vendredi 15 mai 2020

L’approbation du terrorisme arménien par le « défenseur des droits de l’homme » Henri Leclerc




Comme avocat de terroristes appartenant aux Commandos des justiciers du génocide arménien (CJGA, la branche terroriste créée en 1972 par la Fédération révolutionnaire arménienne et mise en sommeil en 1986), à l’Armée secrète arménienne pour la libération de l’Arménie (ASALA) et finalement du meneur de l’ASALA-Mouvement révolutionnaire (scissionniste à l’été 1983), Henri Leclerc a non seulement fait preuve de compréhension pour le terrorisme arménien en tant que tel, mais d’approbation répétée des actes terroristes. Voici ses propres mots, avec d’autres pour les situer dans leur contexte. Conception étrange du droit à la vie, pour quelqu’un qui fut président de la Ligue des droits de l’homme (qui porte, il est vrai, mal son nom).

Gaïdz Minassian, Guerre et terrorisme arméniens, Paris, Presses  universitaires de France, 2002, p. 44 :
« Les 22 et 24 octobre 1975, deux commados du CJGA abattent Danis Tunaligil et Ismail Erez, ambassadeurs turcs à Vienne et à Paris. »

« M. Erez : un francophone francophile », Le Monde, 26-27 octobre 1975, p. 3 :
« Être ambassadeur à Paris était pour M. Erez plus qu’une étape dans sa carrière : c’était sa vocation et il ne cessait de le répéter.
Il avait fait ses études au célèbre lycée franco-turc Galata-Saraïl à Istanbul, pépinière de personnalités turques francophones et francophiles.
Lorsqu’il fut nommé à Paris en novembre 1974, il avait déjà derrière lui une carrière bien remplie. […]
Paris n’était cependant pas une sinécure. […]
Le nouvel ambassadeur fit cependant merveille, multipliant les contacts, non seulement avec les diplomates, mais avec les hommes d’affaires, les industriels, les journalistes. Au moment où il a été frappé, il pouvait considérer sa mission comme pleinement réussie, puisque Ankara allait recevoir la visite du ministre français des affaires étrangères, ce qui n’a pas eu lieu depuis huit ans. »

« Mme Rose Lafoy, de l’université de Provence (Aix), nous a adressé une lettre dont voici les principaux passages :
“Permettez-moi d’apporter un témoignage sur la personnalité de M. Yilmaz Çolpan, conseiller de presse à l’ambassade de Turquie, à Paris, directeur de l’Office du tourisme turc, qui a été le 22 décembre [1979], froidement assassiné [par les CJGA] sur les Champs-Élysées.
Je connaissais M. Çolpan depuis plus de 25 ans, depuis l’époque où il étudiait le français à l’université d’Ankara (j’y étais moi-même professeur) ; je l’avais souvent revu depuis lors, soit en Turquie, soit en France. Je peux témoigner que c’était un homme d’une finesse, d’une sensibilité et d’une culture exceptionnelles, et surtout que c’était l’homme le plus pacifique, le plus libéral, le moins fanatique, le moins violemment nationaliste qui soit. […]” »

Jean-Pierre Richardot, Arméniens, quoi qu’il en coûte, Paris, Fayard, 1982, p. 109 :
« Un groupe arménien [l’ASALA] avait fait sauter [le 4 novembre 1980] une partie du Palais de justice de Genève [et blessant cinq Suisses]. Ces actes [le pluriel renvoie aux attentats de 1981, en particulier celui de la gare Cornavin, le 22 juillet, qui fit un mort], émanant de jeunes gens dépourvus de culture historique européenne, ont eu pour effet de dresser l’opinion suisse contre la cause arménienne. L’auteur en est témoin. »

Henri Leclerc, plaidoirie en défense pour Max Hraïr Kilndjian, jugé par la cour d’assises d’Aix-en-Provence pour tentative d’assassinat sur l’ambassadeur de Turquie à Berne, 23 janvier 1982, Les Arméniens en cour d’assises, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p. 202 :
« Eh bien, moi je dis : merci Max ! Qu’importe, même si tu l’as fait, nous en aurons parlé, au moins instant nous nous serons rappelé de cela, et de ce tragique instant de l’histoire de l’humanité, comme nous devons toujours nous rappeler de cet autre tragique instant de l’histoire de l’humanité qui de 1935 [sic] à 1945 a envahi l’Europe. »
ð  Max Hraïr Kilndjian appartenait aux CJGA, c’est-à-dire ceux qui avaient assassiné İsmail Erez et Yılmaz Çolpan. Rappelons aussi  au passage que l’autre avocat de Max Hraïr Kilndjian était Patrick Devedjian, acolyte du négationniste François Duprat, qu’il avait aidé à répandre, après leur exclusion du groupuscule néofasciste Occident, le triangle antisémitisme-négationnisme-antisionisme dans l’extrême droite française (ce que Patrick Devedjian n’a jamais prétendu regretter).

« Me Henri Leclerc — Interview le 5 février 1982 », Arménia (Marseille), janvier-février-mars 1982, p. 7 :
« Comment voyez-vous l’évolution du problème arménien ?
C’est un problème arménien. Moi, qui suis français, je pense que la reconnaissance du génocide arménien est un problème moral, de dimension internationale, qui passe avant toute autre considération. Quant à la lutte des Arméniens, de quelque obédience qu’elle se réclame [référence aux CJGA et à l’ASALA, pas encore en conflit sanglant, mais déjà dans une certaine rivalité, en particulier en France], elle s’avère nécessaire, elle est la source même de leur identité et je la soutiens. Mais l’avenir des Arméniens les concerne ; c’est à eux de décider du choix de cet avenir et je ne vois pas pourquoi j’interviendrais dans ce processus. »

Attentat d’Orly (1983).


Xavier Raufer, « Terrorisme : les réseaux transnationaux venus du Moyen-Orient », Le Débat, n° 39, mars-mai 1986 :
« L’attentat d’Orly a lieu le 15 juillet [1983]. Le dimanche 17, la D.S.T. peut faire parvenir à la brigade criminelle un rapport, établi le 14, la veille de l’attentat, qui comprend le nom et l’adresse de tous les militants pro-Asala actifs, mais surtout, « de source sûre », une information décisive : Garbidjian, il y a peu, a chargé Söner Nayir d’acheter une dizaine de bouteilles de camping-gaz, or six bouteilles de ce type entrent dans la composition de la bombe d’Orly.
Le lundi 18 juillet une opération massive peut donc être montée : à six heures du matin, cent cinquante policiers agissant en trente équipes procèdent à cinquante et une arrestations à Paris et dans sa banlieue. Objectif de cette opération : démanteler l’infrastructure logistique de l’Asala. Plus de vingt appartements et pavillons sont perquisitionnés. Les interpellés sont : vingt-deux Arméniens d’origine turque, onze d’origine iranienne, dix de la communauté française et un d’origine syrienne. Beaucoup d’entre eux résident en France depuis moins d’un an.
Les perquisitions vont permettre de découvrir, chez Ohannes Semerci, responsable de la logistique, un véritable arsenal enfermé dans des valises dont les clés étaient en possession de Varoujan Garbidjian1, ainsi que quinze passeports dont deux français et treize autres, vierges, en provenance de divers pays arabes. Chez un comparse, Antoine Achkoyan, on devait également découvrir un pistolet-mitrailleur, un revolver, un lot de cartouches 9 mm, etc. Une nouvelle vague d’arrestations aura lieu le 10 octobre suivant, autour de celle de Söner Nayir.
Cette enquête va permettre aux services français de beaucoup apprendre sur le style et la méthodologie des groupes terroristes venus du Proche-Orient. Ce sont tout d’abord de vrais professionnels : ils vivent en circuit fermé et sont rompus aux techniques de la clandestinité. On constate, par exemple, qu’ils se servent entre eux de pseudonymes, qu’ils se téléphonent tard dans la nuit, à partir de cabines publiques, en usant de phrases convenues, que leurs carnets et leurs notes sont codés. Mais ce qui ressort surtout de cette affaire, c’est, au bout du compte, la relative facilité, et le coût extrêmement bas, de l’implantation d’un réseau clandestin dans un pays d’Europe. À partir du moment où il dispose du soutien actif d’un des pays qui ne répugnent pas à jouer la carte terroriste (Syrie, Libye, Iran) un groupe comme l’Asala, le Jihad islamique, le Fatah Commandement révolutionnaire d’Abou Nidal ou encore l’Organisation de lutte armée arabe de Carlos, n’éprouve pas, pour structurer un appareil, de difficultés particulières.
Il faut implanter, dans une communauté donnée, deux ou trois individus bien formés qui vont recruter parmi leurs amis et connaissances. Plus les gens se connaissent de longue date, et mieux cela vaut ; dans l’affaire de l’Asala, on constatera que le séminaire arménien de Jérusalem était une véritable pépinière de terroristes. […]
Plusieurs membres du détachement militaire ont été, à la fin de 1984, jugés devant une autre instance judiciaire [et défendus par Henri Leclerc, on va y venir]. Ils étaient inculpés d’association de malfaiteurs, d’infraction à la législation sur les armes, de recel de documents administratifs falsifiés. Même s’il n’avait pas été possible à la justice de prouver leur complicité matérielle dans l’attentat d’Orly, les présomptions étaient lourdes : Quatre des six inculpés provenaient également du séminaire arménien de Jérusalem ; tous étaient nés au Moyen-Orient ; tous étaient arrivés en France courant 1982 ; aucun d’entre eux ne disposait de ressources déclarées ; plusieurs connaissaient Garbidjian (sous un pseudonyme ou un autre) ; l’un des inculpés habitait dans un appartement situé immédiatement au-dessous de celui de Nayir ; trois possédaient du Semtex chez eux ; deux possédaient un code numérique décrypté, contenant les mots “aéroport... attentat... Asala” ; une culasse trouvée chez l’un d’eux correspondait à une arme découverte chez l’un des trois inculpés de l’attentat, un détonateur trouvé chez l’un d’eux était la réplique exacte de ceux découverts chez un inculpé de l’attentat d’Orly et sur les lieux de quelques attentats arméniens ratés en Europe. »

« La treizième chambre du tribunal correctionnel de Créteil (Val-de-Marne) a rendu vendredi 21 décembre son verdict dans l’affaire des six Arméniens accusés d’avoir aidé les auteurs de l’attentat meurtrier — huit morts et quarante blessés — commis à Orly le 15 juillet 1983.
Cinq des six inculpés ont été reconnus coupables, et condamnés à des peines d’emprisonnement allant de deux à quatre ans. Nersez Tasci, vingt-quatre ans, et Ohanes Catanassian, vingt-cinq ans, devront purger deux ans de prison Antoine Achkoyan, trente-huit ans, trente mois de la même peine, Bedros Halablian, vingt-neuf ans, trois années et Avedis Catanassian, vingt-huit ans, quatre ans. […]
Ces six militants arméniens étaient accusés de participation à association de malfaiteurs et de diverses infractions à la législation sur les armes et les explosifs. Chez plusieurs d’entre eux les policiers avaient trouvé, trois jours après l’attentat, des pistolets-mitrailleurs, des bâtons de dynamite, des munitions, des détonateurs, des systèmes électroniques de retardement. »

« Procès des boucs émissaires de la répression anti-arménienne à Créteil », Hay Baykar, 12 janvier 1985, p. 4 :
« Le 11 décembre [1984] s’ouvre à Créteil le procès d’Avétis Catanessian, Ohannès Catanessian, Roobig Avanessian, Nercès Tasci, Antoine Achkoyan et Bedros Halabian. Les audiences vont durer quatre jours, quatre jours pendant lesquels la partie civile [Turkish Airlines], émissaire direct du gouvernement turc, va tenter, sous la houlette de Maître [Christian] de Thézillat, orchestrateur d’une partie civile acharnée et opiniâtre, de faire du procès celui du terrorisme aveugle, amalgamant indifféremment organisations combattantes et politiques, MNA et ASALA, brandissant inlassablement le spectre de l’attentat d’Orly, qui, bien qu’étranger aux débats [sic !] plana pendant les audiences et les trois jours de délibération du tribunal. […]
Cynisme de l’histoire, parodie de la justice : les Arméniens une fois de plus sont les accusés là où ils devraient être les accusateurs.
Au cours de ce procès à haute tension, dans une salle bourrée et fébrile, deux interventions déterminantes vinrent marquer de leur empreinte les débats, et donnèrent au procès sa véritable dimension politique. Ce fut d’abord la déclaration d’Avédis Catanessian, martelant devant ses juges sa foi dans le combat politique [sic] dans lequel il s’était investi, demandant justice pour son peuple, affirmant le droit de ce dernier à lutter pour ses terres, pour sa liberté. Puis, enfin, clôturant le procès, la plaidoirie de Maître Leclerc, chargée d’une émotion et d’une intensité rare, qui replaça le débat dans sa véritable dimension et en extirpa le véritable fondement : le droit d’un peuple, face à une injustice totale, d’entrer en résistance face à ses oppresseurs.
Mais la justice a des raisons que les pouvoirs publics semblent ignorer. 
À l’issue de ces délibérations, les verdicts tombèrent, lourds et impitoyables, parfois même déconcertants. »

Henri Leclerc, plaidoirie en défense pour Monte Melkonian, numéro 2 de l’ASALA de 1980 à 1983, puis chef de l’ASALA-Mouvement révolutionnaire, de 1983 à son arrestation, en 1985, jugé pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, etc., reproduite dans Astrig Cournalian, « Un verdict scandaleux », Hay Baykar, 20 décembre 1986, p. 5 :
« Mais il n’y a aucun crime et aucune preuve comme quoi il préparait un attentat [le tribunal en a jugé autrement : six ans de prison dont quatre ans ferme, et 20 000 F à payer]. […]
Est-ce qu’il n’y a pas un moment où les hommes doivent se dresser ? Faut-il renoncer à sa patrie ? Faut-il que les Arméniens soient des gens couchés ? Chassés par le fouet des Turcs, ils sont arrivés en France [Monte Melkonian était de nationalité américaine mais passons…] et se sont insérés. S’ils se lèvent aujourd’hui, c’est contre qui ? Contre l’État qui occupe leurs terres. Aux États, tout est permis. Mais quand des hommes se lèvent pour un combat juste, qu’ils préparent en commun avec tant d’autres qui souffrent en Turquie, allons-nous leur dire : “Vous n’avez pas le droit” ? Monte Melkonian est un patriote, pas un terroriste. »

ð  Remarquons que la même technique de défense a été employée en 1982, 1984 et 1986 : ils n’ont rien fait, et d’ailleurs ils avaient bien raison de le faire — avec une insistance sur l’irrédentisme pour justifier le terrorisme, alors même que les Arméniens étaient minoritaires en Anatolie orientale en 1914 et que les frontières de la République de Turquie ont été tracées par des traités internationaux (traités de Gümrü, Kars et Lausanne), puis garanties par les accords d’Helsinki à partir de 1975.

Henri Leclerc, entretien accordé à Edik Baghdassarian en 1997, puis mis en ligne le 11 juin 2007 :
« Ma défense était basée sur l’idée selon laquelle il n’était pas un terroriste mais quelqu’un d’impliqué dans une lutte. En tant que militant, son objectif principal était de savoir comment faire avancer la lutte et non pas comment planifier des actes sensationnels qui entraîneraient des morts innocentes [rappelons encore une fois que Monte Melkonian était le numéro 2 de l’ASALA lors de l’attentat de la gare Cornavin qui a tué un jeune Suisse, le 22 juillet 1981, lors du massacre à l’aéroport d’Esenboğa, le 7 août 1982, encore lors de l’attentat du 28 février 1983 à Paris, qui a tué une secrétaire française de 26 ans, et qui aurait dû tuer tous les habitants de l’immeuble, et que sa scission de l’été 1983 eut lieu alors que l’attentat d’Orly était en préparation depuis des mois]. Cette position aurait dû être louée. Quoi qu’il en soit, au cœur de ma défense se trouvait l’argument selon lequel Monte n’était pas un terroriste (tel que ce mot est défini actuellement). »

Pour être complet, il faut ajouter la phrase : « Ils [les terroristes arméniens] se trompaient », prononcée lors de sa plaidoirie en défense pour Jean-Marc « Ara » Toranian, le 21 février 2019 — mais, outre le fait que la cour d’appel aurait très mal pris une répétition de la défense des années 1980, ce que cet avocat savait parfaitement, la phrase en question est totalement isolée dans ses divers discours et ouvrages, et dans la plaidoirie de 2019 elle-même. En particulier, dans son livre de souvenirs (La Parole et l’Action. Mémoires d’un avocat militant, Paris, Fayard, 2017), il rapporte sa stratégie de la justification au procès Kilndjian sans le moindre regret, ne laisse percer une critique que sur l’attentat d’Orly et se garde d’écrire quoi que ce soit à propos du procès, en décembre 1984, du réseau logistique sur lequel les responsables dudit attentat s’étaient appuyés. De fait, ce fut le seul du genre où il fut confronté à « une partie civile acharnée et opiniâtre ».

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