Auguste Gauvain (1861-1931) est un journaliste français, surtout connu pour avoir dirigé la rubrique de politique étrangère du Journal des débats (centre droit républicain) à partir de 1908. Comme tel, il est le principal responsable du tournant antiturc de ce journal, très favorable à l’Empire ottoman jusqu’en 1914, une évolution freinée, autant qu’ils l’ont pu, par Robert de Caix (figure du journal jusqu’à sa nomination comme secrétaire général du haut-commissariat à Beyrouth, en septembre 1919) et Maurice Pernot (rédacteur de politique étrangère).
Auguste Gauvain, « Le
triomphe de Lénine », Journal
des débats, 10 novembre 1917, p. 1 :
« Lénine, qui se cachait depuis les émeutes de juillet afin d'échapper
à la prison,, s'est remontré, a parlé devant l'assemblée des Soviets, a été acclamé
et a fait prévaloir ses doctrines germano-pacifistes. Trotsky — de son vrai nom
Bronstein — défaitiste notoire, ancien bagnard, qui avait pris une grande part
à ces mêmes émeutes, domine le Soviet de Petrograd et lui fait accepter tout ce
qu’il veut. On a toute raison de croire qu’il est au gage de l’Allemagne. [Léon Trotski n’a jamais été un agent
allemand, était moins défaitiste, face à l’Allemagne, que Lénine et disait
ouvertement qu’il ne se considérait pas comme juif, malgré la religion de ses
parents.] […]
Certes les Russes cultivés, d’esprit à peu près sain, sont en immense
majorité navrés du succès des défaitistes. […] Mais pour venir à bout des énergumènes cosmopolites et des traîtres qui se
sont emparés du pouvoir dans la capitale, il faut que, sans perdre une
heure, tous les bons citoyens [comprendre :
ceux qui ne sont ni juifs ni communistes] s’entendent, se concertent,
préparent leur revanche et se consacrent sans réserve à l’œuvre libératrice de
la patrie. »
Auguste Gauvain, « La trahison des
maximalistes », Journal des
débats, 12 novembre 1917, p. 1 :
« Tout Russe qui n'est ni fou, ni vendu, doit se rendre compte que
jamais l'Allemagne ne laissera vivre à côté d'elle, après la paix, un grand État
à base d'anarchie comme la République des Lénine, Tchernof, Goldenberg [Goldenberg, bolchevik de famille juive, s’est
justement opposé à
Lénine en 1917, car il le trouvait trop violent et trop anarchique :
le citer ainsi relève donc de la pure malveillance antijuive], etc. Elle
favorise maintenant l'anarchie parce que celle-ci détruit l'immense empire
qu'elle regardait comme son plus formidable rival. Mais, après la paix, après
l'absorption de ses conquêtes, elle s'empresserait de rétablir le tsarisme ou
un régime analogue, qui lui donnerait des garanties pour l'avenir. Déjà, la
Gazette de Francfort s'effraye de la perspective d'un traité avec un
gouvernement issu de la révolution. Cet
organe judéo-libéral aspire à la restauration du tsarime. Cela donne la
mesure des intentions du Cabinet de Berlin [ou
comment sous-entendre que l’Allemagne de 1917 était aux mains de Juifs]. »
Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme, Paris, Le
Seuil, 1991, tome II, pp. 450-451 :
« Le Journal des débats et Le Temps [l’autre quotidien de la
bourgeoisie centriste et républicaine] soutenaient une fois de plus des thèses
opposées. Aux perfidies quasi quotidiennes des Débats, qui mettaient en cause non seulement “les énergumènes
cosmopolites et les traîtres qui se sont emparés du pouvoir” mais aussi “la
Gazette de Francfort, cet organe
judéo-libéral [qui] aspire à la restauration du tsarisme”, l’organe d’Adrien
Hébrard répliquait par une analyse dont la justesse ne s’est nullement
démentie, bien au contraire par toute l’histoire subséquente de la Russie au XXe
siècle […]
Quant à L’Action française [extrême droite], en ces journées
fatidiques, le mot de Juif n’apparut pas une seule fois dans ses colonnes. »
Auguste Gauvain, « Les
Alliés devant Constantinople », Journal
des débats, 16 novembre 1918, p. 1 :
« Il est naturel que les voyageurs en contact avec les paysans turcs
aient éprouvé de la sympathie pour eux. Mais il est fou de conclure de là à la
supériorité des Turcs. D'ailleurs ces “bons Turcs”, en fidèles sujets, n'ont
jamais hésité à
massacrer leurs voisins au premier signe du
sultan. En 1896, ils assommaient les Arméniens à coups de matraques dans
les rues de Constantinople avec la même indifférence et la même ponctualité que
s'ils avaient exécuté un exercice réglementaire [il s’agit en fait des représailles exercées par des Kurdes et des
Lazes pendant et après la prise d’otages meurtrière à la Banque ottomane].
Ils commençaient et finissaient ce “travail” aux sonneries des trompettes.
Libre à d'illustres écrivains [référence
à Pierre
Loti] d’admirer ces braves gens : c'est affaire entre eux et leur
conscience. Seulement les hommes politiques doivent s'inspirer d'autres
considérations. Chargés de reconstruire le monde politique et non de meubler
des musées, ils doivent mettre hors d'état de nuire un
gouvernement qui est le type des mauvais gouvernements. Il leur faut
refouler la
barbarie. Ils ont également mission de punir les ministres qui non
seulement ont lié partie avec l'Allemagne, mais ont donné
et fait exécuter l'ordre de supprimer sept à huit cent mille Arméniens. Que
quelques-uns de nos blessés et prisonniers aient été bien accueillis et soignés
par des Turcs, c'est possible. Toutefois ces bons traitements isolés ne
rachètent nullement les
abominations sans nom commises contre
les Arméniens d'abord, contre
les Grecs ensuite. Il nous est interdit de sanctionner indirectement les
nouvelles statistiques d'Asie Mineure [Grecs
et Arméniens étaient déjà minoritaires dans toutes les provinces anatoliennes
avant 1914] résultant de l'extermination d'une partie de la population
chrétienne. »
Auguste Gauvain, « La
Rhénanie et Constantinople », Journal
des débats, 11 mars 1921, p. 1 :
« Si l'on veut établir un régime stable en Turquie, il faut prémunir
les Turcs contre leurs propres imprudences, contre leur inaptitude à gouverner. »
Auguste Gauvain, « Les
négociations orientales — Les Détroits et l’Arménie », Journal des débats, 27 mars 1922, p. 1 :
« Le home arménien [territoire
autonome, au statut jamais défini avec précision, et réclamé de 1921 à 1924]
dont nous avons parlé serait d'autant plus facile à créer dans la partie de la
Vieille-Arménie située entre le lac de Van et Trébizonde que cette région ne
contient aucune population turque [sic !].
Les quatre à cinq cent mille Arméniens qui ont réussi à fuir pendant la période
des massacres pourraient s'y installer sans
gêner personne. Ils retrouveraient seulement les
Kurdes avec lesquels ils étaient habitués à vivre
paisiblement depuis des temps qui remontent bien
plus haut que la conquête ottomane. II faut un mélange extraordinaire d'aveuglement
et de férocité pour exclure de ces pays ceux qui y ont habité sans
interruption depuis près de trois mille ans. »
Lire aussi :
La
grécophilie, l’arménophilie et l’antijudéomaçonnisme fort peu désintéressés de
Michel Paillarès
L’helléniste
Bertrand Bareilles : arménophilie, turcophobie et antisémitisme (ensemble
connu)
Turcs,
Arméniens : les violences et souffrances de guerre vues par des Français
L’hostilité de l’opinion française (presse, Parlement) au traité de Sèvres (Grande Arménie incluse)
La
place tenue par l’accusation de « génocide arménien » dans le discours soralien
Les
massacres de musulmans et de juifs anatoliens par les nationalistes arméniens
(1914-1918)
La
nature contre-insurrectionnelle du déplacement forcé d’Arméniens ottomans en
1915
Nationalisme
arménien et nationalisme assyrien : insurrections et massacres de civils
musulmans
Le
soutien public d’Henri Rollin (officier de renseignement) aux conclusions de
Pierre Loti
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