lundi 11 mai 2020

La résolution adoptée en 1987 par le Parlement européen sur le prétendu « génocide arménien » est dépourvue de toute valeur juridique





«Responsabilité non contractuelle de la Communauté – Recours manifestement dépourvu de tout fondement en droit»
Dans l'affaire T-346/03,
Grégoire Krikorian, demeurant à Bouc-Bel-Air (France),Suzanne Krikorian, demeurant à Bouc-Bel-Air,Euro-Arménie ASBL, établie à Marseille (France),représentés par Me P. Krikorian, avocat,
parties requérantes,
contre
Parlement européen, représenté par MM. R. Passos et A. Baas, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,Conseil de l'Union européenne, représenté par Mme S. Kyriakopoulou et M. G. Marhic, en qualité d'agents, etCommission des Communautés européennes, représentée par MM. F. Dintilhac et C. Ladenburger, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
parties défenderesses,
ayant pour objet une demande d'indemnisation du préjudice moral que les requérants auraient subi en raison, notamment, de la reconnaissance du statut de candidat ayant vocation à l’adhésion à l'Union européenne à la république de Turquie,


LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre)


composé de MM. B. Vesterdorf, président, P. Mengozzi, et Mme M. E. Martins Ribeiro, juges,
greffier: M. H. Jung,
rend la présente


Ordonnance





Faits à l’origine du litige et procédure


1
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 octobre 2003, les requérants ont introduit le présent recours en indemnité, par lequel ils demandent la réparation du préjudice qui leur aurait été causé, notamment, par la reconnaissance du statut de candidat ayant vocation à l’adhésion à l’Union européenne à la république de Turquie, alors que cet État aurait refusé de reconnaître le génocide perpétré en 1915 contre les Arméniens vivant en Turquie.

2
Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal:


déclarer que la résolution du Parlement européen, du 18 juin 1987, sur une solution politique de la question arménienne (JO C 190, p. 119, ci-après la «résolution de 1987») a force juridique contraignante à l’égard de la Communauté européenne;


déclarer que les parties défenderesses ont violé de façon suffisamment caractérisée le droit communautaire au préjudice des requérants;


condamner les parties défenderesses à payer à chacun des requérants la somme d’un euro à titre de dommages-intérêts;


condamner les défenderesses aux dépens, évalués à 30 000 euros, majorés d’intérêts.

3
Par acte séparé, enregistré au greffe du Tribunal le 9 octobre 2003, les requérants ont introduit une demande en référé visant, notamment, à ce que les institutions défenderesses suspendent la procédure d’examen de la candidature de la république de Turquie à l’adhésion à l’Union européenne et subordonnent la reprise de cette procédure à la reconnaissance préalable par ledit État du génocide susmentionné.

En droit
Arguments des parties

4
Selon les requérants, le premier élément générateur de la responsabilité non contractuelle de la Communauté réside dans le fait que le Conseil européen a, lors de sa réunion de Helsinki (Finlande) des 10 et 11 décembre 1999, officiellement reconnu à la république de Turquie le statut de candidat ayant vocation à l’adhésion à l’Union européenne, sans pour autant subordonner cette adhésion à la reconnaissance préalable par ledit État du génocide susmentionné. En outre, ils font observer que la république de Turquie bénéficie d’un partenariat pour l’adhésion, lequel prévoirait notamment une aide importante permettant à cet État de s’engager de façon irréversible sur la voie de l’adhésion. Ils se réfèrent à cet égard à plusieurs documents, dont les règlements (CE) n° 390/2001 du Conseil, du 26 février 2001, concernant l’assistance à la république de Turquie dans le cadre de la stratégie de préadhésion, et notamment l’instauration d’un partenariat pour l’adhésion (JO L 58, p. 1), et n° 2500/2001 du Conseil, du 17 décembre 2001, concernant l’aide financière de préadhésion en faveur de la république de Turquie et modifiant les règlements (CEE) n° 3906/89, (CE) n° 1267/1999, (CE) n° 1268/1999 et (CE) n° 555/2000 (JO L 342, p. 1), ainsi que la décision 2001/235/CE du Conseil, du 8 mars 2001, concernant les principes, priorités, objectifs intermédiaires et conditions du partenariat pour l’adhésion de la république de Turquie (JO L 85, p. 13).

5
De ce fait, les institutions défenderesses auraient méconnu de façon flagrante la résolution de 1987. Par cette résolution, le Parlement aurait déclaré que le refus du gouvernement turc de reconnaître ledit génocide constituait un obstacle incontournable à l’examen d’une éventuelle adhésion de la république de Turquie.

6
Selon les requérants, la résolution de 1987 constitue un acte juridique qui, de la même manière que les recommandations et les avis, peut produire des effets juridiques (arrêt de la Cour du 13 décembre 1989, Grimaldi, C‑322/88, Rec. p. 4407). En l’espèce, la résolution de 1987 produirait ou serait destinée à produire des effets juridiques dépassant le cadre de l’organisation interne des travaux du Parlement (arrêt du Tribunal du 2 octobre 2001, Martinez e.a./Parlement, T‑222/99, T‑327/99 et T‑329/99, Rec. p. II-2823). En effet, par ladite résolution, le Parlement aurait entendu poser publiquement une condition spéciale d’adhésion concernant la république de Turquie, consistant en la reconnaissance préalable par cet État du génocide en cause. En outre, les termes utilisés dans la résolution ne laisseraient subsister aucune ambiguïté quant à l’intention de l’institution communautaire.

7
Les requérants rappellent à cet égard que, dès l’entrée en vigueur de l’Acte unique européen, le 1er juillet 1987, le Parlement avait le pouvoir, en vertu de l’article 237 du traité CEE, depuis lors abrogé, de s’opposer à l’adhésion de la république de Turquie et indiquent que l’exigence d’un avis conforme du Parlement résulte désormais de l’article 49 du traité sur l’Union européenne. Ils relèvent que la résolution de 1987 a été publiée – et ainsi portée à leur connaissance – après cette date, à savoir le 20 juillet 1987.

8
Il en résulterait que la résolution de 1987 aurait fait naître dans leur chef une confiance légitime en l’exercice, le cas échéant, par le Parlement de son droit de veto concernant l’adhésion de la république de Turquie, ou, plus généralement, dans le fait que cette institution s’opposerait à l’examen de la candidature de la république de Turquie tant que celle-ci n’aurait pas reconnu le génocide en cause. Les circonstances rappelées au point 4 ci-dessus constitueraient une violation de cette confiance légitime.

9
Les requérants prétendent donc que, puisque la Communauté s’est imposée une obligation de comportement et une obligation de résultat, le seul constat de la méconnaissance des prescriptions de la résolution de 1987 suffit à établir une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire.

10
Les requérants invoquent également une violation de plusieurs droits fondamentaux, dont notamment le droit de ne pas subir de traitement inhumain ou dégradant et le droit au respect de la vie privée, consacrés aux articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

11
Enfin, les requérants font valoir que, en leur qualité de membres de la communauté arménienne et de descendants de personnes rescapées du génocide en cause, ils subissent un préjudice moral.

12
Ils indiquent, à cet égard, que le comportement adopté par les institutions défenderesses constitue une atteinte à leur dignité, compte tenu du fait, font-ils valoir, que la mémoire des victimes dudit génocide et le souci de la vérité historique font partie intégrante de la dignité de tous les Arméniens. En outre, puisque ledit génocide fait partie intégrante de l’histoire et de l’identité du peuple arménien, l’identité des requérants serait elle-même affectée de manière irréparable par le comportement des institutions défenderesses. Enfin, la remise en cause de la réalité du génocide susmentionné occasionnerait une marginalisation et un sentiment d’infériorité au sein de la communauté arménienne. Ainsi, l’attitude de la république de Turquie aurait pour effet de frapper les requérants d’ostracisme, ceux-ci étant considérés comme des victimes de second ordre. Ces circonstances auraient pour conséquence que les requérants nourriraient un sentiment de profonde injustice, ce qui les empêcherait également d’accomplir leur deuil de manière satisfaisante.
Appréciation du Tribunal

13
Aux termes de l’article 111 du règlement de procédure du Tribunal, lorsqu’un recours est manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée. Au vu de la requête, le Tribunal s’estime en mesure de statuer sur le fond du présent recours, sans entendre les observations des institutions défenderesses et sans engager de procédure orale.

14
Il résulte d’une jurisprudence constante que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16; arrêts du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T‑175/94, Rec. p. II‑729, point 44; du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T‑336/94, Rec. p. II‑1343, point 30, et du 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T‑267/94, Rec. p. II‑1239, point 20).

15
Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de la responsabilité non contractuelle de la Communauté (arrêt de la Cour du 14 octobre 1999, Atlanta/Communauté européenne, C‑104/97 P, Rec. p. I‑6983, point 65).

16
En l’espèce, les requérants invoquent, en substance, deux circonstances susceptibles d’engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté, à savoir, d’une part, la reconnaissance du statut de candidat ayant vocation à l’adhésion à l’Union européenne à la république de Turquie par le Conseil européen de Helsinki des 10 et 11 décembre 1999 et, d’autre part, le fait que cet État bénéficie d’un partenariat pour l’adhésion à l’Union européenne.

17
En ce qui concerne la reconnaissance du statut de candidat ayant vocation à l’adhésion à l’Union européenne à la république de Turquie, force est de constater qu’elle résulte d’un acte émanant du Conseil européen, lequel n’est pas une institution de la Communauté au sens de l’article 7 CE. Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 14 ci-dessus, seul le comportement d’une institution de la Communauté peut engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté. Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter l’argument selon lequel la reconnaissance du statut de candidat ayant vocation à l’adhésion à l’Union européenne à la république de Turquie serait de nature à engager la responsabilité de la Communauté.

18
En ce qui concerne le fait que la république de Turquie bénéficie d’un partenariat pour l’adhésion à l’Union européenne, il y a lieu de constater que les requérants se fondent sur la thèse selon laquelle le comportement des institutions défenderesses est illégal parce qu’il serait contraire à la résolution de 1987.

19
Il suffit de relever à cet égard que la résolution de 1987 est un document contenant des déclarations de caractère purement politique, lesquelles peuvent, à tout moment, être modifiées par le Parlement. Elle ne saurait, de ce fait, produire d’effets juridiques obligatoires à l’égard de son auteur ni, a fortiori, à l’égard des autres institutions défenderesses.

20
Cette conclusion suffit également à écarter l’argument selon lequel la résolution de 1987 aurait pu faire naître une confiance légitime, chez les requérants, en ce que les institutions s’aligneraient sur la teneur de ladite résolution (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 11 juillet 1985, Salerno e.a./Commission et Conseil, 87/77, 130/77, 22/83, 9/84 et 10/84, Rec. p. 2523, point 59, et du 28 novembre 1991, Luxembourg/Parlement, C‑213/88 et C‑39/89, Rec. p. I‑5643, point 25).

21
En ce qui concerne la prétendue violation des droits fondamentaux (voir point 10 ci-dessus), il suffit de constater que les requérants se bornent à affirmer qu’une telle violation aurait eu lieu, sans expliquer en quoi celle-ci découlerait du comportement reproché en l’espèce aux institutions défenderesses.

22
À titre surabondant, il convient de relever, d’une part, que les requérants n’ont manifestement pas démontré que la condition relative au lien de causalité est remplie en l’espèce.

23
En effet, il est de jurisprudence constante qu’il doit exister un lien direct de cause à effet entre la faute prétendument commise par l’institution concernée et le préjudice invoqué, lien dont il appartient au requérant d’apporter la preuve (arrêt du Tribunal du 24 avril 2002, EVO/Conseil et Commission, T‑220/96, Rec. p. II‑2265, point 41, et la jurisprudence citée). En outre, le comportement fautif de l’institution concernée doit être la cause directe et déterminante de ce préjudice (ordonnances du Tribunal du 15 juin 2000, Aduanas Pujol Rubio e.a./Conseil et Commission, T-614/97, Rec. p. II-2387, point 19; du 16 juin 2000, Transfluvia e.a./Conseil et Commission, T‑611/97, T-619/97 à T‑627/97, Rec. p. II-2405, point 17, et du 12 décembre 2000, Royal Olympic Cruises e.a./Conseil et Commission, T‑201/99, Rec. p. II‑4005, point 26, confirmée sur pourvoi par ordonnance de la Cour du 15 janvier 2002, Royal Olympic Cruises e.a./Conseil et Commission, C‑49/01 P, non publiée au Recueil).

24
En l’espèce, il ressort des arguments présentés par les requérants que le préjudice moral allégué résulte du refus par le gouvernement turc de reconnaître le génocide en cause et non pas du comportement reproché aux institutions défenderesses. Dans ces circonstances, les requérants n’ont en rien démontré que le comportement reproché aux institutions défenderesses soit la cause directe et déterminante du préjudice allégué.

25
D’autre part, en ce qui concerne la condition selon laquelle les requérants doivent avoir subi un préjudice réel et certain, force est de constater que les requérants se sont bornés, dans leur requête, à invoquer, en termes généraux, un préjudice moral qui serait causé à la communauté arménienne, sans donner la moindre indication sur la matérialité et l’étendue du préjudice qu’ils estiment avoir personnellement subi. Ainsi, les requérants n’ont pas fourni d’informations permettant au Tribunal de constater que les requérants ont effectivement subi un préjudice réel et certain qui leur soit propre (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 2 juillet 2003, Hameico Stuttgart e.a./Conseil et Commission, T-99/98, Rec. p. II-2195, points 68 et 69).

26
Dans ces circonstances, les requérants n’ont manifestement pas démontré que les conditions engageant la responsabilité non contractuelle de la Communauté sont réunies.

27
Il résulte de ce qui précède que les conclusions en indemnité sont manifestement non fondées.

Sur les dépens


28
En vertu de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

29
Toutefois, dans la présente espèce, en vertu de l’article 111 du règlement de procédure, l’ordonnance est rendue avant que les parties défenderesses aient déposé leur mémoire en défense et pu conclure sur les dépens. Il y a donc lieu de faire application de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, selon lequel le Tribunal peut répartir les dépens pour des motifs exceptionnels.

30
Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens.
Par ces motifs,


LE TRIBUNAL (première chambre)
ordonne:


1) Le recours est rejeté.


2) Les parties requérantes sont condamnées aux dépens.
Fait à Luxembourg, le 17 décembre 2003.
Le greffier
Le président
H. Jung
B. Vesterdorf


«Pourvoi – Responsabilité non contractuelle de la Communauté – Recours en indemnité – Pourvoi en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé»

Dans l'affaire C-18/04 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l'article 56 du statut de la Cour de justice,
introduit le 16 janvier 2004,
Grégoire Krikorian, demeurant à Bouc-Bel-Air (France),
Suzanne Krikorian, née Tatoyan, demeurant à Bouc-Bel-Air (France),
Euro-Arménie ASBL, établie à Marseille (France),
représentés par Me P. Krikorian, avocat,
parties requérantes,
les autres parties à la procédure étant:
Parlement européen, représenté par MM. A. Baas et R. Passos, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
Conseil de l'Union européenne, représenté par Mme S. Kyriakopoulou et M. G. Marhic, en qualité d'agents,
Commission des Communautés européennes, représenté par MM. C. Ladenburger et F. Dintilhac, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
parties défenderesses en première instance,


LA COUR (quatrième chambre),


composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, Mme N. Colneric (rapporteur) et M. J. N. Cunha Rodrigues, juges,
avocat général:M. M. Poiares Maduro,
vu la procédure écrite,
l'avocat général entendu,
rend la présente


Ordonnance




1
Par leur pourvoi, M. Grégoire Krikorian, Mme Suzanne Krikorian et l’association Euro-Arménie (ci-après, les «requérants») demandent l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de première instance des Communautés européennes (première chambre) du 17 décembre 2003, Krikorian e.a./Parlement européen e.a., T-346/03, non encore publiée au Recueil, par laquelle celui-ci a déclaré manifestement dépourvu de tout fondement en droit le recours en indemnité introduit devant lui par les requérants (ci-après l’«ordonnance attaquée»).

Le recours en indemnité devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

2
Il ressort de l’ordonnance attaquée que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 octobre 2003, les requérants ont introduit un recours en indemnité, fondé sur l’article 288, deuxième alinéa, CE, par lequel ils ont demandé la réparation du préjudice qui leur aurait été causé, notamment, par la reconnaissance du statut de candidat ayant vocation à l’adhésion à l’Union européenne à la république de Turquie, alors que cet État aurait refusé de reconnaître le génocide perpétré en 1915 contre les Arméniens vivant en Turquie.

3
Dans le cadre de ce recours, les requérants ont soutenu que la Communauté était tenue de réparer le préjudice moral qu’ils auraient subi, en leur qualité de membres de la communauté arménienne et de descendants de personnes rescapées du génocide arménien. Selon eux, la responsabilité de la Communauté serait engagée, d’une part, du fait que le Conseil européen a, lors de sa réunion de Helsinki (Finlande) des 10 et 11 décembre 1999, officiellement reconnu à la république de Turquie le statut de candidat ayant vocation à l’adhésion à l’Union européenne, sans pour autant subordonner cette adhésion à la reconnaissance préalable par ledit État du génocide susmentionné et, d’autre part, du fait que la république de Turquie bénéficie d’un partenariat pour l’adhésion, lequel prévoirait notamment une aide importante permettant à cet État de s’engager de façon irréversible sur la voie de l’adhésion. Ces actes auraient été adoptés en violation de la résolution du Parlement européen, du 18 juin 1987, sur une solution politique de la question arménienne (JO C 190, p. 119, ci-après la «résolution de 1987»), par laquelle le Parlement aurait déclaré que le refus du gouvernement turc de reconnaître ledit génocide constituait un obstacle incontournable à l’examen d’une éventuelle adhésion de la république de Turquie. Les requérants invoquaient également une violation de plusieurs de leurs droits fondamentaux.

4
Le Tribunal a rejeté le recours sur le fondement de l’article 111 de son règlement de procédure en estimant que les requérants n’avaient manifestement pas démontré que les conditions engageant la responsabilité non contractuelle de la Communauté étaient réunies.

5
Il a jugé, aux points 17 et 19 à 21 de l’ordonnance attaquée, que les requérants n’avaient pas établi l’existence d’un comportement illicite dans le chef des institutions de la Communauté. La reconnaissance du statut de candidat ayant vocation à l’adhésion à l’Union européenne résulterait d’un acte émanant du Conseil européen, lequel n’est pas une institution de la Communauté au sens de l’article 7 CE. Cet acte ne serait donc pas susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de cette dernière. L’octroi du bénéfice d’un partenariat en vue de ladite adhésion ne violerait en aucune manière le droit communautaire, dès lors que la résolution de 1987 serait une déclaration à caractère purement politique ne produisant aucun effet obligatoire à l’égard des institutions et qui, de ce fait, n’a pu faire naître aucune confiance légitime chez les requérants. Enfin, les requérants n’auraient pas démontré en quoi les institutions auraient violé leurs droits fondamentaux.

6
Statuant à titre surabondant, le Tribunal a, au point 22 de l’ordonnance attaquée, estimé que les requérants n’avaient pas démontré l’existence d’un lien de causalité entre leur prétendu dommage et le comportement des institutions. Il a notamment jugé, au point 24 de ladite ordonnance, que, ainsi qu’il ressortait des arguments présentés par les requérants, le préjudice moral allégué résultait du refus par le gouvernement turc de reconnaître le génocide en cause et non pas du comportement reproché aux institutions défenderesses.

7
Le Tribunal a, en outre, estimé, au point 25 de l’ordonnance attaquée, que les requérants n’avaient pas fourni d’informations permettant au Tribunal de constater qu’ils avaient effectivement subi un préjudice réel et certain qui leur soit propre.

La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

8
Par un second pourvoi, déposé au greffe de la Cour le 16 janvier 2004, les requérants ont, en vertu de l’article 57, deuxième alinéa, du statut de la Cour, demandé l’annulation de l’ordonnance du président du Tribunal de première instance du 17 décembre 2003, Krikorian e.a./Parlement, Conseil et Commission (T-346/03 R, non encore publiée au Recueil, ci-après l’«ordonnance du président du Tribunal») par laquelle celui-ci a, au vu de l’ordonnance du même jour rejetant le recours au fond, déclaré qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur la demande en référé.

9
Par acte séparé, déposé au greffe de la Cour le 16 janvier 2004, les requérants ont, au titre des articles 242 CE et 243 CE, demandé à la Cour d’ordonner le sursis à l’exécution de l’ordonnance du président du Tribunal.

10
Par ordonnance du 13 septembre 2004, Krikorian e.a./Parlement, Conseil et Commission [C-18/04 P(R), non encore publiée au Recueil], le président de la Cour a, d’une part, rejeté le pourvoi contre l’ordonnance du président du Tribunal, et, d’autre part, réservé les dépens.

11
Par ordonnance du 13 septembre 2004, Krikorian e.a./Parlement, Conseil et Commission (C-19/04 P-R, non encore publiée au Recueil), le président de la Cour a, d’une part, rejeté la demande de sursis à l’exécution de l’ordonnance du président du Tribunal, et, d’autre part, réservé les dépens.

12
Par leur présent pourvoi, les requérants demandent principalement l’annulation de l’ordonnance attaquée et qu’il soit fait droit aux conclusions présentées en première instance et subsidiairement le renvoi de l’affaire au Tribunal de première instance. Enfin, ils sollicitent la condamnation in solidum du Parlement, du Conseil de l’Union européenne et de la Commission des Communautés européennes (ci-après les «institutions défenderesses») aux dépens.

13
À l’appui de leur pourvoi, les requérants invoquent quatre moyens:


Le premier moyen vise le rejet du recours au fond. Les requérants soutiennent que le Tribunal aurait violé l’article 111 de son règlement de procédure, en ce qu’il aurait fait application de cette disposition alors que le recours n’était pas manifestement non fondé. Ils font notamment valoir qu’un acte du Conseil européen peut engager la responsabilité de la Communauté, dès lors que, ainsi qu’il résulte de l’article 4, premier alinéa, UE, «[l]e Conseil européen donne à l’Union les impulsions nécessaires à son développement et en définit les orientations politiques générales». Ils soutiennent également que la résolution de 1987 est un acte contraignant, dont le non-respect constitue une illégalité et que leurs droits fondamentaux ont été violés. Ils estiment par ailleurs que ce serait à tort que le Tribunal a jugé que la preuve d’un préjudice propre n’était pas établie ni celle d’un lien de causalité entre le comportement des institutions et ce préjudice, alors que, dans leur recours, les requérants avaient, selon eux, démontré la preuve d’un préjudice individuel et le fait que ce préjudice résultait du comportement abstentionniste des institutions communautaires face au négationnisme turc.


Le deuxième moyen vise la décision relative aux dépens. Les requérants soutiennent que le Tribunal aurait violé l’article 87, paragraphe 3, premier alinéa, de son règlement de procédure en les condamnant aux dépens, alors que, d’une part, seule une répartition de ceux-ci ou la décision que chaque partie supportera ses propres dépens est prévue par le texte et que, d’autre part, le Tribunal n’aurait pas exposé les motifs exceptionnels justifiant l’application de cette disposition.


Par leur troisième moyen, les requérants font valoir que, en statuant par ordonnance, le Tribunal les a privés d’un débat public sur les arguments qu’ils présentaient et aurait, dès lors, violé leur droit à un procès équitable et à une protection juridictionnelle effective.


Par un quatrième moyen, les requérants affirment que le Tribunal aurait violé les principes de protection de la confiance légitime, de la sécurité juridique et des droits acquis, ainsi que certains de leurs droits fondamentaux.

14
Le Parlement et la Commission demandent à la Cour de rejeter le pourvoi comme manifestement irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme manifestement non fondé, et de condamner les requérants à l’entièreté des dépens de l’instance.

15
Le Conseil demande à la Cour de rejeter le pourvoi comme manifestement non fondé et de condamner les requérants à l’entièreté des dépens de l’instance.

Sur le pourvoi

16
À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 119 de son règlement de procédure, lorsqu’il est manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, rejeter le pourvoi par voie d’ordonnance motivée, sans ouvrir la procédure orale (voir ordonnance du 11 novembre 2003, Martinez/Parlement, C-488/01 P, non encore publiée au Recueil, point 37).
Sur les premier, troisième et quatrième moyens

17
Ces moyens ayant trait aux motivations du Tribunal relatives à l’absence d’un acte illicite commis par une institution de la Communauté, il y a lieu de les examiner ensemble.
Sur la recevabilité
    Arguments des parties

18
Le Parlement et la Commission soutiennent que le pourvoi est manifestement irrecevable dans son ensemble.

19
Ils considèrent que les requérants se contentent le plus souvent de répéter les mêmes développements et citations purement abstraites de droit, de jurisprudence ou de doctrine qu’ils ont déjà avancés en première instance, ou d’y ajouter d’autres citations, dépourvues de toute pertinence.

20
La Commission ajoute que le mémoire des requérants est rempli de passages qui ne laissent pas paraître le moindre lien avec la situation concrète des requérants ni, encore moins, un examen de l’ordonnance attaquée.
    Appréciation de la Cour

21
Il convient de relever que, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit communautaire faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être à nouveau discutés au cours d’un pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et arguments déjà utilisés devant le Tribunal, la procédure de pourvoi serait privée d’une partie de son sens (ordonnance Martinez/Parlement, précitée, point 39, et jurisprudence citée).

22
Cependant, il résulte des articles 225 CE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), du règlement de procédure de cette dernière qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de la décision du Tribunal dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande (ordonnance Martinez/Parlement, précitée, point 40, et jurisprudence citée).

23
Or, en l’occurrence, le pourvoi vise précisément à contester l’appréciation portée par le Tribunal sur plusieurs questions de droit qui lui étaient soumises en première instance.

24
Le pourvoi en ce qui concerne les premier, troisième et quatrième moyens comporte l’indication précise des aspects critiqués de l’ordonnance attaquée. En effet, par leur premier moyen, les requérants contestent les points 17, 19 à 21 et 25 à 27 de l’ordonnance attaquée afin de démontrer que le Tribunal aurait violé l’article 111 du règlement de procédure du Tribunal. En ce qui concerne le troisième moyen du pourvoi, les requérants se réfèrent aux observations faites dans le contexte de leur premier moyen afin de démontrer que le Tribunal les a privés d’un débat public. Enfin, dans le quatrième moyen, les requérants contestent les points 19 et 20 de l’ordonnance attaquée afin de démontrer que le Tribunal aurait violé les principes de protection de la confiance légitime, de la sécurité juridique et des droits acquis, ainsi que certains de leurs droits fondamentaux.

25
Le pourvoi, pris dans son ensemble, en ce qui concerne les premier, troisième et quatrième moyens, comporte des moyens et arguments sur lesquels il s’appuie.

26
Il résulte de ce qui précède que le pourvoi en ce qui concerne les premier, troisième et quatrième moyens est recevable.
Sur le bien-fondé des premier, troisième et quatrième moyens
    Appréciation de la Cour

27
Ainsi qu’il résulte de l’article 288, deuxième alinéa, CE, la Communauté doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

28
Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions en ce qui concerne l’illégalité du comportement reproché aux institutions communautaires, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement de l’institution et le préjudice invoqué. Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de la responsabilité non contractuelle de la Communauté (arrêt du 14 octobre 1999, Atlanta/Communauté européenne, C‑104/97 P, Rec. p. I-6983, point 65).

29
Quant à la condition relative à l’illégalité du comportement reproché, une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers est exigée. Le critère décisif pour considérer qu’une violation est suffisamment caractérisée est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par une institution communautaire, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C-352/98 P, Rec. p. I-5291, points 42 et 43).

30
Sans qu’il soit nécessaire d’examiner le rôle du Conseil européen dans l’Union européenne, il y a lieu de rappeler, s’agissant de la résolution de 1987, que, en principe, une résolution du Parlement européen ne revêt pas un caractère contraignant et ne peut pas faire naître une confiance légitime à ce que les institutions s’alignent sur celle-ci (arrêt du 11 juillet 1985, Salerno/Commission et Conseil, 87, 130/77, 22/83, 9 et 10/84, Rec. p. 2523, point 59).

31
Statuant dans le cadre du recours en annulation, la Cour a cependant jugé qu’il fallait examiner la nature de l’acte en cause plutôt que la forme qu’il revêt et vérifier s’il est destiné à produire des effets juridiques (arrêt du 28 novembre 1991, Luxembourg/Parlement, C‑213/88 et C-39/89, Rec. p. I-5643, point 15). Un tel examen exige une analyse du contenu et de la portée de la résolution (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 1988, France/Parlement, 358/85 et 51/86, Rec. p. 4821, point 15).

32
À cet égard, une simple lecture de la résolution de 1987 permet de constater que le Parlement y exprime un avis de nature politique sur les événements de 1915-1917, et formule des souhaits adressés au Conseil européen, à la Commission, aux États membres de la Communauté, à de nombreux pays tiers ainsi qu’à l’Organisation des Nations Unies. Le Tribunal n’a donc pas commis d’erreur de qualification en considérant que la résolution de 1987 ne contenait que des déclarations à caractère purement politique et que, de ce fait, elle n’était pas susceptible de produire des effets juridiques obligatoires à l’égard de son auteur ni, a fortiori, à l’égard des autres institutions défenderesses.

33
Cette résolution n’ayant pas d’effet contraignant, il s’ensuit d’une part, que les institutions défenderesses ne pouvaient commettre aucune illégalité en s’écartant des souhaits qu’elle contenait et, d’autre part, qu’elle ne pouvait faire naître aucune confiance légitime dans le chef des requérants.

34
Enfin, ces derniers ne démontrent pas en quoi ils avaient établi, devant le Tribunal, l’existence d’une violation de certains droits fondamentaux.

35
Il résulte de l’ensemble de ces considérations que le recours devant le Tribunal n’était manifestement pas fondé, en ce que les requérants n’avaient en aucune manière établi l’existence d’une illégalité commise par une institution communautaire.

36
Par conséquent, c’est à juste titre que le Tribunal a fait application de l’article 111 de son règlement de procédure et a, par voie d’ordonnance, jugé le recours manifestement dépourvu de tout fondement en droit. Ce faisant, le Tribunal n’a pas violé le droit fondamental des requérants à un procès équitable, mais a appliqué une disposition de son règlement de procédure dont il n’a pas été soutenu qu’elle serait incompatible avec ce principe.

37
L’examen des premier, troisième et quatrième moyens du pourvoi, en ce qu’ils sont relatifs à l’existence d’un comportement illicite d’une institution communautaire qui aurait violé la prétendue confiance légitime des requérants, n’a pas permis d’établir d’un tel comportement imputable aux institutions défenderesses.

38
S’agissant du premier moyen en ce qu’il est relatif à l’existence d’un dommage et d’un lien de causalité, il suffit de constater qu’il est dirigé contre des motifs surabondants de l’ordonnance attaquée et est, partant, inopérant.

39
Il résulte de tout ce qui précède que les premier, troisième et quatrième moyens sont manifestement non fondés.
Sur la recevabilité du pourvoi en ce qui concerne le deuxième moyen

40
À cet égard, il suffit de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que, dans l’hypothèse où tous les autres moyens d’un pourvoi ont été rejetés, les conclusions concernant la prétendue irrégularité de la décision du Tribunal sur les dépens doivent être rejetées comme irrecevables, en application de l’article 58, second alinéa, du statut de la Cour de justice, aux termes duquel un pourvoi ne peut porter uniquement sur la charge et le montant des dépens (voir, notamment, arrêts du 14 septembre 1995, Henrichs/Commission, C-396/93 P, Rec. p. I-2611, points 65 et 66, du 12 juillet 2001, Commission et France/TF1, C‑302/99 P et C‑308/99 P, Rec. p. I-5603, point 31, ainsi que du 30 septembre 2003, Freistaat Sachsen e.a./Commission, C-57/00 P et C-61/00 P, Rec. p. I‑9975, point 124).

41
Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être rejeté comme manifestement irrecevable.

42
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’aucun des moyens invoqués par les requérants au soutien de leur pourvoi ne pouvant être accueilli, il y a lieu de rejeter celui-ci dans son intégralité.

Sur les dépens


43
Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de ce règlement, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les institutions défenderesses ayant conclu à la condamnation des requérants et ceux-ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens de la présente instance. Outre ses propres dépens, les requérants supportent également les dépens exposés par les institutions défenderesses dans le cadre des procédures en référé C‑18/04 P(R) et C‑19/04 P‑R.





Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) ordonne:


1) Le pourvoi est rejeté.

2) Les requérants sont condamnés aux dépens de la présente instance.

3) Les requérants supportent également les dépens exposés par les institutions défenderesses dans le cadre des procédures en référé C‑18/04 P(R) et C-19/04 P‑R.


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