Note sur un entretien de
Rosenberg avec Hitler, le 8 mai 1942, au sujet de questions touchant à la
politique à l’est, Procès des
grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international de
Nuremberg, Nuremberg, Imprimerie du TMI, tome XXVII, 1948, p.
289 :
« J'ai expliqué [à Hitler]
que l'Arménie était la meilleure barrière entre la Turquie et l'Azerbaïdjan,
empêchant le mouvement pantouraniste
vers l'Est. Le peuple arménien lui-même est en grande partie sédentaire, un
peuple agricole doté de nombreux talents industriels. »
Jürgen Matthäus et Franck
Bajohr (éd.) The Political Diary of Alfred Rosenberg and
the Onset of the Holocaust, Lanham, Rowman & Littlefield, 2015, p. 288 :
« Puis, nous passâmes à la question de Crimée. […] Le Führer a une
nouvelle fois évoqué les Arméniens, et déclara qu’il avait toujours pensé que
c’étaient des escrocs. Évidemment, c’est une vieille image encore présente
dans l’esprit du Führer. Il souligna qu’il avait dû corriger certaines choses
au fil du temps. J’ai expliqué au Führer
que les paysans et petits commerçants arméniens vivaient dans les vallées
depuis des siècles, qu’ils travaillaient dur, qu’ils étaient désireux de
travailler et que par-dessus tout ils formaient un rempart entre les Turcs et
les Azerbaïdjanais. Concernant la forme [administrative] que prendrait
le Caucase, je suggérai de ne pas y appliquer la formule du Reichskommissar. À la place, je proposai
au Führer quelques noms à choisir, soit Protektor,
soit Reichschutzherr, la Géorgie, par
exemple, était désignée comme Land
plutôt que comme Generalbezirk [en d’autres termes, Rosenberg propose une
formule d’autonomie arméno-géorgienne sous protectorat allemand plutôt que
l’administration directe]. Le Führer mentionna la proposition de
confédération d’États caucasiens, Staatenbund. Je dis au Führer qu’au lieu de Staatenbund, je suggérais le terme caucasien de Länderbund, correspondant aux
désignations de Land Georgien, Land Armenien, etc. [notons que l’Azerbaïdjan n’est pas cité comme possible territoire
autonome !] Là aussi, le Führer était d’accord. »
ð Il n’est pas étonnant qu’Hitler ait eu,
jusqu’en 1942, des préjugés envers les Arméniens, qu’il considérait alors comme
des Aryens trop portés à l’escroquerie ; sa vision
des Japonais était encore plus compliquée et il considérait que les
Italiens ne méritaient pas Mussolini, ce qui ne l’a pas empêché de faire
alliance avec le Japon et l’Italie à partir de
1936. Ce qui est remarquable, c’est que Rosenberg ait convaincu Hitler de
revoir sa position sur les Arméniens et d’accepter les plans qu’il lui
présentait à leur sujet, de même que Paul
Rohrbach (peut-être aidé par Rosenberg) avait obtenu le classement des
Arméniens comme Aryens dès juillet 1933.
Christopher Walker (auteur
britannique très arménophile), Armenia.
The Survival of a Nation, Londres, Routledge, 1990, p. 357 :
« Un an plus tard, le 15 décembre
1942, un Conseil national arménien reçut la reconnaissance officielle d’Alfred
Rosenberg, le ministre allemand des régions occupées. Le président de ce
conseil était le professeur Ardashes
Abeghian, son vice-président Abraham
Giulkhandanian, et il comptait parmi ses membres Nejdeh et Vahan
Papazian [tous membres de la Fédération
révolutionnaire arménienne]. À partir de cette date, et jusqu’à la fin de
1944, fut publié un journal hebdomadaire, Armenien,
dirigé Viken Shant (le fils de Levon), qui parlait aussi à Radio Berlin. »
Ernst Pipper, « Alfred
Rosenberg » (traduit de l’allemand par Olivier Mannoni), Revue d’histoire de la Shoah, n° 208,
2018, pp. 228-229 :
« En 1922 parut aussi le texte de combat de Rosenberg Pest in Russland. Der Bolschewismus, seine Häupter, Handlanger und
Opfer (Peste en Russie. Le bolchevisme, ses chefs, ses hommes de main et
ses victimes). Comme Les Fossoyeurs de la
Russie d’Eckart, il parut au Deutscher Volksverlag, la maison d’édition de
l’antisémite Ernst Boepple. La couverture fut là aussi conçue par Otto von Kursell.
Le motif central est un bolchevik portant une étoile de David sur sa casquette.
Les deux publications se complètent parfaitement ; le texte de Rosenberg dut
toutefois attendre 1924 pour bénéficier d’un deuxième tirage, et fut réimprimé
à plusieurs reprises après 1933. Alors que le pamphlet d’Eckart ne contenait
que 32 pages, divertissantes et d’une consommation facile avec leurs
caricatures antisémites et leurs vers satiriques, Peste en Russie comportait 144 pages, ce qui avait rendu sa
publication plus coûteuse. C’était en outre un texte saturé d’un nombre
monstrueux de faits concernant un pays lointain, c’est-à-dire une lecture
plutôt astreignante. Mais les deux textes contribuèrent indubitablement à
implanter dans les cerveaux des Allemands l’image terrifiante de la révolution
russe, avec ses assassins bestiaux déchaînés, et à l’associer avec une vision
du monde radicale et brutalement antisémite. Le pendant du bolchevisme juif, de
la révolution russe comme œuvre du judaïsme mondial [malgré son hostilité aux Russes en général et au régime tsariste en
particulier, Rosenberg ne faisait que reproduire un thème inventé et développé
par l’extrême droite russe], était le judaïsme allemand comme exécutant du
bolchevisme victorieux en Union soviétique. Ce lien entre judaïsme et bolchevisme contribua à ouvrir la voie à
l’antisémitisme éliminationniste des nationaux-socialistes, qui trouva ensuite
son exutoire dans la guerre d’extermination portée par l’idéologie raciale à
l’Est.
On retrouve dans Peste en Russie
tous les grands thèmes que le lecteur avait rencontrés dans l’avant-propos
écrit par Rosenberg aux Fossoyeurs de la Russie d’Eckart : le Tartaro-Talmouk
Lénine [le père de Lénine était
effectivement un Kalmouk, mais sa mère était allemande et non tatare ; que
Rosenberg l’ait cru et y ait vu un trait négatif est remarquable, encore plus
en considérant son arménophilie], qui, à l’aide d’aventuriers et de la “lie
du peuple russe”, se hisse à la tête du gouvernement, Trotsky qui est le
véritable tyran de la Russie après avoir travaillé pendant vingt-cinq ans à la
destruction du pays. C’est avec Trotsky que Zinoviev était arrivé de New York :
“Ce Juif gras aux cheveux laineux est peut-être la personnalité la plus
répugnante de tout le gouvernement soviétique.” »
Anne Quinchon-Caudal, Avant « Mein Kampf ». Les années
de formation d’Adolf Hitler, Paris, CNRS, 2023, p. 216 :
« Plus encore : selon toute vraisemblance, c’est [Dietrich] Eckart (et Alfred Rosenberg
dans son sillage) qui a convaincu Hitler de la “dangerosité” des Juifs, et à
considérer que la race juive serait omniprésente dans l’espace — contrôlant les
gouvernements, la presse, les théâtres, ou encore le monde de l’éducation —,
mais aussi dans le temps. On constate en effet qu’Hitler élargit de plus en
plus [en 1920-1922] sa vision du “péril
juif”. D’abord simples alliés des ennemis de l’Allemagne durant la Grande Guerre,
le Juif prend progressivement les traits du révolutionnaire “bolchevique” qui
rêve de “domination mondiale”. »
« La
publication des journaux d’Alfred Rosenberg. Entretien avec Jürgen
Matthäus », Revue d’histoire de
la Shoah, n° 203, 2015, pp. 364-365 :
« Pourquoi avez-vous décidé de
publier une édition critique de ce que l’on appelle les Journaux d’Alfred
Rosenberg ? Dans quelle mesure Rosenberg était-il un « dirigeant nazi » à part
? Et dans quelle mesure ses écrits ont-ils une valeur singulière pour
l’histoire du national-socialisme ?
[…] Avec cette édition, nous avons voulu, Frank Bajohr et moi-même, mettre
en lumière avant toute chose l’importance politique de Rosenberg – non
seulement parce qu’il n’écrit pratiquement rien dans son Journal sur sa vie
privée, mais avant tout parce que la recherche présente sur ce point des
déficits manifestes. Même l’historiographie sur la Shoah, qui a connu une forte
croissance ces dernières années, n’a traité Rosenberg qu’en marge – et ce bien
que la transition entre la persécution des Juifs et l’extermination
systématique des Juifs ait d’abord eu lieu dans la région d’Europe de l’Est
placée sous son administration. Notre édition apporte aussi les preuves documentées
du fait que Rosenberg a contribué de
manière déterminante, pendant l’automne 1941, aux plans de la direction
nationale-socialiste visant à mener à bien la “Solution finale de la question
juive” par le biais de l’assassinat de masse dans sa zone d’influence. Le
18 novembre 1941, Rosenberg affirme dans un discours que “cet Est [était]
appelé à résoudre une question posée aux peuples d’Europe : il s’agit de la
question juive”. Cette question,
poursuit Rosenberg, “ne peut être résolue que par une élimination biologique de
tout le judaïsme en Europe”. Pour lui, l’objectif était fermement défini ;
pour ce qui concernait la mise en œuvre, il s’est adapté aux possibilités
existantes. »
Christopher Browning, « La
décision concernant la Solution finale », Colloque de l’École des hautes études en sciences sociales, L’Allemagne nazie et le génocide juif, Paris, Le Seuil/Gallimard,
1985 p. 208 :
« L’autorisation donnée en juillet à Göhring se référait à un plan incluant
la totalité de la sphère d’influence allemande en Europe et datait d’une époque
où on comptait encore sur une victoire rapide en Russie. En août, avant qu’un
tel plan ait pu être établi et alors que l’espoir d’une victoire proche était
encore vivace, Hitler résista aux pressions de Heydrich et Goebbels et s’opposa
à la déportation des Juifs d’Allemagne “pendant la guerre”. Le 13 septembre
encore, Eichmann annonça de même au ministère des Affaires étrangères qu’il n’était
pas possible de déporter les Juifs serbes vers le Gouvernement général ou vers
la Russie puisqu’on ne pouvait même pas y loger les Juifs allemands. L’espoir d’une
victoire totale dès l’automne s’évanouissant alors rapidement, Hitler semble
avoir brusquement changé d’avis. Le 14 septembre, Rosenberg insista auprès de
Hitler pour qu’il autorisât la déportation immédiate des Juifs allemands en
réponse à la déportation vers la Sibérie des Allemands de la Volga décidée par
les Russes. Quatre jours plus tard, Himmler informait Geiser, Gauleiter du Wartheland,
que des déportations provisoires avaient lieu vers Lodz parce que le Führer
souhaitait voir l’ancien Reich [l’Allemagne
dans ses frontières de 1937] et le Protectorat [la République tchèque actuelle, moins les Sudètes] judenrein [c’est-à-dire sans Juifs] aussi rapidement que possible, de
préférence avant la fin de l’année. Peu après, Heydrich déclara de même que,
dans la mesure du possible, les Juifs allemands fussent déportés vers Lodz,
Riga et Minsk avant la fin de l’année. »
Lire aussi :
L’arménophilie
du nazi norvégien Vidkun Quisling
L’arménophilie
fasciste, aryaniste et antisémite de Carlo Barduzzi
L’arménophilie
du régime de Vichy
La
place tenue par l’accusation de « génocide arménien » dans le discours soralien
Dissolution
du groupuscule néonazi « Les zouaves », fervent soutien du nationalisme
arménien
Sur les amis arméniens de Rosenberg :
La
popularité du fascisme italien et du nazisme dans la diaspora arménienne et en
Arménie même
La
collaboration de la Fédération révolutionnaire arménienne avec le Troisième
Reich
Le
Hossank, l’autre parti nazi arménien
Le
racisme aryaniste, substrat idéologique du nationalisme arménien
Les
massacres de Juifs par les dachnaks en Azerbaïdjan (1918-1919)
Sur la prégnance du complotisme antisémite dans ces milieux :
Aram
Turabian : raciste, antisémite, fasciste et référence du nationalisme arménien
en 2020
L’antijudéomaçonnisme
de Jean Naslian, référence du nationalisme arménien contemporain
Patrick
Devedjian et le négationniste-néofasciste François Duprat
Jean-Marc
« Ara » Toranian semble « incapable » de censurer la frénésie antijuive de son
lectorat
La
signature du très soralo-compatible Jean Varoujan Sirapian réapparaît sur
armenews.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire