lundi 31 août 2020

Les catholiques (y compris les Arméniens catholiques) et la guerre d’indépendance turque


 

 

René Johannet, « Il faut réviser le traité turc — Conclusion », La Croix, 1er octobre 1920, p. 3 :

« Loin d’être diminué par le traité de Sèvres, le chaos oriental redouble, grâce à lui, de violences. En Thrace, en Asie Mineure, des millions de Turcs sont soumis au joug hellénique. La création de l’Arménie institue au carrefour de la Turquie, de la Mésopotamie, du Caucase, de la Perse et de la Russie une zone immense de dépression politique, d’où les cyclones les plus dévastateurs peuvent surgir. »

 

« Mohamed Ali reçu par le pape — Benoît XV contre le traité imposé à la Turquie », Le Populaire, 6 août 1920, p. 1 :

« M. Mohamed Ali, le distingué leader des musulmans de l’Inde, dont le Populaire publia, dès son arrivée à Paris, une intéressante interview, vient de se rendre à Rome, où il a été reçu par le pape, ainsi que par son secrétaire, M. Hayat.

Benoît XV a bien voulu reconnaître la parfaite tolérance que les Turcs montrèrent toujours à l’égard des catholiques et s’est exprimé sur le compte des traités de paix que l’Entente vient d’imposer aux peuples vaincus en des termes qui lui vaudraient tous les outrages de l’Action française, s’il n’était pas le pape.

Benoît XV a reconnu que si les hostilités reprenaient entre Musulmans et Chrétiens, du fait du traité brutal imposé à la Turquie, la faute n’en serait pas aux Musulmans, pour lesquels il a déclaré sa sympathie. »

 

Service de renseignements de la Marine, Turquie, n° 2449, 17 février 1921, p. 13, Service historique de la défense, Vincennes, 1 BB7 238 :

« C’est du moins la pensée exprimée par le pape Benoît XV lorsqu’il reçut en audience Hilmi Bey, qui était venu le voir de la part des Nationalistes [kémalistes] :

Toutes nos sympathies, lui dit le pape, vont vers vous. Nous voyons dans vos efforts, non pas une lutte contre le monde chrétien, mais la lutte pour la foi en général contre la civilisation matérialiste de l’Occident.” »

 

R. Le Cholleux, « La question d’Orient sur le tapis », La Croix, 2 février 1922, p. 1 :

« On va bientôt, sauf erreur, aborder l’angoissante question d’Orient ; puisse-t-on enfin la résoudre ! […]

Mais pour arriver à une solution équitable et définitive, il faut naturellement que chacun y mette du sien, comme on dit. […]

Qu’on parte de cette idée, que l’on a affaire à une nation civilisée, et non à un peuple en enfance, comme a trop souvent l’habitude de le croire. Les Turcs ne sont pas des sauvages. Ce sont simplement des Orientaux. Il ne faudrait pas oublier que toute civilisation dont les Occidentaux se montrent si fier — et combien à tort souvent — a ses sources primitives dans la culture orientale ; que les Arabes, par exemple, ont été les initiateurs de la science et de la philosophie modernes, corrigées par le christianisme. »

 

Télégramme du général Maurice Pellé au ministère des Affaires étrangères, 28 décembre 1922, Archives du ministère des Affaires étrangères, microfilm P 16677 :

« D’une longue conversation que j’ai eu avec Mgr Nazlian [Jean Naslian], vicaire patriarcal arménien catholique, je dois conclure, malgré ses frayeurs et ses réticences, d’une part qu’il a perdu tout espoir de voir se constituer un home arménien [foyer national, sorte de territoire autonome, jamais défini précisément] et, d’autre part, qu’il a noué de bonnes relations avec les autorités nationalistes [turques]. Refet Pacha et Adnan Bey lui ont fait des déclarations rassurantes, et le Kalife l’a reçu avec bienveillance, tandis qu’il avait refusé l’audience sollicitée par le patriarche arménien grégorien, Mgr Zaven [membre de la Fédération révolutionnaire arménienne]. La communauté arménienne catholique de Constantinople ne songe plus à émigrer en masse [souligné dans l’original] ; tout au moins attendra-t-elle l’issue des négociations de Lausanne. Par contre, il ne reste à l’intérieur de l’Anatolie qu’un petit nombre d’Arméniens catholiques. »

ð  Cette chute en Anatolie est en grande partie due à la politique de la terre brûlée pratiquée par l’armée grecque (voir ci-dessous l’exemple d’Eskişehir), et au sabotage, par les nationalistes arméniens et le gouvernement grec, des efforts franco-turcs pour maintenir les Arméniens et les Grecs à Mersin, Tarsus et Adana (relevons cependant une moindre émigration des Maronites et des Assyriens, catholiques et schismatiques mêlés, depuis ces villes, à la même époque). Ce document (curieusement jamais cité, sauf par moi) est également une preuve de premier ordre sur la duplicité de Naslian (dont la citation ci-dessous est douce par rapport à ce qu’il écrit par ailleurs dans ses Mémoires).





Jean Naslian, Les Mémoires de Mgr Jean Naslian, évêque de Trébizonde, sur les événements politico-religieux en Proche-Orient, de 1914 à 1928, Vienne, Imprimerie Méchithariste, 1955, tome II, p. 787 :

« […] les Dominicains de Smyrne dans leur bulletin “L’Étoile de St. Dominique”, se permettaient d'écrire ceci : “nous sommes bien mieux avec les Turcs sans les Grecs et les Arméniens” et ceci après la retraite de l'armée grecque et l'évacuation de la population chrétienne en 1922 de Smyrne. »

 

Émile Wetterlé (prêtre et député français), En Syrie avec le général Gouraud, Paris, Flammarion, 1924 (récit d’un voyage de 1922), pp. 83-86 :

« Les Kémalistes ont l'intention de demander une indemnité de réparations s'élevant à un milliard de livres turques, soit 8 milliards de francs-papier environ. C'est là une somme modeste si on prend en considération les destructions systématiques auxquelles les Grecs se sont livrés en Asie-Mineure pendant leur retraite.

Voici, à titre d'exemple, comment ces dignes élèves des Allemands ont procédé. Le rapport que j'analyse a été rédigé par un témoin très respectable, le R. P. Ludovic [Marseille], supérieur de la maison Sainte-Croix, que le gouvernement de la République vient de nommer chevalier de la Légion d'honneur pour le récompenser des services éminents rendus à la cause française en Asie-Mineure.

Immédiatement après la grande guerre, le Père Ludovic était retourné à Eski-Cheir pour y rouvrir les deux écoles qu'il avait dû abandonner en 1915. 200 garçons et 150 filles en suivaient les cours. Le 19 juillet 1921, les autorités militaires turques faisaient venir le religieux, le priaient de constater, qu'en se retirant, leurs troupes respectaient toutes les propriétés privées et confiaient au Père l'administration de la ville à charge de la remettre au général grec Polimenka, ce qui fut fait.

Le 29 août [1922], on apprit que l'offensive turque venait de se déclencher et que les Grecs avaient été battus à Kara-Hissar. Immédiatement, les occupants d'Eski-Cheir donnaient l'ordre à la population chrétienne [Arméniens inclus, donc] de se replier vers la côte. L'exode dura trois jours. Les religieux firent de vains efforts pour retenir les chrétiens. Tout fut inutile. Le pillage commença. Les soldats grecs parcouraient la ville, défonçaient les devantures et emportaient tout ce qu'ils trouvaient.

Le 31 août, le feu prit dans trois immeubles du quartier de la gare. A midi, les soldats arrosèrent de pétrole des bûchers formés de tables et de caisses. Ce premier incendie fut cependant maîtrisé. Les religieux trouvèrent devant leur porte un amoncellement de chiffons imbibés de benzine. La veille deux soldats grecs avaient dit, pensant ne pas être compris : “Il faudra mettre le feu à la maison des Français.” Vers sept heures du soir, un religieux vit deux soldats grecs enfoncer la porte d'une maison turque. C'est là que l'incendie reprit. Dès huit heures et demie, le feu brûlait. Pendant toute la nuit, les religieux virent le sinistre s'étendre. Le Père Ludovic se rendit à l'état-major [grec]. II n'obtint que de vagues promesses. Rien ne fut entrepris pour combattre l'incendie, qui se propagea bientôt dans les quartiers les plus éloignés du premier foyer. Il était facile de se rendre compte que le feu avait été mis en plusieurs endroits à la fois.

Le 1er septembre, des soldats enfoncèrent la maison des Sœurs [françaises] et dirent à celles-ci de se sauver au plus vite. Religieux et religieuses furent embarqués dans un train qui mit 22 heures à parcourir les 25 kilomètres qui séparent Eski-Chéir de Kara-Keuï. Les officiers vénizélistes ne cachaient pas l'horreur que leur inspirait la conduite de leurs camarades constantiniens [partisans du roi Constantin]. Du train, on pouvait voir flamber les dernières maisons de la ville.

Voilà ce que les Grecs ont fait partout. Pour le simple plaisir de satisfaire leur basse vengeance, ils ont tout détruit, aussi bien ce qui appartenait aux chrétiens de la région, que ce qui était propriété des Turcs. Ils ont transformé sauvagement en un désert un pays d’une grande richesse. Ces prétendus civilisés ont été plus barbares que les hordes de Tamerlan. Ajoutez à cela le vol organisé, et les massacres et le tableau sera complet. »


Christian Babot, La Mission des Augustins de l’Assomption à Eski-Chéhir. 1891-1924, İstanbul-Strasbourg, Les éditions Isis/Université des lettres et sciences humaines de Strasbourg, 1996, pp. 93-94 :

« Dans un long “Rapport sur les événements qui se sont passés à Eski-Chéir du 27 août au 2 septembre 1922”, le Père [Ludovic Marseille, chef de la mission catholique française] raconte en détail l’offensive de l’armée turque du côté de Kara Hissar [Afyon], l’évacuation des familles d’officiers grecs, l’exode des chrétiens [Arméniens et Grecs, schismatiques et catholiques] terrorisés par les menaces d’incendie [venant de l’armée grecque] et la peur des représailles. Cette fois encore, le Père Ludovic joue les intermédiaires, auprès des Turcs cette fois-ci, pour que la ville soit épargnée, et il est très fier de noter : “Au cours de la visite que me fit le maire, je lui fis remarquer que nous avions fait de sérieuses réparations à notre collège, et je le priais d’user de son autorité pour en empêcher, le cas échéant, la réquisition. Il me le promit et me dit même : ‘Toi, lorsque les nôtres arriverons, nous te porterons en triomphe.’ Mais les choses ne devaient pas se passer comme cela, car l’armée grecque incendia toute la ville en partant, et le Père dut se résoudre à l’évacuation : “Nous prîmes le dernier train qui quitta Eski-Chéir le 1er septembre à 8h 30 du soir. Du fourgon dans lequel nous étions entassés, il nous fut encore possible de contempler une dernière fois cette ville en flammes, dans laquelle nous laissions tant d’œuvres, résultat de trente-deux années de travail et de privation.” […]

Le Père [Ludovic Marseille] passera toute l’année 1924 à Eski-Chéir, exerçant son ministère paroissial, visitant les familles chrétiennes de Koniah [Konya] (où les œuvres ont repris), à Ismidt [İzmit] (où elles sont abandonnées), Bilédjik, Kutahia, Kara Hissar et Ankara. Pour vivre, il donne des leçons particulières aux chrétiens et aux Turcs, mais ne reconstitue pas d’école. En effet, déjà les regards se tournent vers Ankara, dont le nombre de chrétiens augmente et qui, si elle reste capitale — ce dont le Père n’est pas convaincu — est appelée à un grand développement. […]

En 1929, le Père Ludovic avait déjà fait construire un immeuble, occupé partiellement par l’ambassade, où il installa une chapelle. Actuellement, les Assomptionnistes sont toujours présents à Ankara. »

 

Lire aussi :

L’Empire ottoman tardif et ses catholiques (y compris les Arméniens catholiques)

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1920-1921 : l’irréductible conflit des points de vue français et nationaliste arménien sur Çukurova (« la Cilicie ») 

dimanche 30 août 2020

L’Empire ottoman tardif et ses catholiques (y compris les Arméniens catholiques)


 Statue du pape Benoît XV à  İstanbul


 Alfred Lemaître, Musulmans et chrétiens : notes sur la guerre de l’indépendance grecque, Paris, Librairie G. Martin, 1895, p. 252 :

« Les Grecs latins [c’est-à-dire catholiques], dit l’amiral de Rigny, répandus dans quatre ou cinq îles, sont partout détestés et molestés par les autres Grecs. Cette animosité entre deux rites ne s’est point amortie depuis l’insurrection grecque, de laquelle, d’après leur position et leurs ressentiments, les Latins se sont tenus écartés. Le clergé catholique, quelquefois fort supérieur en lumière comme en morale au clergé grec, ne dissimulait pas son désir de voir triompher les Turcs dans la lutte qui s’était engagée.

À bord du Trident, à Smyrne, 30 novembre 1827 »


Jules Ballot (volontaire aux côtés des insurgés crétois, puis repenti), Histoire de l’insurrection crétoise, Paris, L. Dentu, 1868, p. 325 :

« Les chrétiens d’Orient, les libéraux, les philhellènes même sont-ils donc si aveuglés qu’on ne puisse les convertir et leur montrer qu’en se laissant entraîner par leurs sympathies, en se laissant jouer par les fourberies orthodoxes de l’ennemi commun [la Russie], ils travaillent pour lui ; qu’en croyant servir leurs coreligionnaires, leurs frères, en les délivrant du sceptre ottoman, ils les livrent au joug moscovite et leur préparent le sort plus ou moins éloigné des Polonais.

Dans les sphères élevées, dont nous parlions tout à l’heure, on est d’accord sur tous ces points, et cependant on cède pas à pas à l’opinion de ceux qui, ne voyant que ce qu’on leur montre et n’entendant que ce qu’on leur répète, considèrent encore les Turcs comme des mécréants et des infidèles et crient : Haro sur les Turcs ! haro sur le Coran ! Pourquoi ne leur démontre-t-on pas clairement que ce peuple, qu’ils croient encore barbare et incapable de toute civilisation, a des mœurs infiniment plus pures et est plus civilisé et plus tolérant que les prétendus orthodoxes du Nord ; qu’il n’a ni serfs, ni Sibérie, et que leurs soldats accompagnent les processions catholiques ? »


« Correspondance — Constantinople », Les Missions catholiques, 8 janvier 1880, pp. 13-14 :

« On nous écrit de Constantinople, le 17 décembre 1879 :

[…]

L’autre nouvelle, qui ne manque pas d’importance, c’est que, grâce aux bons offices de S. Exc. M. Fournier, S. B. Mgr Hassoun [patriarche arménien catholique] a été enfin admis en audience par S. M. I. le Sultan [Abdülhamit II]. Vous savez que, sous le précédent viziriat de Khereddine pacha, Mgr Hassoun avait obtenu son bérat de reconnaissance officielle mais, par suite d’intrigues, Sa Béatitude n’avait pas eu l’honneur d’être reçue par Abd-ul-Hantid. S.A. Saïd pacha ne souffrit pas que cette anomalie se prolongeât plus longtemps. Conformément au désirde S. Exo. M. Fournier, il sollicita du sultan une audience en faveur du patriarche arménien catholique. L’empereur, secondant les vues de son premier ministre, fit prévenir S. B. Mgr Hassoun qu’il le recevrait le 13 de ce mois, au palais de Yildiz, à deux heures après midi. […]

Sa Béatitude et sa suite furent reçues par S. Exc. Munir bey, maître de cérémonie de l’empereur, ancien secrétaire d’ambassade à Paris, parlant le français admirablement, personnage d’une vaste érudition. On servit immédiatement, dans le salon d’attente, le café et le tchibouk (pipe longue), avec le bout orné de pierreries. Sa Béatitude remit alors à Munir bey le discours qu’Elle devait réciter devant le Sultan il était enfermé dans un sac en soie cramoisi, orné de franges et de glands d’or. […]

Sur l’invitation du maître des cérémonies, on se rend en présence du Sultan, en traversant plusieurs salons ornés des portraits des empereurs précédents. Abd-ulHamid était debout, a côté d’une table. Son premier chambellan se tenait à sa gauche, à une certaine distance. Sa Béatitude et sa suite firent, selon le cérémonial, trois selam avec profonde révérence puis le patriarche prononça, d’une voix claire et émue, le discours prépare. Après avoir remercié le Sultan de l’audience dont il l’avait honoré, Mgr Hassoun assura Sa Majesté do ses sentiments de fidélité et de dévouement et de ceux de toute sa communauté. Le prince lui répondit avec bienveillance. II savait, disait-il, que, grâce à son influence spirituelle, le patriarche inculquait aux sujets catholiques de l’Empire l’obéissance aux lois et au souverain. Pour lui, protecteur des religions professées en Turquie, il serait toujours prêt a défendre les droits légitimes de la juridiction patriarcale. Les discours terminés, sur un signe du maître des cérémonies, on se retire avec les saluts d’usage. À peine est-on dans le salon d’attente, que Munir bey rejoint Sa Béatitude et lui dit combien Sa Majesté avait été touchée des vœux que les catholiques faisaient pour la prospérité de son Empire. La musique impériale, qui avait cessé de jouer pendant l’audience, salue de nouveau le patriarche. Le cortège se remet eu marche dans le même ordre et se rend au grand viziriat. Saïd pacha connaissait déjà, par le télégraphe, ce qui s’était passe au palais. Aussi assura-t-il de nouveau Mgr Hassoun des intentions bienveillantes du Sultan.

Après cette visite au premier ministre, on se dirige vers l’église patriarcale de Saint-Sauveur. La foule remplissait la vaste basilique ; des places avaient été réservées pour les dignitaires de la Sublime-Porte, dont la tenue a été pleine de respect pendant toute la cérémonie. Suivant l’usage, on adressa à Dieu des supplications pour S. M. le Sultan. A chaque verset de la prière récitée à haute voix par le secrétaire du patriarche, le peuple répondait par l’acclamation liturgique amin. À six heures du soir, Sa Béatitude rentrait avec Mgr Azarian et toute la suite dans la maison patriarcale.

Le lendemain et les jours suivants, Mgr Hassoun fit avec le même cérémonial les visites aux ministres. Tous le reçurent avec la plus grande déférence.

Cet évènement a rehaussé le catholicisme aux yeux de tous, car, grâce à S. A. Saïd pacha, la cérémonie avait été entourée d’un éclat extraordinaire. C’était une preuve de sympathie du premier ministre envers l’ambassadeur de France. »

 

Les Missions catholiques, 5 mars 1880, p. 116 :

« Trébizonde (Asie mineure). — On nous écrit de Trébizonde :

“Depuis la fin du schisme des Kupélianistes, les Arméniens, partisans de la secte d’Etchmiazine [Église nationale arménienne, schismatique], ont déclare guerre ouverte aux [Arméniens] catholiques, leurs nationaux. Leur évêque, à Trébizonde, a fait tout son possible pour empêcher Mgr Marmarian [catholique] de siéger au conseil de l’autorité locale mais le gouverneur général, S. Exc. Siiri pacha, a invité Mgr Marmarian à y prendre part ; et la première fois que l’évêque catholique s’y est rendu, il a été reçu par le gouverneur avec tous les égards dus à son rang.

On signale de nouvelles conversions à Trébizonde et dans les environs. Elles seraient  bien plus nombreuses si les évêques avaient plus de ressources et pouvaient ouvrir des écoles et envoyer des prêtres partout ou on en demande. Avec l’argent des sociétés bibliques, les protestants gagnent, hélas ! beaucoup d’adhérents à leur secte. Si l’on installait des missionnaires français et des agents consulaires dans les contrées de l’intérieur, la religion catholique serait bientôt triomphante dans l’Asie-Mineure.” »

 

« Correspondance — Constantinople », Les Missions catholiques, 10 septembre 1880, p. 434 :

« Le Sultan a voulu employer, à l’adresse du Saint-Père, le mot turc hachmetlu (majestueux), dont il se sert pour les souverains chrétiens de l’Europe. Les rapports entre la Porte ottomane et le Saint-Siège sont donc des meilleurs. 

Saïd-Pacha, le dernier ex-premier ministre, encore très influent au Palais, disait, il y a quelques jours, à un dignitaire de l’Église, que le gouvernement ottoman avait commis une très grave faute en ne favorisant pas, il y a environ vingt .ans, le mouvement de conversion catholique en Bulgarie si la Bulgarie, ajoutait-il, s’était unie au Saint-Siège, le panslavisme n’aurait pu y exercer la moindre influence. II concluait en conseillant à la Porte d’encourager le catholicisme en Arménie, afin de l’arracher à l’invasion du slavisme de la Russie. Malheureusement, la Turquie est tellement accablée sous le poids des graves questions politiques du moment, qu’elle ne peut pas s’occuper des détails de l’administration des provinces. D’ailleurs, les gouverneurs de l’intérieur ne sont pas en état de comprendre ce que comprend si bien Saïd Pacha. »

 

« Correspondance — Constantinople », Les Missions catholiques, 29 janvier 1886, p. 50 :

« Au contraire, l’Église arménienne catholique est en pleine prospérité. Son organisation, forte au triple point de vue ecclésiastique, hiérarchique et officiel, garantit au patriarcat arménien catholique, un avenir prospère. Le courant de conversions continue dans plusieurs diocèses suffragants, surtout à Trébizonde et à Marach. A Behesni dans le diocèse de Malatia, le nombre des familles converties est monté à quatre-vingt-dix. Mgr Ferahian, le nouvel et zélé évêque, par chaque courrier annonce des retours à son patriarche. Le diacre de Yenidji, dans le diocèse de Trébizonde, converti du schisme, a été promu au sacerdoce par Mgr Murmarian, suffragant de Trébizonde. Ce fait a donné une nouvelle impulsion au mouvement catholique. »

 

« Informations diverses », Les Missions catholiques, 2 octobre 1896, p. 470 :

« Turquie d’Asie. — On nous écrit de Constantinople, le 17 septembre :

“Le mouvement des conversions s’étend en Arménie. Le R.P. Defrance écrit de Van que deux mille familles grégoriennes sont prêtes à embrasser le catholicisme. Le même mouvement s’accentue partout. Les grégoriens [Arméniens schismatiques] voient que la communauté catholique est relativement épargnée [par les affrontements interethniques de 1895-1896], que l’ambassade de France la soutient et ils se donnent au catholicisme pour trouver la même protection.” »

 

« Informations diverses », Les Missions catholiques, 5 février 1897, p. 63 :

« Au mois d’octobre dernier, Mardin reçu la visite S. Exc. Chaker Pacha, envoyé de S. M. le Sultan [Abdülhamit]. Sa femme, qui est catholique, vint assister à la messe ; puis elle nous fit l’honneur de monter jusqu’au salon. »

 

Berthe Georges-Gaulis, La Question arabe, Paris, Berger-Levrault, 1930, p. 180 :

« À la fin du règne d’Abdul-Hamid, les Maronites libanais occupaient de hauts postes à la Sublime Porte. Au début de la Constitution turque, ils étaient représentés à la Chambre ottomane par le grand lettré Suleyman Boustani, connu dans tout l’Empire ottoman [et ministre dans le cabinet Comité Union et progrès de janvier 1913 à novembre 1914]. »

 

Jean et Jérôme Tharaud, La Bataille à Scutari d’Albanie, Paris, Émile-Paul Frères, 1913, pp. 118-120 :

« Tout l’Orient catholique assiste avec angoisse à la débâcle turque [fin 1912]. Cet effroi de l’avenir, cette horreur de l’Orthodoxie, cette immense inquiétude, c’est tout cela que révélait confusément la réflexion courageuse et naïve du Frate sicilien. Mais la voici plus amplement exprimée dans une lettre, qu’au même moment un Frère des Écoles chrétiennes écrivait de Constantinople, et que je donne sans y rien changer :

“Vous me trouvez turcophile chers parents. Comment ne le serais-je pas! Voilà vingt- trois ans que je vis au milieu des Turcs, que j’apprends à connaître l’âme de ce peuple, ses qualités de cœur, sa large tolérance, sa foi profonde en Dieu, son respect de l’autorité, sa vaillance son patriotisme. Tous les journaux catholiques de France peuvent parler de Croix contre le Croissant, ils négligent d’ajouter que cette croix est tout ce qu’il y a de plus grecque. Et vraiment ils oublient trop que depuis des années déjà la Turquie donne à nos religieux le pain que la France leur refuse...

Les mensonges d’une presse vénale ou mal informée n’y changeront rien : les Turcs font la guerre en soldats ; les Balkaniques la font en bandits. Les journaux peuvent parler des atrocités turques, mais les atrocités des États orthodoxes dépassent en horreur tout ce qu’ont fait les Turcs dans le passé. Des lettres écrites par nos frères de Salonique et de Chio ; d’autres lettres adressées par des parents aux enfants de nos écoles pourraient vous édifier sur la soi-disant civilisation de ces petits peuples prétendus chrétiens. Les nombreux religieux établis en Turquie, jésuites, lazaristes, capucins, franciscains déplorent cette campagne anti-turque de nos feuilles catholiques et y voient dans l’avenir un obstacle au progrès de notre religion dans ces contrées. Où pénètre le slavisme, guerre au catholicisme. Les Bulgares sont un peuple athée, les Grecs voleurs, dépravés, hypocrites, n’ont de religion que la surface. Quant aux Serbes, ils prohibent notre culte chez eux. On ne trouve dans toute la Serbie que deux prêtres catholiques, dont l’un est aumônier du ministre d’Autriche à Belgrade, et l’autre à l’hôpital autrichien. A Sophia, nos coreligionnaires sont cantonnés dans un quartier spécial comme les juifs dans un ghetto. En Grèce, ils sont soumis à toutes sortes de vexations. Tracasseries aussi dans le Monténégro, où l’on doit former des régiments séparés de catholiques et d’orthodoxes. La voilà bien cette fameuse croix libératrice des alliés balkaniques ! Tous ces schismatiques ont péché contre le Saint-Esprit ; ils ont sucé avec le lait de leur mère la haine des catholiques, des Latins en particulier.” »

 

Rinaldo Marmara (éd.), Témoignages lazaristes sur la guerre balkanique, İstanbul, Les éditions Isis, 2011, p. 49 :

« Le supérieur des pères Conventuels, accompagné du curé de Saint-Antoine, me faisant visite, m’apprennent qu’à Dédéagatch, les comités bulgares ont massacré 400 Turcs. Beaucoup de ces derniers s’étaient réfugiés chez les chrétiens, une dizaine chez le curé, qui est un Conventuel. En voulant protéger la vie des Turcs, les pères ont été fort malmenés. Le père me fait aussi part de ses inquiétudes au sujet de ses religieux enfermés dans Andrinople [Edirne]. […]

M. Cazot me fait part de ses inquiétudes pour l’avenir. Les Grecs [orthodoxes] ne peuvent supporter les uniates [Grecs et Bulgares catholiques], les Bulgares non plus. Avec eux, ce sera la ruine de la mission. Pour le moment, les Grecs et Bulgares se comportent en Macédoine comme des Barbares, y compris les chrétiens indigènes : massacres, vols, viols, incendie, tels sont les méfaits quotidiens à l’égard des Turcs. »

 

Télégramme du ministre de l’Intérieur Talat aux préfets d’Ankara, Bursa, Kayseri, Afyon, Niğde, Eskişehir et Balıkesir, 5 août 1915, reproduit dans Hikmet Özdemir et Yusuf Sarınay (éd.), Turkish-Armenian Conflict Documents, Ankara, TBMM, 2007, p. 183 :

« Vous êtes requis d’envoyer les Arméniens vivant dans les limites de votre province ou sancak [département] vers les autres régions choisies dans ce but et d’exempter les Arméniens catholiques de cette réinstallation. »

 

Şinasi Orel et Süreyya Yuca, Les « Télégrammes » de Talât Pacha. Fait historique ou fiction ?, Paris, Triangle, 1986, p. 125 :

« DOCUMENT AUTHENTIQUE N° LII

Télégramme chiffré du ministère de l’Intérieur aux préfectures de Hudavendigâr, Ankara, Konya, Adana, Alep, Sivas, Mamuretilaziz, Diyarbakir, Erzurum ; aux sandjaks d’Izmit, Maraş, Urfa, Zor, Kütahya, Karesi, Niğde, Karahisârisahib, Kayseri.

“L’objectif visé par le gouvernement en faisant déplacer les Arméniens de leurs lieux de résidence vers les régions prévues est d’empêcher leurs agissements contre le gouvernement et de les neutraliser afin qu’ils renoncent à leurs aspirations relatives à la création d’un gouvernement arménien.

“L’objectif visé par le gouvernement n’étant pas l’extermination des innocents, le gouvernement exige que toutes les mesures adéquates soient prises pour la protection des Arméniens pendant le transport et pour leur ravitaillement grâce aux allocations des émigrés. Il ordonne de ne plus déplacer les Arméniens, sauf ceux qui sont déjà en train de l’être, de ne plus transférer, comme il a été indiqué auparavant, les familles des soldats, ainsi que les artisans dont on a besoin et les Arméniens protestants et catholiques.

“Procéder immédiatement à des enquêtes judiciaires afin de punir sévèrement d’une part les personnes qui s’attaquent aux convois, qui commettent des vols, qui, emportées par des sentiments bestiaux, violent des femmes et d’autre part les fonctionnaires et les gendarmes qui les ont incitées. Limoger les fonctionnaires qui sont mêlés à ce genre d’affaires, les traduire devant les tribunaux militaires et communiquer leurs noms. Dans ce genre d’incident, la responsabilité incomberait à la préfecture/au sandjak.

16 août 1331 (29 août 1915)

Le Ministre de l’Intérieur [Talat].»

 

« Les premiers responsables de la famine de 1915-1919 dans le Mont-Liban sont les maronites eux-mêmes », L’Orient-Le Jour, 11 août 2016 :

« Les premiers responsables de la famine qui a décimé une partie de la population du Mont-Liban durant la Première Guerre mondiale sont les maronites eux-mêmes, affirmait le patriarche Hoayeck. C’est ce qui ressort des interventions qui ont marqué la séance de signature des récents volumes publiés par La Ligue patrimoniale de la vallée de Qannoubine. Les volumes relatent les événements ayant affecté la Vallée sainte et la région de Qannoubine au cours de la Première Guerre mondiale.

Organisée au siège du patriarcat de Dimane (Liban-Nord), la cérémonie a réuni le patriarche Raï et le mufti de Tripoli, Malek Chaar, venu à la tête d’une délégation d’ulémas, ainsi que de nombreuses personnalités civiles et religieuses.

Les documents contenus dans les quatre volumes ont été rassemblés par Boulos Ramia, transcrits et annotés par Georges Arab et revus par le père Antoine Daou. Ils sont présentés par le président de la ligue susmentionnée, Naoufal Chedraoui, et figurent dans une collection qui doit couvrir tout le patrimoine de la Vallée sainte.

Commentant la correspondance du patriarche Hoayeck durant la Première Guerre mondiale, le Pr Tanios Noujeim a affirmé que “les causes de la famine qui a décimé [de 1915 à 1919] la population du Mont-Liban, durant la Première Guerre mondiale, sont nombreuses, de l’aveu même du patriarche Hoayeck, mais ce dernier, avant d’en accuser les autres, avait admis que la responsabilité première en incombait aux membres de la communauté maronite eux-mêmes (...), riches accapareurs et profiteurs”. »

 

« Une statue du Pape à Constantinople », Revue indigène, janvier-mars 1920, p. 63 :

« Ce fait extraordinaire mérite d’être noté. L’Osservatore romano [journal officieux du Vatican] écrit :

“Fait unique dans l’histoire mondiale, un monument représentant le pape Benoit XV vient d’être inauguré a Constantinople, avec l’autorisation et même le concours de personnalités musulmanes et israélites, en reconnaissance de l’action du Souverain Pontife durant la guerre.

Ce monument représente Benoit XV revêtu des ornements pontificaux ; la main gauche tient l’Évangile ouvert, tandis que la droite est étendue dans un geste d’accueil. Le socle porte l’inscription suivante :

‘Au bienfaiteur des peuples, sans distinction de nationalités ou de religions : l’Orient.’”

Cela ne pourrait-il s’appeler un signe des temps ? En ce sens que désormais les religions ont perdu ce qu’elles avaient d’hostile et de farouche envers les tenants des religions voisines et qu’elles ont acquis la pratique du respect réciproque sans rien perdre de leurs désirs de prosélytisme. Et ce serait, sans aucun doute, un grand bien ! »


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jeudi 27 août 2020

L’inconstitutionnalité des lois mémorielles (notamment la « loi Arménie » de 2001)


 


Georges Vedel, « Les questions de constitutionnalité posées par la loi du 29 janvier 2001 », dans Didier Mauss et Jeanette Bougrab (dir.), François Luchaire, un républicain au service de la République, Paris, Publications de la Sorbonne, 2005 (écrit en 2001), pp. 37-61 :

« En revanche, de façon éclatante, la suite du texte de l’article 34 condamne la loi du 29 janvier 2001. En effet, ladite loi, qu’elle pose ou non des règles au sens de l’article 34, ne porte sur aucune des matières visées par le texte. Pourrait-on soutenir que l’alinéa qui confie à la loi les règles concernant “la détermination des crimes et délits, ainsi que les peines qui y sont applicables” ouvre à la loi française compétence pour définir et réprimer les agissements étrangers au territoire national et n’ayant, ni comme auteurs ni comme victimes, des Français ? Cette interprétation, contraire à des principes et à des pratiques ou internationaux, ne serait guère convaincante. Mais surtout, cet effort ne servirait à rien, car, même ainsi trituré, le texte constitutionnel, qui habilite la loi à “fixer les règles concernant la détermination des crimes et délits ainsi que les peines les concernant”, ne l’autorise pas à prononcer des condamnations, même platoniques, à l’encontre de ceux qui tomberaient sous le coup de ces règles. Au contraire, le principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire, consacré tant par la Déclaration de 1789 que comme principe fondamental reconnu par les lois de la République met (outre le bon sens) un obstacle infranchissable à ce que le législateur se prononce sur la vérité ou la fausseté de tels faits, sur leur qualification dans une espèce concrète, et sur une condamnation, même limitée à une flétrissure.

Ce ne sont pas seulement l’article 34 et la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire qui sont méconnus par la loi du 29 janvier 2001. Tout aussi grave est l’usurpation par le législateur de compétences concernant les relations internationales et la conduite de la diplomatie. Comme c’est le cas dans beaucoup de démocraties, si le Parlement et le législateur ont, en France, à intervenir dans ces matières, c’est dans des conditions et sous des formes qui excluent que le législateur français puisse représenter l’État souverain et, par conséquent, se servir du subterfuge d’une formulation législative pour empiéter sur les attributions du président de la République et du gouvernement. » (p. 47)

« On a déjà évoqué la pauvreté juridique des répliques que les partisans de la loi [du 29 janvier 2001]  ont apportées, sans se mettre en frais, aux objections de leurs adversaires. Il n’est pas sérieux de proclamer que le législateur est souverain, que le Parlement détient ou peut confisquer toutes les compétences qui peuvent être exercées au nom de l’État. Une telle hérésie (mais qui y croit vraiment ?) serait aux antipodes de la démocratie constitutionnelle, qui n’admet pas davantage le règne du législateur que celui du gouvernement ou des juges. » (p. 49)

« Il est apparu que la matière sur laquelle porte la loi ne relève pas du législateur, dont le domaine de compétence est défini par l’article 34 de la Constitution. Le législateur ne saurait empiéter sur la compétence du président de la République, du gouvernement — et au sein de celui-ci du ministre des Affaires étrangères — en matière de relations diplomatiques. Pour ces simples raisons, la loi doit être regardée comme contraire à la Constitution. » (p. 51)

 

Compte rendu, Mission d’information sur les questions mémorielles — Mardi 14 octobre 2008, séance de 16 heures 15 — Compte rendu n° 13 :

« Mme Anne-Marie Le Pourhiet. Mme Chandernagor ayant déjà traité de nombreux aspects particuliers de ces législations, je m’en tiendrai à l’exposé de grands principes juridiques, puisque le droit constitutionnel est avant tout l’expression d’une philosophie politique.

D’un point de vue général, un professeur de droit public de ma génération, encore formé par la doctrine juridique libérale de la IIIe République et par la jurisprudence du Conseil d’État, reçoit deux principes dans son biberon : le primat de l’intérêt général sur les intérêts particuliers, et le respect de la liberté comme valeur cardinale de notre civilisation.

[…]

Le moins que l’on puisse dire est que le législateur français ne se conduit plus tout à fait selon ces grands principes. Beaucoup de parlementaires sont moins des représentants de la nation que ceux de lobbies en tout genre, tirant la couverture publique vers leurs intérêts catégoriels. La lecture des documents et des débats parlementaires fait souvent frémir, tant la “novlangue” et le totalitarisme orwellien s’y répandent. […] Comme dans tous les bons systèmes totalitaires, on ne se contente pas de réprimer, on éduque les enfants : les cerveaux des écoliers deviennent le lieu privilégié d’intervention de lobbies de toutes sortes.

À ces considérations générales de juriste, j’ajouterai une observation sociologique de bon sens : personne n’apprécie les individus narcissiques et égocentriques qui ne parlent que d’eux, qui conjuguent la vie à la première personne du singulier, qui saoulent leur entourage avec la contemplation de leur nombril. Il en est de même des groupes qui veulent conjuguer la vie collective à la première personne du pluriel, bomber le torse, exhiber leur fierté identitaire, exiger reconnaissance, repentance et réparation, souvent avec une certaine agressivité et des arguments de mauvaise foi. Le culturalisme est à l’esprit ce que le culturisme est au corps : une gonflette narcissique fortement antipathique. À donner raison à tous ces groupes qui cultivent ce qui sépare et non ce qui unit, le législateur n’apaise rien ; bien au contraire, il excite la détestation réciproque et propage la zizanie dans la société.

Quelques mots sur le questionnaire qui m’a été remis. D’abord, j’ai été choquée par l’expression “politique de la mémoire” : c’est une expression parfaitement orwellienne, qui évoque le lavage de cerveau. À quand la création d’un ministère de la mémoire, à l’instar du ministère de l’identité nationale ? Arrêtez-vous ! On va trop loin dans la manipulation de nos mémoires et de nos cerveaux, laissez-nous nous souvenir en paix.

Ensuite, on nous demande si l’intervention du législateur présente des difficultés sur le plan constitutionnel : évidemment oui. Ces difficultés sont de trois ordres, sans qu’elles revêtent le même degré de gravité.

Le premier cas est celui de la loi en faveur des rapatriés, qui concerne les interventions du législateur dans le domaine réglementaire des programmes scolaires. Le Conseil constitutionnel, depuis sa décision “Blocage des prix” de 1982, considère qu’une loi qui contient des dispositions réglementaires n’est pas, de ce seul fait, contraire à la Constitution. Simplement, le Gouvernement peut, par le biais de l’article 37, alinéa 2, demander au Conseil constitutionnel de constater qu’une disposition de loi est intervenue dans le domaine réglementaire ; dans ce cas, il pourra éventuellement la modifier ou l’abroger. Il n’y a donc pas inconstitutionnalité ; le président Mazeaud a néanmoins regretté cette évolution jurisprudentielle.

Il y a ensuite ce que nous appelons les “neutrons législatifs”, à savoir les dispositions qui ne sont pas des normes, ne créent ni droits ni obligations, mais se bornent à reconnaître : c’est le cas de la première loi sur l’Arménie, de la loi Taubira [de 2001 sur l’esclavage]. Depuis la décision de 2004 relative à la loi Fillon [légère confusion entre la décision n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004, § 15, qui censure pour normativité incertaine, et la décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, §§ 16-17, qui censure pour absence de toute portée normative] le Conseil constitutionnel censure de telles dispositions qui se contentent de “bavarder”, l’article 34 de la Constitution disposant que la loi fixe des règles et détermine des principes fondamentaux. Désormais donc, un “neutron législatif” pourrait être invalidé. 

La question la plus grave est celle de l’atteinte portée par les lois pénales aux libertés – liberté d’expression, liberté de la presse, liberté scientifique et universitaire. Jusqu’à présent, le Conseil constitutionnel n’a été saisi au fond que de la loi réprimant les outrages publics au drapeau et à l’hymne national, pour laquelle il n’a malheureusement pas fait preuve de la même éthique voltairienne que la Cour suprême américaine : il a laissé passer.

On sait cependant que le second texte de loi sur l’Arménie, qui tendait à réprimer la négociation du génocide et qui n’a pas été adopté par le Sénat [le Sénat l’a rejetée le 4 mai 2011 pour inconstitutionnalité criante], était attendu de pied ferme au palais Montpensier, où il allait de toute évidence se faire sanctionner [opinion confirmée depuis par la censure, en 2012, d’un texte similaire] ; j’ai même ouï dire que le président du Conseil constitutionnel de l’époque était très déçu de ne pas pouvoir en être saisi. Nous étions un certain nombre à avoir demandé à M. Jean-Louis Debré, qui était alors président de l’Assemblée nationale, de bien vouloir saisir le Conseil si ce texte venait à être adopté. »

 

Compte rendu, Mission d’information sur les questions mémorielles — Mardi 4 novembre 2008, séance de 17 heures 15 — Compte rendu n° 15

« M. Robert Badinter. […] Mais l’important est ailleurs : c’est que rien dans l’article 34, et plus généralement dans la Constitution, ne permet au Parlement de disposer ainsi. C’était également l’opinion du doyen Vedel, dont j’ai eu le privilège d’être l’élève et avec qui j’ai noué des liens d’amitié lorsqu’il siégeait au Conseil constitutionnel. Il a consacré à cette loi l’un de ses tout derniers articles, écrit dans les Mélanges en l’honneur du professeur François Luchaire, ancien président de Paris I et lui aussi ancien membre du Conseil constitutionnel. S’exprimant avec autant de bonheur que de clarté, il y posait un diagnostic impitoyable. La question de savoir si la loi du 29 janvier 2001 est entachée d’inconstitutionnalité est simple, écrivait-il. “La simplicité ne vient pas seulement de ce que la loi en question méconnaît des dispositions constitutionnelles claires et précises. Elle vient aussi de ce qu’aucun effort juridique sérieux n’est venu au secours de la loi, notamment dans le cours des débats parlementaires”. La loi est inconstitutionnelle parce que, à l’évidence, l’article 34 de la Constitution ne permet pas au Parlement de se prononcer ainsi sur un événement historique.

Au vu, d’une part, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel quant à l’exigence d’une portée normative de la loi, d’autre part de l’analyse faite dans cet article remarquable, et quels que soient les sentiments que l’on puisse éprouver au sujet du génocide arménien, force est de conclure que le Parlement n’avait pas compétence pour voter un tel texte.

Qu’en est-il de la loi qui a suivi immédiatement, c’est-à-dire de la vôtre, Madame Taubira ? Je mesure très bien ses motivations. […]

Mais nous parlons ici d’une loi relative à des faits anciens, constituant un moment dans l’atroce histoire de l’esclavage, ce véritable fil rouge qui court à travers toute l’histoire de l’humanité. Souvenons-nous de la Bible, songeons aux civilisations dont se réclament les Européens ; les trois piliers de la culture européenne, disait Paul Valéry, sont la philosophie grecque, la religion chrétienne, elle-même appuyée sur l’Ancien Testament, et le droit romain : quelles que fussent leurs splendeurs, ces civilisations pratiquaient l’esclavage.

Dire que la traite transatlantique était un crime contre l’humanité, c’est projeter un concept actuel sur une réalité qui, à l’époque ignorait cette qualification : les négriers avaient bonne conscience – atrocement au regard de notre sensibilité. Si donc le Parlement doit faire preuve de la dernière fermeté contre tout ce qui, aujourd’hui, pourrait constituer une forme quelconque de trafic d’êtres humains ou d’esclavage, il ne peut pas proclamer, contre le principe fondamental de non-rétroactivité, qu’il y a eu crime contre l’humanité à une époque où cette notion juridique n’existait pas.

Je pense que si cette loi avait été déférée au Conseil constitutionnel, son article premier, dépourvu de toute portée normative, n’aurait pas subsisté. »

 

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Non, l’ONU n’a jamais « reconnu le génocide arménien »

La résolution adoptée en 1987 par le Parlement européen sur le prétendu « génocide arménien » est dépourvue de toute valeur juridique

La nature contre-insurrectionnelle du déplacement forcé d’Arméniens ottomans en 1915

Les massacres de musulmans et de juifs anatoliens par les nationalistes arméniens (1914-1918)

La triple défaite des nationalistes arméniens devant le Conseil constitutionnel (2012, 2016, 2017)

Le site Internet du collectif VAN disparaît

lundi 24 août 2020

Le site Internet du collectif VAN disparaît


Sans donner la moindre explication, le très mal nommé collectif Vigilance arménienne contre le négationnisme (VAN), créé en 2004 à l’initiative de Jean-Marc « Ara » Toranian (ancien porte-parole du groupe terroriste ASALA en France), a désactivé son site Internet (http://www.collectifvan.org) et ne se manifeste plus que sur ses comptes Twitter et Facebook (en sachant que leur compte Twitter a 2 325 abonnés, contre 2 734 pour le mien, alors que je n’ai jamais déployé d’efforts particuliers pour accroître ce nombre).

Organisation foncièrement liberticide, le collectif VAN s’est donné pour objectif principal de diffamer et d’intimider qui oserait contredire les nationalistes arméniens, notamment sur la question de 1915 — ce qui ne l’empêchait pas de nier l’évidence sur le massacre d’au moins 613 civils azerbaïdjanais à Khodjaly, par l’armée arménienne, en 1992. En décembre 2013, il s’en était pris, dans les termes les plus outranciers, à la Cour européenne des droits de l’homme, après la décision (confirmée depuis par un arrêt de Grande chambre) donnant raison à Doğu Perinçek contre la Suisse. M. Perinçek avait déclaré, sur le sol helvétique, que « le génocide arménien est un mensonge international », ce qui lui a valu d’être condamné — un jugement de condamnation annulé par la justice suisse après l’arrêt de Grande chambre.


 

Le conspirationnisme du collectif VAN s’était déjà manifesté en décembre 2006, contre la justice française. Une bagarre entre des militants nationalistes arméniens et de jeunes Franco-Turcs avait éclaté en 2004 ; ces derniers avaient été condamnés mais dispensés de peine, devant l’insignifiance de l’affaire. Le délire du collectif VAN après ce jugement (non frappé d’appel) montre l’incompatibilité foncière de valeurs entre ce groupuscule d’extrême droite (d’extrême droite étrangère, qui plus est) d’une part, la justice républicaine d’autre part :

 

Depuis 2006, nulle agression raciste n’a eu lieu contre quelque Arménien que ce soit, du moins en France (et tant mieux) ; par contre, Emine Çetin, organisatrice de la manifestation contre la proposition de loi Boyer en janvier 2012 (texte censuré en février 2012 par le Conseil constitutionnel, en raison de sa nature liberticide), a été menacée au téléphone et a fait condamner les deux énergumènes arméniens, auteurs des menaces (sans que le collectif VAN ait jamais jugé utile de publier un communiqué du genre : « Pas en notre nom »).

Le plus ignoble en la matière, cependant, fut la reproduction, sur leur site, en 2012, d’un article présentant (avec une précaution de pure forme) le couple Robert et Élisabeth Badinter comme des tireurs de ficelles cupides, selon un stéréotype aussi connu que mortifère.


La plupart des juristes, hommes et femmes politiques, intellectuels et journalistes non juifs qui ont pris des positions similaires à celles de M. Badinter, contre la proposition de loi Boyer, censurée, répétons-le, par le Conseil constitutionnel (Michel Diefenbacher, Jacques Myard, Gwendal Rouillard, Bariza Khiari, Jean-Jacques Hyest, Robert Hue, Alain Duhamel ou encore Françoise Chandernagor, pour ne citer que ceux-là), n’ont jamais eu à subir de telles calomnies de la part du collectif VAN, et pour cause.

Pour ceux qui douteraient encore de l’idéologie du collectif VAN, voici une capture d’écran prouvant qu’ils ont qualifié le nazi Paul Rohrbach de « grand savant » (alors qu’il était, dès avant 1914, une des figures les plus radicales et les plus racistes de l’extrême droite allemande) :


Enfin, ennemi autoproclamé « de tout négationnisme », le collectif VAN n’a jamais jugé utile de dénoncer l’essayiste arménien Romen Yepiskoposyan, auteur d’un livre paru à Erevan en 2002 puis réédité en 2013 ou 2014, Le Système national et niant (avec plus de grossièreté que Robert Faurisson lui-même) l’existence des chambres à gaz nazies.

Cet effondrement n’est pas isolé. En 2010, le bimensuel France-Arménie (organe de la Fédération révolutionnaire arménienne) est devenu un mensuel ; l’année suivante, son édition électronique a fermé sans explication non plus ; et en 2019, le journal a cessé de paraître sur papier (il se réduit à une parution en PDF, pour les seuls abonnés). Le site Gamkonline (affilié au même parti) a cessé d’être mis à jour en 2010 et a disparu (sans explication, là encore) en 2011. Le trimestriel Azad Magazine (nationaliste, mais sans affiliation partisane) a cessé de paraître en 2018, sans même survivre sous forme électronique. Le site armenews.com ne dégage plus de bénéfice ; il en est réduit à restreindre aux abonnés l’accès à la plupart de ses articles, pour ne pas faire faillite (pour l’instant).

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« Cause arménienne » et réseaux Soral : réplique au collectif VAN (2)

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Quand la police française enquêtait sur le financement de l’ASALA, elle entendait le nom de Jean-Marc « Ara » Toranian


samedi 22 août 2020

Le nazi Vincent Reynouard : négation des crimes du IIIe Reich, soutien à l’accusation de « génocide arménien »


« Que sait-on des dégradations révisionnistes commises au mémorial d'Oradour-sur-Glane ? », Francetvinfo.fr, 22 août 2020 :

« La dernière inscription fait référence au négationniste Vincent Reynouard, âgé d'une cinquantaine d'années. Cet ancien professeur de maths, radié en 1997, avait été définitivement condamné à un an de prison en 2016 pour une vidéo remettant en cause l'extermination des Juifs d'Europe, rapportait alors France 3 Normandie. Il avait été condamné en 2007 pour des faits similaires. »


Nicolas Bove, « Comment les thèses de Robert Faurisson continuent d'alimenter la fachosphère », Les Inrockuptibles, 28 octobre 2018 :

« Au banquet annuel de Rivarol en 2011 dont il était l'invité d'honneur, il déclare, dans ce que l'assistance accueille comme un trait d'humour :

"Vous me traitez de néo-nazi. Moi je dis : pourquoi néo?" »


Vincent Reynouard, « La Cour européenne des droits de l'homme: instrument de dictature », vidéo d’octobre 2015 :

« Les juges [de la Cour européenne des droits de l’homme] [...] ont estimé que la négation du génocide arménien n’était pas un délit. Dès lors, dira-t-on, pourquoi en serait-il autrement avec “l’Holocauste” ? Eh bien, pour le comprendre, il faut faire l’effort de lire attentivement les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Je me suis procuré l’arrêt rendu hier et qui a donné raison à celui que l’on présente comme un révisionniste du génocide arménien. J’invite le spectateur à lire les articles 213 et suivants [de l’arrêt de Grande chambre]. »


Il est clair (et encore plus en lisant les sous-titres, où les mots « l’Holocauste » sont placés entre guillemets) que M. Reynouard ne remet nullement en cause l’accusation de « génocide arménien » (non prouvée), alors qu’il nie obstinément l’existence de la Shoah et l’ampleur du massacre d’Oradour-sur-Glane (prouvées). C’est une preuve de plus que les parallèles tentés par les organisations nationalistes arméniennes (au passé souvent plus que douteux à l’époque des fascismes) entre la critique rationnelle et documentée (y compris par des très grands historiens comme Edward J. Erickson, Bernard Lewis, Guenter Lewy, Norman Stone, Gilles Veinstein ou Stéphane Yerasimos) de la qualification arménien d’une part, les falsifications historiques de quelques fanatiques d’extrême droite (ou parfois communistes), à propos de la Shoah, d’autre part, n’ont aucune espèce d’apparence de fondement.

Bien au contraire, les lamentations de M. Reynouard sur un prétendu « deux poids, deux mesures », balayées par le Conseil constitutionnel, sont en miroir de celles que nous infligent les nationalistes arméniens en France depuis 1994 au moins (relaxe de Bernard Lewis par le tribunal de grande instance de Paris).


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