’idée sur la production du personnage.
Pp. 49-50, il répète les mensonges de René
Puaux sur une prétendue persécution des Grecs d’Anatolie occidentale en
février 1919, mensonges réduits à néant, la même année, par la commission d’enquête
franco-anglo-italo-américaine[1].
P. 479, commentant, sans avoir le courage de la nommer, ni même de donner le
titre et la date du journal cité (Le Matin, 21 janvier 1922) un article de
Berthe Georges-Gaulis, Paillarès ose écrire : « Si les Grecs
massacrent, pourquoi ne nous indique-t-on pas l'endroit précis où tombent leurs
victimes ? Et celles-ci, qui sont-elles ? » Or, la même Berthe
Georges-Gaulis, dans le même quotidien, avait donné des précisions en ce sens :
Berthe Georges-Gaulis, « Le terrorisme
anglais règne à Constantinople », Le
Matin, 15 novembre 1921, p. 1. Elle en donne aussi dans son livre Le Nationalisme turc, paru en 1921.
Nulle part, dans son livre de presque cinq cents pages, Paillarès ne trouve
opportun de citer le rapport
de la Croix-rouge internationale sur les crimes de guerre des forces
grecques à Yalova, en 1921. De la même manière, son éloge de la Légion
arménienne ne dit rien des crimes commis par cette unité, de son indiscipline,
et de la francophobie qui s’étalait dans la correspondance de bon nombre de légionnaires ;
et son apitoiement sur le sort des Arméniens ottomans (pp. 279-344) n’est nulle
part équilibré par la moindre référence aux
crimes des volontaires arméniens de l’armée russe et des insurgés
arméniens, crimes pourtant connus
en France depuis 1919.
P. 472, flétrissant une nouvelle fois la turcophilie française, Paillarès
écrit : « Cette politique peut convenir aux loges maçonniques et à
quelques cercles protestants [allusion probable au protestantisme de Théodore
Steeg, gouverneur de l’Algérie, protestant et favorable à la conciliation avec
Ankara, et à celui de Gaston Doumergue, ancien président du Conseil, très
favorable à cette conciliation], elle ne convient nullement à la France. »
Même s’il le fait de façon moins grossière que Paul
de Rémusat (« Paul du Véou »), Paillarès donne bien dans la
théorie du « complot judéo-maçonnico-dönme », puisque p. 50, il
explique : « À
en croire Damad Ferid pacha, il serait d'origine juive. Il appartiendrait à
cette catégorie de musulmans qui, au XVIIIe [sic : XVIIe]
siècle, à la suite de la révolte de Sabbataï, embrassèrent l’Islam […] » —
description pour le moins approximative des dönmes, rameau de l’islam composé
de descendants de juifs convertis, ayant gardé, sans se cacher, certains
aspects du judaïsme, et faisant l’objet de fantasmes complotistes, alors qu’un
seul, Cavit Bey, a été un dirigeant de haut rang du Comité Union et progrès, et
qu’aucun n’a occupé une telle fonction dans le mouvement national turc de
1919-1922.
Le plus intéressant, toutefois, n’est pas que les nationalistes grecs et
arméniens aient eu recours aux services d’un escroc de 1914 à 1922, mais que la
littérature contemporaine défendant les thèses du nationalisme arménien continue
de se référer communément à lui, sans rien dire de sa malhonnêteté tant
financière qu’intellectuelle : Arthur Beylerian, « L’échec d’une percée
internationale : le mouvement national arménien (1914-1923) », Relations internationales, n° 31,
automne 1982, p. 370 ; Yves Ternon, L’Empire
ottoman. La chute, le déclin, l’effacement, Paris, éditions du Félin, 2002,
p. 518 ; Aurore Bruna, « La France, les Français face à la Turquie. Autour de
l’accord d’Angora du 20 octobre 1921 », Bulletin
de l’Institut Pierre-Renouvin, 2008/1, pp. 27-41 ; Christopher Walker, Armenia. The Survival of a Nation, Londres-New York, Routledge, 1990, p.
332, n. 88.
Lire aussi :
Le soutien nationaliste arménien à l’irrédentisme grec-constantinien, massacreur de marins français et de civils turcs
L’hostilité (et la lucidité) de Raymond Poincaré envers les nationalismes arménien et grec
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Maurice Barrès : de l’antisémite arménophile au philosémite turcophile
Paul Chack : d’un conservatisme républicain, philosémite et turcophile à une extrême droite collaborationniste, antisémite, turcophobe et arménophile
L’arménophilie de Johann von Leers
[1] « Leur sécurité n’était pas menacée. »
(rapport reproduit dans Nihat Reşat, Les
Grecs à Smyrne, Paris, Imprimerie Kossuth, 1920, p. 11).
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