mercredi 13 janvier 2021

Le soutien d’Arthur Beylerian à la thèse du « complot judéo-maçonnico-dönme » derrière le Comité Union et progrès

  


Arthur Beylerian, Les Grandes Puissances, l’Empire ottoman et les Arméniens dans les Archives françaises (1914-1918), Paris, 1983 :

« L’un des faits les plus saillants de la Révolution de 1908 est le rôle précis et actif de certains représentants de l’importante communauté israélite de Salonique. Des personnalités juives et plus encore, des deunmehs, ont, dès la première heure, collaboré étroitement avec les Jeunes Turcs pour l’établissement du régime constitutionnel, entretenant avec eux des liens d’une confiance sans égale. Carasso, avocat, et plus tard député juif de Salonique, bien connu dans les milieux de la franc-maçonnerie occidentale, comptera ainsi parmi les figures de premier plan durant l’époque constitutionnelle de 1908 à 1918. Avec l’encouragement des Jeunes Turcs, Carasso fondera même plusieurs loges maçonniques à Salonique et Constantinople, recrutant les membres principalement dans les cercles du Comité Union et Progrès. Le cheïkh-ul Islam, lui-même, le plus grand dignitaire de la religion musulmane dans l’Empire Ottoman, sera initié dans la loge “Constitution” dont le vénérable est Djavid bey. Bien que le siège central du CUP soit à Constantinople, Salonique restera le foyer du mouvement jeune turc jusqu’à l’occupation grecque en 1912. » (p. XVI)

« L’influence des deunmehs chez les Jeunes-Turcs semble avoir été importante au point qu’après la défaite de l’Empire ottoman en 1918, le nouveau ministre turc de l’Intérieur Izzet bey en février 1919, avouait [sic] à un journaliste : “Les criminels ne sont pas les vrais musulmans, mais ce sont les deunmehs!” [les lecteurs attentifs auront noté l’usage de l’article défini : les dönmes] » (p. LVI)

 

Il a déjà été expliqué ici que le rôle des Juifs, des francs-maçons et des dönmes au Comité Union et progrès a été exagéré de manière démesurée par divers antisémites (britanniques, arméniens, grecs, maronites, islamistes, pseudo-libéraux…), et qu’en particulier, Emmanuel Carasso n’a jamais été « une figure de premier plan durant l’époque constitutionnelle, de 1908 à 1918 ». Il n’a, par exemple, jamais été membre du comité central (contrairement à l’Arménien Bedros Hallaçyan, par exemple). Quant aux loges créées par Carasso, elles servaient avant tout de lieu de réunion pour le CUP, quand il était encore dans l’opposition, car la police du sultan ne pouvait y pénétrer que difficilement.

Rappelons aussi que feu Beylerian s’appuyait sur les livres de Paul de Rémusat et Michel Paillarès, deux autres tenants de la thèse du « complot judéo-maçonnico-dönme » : Arthur Beylerian, « L’échec d’une percée internationale : le mouvement national arménien (1914-1923) », Relations internationales, n° 31, automne 1982, p. 370. Or, Arthur Beylerian n’était pas n’importe qui : outre qu’il a été secrétaire de l’Association arménienne d’aide sociale (AAAS), il est cité régulièrement comme une référence incontestable. L’urologue Yves Ternon (par ailleurs manipulateur de source et qui s’appuie lui aussi sur les complotistes de Rémusat et Paillarès), la référence numéro 1 des militants arméniens en France, a ainsi écrit : « Je me mis aussitôt en rapport avec Arthur Beylerian pour lequel j’ai la plus grande estime et que je tiens pour l’un des chercheurs les plus compétents sur le génocide arménien. »

Le recueil cité ci-dessus a été réédité en 2018 par les éditions Sigest, propriété de Jean Varoujan Sirapian (figure du parti Ramkavar et très marqué du côté d’Alain Soral), avec une postface laudative de Raymond Kévorkian, également Ramkavar et référence numéro 2 des militants arméniens en France, depuis les années 1990. Les passages cités ci-dessus sont également reproduits sur le site de Nil Agopoff, ancien dirigeant du Conseil de coordination des associations arméniennes de France, figure du parti Hintchak — et antisémite profond, comme les lecteurs réguliers de ce blog ont déjà pu le constater.

 

Lire aussi :

Paul de Rémusat (alias Paul du Véou) : un tenant du « complot judéo-maçonnique », un agent d’influence de l’Italie fasciste et une référence pour le nationalisme arménien contemporain

La grécophilie, l’arménophilie et l’antijudéomaçonnisme fort peu désintéressés de Michel Paillarès

L’helléniste Bertrand Bareilles : arménophilie, turcophobie et antisémitisme (ensemble connu)¨

Racisme et antisémitisme : les caricatures de Vrej Kassouny (dignes du Stürmer)

Jean-Marc « Ara » Toranian semble « incapable » de censurer la frénésie antijuive de son lectorat

Le regard sans complaisance de Nune Hakhverdyan et Arman Grigoryan sur la situation intellectuelle en Arménie et en diaspora

 

Et sur l’héritage historique :

L’arménophilie vichyste d’André Faillet — en osmose avec l’arménophilie mussolinienne et collaborationniste

L’arménophilie du régime de Vichy

De l’anarchisme au fascisme, les alliances très variables d’Archag Tchobanian

L’arménophilie de Johann von Leers

L’arménophilie fasciste, aryaniste et antisémite de Carlo Barduzzi

Auguste Gauvain : arménophilie, grécophilie et croyance dans le « complot judéo-bolchevique »

L’arménophilie-turcophobie d’Édouard Drumont, « le pape de l’antisémitisme », et de son journal

L’arménophilie aryaniste, antimusulmane et antisémite de D. Kimon

Albert de Mun : arménophilie, antidreyfusisme et antisémitisme

Maurice Barrès : de l’antisémite arménophile au philosémite turcophile

 

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