Comme avocat de terroristes appartenant aux Commandos des justiciers du
génocide arménien (CJGA, la branche terroriste créée en 1972 par la Fédération
révolutionnaire arménienne et mise en sommeil en 1986), à l’Armée secrète
arménienne pour la libération de l’Arménie (ASALA) et finalement du meneur de l’ASALA-Mouvement
révolutionnaire (scissionniste à l’été 1983), Henri Leclerc a non seulement
fait preuve de compréhension pour le terrorisme arménien en tant que tel, mais
d’approbation répétée des actes terroristes. Voici ses propres mots, avec d’autres pour les
situer dans leur contexte. Conception étrange du droit à la vie, pour quelqu’un
qui fut président de la Ligue des droits de l’homme (qui porte, il est vrai,
mal son nom).
Gaïdz Minassian, Guerre et terrorisme arméniens, Paris,
Presses universitaires de France, 2002,
p. 44 :
« Les 22 et 24 octobre 1975, deux commados du CJGA abattent Danis
Tunaligil et Ismail Erez, ambassadeurs turcs à Vienne et à Paris. »
«
M. Erez : un francophone francophile », Le
Monde, 26-27 octobre 1975, p. 3 :
« Être ambassadeur à Paris était pour M. Erez plus qu’une étape dans
sa carrière : c’était sa vocation et il ne cessait de le répéter.
Il avait fait ses études au célèbre lycée franco-turc Galata-Saraïl à
Istanbul, pépinière de personnalités turques francophones et francophiles.
Lorsqu’il fut nommé à Paris en novembre 1974, il avait déjà derrière lui
une carrière bien remplie. […]
Paris n’était cependant pas une sinécure. […]
Le nouvel ambassadeur fit cependant merveille, multipliant les contacts,
non seulement avec les diplomates, mais avec les hommes d’affaires, les
industriels, les journalistes. Au moment où il a été frappé, il pouvait
considérer sa mission comme pleinement réussie, puisque Ankara allait recevoir la
visite du ministre français des affaires étrangères, ce qui n’a pas eu lieu
depuis huit ans. »
« L’assassinat
du conseiller de presse à l’ambassade de Turquie à Paris », Le Monde, 28 janvier 1980 :
« Mme Rose Lafoy, de l’université de Provence (Aix), nous a
adressé une lettre dont voici les principaux passages :
“Permettez-moi d’apporter un témoignage sur la personnalité de M. Yilmaz
Çolpan, conseiller de presse à l’ambassade de Turquie, à Paris, directeur de l’Office
du tourisme turc, qui a été le 22 décembre [1979], froidement assassiné [par
les CJGA] sur les Champs-Élysées.
Je connaissais M. Çolpan depuis plus de 25 ans, depuis l’époque où il
étudiait le français à l’université d’Ankara (j’y étais moi-même professeur) ;
je l’avais souvent revu depuis lors, soit en Turquie, soit en France. Je peux
témoigner que c’était un homme d’une finesse, d’une sensibilité et d’une
culture exceptionnelles, et surtout que c’était l’homme le plus pacifique, le
plus libéral, le moins fanatique, le moins violemment nationaliste qui soit.
[…]” »
Jean-Pierre Richardot, Arméniens, quoi qu’il en coûte, Paris,
Fayard, 1982, p. 109 :
« Un groupe arménien [l’ASALA] avait fait sauter [le 4 novembre 1980]
une partie du Palais de justice de Genève [et blessant cinq Suisses]. Ces actes
[le pluriel renvoie aux attentats de 1981, en particulier celui de la gare
Cornavin, le 22 juillet, qui fit un mort], émanant de jeunes gens dépourvus de
culture historique européenne, ont eu pour effet de dresser l’opinion suisse
contre la cause arménienne. L’auteur en est témoin. »
Henri Leclerc, plaidoirie en
défense pour Max Hraïr Kilndjian, jugé par la cour d’assises d’Aix-en-Provence
pour tentative d’assassinat sur l’ambassadeur de Turquie à Berne, 23 janvier
1982, Les Arméniens en cour d’assises,
Roquevaire, Parenthèses, 1983, p. 202 :
« Eh bien, moi je dis : merci
Max ! Qu’importe, même si tu l’as fait, nous en aurons parlé, au moins
instant nous nous serons rappelé de cela, et de ce
tragique instant de l’histoire de l’humanité, comme nous devons toujours
nous rappeler de cet autre tragique instant de l’histoire de l’humanité qui de
1935 [sic] à 1945 a envahi l’Europe. »
ð
Max
Hraïr Kilndjian appartenait aux CJGA, c’est-à-dire ceux qui avaient assassiné İsmail
Erez et Yılmaz Çolpan. Rappelons aussi au
passage que l’autre avocat de Max Hraïr Kilndjian était Patrick Devedjian,
acolyte du négationniste François Duprat, qu’il avait aidé
à répandre, après leur exclusion du groupuscule néofasciste Occident, le
triangle antisémitisme-négationnisme-antisionisme dans l’extrême droite
française (ce que Patrick Devedjian n’a jamais prétendu regretter).
« Me
Henri Leclerc — Interview le 5 février 1982 », Arménia (Marseille), janvier-février-mars 1982, p. 7 :
« Comment voyez-vous l’évolution du problème arménien ?
C’est un problème arménien. Moi, qui suis français, je pense que la
reconnaissance du génocide arménien est un problème moral, de dimension
internationale, qui passe avant toute autre considération. Quant à la lutte des Arméniens, de quelque obédience qu’elle se réclame
[référence aux CJGA et à l’ASALA, pas encore en conflit sanglant, mais déjà
dans une certaine rivalité, en particulier en France], elle s’avère nécessaire, elle est la source même de leur identité et je
la soutiens. Mais l’avenir des Arméniens les concerne ; c’est à
eux de décider du choix de cet avenir et je ne vois pas pourquoi j’interviendrais
dans ce processus. »
Attentat d’Orly (1983).
Xavier Raufer, « Terrorisme :
les réseaux transnationaux venus du Moyen-Orient », Le Débat, n° 39, mars-mai 1986 :
« L’attentat d’Orly a lieu le 15 juillet [1983]. Le dimanche 17, la
D.S.T. peut faire parvenir à la brigade criminelle un rapport, établi le 14, la
veille de l’attentat, qui comprend le nom et l’adresse de tous les militants
pro-Asala actifs, mais surtout, « de source sûre », une information décisive :
Garbidjian, il y a peu, a chargé Söner Nayir d’acheter une dizaine de
bouteilles de camping-gaz, or six bouteilles de ce type entrent dans la
composition de la bombe d’Orly.
Le lundi 18 juillet une opération massive peut donc être montée : à six
heures du matin, cent cinquante policiers agissant en trente équipes procèdent
à cinquante et une arrestations à Paris et dans sa banlieue. Objectif de cette
opération : démanteler l’infrastructure logistique de l’Asala. Plus de vingt
appartements et pavillons sont perquisitionnés. Les interpellés sont :
vingt-deux Arméniens d’origine turque, onze d’origine iranienne, dix de la
communauté française et un d’origine syrienne. Beaucoup d’entre eux résident en
France depuis moins d’un an.
Les perquisitions vont permettre de découvrir, chez Ohannes Semerci, responsable
de la logistique, un véritable arsenal enfermé dans des valises dont les clés
étaient en possession de Varoujan Garbidjian1, ainsi que quinze passeports dont
deux français et treize autres, vierges, en provenance de divers pays arabes. Chez un comparse, Antoine Achkoyan, on
devait également découvrir un pistolet-mitrailleur, un revolver, un lot de
cartouches 9 mm, etc. Une nouvelle vague d’arrestations aura lieu le 10
octobre suivant, autour de celle de Söner Nayir.
Cette enquête va permettre aux services français de beaucoup apprendre sur
le style et la méthodologie des groupes terroristes venus du Proche-Orient. Ce
sont tout d’abord de vrais professionnels : ils vivent en circuit fermé et sont
rompus aux techniques de la clandestinité. On constate, par exemple, qu’ils se servent
entre eux de pseudonymes, qu’ils se téléphonent tard dans la nuit, à partir de
cabines publiques, en usant de phrases convenues, que leurs carnets et leurs
notes sont codés. Mais ce qui ressort surtout de cette affaire, c’est, au bout
du compte, la relative facilité, et le coût extrêmement bas, de l’implantation d’un
réseau clandestin dans un pays d’Europe. À partir du moment où il dispose du
soutien actif d’un des pays qui ne répugnent pas à jouer la carte terroriste
(Syrie, Libye, Iran) un groupe comme l’Asala, le Jihad islamique, le Fatah
Commandement révolutionnaire d’Abou Nidal ou encore l’Organisation de lutte
armée arabe de Carlos, n’éprouve pas, pour structurer un appareil, de
difficultés particulières.
Il faut implanter, dans une communauté donnée, deux ou trois individus bien
formés qui vont recruter parmi leurs amis et connaissances. Plus les gens se
connaissent de longue date, et mieux cela vaut ; dans l’affaire de l’Asala, on
constatera que le séminaire arménien de
Jérusalem était une véritable pépinière de terroristes. […]
Plusieurs membres du détachement militaire ont été, à la fin de 1984, jugés
devant une autre instance judiciaire [et défendus par Henri Leclerc, on va y
venir]. Ils étaient inculpés d’association de malfaiteurs, d’infraction à la
législation sur les armes, de recel de documents administratifs falsifiés. Même
s’il n’avait pas été possible à la justice de prouver leur complicité
matérielle dans l’attentat d’Orly, les présomptions étaient lourdes : Quatre
des six inculpés provenaient également du séminaire arménien de Jérusalem ;
tous étaient nés au Moyen-Orient ; tous étaient arrivés en France courant 1982
; aucun d’entre eux ne disposait de ressources déclarées ; plusieurs connaissaient
Garbidjian (sous un pseudonyme ou un autre) ; l’un des inculpés habitait dans
un appartement situé immédiatement au-dessous de celui de Nayir ; trois possédaient du Semtex chez eux ; deux
possédaient un code numérique décrypté, contenant les mots “aéroport... attentat...
Asala” ; une culasse trouvée chez l’un d’eux correspondait à une arme
découverte chez l’un des trois inculpés de l’attentat, un détonateur trouvé
chez l’un d’eux était la réplique exacte de ceux découverts chez un inculpé de
l’attentat d’Orly et sur les lieux de quelques attentats arméniens ratés en
Europe. »
« Cinq
complices dans l’attentat d’Orly sont condamnés à des peines de prison »,
Le Monde, 23-24 décembre 1984, p. 8 :
« La treizième chambre du tribunal correctionnel de Créteil
(Val-de-Marne) a rendu vendredi 21 décembre son verdict dans l’affaire des six
Arméniens accusés d’avoir aidé les auteurs de l’attentat meurtrier — huit morts
et quarante blessés — commis à Orly le 15 juillet 1983.
Cinq des six inculpés ont été reconnus coupables, et condamnés à des peines
d’emprisonnement allant de deux à quatre ans. Nersez Tasci, vingt-quatre ans,
et Ohanes Catanassian, vingt-cinq ans, devront purger deux ans de prison
Antoine Achkoyan, trente-huit ans, trente mois de la même peine, Bedros
Halablian, vingt-neuf ans, trois années et Avedis Catanassian, vingt-huit ans,
quatre ans. […]
Ces six militants arméniens étaient accusés de participation à association
de malfaiteurs et de diverses infractions à la législation sur les armes et les
explosifs. Chez plusieurs d’entre eux les policiers avaient trouvé, trois jours
après l’attentat, des pistolets-mitrailleurs, des bâtons de dynamite, des
munitions, des détonateurs, des systèmes électroniques de retardement. »
« Procès des boucs
émissaires de la répression anti-arménienne à Créteil », Hay Baykar, 12 janvier 1985, p. 4 :
« Le 11 décembre [1984] s’ouvre à Créteil le procès d’Avétis
Catanessian, Ohannès Catanessian, Roobig Avanessian, Nercès Tasci, Antoine
Achkoyan et Bedros Halabian. Les audiences vont durer quatre jours, quatre
jours pendant lesquels la partie civile [Turkish Airlines], émissaire direct du
gouvernement turc, va tenter, sous la houlette de Maître [Christian] de Thézillat, orchestrateur d’une partie civile acharnée
et opiniâtre, de faire du procès celui du terrorisme aveugle, amalgamant
indifféremment organisations combattantes et politiques, MNA et ASALA,
brandissant inlassablement le spectre de l’attentat d’Orly, qui, bien qu’étranger
aux débats [sic !] plana pendant les audiences et les trois jours de
délibération du tribunal. […]
Cynisme de l’histoire,
parodie de la justice : les Arméniens une fois de plus sont les accusés là
où ils devraient être les
accusateurs.
Au cours de ce procès à haute tension, dans une salle bourrée et fébrile,
deux interventions déterminantes vinrent marquer de leur empreinte les débats,
et donnèrent au procès sa véritable dimension politique. Ce fut d’abord la
déclaration d’Avédis Catanessian, martelant devant ses juges sa foi dans le
combat politique [sic] dans lequel il s’était investi, demandant justice pour
son peuple, affirmant le droit de ce dernier à lutter pour ses terres, pour
sa liberté. Puis, enfin, clôturant le procès, la plaidoirie de Maître Leclerc, chargée d’une émotion et d’une
intensité rare, qui replaça le débat dans sa véritable dimension et en extirpa
le véritable fondement : le droit d’un peuple, face à une injustice
totale, d’entrer en résistance face à ses
oppresseurs.
Mais la justice a des raisons que les pouvoirs publics semblent ignorer.
À l’issue de ces délibérations, les verdicts tombèrent, lourds et impitoyables, parfois même déconcertants. »
Mais la justice a des raisons que les pouvoirs publics semblent ignorer.
À l’issue de ces délibérations, les verdicts tombèrent, lourds et impitoyables, parfois même déconcertants. »
Henri Leclerc, plaidoirie en
défense pour Monte Melkonian, numéro 2 de l’ASALA de 1980 à 1983, puis chef de
l’ASALA-Mouvement révolutionnaire, de 1983 à son arrestation, en 1985, jugé
pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste,
etc., reproduite dans Astrig Cournalian, « Un verdict scandaleux », Hay Baykar, 20 décembre 1986, p.
5 :
« Mais il n’y a aucun crime et aucune preuve comme quoi il préparait
un attentat [le tribunal en a jugé autrement : six ans de prison dont
quatre ans ferme, et 20 000 F à payer]. […]
Est-ce qu’il n’y a pas un moment où les hommes doivent se dresser ?
Faut-il renoncer à sa patrie ? Faut-il que les Arméniens soient des gens
couchés ? Chassés
par le fouet des Turcs, ils sont arrivés en France [Monte Melkonian était
de nationalité américaine mais passons…] et se sont insérés. S’ils se lèvent
aujourd’hui, c’est contre qui ? Contre l’État qui occupe leurs terres. Aux
États, tout est permis. Mais quand des hommes se lèvent pour un combat juste,
qu’ils préparent en commun avec tant d’autres qui souffrent en Turquie,
allons-nous leur dire : “Vous n’avez pas le droit” ? Monte Melkonian est un patriote, pas un
terroriste. »
ð
Remarquons
que la même technique de défense a été employée en 1982, 1984 et 1986 :
ils n’ont rien fait, et d’ailleurs ils avaient bien raison de le faire — avec
une insistance sur l’irrédentisme pour justifier le terrorisme, alors même que
les Arméniens étaient minoritaires en Anatolie orientale en 1914 et que les
frontières de la République de Turquie ont été tracées par des traités
internationaux (traités de Gümrü, Kars et Lausanne), puis
garanties par les accords
d’Helsinki à partir de 1975.
Henri Leclerc, entretien
accordé à Edik Baghdassarian en 1997, puis mis en ligne le 11 juin 2007 :
« Ma défense était basée sur l’idée selon laquelle il n’était pas un
terroriste mais quelqu’un d’impliqué dans une lutte. En tant que militant, son
objectif principal était de savoir comment faire avancer la lutte et non pas
comment planifier des actes sensationnels qui entraîneraient des morts
innocentes [rappelons encore une fois que Monte Melkonian était le numéro 2 de
l’ASALA lors de l’attentat de la gare Cornavin qui a tué un jeune Suisse, le 22
juillet 1981, lors du massacre à l’aéroport d’Esenboğa, le 7 août 1982,
encore lors de l’attentat du 28 février 1983 à Paris, qui a tué une secrétaire
française de 26 ans, et qui aurait dû tuer tous les habitants de l’immeuble, et
que sa scission de l’été 1983 eut lieu alors que l’attentat d’Orly était en préparation
depuis des mois]. Cette position aurait dû être louée. Quoi qu’il en soit, au cœur de ma défense se trouvait l’argument
selon lequel Monte n’était pas un terroriste (tel que ce mot est défini
actuellement). »
Pour être complet, il faut ajouter la phrase : « Ils [les
terroristes arméniens] se trompaient », prononcée lors de sa plaidoirie en
défense pour Jean-Marc « Ara » Toranian, le
21 février 2019 — mais, outre le fait que la cour d’appel aurait très mal
pris une répétition de la défense des années 1980, ce que cet avocat savait
parfaitement, la phrase en question est totalement isolée dans ses divers discours
et ouvrages, et dans la plaidoirie de 2019 elle-même. En particulier, dans son
livre de souvenirs (La Parole et l’Action.
Mémoires d’un avocat militant, Paris, Fayard, 2017), il rapporte sa
stratégie de la justification au procès Kilndjian sans le moindre regret, ne
laisse percer une critique que sur l’attentat d’Orly et se garde d’écrire quoi
que ce soit à propos du procès, en décembre 1984, du réseau logistique sur
lequel les responsables dudit attentat s’étaient appuyés. De fait, ce fut le
seul du genre où il fut confronté à « une partie civile acharnée et
opiniâtre ».
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