lundi 31 août 2020

Les catholiques (y compris les Arméniens catholiques) et la guerre d’indépendance turque


 

 

René Johannet, « Il faut réviser le traité turc — Conclusion », La Croix, 1er octobre 1920, p. 3 :

« Loin d’être diminué par le traité de Sèvres, le chaos oriental redouble, grâce à lui, de violences. En Thrace, en Asie Mineure, des millions de Turcs sont soumis au joug hellénique. La création de l’Arménie institue au carrefour de la Turquie, de la Mésopotamie, du Caucase, de la Perse et de la Russie une zone immense de dépression politique, d’où les cyclones les plus dévastateurs peuvent surgir. »

 

« Mohamed Ali reçu par le pape — Benoît XV contre le traité imposé à la Turquie », Le Populaire, 6 août 1920, p. 1 :

« M. Mohamed Ali, le distingué leader des musulmans de l’Inde, dont le Populaire publia, dès son arrivée à Paris, une intéressante interview, vient de se rendre à Rome, où il a été reçu par le pape, ainsi que par son secrétaire, M. Hayat.

Benoît XV a bien voulu reconnaître la parfaite tolérance que les Turcs montrèrent toujours à l’égard des catholiques et s’est exprimé sur le compte des traités de paix que l’Entente vient d’imposer aux peuples vaincus en des termes qui lui vaudraient tous les outrages de l’Action française, s’il n’était pas le pape.

Benoît XV a reconnu que si les hostilités reprenaient entre Musulmans et Chrétiens, du fait du traité brutal imposé à la Turquie, la faute n’en serait pas aux Musulmans, pour lesquels il a déclaré sa sympathie. »

 

Service de renseignements de la Marine, Turquie, n° 2449, 17 février 1921, p. 13, Service historique de la défense, Vincennes, 1 BB7 238 :

« C’est du moins la pensée exprimée par le pape Benoît XV lorsqu’il reçut en audience Hilmi Bey, qui était venu le voir de la part des Nationalistes [kémalistes] :

Toutes nos sympathies, lui dit le pape, vont vers vous. Nous voyons dans vos efforts, non pas une lutte contre le monde chrétien, mais la lutte pour la foi en général contre la civilisation matérialiste de l’Occident.” »

 

R. Le Cholleux, « La question d’Orient sur le tapis », La Croix, 2 février 1922, p. 1 :

« On va bientôt, sauf erreur, aborder l’angoissante question d’Orient ; puisse-t-on enfin la résoudre ! […]

Mais pour arriver à une solution équitable et définitive, il faut naturellement que chacun y mette du sien, comme on dit. […]

Qu’on parte de cette idée, que l’on a affaire à une nation civilisée, et non à un peuple en enfance, comme a trop souvent l’habitude de le croire. Les Turcs ne sont pas des sauvages. Ce sont simplement des Orientaux. Il ne faudrait pas oublier que toute civilisation dont les Occidentaux se montrent si fier — et combien à tort souvent — a ses sources primitives dans la culture orientale ; que les Arabes, par exemple, ont été les initiateurs de la science et de la philosophie modernes, corrigées par le christianisme. »

 

Télégramme du général Maurice Pellé au ministère des Affaires étrangères, 28 décembre 1922, Archives du ministère des Affaires étrangères, microfilm P 16677 :

« D’une longue conversation que j’ai eu avec Mgr Nazlian [Jean Naslian], vicaire patriarcal arménien catholique, je dois conclure, malgré ses frayeurs et ses réticences, d’une part qu’il a perdu tout espoir de voir se constituer un home arménien [foyer national, sorte de territoire autonome, jamais défini précisément] et, d’autre part, qu’il a noué de bonnes relations avec les autorités nationalistes [turques]. Refet Pacha et Adnan Bey lui ont fait des déclarations rassurantes, et le Kalife l’a reçu avec bienveillance, tandis qu’il avait refusé l’audience sollicitée par le patriarche arménien grégorien, Mgr Zaven [membre de la Fédération révolutionnaire arménienne]. La communauté arménienne catholique de Constantinople ne songe plus à émigrer en masse [souligné dans l’original] ; tout au moins attendra-t-elle l’issue des négociations de Lausanne. Par contre, il ne reste à l’intérieur de l’Anatolie qu’un petit nombre d’Arméniens catholiques. »

ð  Cette chute en Anatolie est en grande partie due à la politique de la terre brûlée pratiquée par l’armée grecque (voir ci-dessous l’exemple d’Eskişehir), et au sabotage, par les nationalistes arméniens et le gouvernement grec, des efforts franco-turcs pour maintenir les Arméniens et les Grecs à Mersin, Tarsus et Adana (relevons cependant une moindre émigration des Maronites et des Assyriens, catholiques et schismatiques mêlés, depuis ces villes, à la même époque). Ce document (curieusement jamais cité, sauf par moi) est également une preuve de premier ordre sur la duplicité de Naslian (dont la citation ci-dessous est douce par rapport à ce qu’il écrit par ailleurs dans ses Mémoires).





Jean Naslian, Les Mémoires de Mgr Jean Naslian, évêque de Trébizonde, sur les événements politico-religieux en Proche-Orient, de 1914 à 1928, Vienne, Imprimerie Méchithariste, 1955, tome II, p. 787 :

« […] les Dominicains de Smyrne dans leur bulletin “L’Étoile de St. Dominique”, se permettaient d'écrire ceci : “nous sommes bien mieux avec les Turcs sans les Grecs et les Arméniens” et ceci après la retraite de l'armée grecque et l'évacuation de la population chrétienne en 1922 de Smyrne. »

 

Émile Wetterlé (prêtre et député français), En Syrie avec le général Gouraud, Paris, Flammarion, 1924 (récit d’un voyage de 1922), pp. 83-86 :

« Les Kémalistes ont l'intention de demander une indemnité de réparations s'élevant à un milliard de livres turques, soit 8 milliards de francs-papier environ. C'est là une somme modeste si on prend en considération les destructions systématiques auxquelles les Grecs se sont livrés en Asie-Mineure pendant leur retraite.

Voici, à titre d'exemple, comment ces dignes élèves des Allemands ont procédé. Le rapport que j'analyse a été rédigé par un témoin très respectable, le R. P. Ludovic [Marseille], supérieur de la maison Sainte-Croix, que le gouvernement de la République vient de nommer chevalier de la Légion d'honneur pour le récompenser des services éminents rendus à la cause française en Asie-Mineure.

Immédiatement après la grande guerre, le Père Ludovic était retourné à Eski-Cheir pour y rouvrir les deux écoles qu'il avait dû abandonner en 1915. 200 garçons et 150 filles en suivaient les cours. Le 19 juillet 1921, les autorités militaires turques faisaient venir le religieux, le priaient de constater, qu'en se retirant, leurs troupes respectaient toutes les propriétés privées et confiaient au Père l'administration de la ville à charge de la remettre au général grec Polimenka, ce qui fut fait.

Le 29 août [1922], on apprit que l'offensive turque venait de se déclencher et que les Grecs avaient été battus à Kara-Hissar. Immédiatement, les occupants d'Eski-Cheir donnaient l'ordre à la population chrétienne [Arméniens inclus, donc] de se replier vers la côte. L'exode dura trois jours. Les religieux firent de vains efforts pour retenir les chrétiens. Tout fut inutile. Le pillage commença. Les soldats grecs parcouraient la ville, défonçaient les devantures et emportaient tout ce qu'ils trouvaient.

Le 31 août, le feu prit dans trois immeubles du quartier de la gare. A midi, les soldats arrosèrent de pétrole des bûchers formés de tables et de caisses. Ce premier incendie fut cependant maîtrisé. Les religieux trouvèrent devant leur porte un amoncellement de chiffons imbibés de benzine. La veille deux soldats grecs avaient dit, pensant ne pas être compris : “Il faudra mettre le feu à la maison des Français.” Vers sept heures du soir, un religieux vit deux soldats grecs enfoncer la porte d'une maison turque. C'est là que l'incendie reprit. Dès huit heures et demie, le feu brûlait. Pendant toute la nuit, les religieux virent le sinistre s'étendre. Le Père Ludovic se rendit à l'état-major [grec]. II n'obtint que de vagues promesses. Rien ne fut entrepris pour combattre l'incendie, qui se propagea bientôt dans les quartiers les plus éloignés du premier foyer. Il était facile de se rendre compte que le feu avait été mis en plusieurs endroits à la fois.

Le 1er septembre, des soldats enfoncèrent la maison des Sœurs [françaises] et dirent à celles-ci de se sauver au plus vite. Religieux et religieuses furent embarqués dans un train qui mit 22 heures à parcourir les 25 kilomètres qui séparent Eski-Chéir de Kara-Keuï. Les officiers vénizélistes ne cachaient pas l'horreur que leur inspirait la conduite de leurs camarades constantiniens [partisans du roi Constantin]. Du train, on pouvait voir flamber les dernières maisons de la ville.

Voilà ce que les Grecs ont fait partout. Pour le simple plaisir de satisfaire leur basse vengeance, ils ont tout détruit, aussi bien ce qui appartenait aux chrétiens de la région, que ce qui était propriété des Turcs. Ils ont transformé sauvagement en un désert un pays d’une grande richesse. Ces prétendus civilisés ont été plus barbares que les hordes de Tamerlan. Ajoutez à cela le vol organisé, et les massacres et le tableau sera complet. »


Christian Babot, La Mission des Augustins de l’Assomption à Eski-Chéhir. 1891-1924, İstanbul-Strasbourg, Les éditions Isis/Université des lettres et sciences humaines de Strasbourg, 1996, pp. 93-94 :

« Dans un long “Rapport sur les événements qui se sont passés à Eski-Chéir du 27 août au 2 septembre 1922”, le Père [Ludovic Marseille, chef de la mission catholique française] raconte en détail l’offensive de l’armée turque du côté de Kara Hissar [Afyon], l’évacuation des familles d’officiers grecs, l’exode des chrétiens [Arméniens et Grecs, schismatiques et catholiques] terrorisés par les menaces d’incendie [venant de l’armée grecque] et la peur des représailles. Cette fois encore, le Père Ludovic joue les intermédiaires, auprès des Turcs cette fois-ci, pour que la ville soit épargnée, et il est très fier de noter : “Au cours de la visite que me fit le maire, je lui fis remarquer que nous avions fait de sérieuses réparations à notre collège, et je le priais d’user de son autorité pour en empêcher, le cas échéant, la réquisition. Il me le promit et me dit même : ‘Toi, lorsque les nôtres arriverons, nous te porterons en triomphe.’ Mais les choses ne devaient pas se passer comme cela, car l’armée grecque incendia toute la ville en partant, et le Père dut se résoudre à l’évacuation : “Nous prîmes le dernier train qui quitta Eski-Chéir le 1er septembre à 8h 30 du soir. Du fourgon dans lequel nous étions entassés, il nous fut encore possible de contempler une dernière fois cette ville en flammes, dans laquelle nous laissions tant d’œuvres, résultat de trente-deux années de travail et de privation.” […]

Le Père [Ludovic Marseille] passera toute l’année 1924 à Eski-Chéir, exerçant son ministère paroissial, visitant les familles chrétiennes de Koniah [Konya] (où les œuvres ont repris), à Ismidt [İzmit] (où elles sont abandonnées), Bilédjik, Kutahia, Kara Hissar et Ankara. Pour vivre, il donne des leçons particulières aux chrétiens et aux Turcs, mais ne reconstitue pas d’école. En effet, déjà les regards se tournent vers Ankara, dont le nombre de chrétiens augmente et qui, si elle reste capitale — ce dont le Père n’est pas convaincu — est appelée à un grand développement. […]

En 1929, le Père Ludovic avait déjà fait construire un immeuble, occupé partiellement par l’ambassade, où il installa une chapelle. Actuellement, les Assomptionnistes sont toujours présents à Ankara. »

 

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