dimanche 13 décembre 2020

Le terrorisme arménien (physique et intellectuel) envers des historiens, des magistrats, des parlementaires et de simples militants associatifs


 

 

Michael M. Gunter, “Pursuing the Just Cause of their People.” A Study of Contemporary Armenian Terrorism, New York-Westport-Londres, Greenwood Press, 1986, p. 3 :

« Aux États-Unis, les spectacles prévu par la troupe publique de danse populaire furent annulés [en 1972] à cause de menaces et [en 1976] d’un attentat à la bombe, la soirée pour le centenaire d’Atatürk organisée par l’Association turco-américaine de Houston [au Texas] fut interrompue et en janvier 1982, des extrémistes arméniens ont interrompu un cours à l’université de Californie-Los Angeles [UCLA] donné par Stanford J. Shaw, un éminent professeur d’études ottomanes. En outre, la maison du professeur Shaw fut ravagée [en 1977] par une bombe, la porte de son bureau à l’université fut forcée puis la pièce saccagée, et il a reçu de fréquentes menaces verbales et écrites. Finalement, il a dû annuler la tenue de ses cours [au premier semestre 1982] et partir se cacher İstanbul]. Il semble que la raison de ce harcèlement fut la perspective proturque qu’il avait manifestée dans son History of the Ottoman Empire and Modern Turkey, [parue aux Presses universitaires de Cambridge en] 1977. Répondant à une enquête sur ce sujet, William D. Schaefer, vice-président de l’UCLA, a écrit : “Dès lors qu’une organisation terroriste internationale est impliquée, l’université n’a qu’un pouvoir limité pour remédier à cette situation.” »

 

Franck « Mourad » Papazian, compte-rendu du procès de Max Hraïr Kilndjian devant la cour d’assises d’Aix-en-Provence pour tentative d’assassinat sur l’ambassadeur de Turquie à Berne, Haïastan, février 1982, p. 14 :

« Pendant une demi-heure, des lamentations [sic] et des slogans : “Libérez Kilndjian.”

Lorsque les avocats de la défense [Patrick Devedjian et Henri Leclerc] ont pris la parole, toute manifestation s’est interrompue afin de ne pas gêner leur plaidoirie [contrairement, donc, à ce qui s’était passé durant la plaidoirie de l’avocat de la partie civile, Alain Vidal-Naquet]. […]

À l’extérieur, nous étions tous conscients de la gravité du moment que nous vivions. Les jurés allaient délibérer. D’un coup, la foule a commencé à entonner des slogans. J’étais fou [sic], je n’avais jamais vécu cela. Deux heures de délibérations, deux heures de slogans incessants, seulement interrompus par des chants révolutionnaires.

Cette foule qui, pendant deux heures, a crié, a chanté, cette foule [composée principalement par des membres de la Fédération révolutionnaire arménienne] qui, pendant deux jours a soutenu Hraïr, cette foule consciente, concernée, passionnée, cette foule qui a su quand il fallait crier [sic], chanter ou garder le silence, a sûrement influencé la décision du jury. […]

Non Hraïr ne devait plus rester en prison. C’en était assez, c’était même trop. Et puis cette foule, non pas excitée, mais convaincue, quelle allait être sa réaction [en cas de condamnation supérieure au temps passé en détention provisoire] ? Mieux vaut ne pas y penser. »

 

Pulat Tacar, « On Devedjian’s Passing », avim.org.tr, 10 avril 2020 :

« Avant la résolution [sur la question arménienne] qui devait être adoptée au Parlement européen, [Patrick] Devedjian a négocié le placement d'une personne au titre de «secrétaire» pour assurer la sécurité du Belge Jaak Vandemeulebroucke et le contrôler ; or c’est ce dernier qui a été chargé de préparer un rapport sur la “résolution politique de la question arménienne”. M. Israel, ancien rapporteur du Parlement européen et citoyen français de famille juive, a refusé d’écrire un rapport dans le sens que souhaitaient les lobbyistes arméniens tels que Devedjian.

Lors de chaque rencontre que j'ai eue [en tant qu’ambassadeur de Turquie auprès de la Communauté européenne] avec Vandemeulebroucke, ce “secrétaire” était présent et a enregistré nos conversations. Le groupe dont Devedjian faisait partie avait initialement rédigé le rapport Vandemeulebroucke original en français. Ensuite, le rapport a été traduit dans la langue maternelle de Vandemeulebroucke, le flamand, et lui a été glissé entre les mains.

En fait, au début, lors d'un déjeuner en tête-à-tête que j'ai pu avoir avec Vandemeulebroucke, il avait accepté de venir en Turquie et d'ajouter le point turc dans son rapport. Ce rapporteur devait venir en Turquie, écouter ce que pensent ses habitants et pourrait rencontrer tous les citoyens turcs d'origine arménienne qu’il souhaiterait. Cependant, Devedjian et son organisation ont empêché Vandemeulebroucke de se rendre en Turquie et de bénéficier des documents que nous lui avions remis. Le rapport a été présenté à la commission des questions politiques du Parlement européen.

Lors du vote en commission des questions politiques, nous avons pu obtenir le rejet de la proposition relative au thème du génocide sur la base du rapport précité avec une petite différence : une voix (16 non, 15 oui). Je connais très bien ces développements, car les enregistrements vocaux de tous les discours m'ont été d'une manière ou d'une autre envoyés le soir de la séance de vote. Le président italien de la commission, M. Formigoni, disait, en proie à la panique : “Regardez, le projet a été rejeté, je le mets encore une fois aux voix” ; mais c’eût été une tentative atypique de faire revoter un texte. Un parlementaire allemand s'est opposé à ce que la proposition fût mise au vote une deuxième fois ; cependant, le président n'a pas écouté cette objection et a de nouveau mis la proposition aux voix ; le rapport a de nouveau été rejeté par seize votes contre quinze. Un rapport rejeté à nouveau inscrit à l'ordre du jour n'a pas été possible, en application du règlement du Parlement européen. Malgré cela, Formigoni a subi des pressions pour ramener ce sujet à l'ordre du jour, mais il a résisté. Cependant, cinq mois après la fin du mandat de Formigoni, un autre Italien du nom de M. Ercini a été nommé président de la commission.

Ercini a remis le rapport à l'ordre du jour comme si de rien n'était et a ignoré les objections. Nous nous sommes assurés que les parlementaires qui soutenaient le point de vue turc s’y opposeraient, en commission ; cependant, cette objection n'a même pas été portée à l'ordre du jour. Cette fois, le parlementaire allemand Klaus Hänsch qui était membre de la commission des questions politiques (il est devenu président du Parlement européen par la suite) a veillé à ce que toutes les occurrences du mot “génocide” dans la proposition introduite par les parlementaires français soient une par une mises aux voix et retirées du texte. Cette proposition que l'on tentait d'adopter à des fins de propagande a perdu tout son sens du fait de la suppression des références au “génocide”.

À ce stade, des politiciens français, dont Devedjian, se sont à nouveau impliqués et, en bref, ont déclaré; “Ne formulez pas d’objections à la commission des questions politiques, veillez à la transmission du rapport à la session plénière du Parlement européen, nous ajouterons ces références lors de cette session”. […]

En juin 1987, certains parlementaires qui devaient voter contre le projet de résolution au PE ont été menacés et ont été empêchés d'entrer dans la salle de session où le vote se déroulait par une équipe de militants arméniens armés qui étaient entrés dans le bâtiment. Certains parlementaires ne sont pas allés au Parlement ce jour-là par crainte. Du point de vue des parlementaires, est-ce que quelqu'un qui n’aurait aucun intérêt dans le conflit turco-arménien se mettrait en danger pour prendre parti à ce sujet ? Au cours de la session de vote, le parlementaire allemand Rudolf Wedekind a déclaré à la tribune qu'il avait été menacé avec une arme à feu dans l’enceinte du Parlement européen ; cela été consigné au compte-rendu des débats. La présidente de séance, Mme Pery — ce qui est incroyable — a ri des objections de Wedekind et a fait reprendre le cours de la séance. Les références au “génocide” qui avaient été supprimées du texte lors de la commission des questions politiques, en plus d'autres articles suggérés par des parlementaires d'origine grecque, ont été ajoutées au texte. À ce moment-là, il y avait environ 50 députés présents sur un total de 650 parlementaires. Les organisations de la diaspora arménienne avaient rempli la section du public de la salle du parlement et criaient et manifestaient.

Le jour du vote a été très pluvieux. Des centaines de bus avaient amené des militants de divers endroits de France. Le parlement était encerclé: on ne pouvait ni entrer ni sortir. C'était comme s'il y avait un état d'urgence. Un podium a été placé à l'extérieur du bâtiment et ceux qui ont pris la parole ont provoqué les personnes qui s'y étaient rassemblées. Dans le but de relayer les cris et l'ignominie, j'ai demandé à Ankara d'écouter par téléphone comme s'il s'agissait d'une émission en direct.

L'une des personnes qui a conçu et mis en œuvre ce scénario et organisé tout ce jour-là était Patrick Devedjian. La personne qui m’a informé de cette affaire était un parlementaire français du parti de Devedjian qui voulait voter en notre faveur mais n’a pas assisté à la session de vote par peur. […]

Heureusement, ces initiatives politiques et la propagande sur le “génocide” se sont heurtées au mur du droit, le 17 décembre 2003. Dans un procès intenté par deux citoyens français d'origine arménienne et lié à la résolution du Parlement de 1987 et à la candidature de la Turquie à l'Union européenne, la Cour de justice européenne a jugé, à propos de cette résolution :

“Il suffit de relever à cet égard que la résolution de 1987 est un document contenant des déclarations de caractère purement politique, lesquelles peuvent, à tout moment, être modifiées par le Parlement. Elle ne saurait, de ce fait, produire d’effets juridiques obligatoires à l’égard de son auteur ni, a fortiori, à l’égard des autres institutions défenderesses.” »

 

Ara Krikorian, « L’action du Comité de défense de la cause arménienne et la reconnaissance du génocide arménien », Haiastan.fr, 29 juin 2020 :

« Le matin du 18 juin [1987], plus de trois mille Arméniens accourus de France et de l’Europe tout entière, bravant le froid et la pluie, se massent devant les grilles du Parlement, difficilement contenus par les forces de l’ordre. »

 

« Les actions engagées par les parties civiles arméniennes contre “le Monde” déclarées irrecevables par le tribunal de Paris », Le Monde, 27 novembre 1994 :

« Dans un jugement du 18 novembre, la dix-septième chambre du tribunal correctionnel de Paris a déclaré irrecevables les actions engagées pour “négationnisme” par les parties civiles arméniennes à l'encontre du Monde [et de Bernard Lewis]. Ces parties civiles, et notamment le Comité de défense de la cause arménienne [créé en 1965 par la Fédération révolutionnaire arménienne], contestaient les propos de l'islamologue anglo-américain Bernard Lewis, qui avait notamment affirmé, dans un entretien accordé au Monde, qu'il n'y avait pas de “preuves sérieuses” d'un plan du gouvernement ottoman visant à exterminer la nation arménienne (le Monde du 17 octobre). Pour des raisons juridiques, le tribunal a estimé que les parties civiles arméniennes n'avaient pas “intérêt à agir”. »

ð  Ne pas avoir « intérêt à agir » signifie qu’on n’a pas le droit, juridiquement, d’entamer une action de ce type (en l’occurrence, l’inclusion de la lutte contre le racisme ou la défense des anciens déportés dans ses statuts est obligatoire pour engager une action de ce genre). Le Monde aurait pu ajouter que, de toute manière, l’article de loi invoqué ne concerne que les crimes contre l’humanité commis par les nazis, leurs alliés et leurs auxiliaires, puis jugés à Nuremberg, ou par une juridiction française. Le but n’était donc pas de gagner, mais — dans un premier temps — d’intimider.

 

Déposition écrite de Koray Incki (ingénieur, ancien étudiant de l’université de Californie méridionale), 2000 :

« Moi et les étudiants que je représentais avons été victimes du terrorisme arménien et d'autres formes de violence et de harcèlement antiturcs perpétrés par des éléments de la communauté arméno-américaine. Le soir du vendredi 8 avril 2000, l'USCTSA [l’Association des étudiants turcs de l’université de Californie méridionale] a tenté de tenir sa Neuvième soirée turque annuelle, au centre estudiantin du campus. La Soirée turque est très populaire à l'USC et présente la cuisine, la danse et musique de Turquie. Chaque année, plus de 200 étudiants y assistent. Malheureusement, cette année-là, notre évènement a subi une attaque brutale par un groupe nombreux des militants arméno-américains, qui ont convergé vers la salle de danse entre 20h30 et 21h30, lançant des objets sur les participants à cette fête et frappant sur les portes vitrées de la salle de danse. Ces militants portaient tous des t-shirts noirs qui disaient: “La Turquie est coupable de génocide.” Il va sans dire que le spectacle danse était entièrement financé, organisé et assisté par des étudiants de l’USC, et n'avait aucun lien avec le gouvernement turc.

Plus de 200 participants, terrifiés ont recherché protection derrière les lignes de police et à l’intérieur du bâtiment. Le département de la sécurité publique de l'USC a répondu en envoyant dix voitures de service, appuyées par un peloton de 25 policiers anti-émeute du département de police de Los Angeles (LAPD). Les forces de sécurité ont construit un mur humain autour de la danse salle. Alors que la plupart des manifestants avaient fui les lieux, les forces de l’ordre ont filmé l’affaire.

La police a pu arrêter deux militants arméno-américains. Incapable ou peu disposé à fournir la protection nécessaire qui eût permis à la Soirée turque de se dérouler comme prévu, le département de la Sécurité publique a ordonné l'arrêt de la soirée dès 22 h. Cette action officielle a non seulement récompensé les efforts des militants arméno-américains pour nuire, menacer et intimider les étudiants — turco-américains et autres — qui participaient à la fête, mais elle a aussi violé le droit de réunion de ces étudiants. Aucune poursuite n’a été engagée, car l’université [de Californie méridionale] considère que cette affaire est close [ce qui implique une intervention à un haut niveau, dont de simples braillards de rue seraient incapables : ils étaient donc protégés]. »

 


Le professeur Gilles Veinstein


« L’actualité à Marseille — Veinsein persiste mais en vain », Haïastan, juin 2000, p. 10 :

« Vendredi 12 mai 2000, la Maison méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence accueillait M. Gilles Veinstein, professeur [d’histoire ottomane] au Collège de France, pour un cours sur “Sultanat et califat dans l’Empire ottoman” [aucun rapport avec la question de 1915, donc]. Dans l’assistance, sont présents des historiens, chercheurs et étudiants, mais aussi, pour son tiers des Arméniens.

Le CDCA [Comité de défense de la cause arménienne, déjà évoqué plus haut] Marseille, la FRA Nor Seround [organisation de jeunesse de la FRA] sont présents, dispatchés discrètement dans la salle et sont fermes et unanimes : M. Gilles Veinstein ne fera pas son cours. Il est inconcevable [sic !] de laisser un homme faire à travers un cours la propagande politique d’un empire signataire de l’extermination du peuple arménien en 1915.

Ce négationniste du génocide arménien refusait par ses écrits [sic : un seul article] parus dans la revue L’Histoire d’avril 1995 l’emploi du terme “génocide”. Il reste perplexe quant à l’exactitude du chiffre des victimes arméniennes, revendique la reconnaissance des “victimes oubliées” (les victimes turques) [notons au passage le mépris exprimé par les guillemets] et discute “l’implication du gouvernement turc de l’époque”. Par conséquent, il remet en cause la crédibilité des nombreuses preuves apportées, entre autre [sic : faute d’orthographe maintenue ici]  le télégramme de Talat Pacha qui stipule l’extermination totale du peuple arménien au sein de l’Empire ottoman [un faux grossier, fabriqué sous la direction d’Aram Andonian, raciste déclaré, membre du Parti Ramkavar, créé par le raciste aryaniste Boghos Nubar].

[…]

À la question “Monsieur Veinstein, quel est votre prix ?”, accompagnée d’une pluie de pièces de cinq centimes, l’orateur se cacha dans une autre pièce. »

 

Jean-Louis Debré, Ce que je ne pouvais pas dire, Paris, Robert Laffont, 2016, p. 100 :

« 28 février [2012]

Le Conseil [constitutionnel], résistant aux pressions insistantes des associations d'Arméniens, annule les articles de la loi visant à réprimer toute contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi.

Cette décision me vaut les foudres de plusieurs parlementaires et nombre de lettres d'injures. Je me suis toujours opposé aux lois mémorielles et ce ne sont pas les menaces qui me feront changer d'avis. L'idée me choque que le pouvoir politique puisse prétendre imposer une lecture de l'Histoire, a fortiori qui ne concerne pas la France directement, mais les relations entre des communautés ou peuples étrangers. J'y vois une aberration qui aboutit de surcroît à porter atteinte à la liberté de penser. Il n'est naturellement pas question d'admettre les thèmes révisionnistes, ni d'oublier la Shoah, ni de tolérer qu'on veuille en nier l'existence. Mais est-il normal que la loi française doive se prononcer sur des massacres qui se sont produits au XIXe siècle dans l'Empire ottoman ?

C’est une caractéristique des régimes totalitaires que de s'arroger le droit d'exercer un contrôle sur ceux qui enseignent l'histoire. Rien n'est plus logique pour les dictateurs ou représentants de régimes autoritaires que l'instrumentalisation du passé. »

 

Arrêt de la cour d’appel de Versailles, 8e chambre correctionnelle, 30 avril 2014, Çetin c. Der-Hagopian :

« DÉCISION

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant publiquement a rendu l'arrêt suivant :

LES FAITS :

Emine ÇETIN, juriste au sein de la fédération des Turcs de France, a contribué à l’organisation le 21 janvier 2012 d’une manifestation à Paris contre le projet de loi présenté au Sénat visant à la pénalisation de la négation des génocides. Elle était par ailleurs connue pour représenter publiquement cette structure associative, et pour s’être exprimée sur cette question, dans le cadre de ses activités militantes, sur de nombreux médias.

Avant cette manifestation, puis pendant plusieurs jours, c'est-à-dire entre le 21 janvier et le 26 janvier 2012, Madame ÇETIN a reçu sur son téléphone portable de nombreux appels téléphoniques injurieux ou menaçants, en numéro masqué, principalement le soir et jusque tard dans la nuit.

Les propos suivants ont notamment été tenus : “Si tu tiens à la vie, ne manifeste pas, tu vas payer pour ce que tu as fait, fasciste, sale pute” (21 janvier 2012) ; “Sale pute de Turc, chienne fasciste” (23 janvier 2012) ; “On va faire le ménage entre le bon et le mauvais Turc, comme des salopes de ton espèce, et si tu t'y opposes, tu verras bien sale pute de Turc” (24 janvier 2012).

La plaignante a précisé avoir perçu deux voix d’hommes, parlant correctement le français.

Certains appels ont été reçus au milieu de la nuit, par exemple un appel de 21 minutes le 23 janvier 2012 à 0 heure 34, d’un homme lui disant travailler au ministère de l’Intérieur, vouloir démanteler les associations turques, lui demandant si elle tenait à la vie, et si elle n’avait pas peur de prendre la parole en public. Cet homme lui a même proposé de se rendre à un rendez-vous à Alfortville, proposition à laquelle elle n’a pas donné suite.

Les réquisitions auprès des opérateurs de téléphonie mobile ont permis d'établir que ces appels malveillants émanaient du numéro 06.17.61.43.73. La plaignante a été contactée à 23 reprises par ce numéro sur la période en question, entre le 21 et le 25 janvier. Certains des appels de cette liste correspondaient parfaitement, tant en ce qui concerne l’heure que la durée, aux appels relevés par la plaignante.

Le titulaire de ce numéro est Gilles DER AGOPIAN, demeurant à Alfortville. Il n'a pas déféré aux différentes convocations qui lui ont été adressées par les policiers et il a fallu recourir à la force publique pour l’interpeller et le placer en garde à vue. Gilles DER AGOPIAN a reconnu être le titulaire de la ligne en question, mais a nié être l’auteur des appels malveillants. Il a expliqué que ce téléphone était réservé à un usage professionnel, mais était utilisé uniquement par lui-même, éventuellement par sa mère, et par son frère Grégory DER AGOPIAN.

Ce dernier, interrogé à son tour, a reconnu qu’il utilisait effectivement cette ligne téléphonique, mais il a nié également être l’auteur des appels malveillants.

Saisi des poursuites engagées par le ministère public, le tribunal correctionnel de NANTERRE a statué par jugement réputé contradictoire du 27 novembre 2012 dans les termes rappelés en tête du présent arrêt. Le ministère public a relevé appel de ce jugement le 4 décembre 2012.

La partie civile en a relevé appel le 5 décembre 2012.

Par arrêt du 7 novembre 2013, cour d’appel de Versailles a ordonné un supplément d’information, qui a confirmé que Yakup GEZICI, co-organisateur de la manifestation en sa qualité, à l’époque, de vice-président de la fédération turque de Pantin, avait lui aussi reçu des appels téléphoniques menaçants dans la même période, c’est-à-dire à partir du 21 janvier 2012, jusqu’au 26 janvier 2012.

Comme avec madame ÇETIN, son interlocuteur s’était présenté comme appartenant au ministère de l’intérieur, avait voulu savoir qui finançait ces manifestations, puis le ton avait changé : l’homme l’avait menacé d’enlever sa femme et ses enfants et de les torturer.

Tous ces appels provenaient là encore d’un numéro caché. Monsieur GEZICI a pu enregistrer en partie l’une de ces conversations, dans laquelle son interlocuteur a prétendu se prénommer Grégory, et lui a donné rendez-vous chez AACE, 29 rue Étienne Dolet à Alfortville pour “s’expliquer”.

Les policiers ont procédé à une retranscription et à une copie de cette communication menaçante.

L’adresse indiquée par l’individu qui provoquait monsieur GEZICI, 29 rue Étienne Dolet à Alfortville, correspond à l’adresse professionnelle de Grégory DER AGOPIAN, où se situent les bureaux de sa société la SARLOURARTOO, entreprise de services à la personne.

Par ailleurs l’exploitation des factures détaillées du numéro 06.17.61.43.73 appartenant à Gilles DER AGOPIAN et utilisé par celui-ci, a permis de localiser l’auteur des 23 appels émis vers le numéro de madame ÇETIN et des 17 appels émis vers le numéro de monsieur GEZICI. Pour l’ensemble de ces 40 appels, les cellules activées se situaient dans le département du Val-d'Oise et plus précisément pour 33 de ces appels au n°1 de l’allée Modigliani à Alfortville. Or Gilles et Grégory DER AGOPIAN sont domiciliés au n°6 de cette même rue.

Devant la Cour,

La partie-civile a été entendue. Elle a exprimé son désir de ne plus risquer d’être inquiétée et de pouvoir s’exprimer librement. Son conseil a demandé à la cour de déclarer sa constitution de partie civile recevable et bien fondée. Il a sollicité que soit ajoutée à la prévention la qualification de menaces de mort sous condition. Soulignant le préjudice moral ainsi que les conséquences importantes des faits sur la vie personnelle et professionnelle de madame CETIN, il a demandé que les deux prévenus soient condamnés à lui verser 5000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral , ainsi que 2000 euros en application des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Le ministère public a demandé à la cour de déclarer les deux prévenus coupables des infractions reprochées, de condamner Grégory DER AGOPIAN à la peine de six mois d’emprisonnement avec sursis, et Gilles DER AGOPIAN, dont le rôle apparaît un peu moindre, à quatre mois d’emprisonnement avec sursis.

Les deux prévenus ont été cités pour la présente audience en étude, et ils n’ont pas retiré la lettre recommandée accompagnant leur citation. Il sera donc statué par défaut à leur encontre.

[…]

Il s’agit d’atteintes préméditées à la personne, dans un contexte visant à atteindre également la liberté d’expression, par la peur et la menace, les prévenus se dissimulant de surcroît derrière l’anonymat téléphonique. En raison de leur nature, de leur gravité, et de leurs conséquences pour la victime, ces faits doivent être sanctionnés par une peine d’emprisonnement. Celle-ci pourra néanmoins être assortie du sursis, les deux prévenus n'ayant jamais été condamnés jusqu’ici.

Il convient de prononcer une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis à l’encontre de Grégory DER AGOPIAN, dont les propos enregistrés sont les plus virulents et les plus provocateurs, et de quatre mois d’emprisonnement avec sursis à l’encontre de son frère Gilles DER AGOPIAN

II- Sur l’action civile :

Au vu des éléments du dossier ainsi que des conclusions et des explications de la partie civile, la Cour estime fondées les demandes de Emine ÇETIN concernant tant son préjudice moral que l’application de l’article 475-1 du code de procédure pénale, et lui allouera les sommes sollicitées »

 

Eugene Volokh, « All the way down the slippery slope at Cal State Northridge », The Washington Post, 16 décembre 2016 :

« Je n'arrête pas de penser à cette affaire épouvantable, survenue le mois dernier à l'université d'État de Californie à Northridge (CSUN), où l’Armenian Youth Federation [AYF, branche de jeunesse de la Fédération révolutionnaire arménienne aux États-Unis, créée en 1933 par Garéguine Nejdeh, le doctrinaire du nazisme à l’arménienne ; l’AYF a été en pointe dans l’exaltation du terrorisme arménien des années 1970 et 1980] a crié contre un conférencier invité, l'historien militaire George Gawrych, titulaire. Le Cal State Northridge Sundial indique :

“L'universitaire George Gawrych n'a pas prononcé plus de cinq phrases lors de la présentation de son livre sur l'officier de l'armée turque Mustafa Kemal Atatürk, avant que les étudiants n'élevassent la voix en signe de protestation, jeudi, à la bibliothèque Aronstam de Manzanita Hall.

Plus de vingt manifestants se sont levés de leur siège, ont tourné le dos à Gawrych et ont scandé à plusieurs reprises “Turquie, coupable de génocide” et “négationniste du génocide”.

Gawrych a attendu brièvement pendant que d'autres participants soutenaient qu’il fallait le laisser parler, puis il s’est mis à marcher de long en large dans l'allée en essayant d'amener les [manifestants] à lui faire face.

Deux policiers qui gardaient l'entrée ont escorté Gawrych, titulaire de la chaire d'histoire militaire Boal Ewing de l'Université Baylor, hors de la bibliothèque, au son rendu par les chants des manifestants.”

Owen Doonan, professeur à la CSUN, avait “invité Gawrych à parler pour le programme d'études islamiques du Moyen-Orient”. Le livre de Gawrych, The Young Ataturk: ​​From Ottoman Soldier to Statesman of Turkey, a remporté le prix de la Society for Military History en 2014. Et pourtant, il s'avère que même un universitaire invité avec des qualifications impressionnantes n'est pas autorisé à prendre la parole au CSUN.

Comme je l'ai noté en novembre, naturellement, aucun orateur ne devrait subir de tels cris, qu'il ait écrit un livre primé ou non — mais l’envergure du travail de Gawrych ne fait que rappeler la gravité du mouvement visant à supprimer la liberté d’expression dans les universités américaines. De temps en temps, lorsque je défends cette liberté pour des étudiants dans les universités, ou celle de professeurs en dehors de leur domaine d’expertise universitaire, des gens m’objectent  que la “liberté académique” consiste à protéger les universitaires qui parlent aux universitaires. Je ne pense pas que ce soit juste ; je pense qu'un débat ouvert dans les universités, y compris un débat académique ouvert, nécessite de protéger le discours qui n’est pas tenu par un expert ainsi que le discours d'experts. Mais ici, je n’ai pas besoin d’en parler : ici, un chercheur de premier plan dans son domaine a été visé par des hurlements.

Et, pour autant que je sache, cela a été fait sans aucune tentative de la part de l’université de protéger la capacité du savant à parler, ou de punir les étudiants qui criaient contre Gawrych. La sécurité de la CSUN était présente et a fait sortir Gawrych de la conférence lorsque (selon ce qu’a dit l’établissement en question) “une conférence du professeur George Gawrych en visite a été annulée dans l'intérêt de la sécurité publique, lorsqu'il a été déterminé que l'événement ne pouvait pas se poursuivre en raison d’une manifestation.” Mais, pour autant que je sache, ils n’ont pas essayé d’expulser les manifestants. »

 

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