Homme d’État français, Raymond Poincaré (1860-1934) été (entre autres) président de la
République de 1913 à 1920, président de la commission des Affaires étrangères
du Sénat de 1920 à 1922, président du Conseil (Premier ministre) et ministre
des Affaires étrangères de 1922 à 1924 puis une dernière fois président du
Conseil (et ministre des Finances) de 1926 à 1929.
Arthur Beylerian, « L’échec
d’une percée internationale : le mouvement national arménien (1914-1923) », Relations internationales, n° 31,
automne 1982, p. 367 :
« En tout cas, le discours qu’a prononcé Poincaré, à l’ouverture de la
conférence de la paix, n’a rien auguré de bon pour les Arméniens. Le président
de la République a cité le nom de presque tous les peuples ou nationalités au
rang des Alliés [l’Entente], qu’ils soient grands ou petits, qu’ils aient
participé ou non aux combats, comme le Guatemala ou le Nicaragua. Les Arméniens
n’ont pas été mentionnés (68).
__________
(68) Cf. Le Temps, 19 janvier 1919, n° 21015 ; Le Petit Parisien, 19 janvier 1919, n°
15231. »
ð
Feu
Beylerian, qui était un nationaliste arménien et plus précisément un ramkavar,
omet évidemment de préciser le conflit déjà en cours entre la République
française et les comités arméniens, ces derniers réclamant avec véhémence une
Arménie jusqu’à Mersin, et la France s’y opposant ; il évite à plus forte
raison de parler des crimes des volontaires arméniens à Ourmia et plus
récemment (décembre 1918) à İskenderun. Sa remarque sur le silence
calculé de Poincaré n’en demeure pas moins, en elle-même, juste.
Lettre de Léon Maccas,
ancien membre de la délégation grecque à la conférence de la paix, citée dans
Dimitri Kitsikis, Propagande et pression
en politique internationale. La Grèce et ses revendications à la conférence de
la paix (1919-1920), Paris, Presses universitaires de France, 1963, p.
368 :
« Quant à Raymond Poincaré, il ne nous aimait guère, et il avait une
antipathie innée contre [le Premier ministre Eleutherios] Venizelos. Il a eu
avec ce dernier plusieurs prises de bec. »
Paul Mantoux, Les Délibérations du Conseil des Quatre,
Paris, CNRS, 1955, tome II, pp. 327-328 (séance du 6 juin 1919) :
M. LLOYD GEORGE [Premier ministre britannique et turcophobe obsessionnel].
— Depuis, des commentaires ont paru aussitôt dans la presse turque sur l’amitié
de la France. Depuis, M. Pichon [ministre des Affaires étrangères] a envoyé à
Constantinople un télégramme de remerciements du président de la République
[Raymond Poincaré] en réponse à un message de politesse du Prince impérial de
Turquie.
M. CLEMENCEAU [président du Conseil de 1917 à 1920]. — J’ai dit d’abord que
notre représentant ne devait pas décourager les Turcs. Après la communication
que nous avons reçue de ceux-ci, nous avons décidé de leur envoyer une réponse
par nos représentants à Constantinople. M. Pichon m’a proposé de faire cette
démarche par les représentants de la France : j’ai refusé.
M. LLOYD GEORGE. — Ce qui est plus ennuyeux, c’est le télégramme du
président de la République. Supposez le roi d’Angleterre envoyant une lettre au
président [allemand Friedrich] Ebert.
M. CLEMENCEAU. — Ce que j’avais dit de faire était tout différent ; le
président de la République n’avait rien à voir là. »
Raymond Poincaré, « Chronique
de la quinzaine », Revue des deux
mondes, 1er septembre 1920, p. 213 :
« La ville de Sèvres a maintenant, elle aussi, son fleuron dans la couronne
de la paix. Le traité turc [prévoyant une Grande Arménie et une Grande Grèce] a
été signé, à la manufacture nationale, au milieu des biscuits et des flambés.
C’est lui-même un objet fragile, peut-être un vase brisé. »
Raymond Poincaré, « L’Entente
cordiale », La Dépêche
(Toulouse), 11 novembre 1921, p. 1 :
« Déjà, le traité de Sèvres et l’accord tripartie
[franco-anglo-italien sur les zones d’influences en Anatolie] du 10 août 1920
avaient été préparés dans les conditions les plus étranges. On critique
souvent, et parfois avec beaucoup d’âpreté, le traité de Versailles. On en
connaît, du moins, les négociateurs, et si l’on veut leur adresser des
reproches, ils sont là pour fournir leurs explications. Pour le traité de
Sèvres, c’est le mystère et la nuit. Personne ne sait qui en a vraiment la
responsabilité. Ceux qui l’ont signé ne l’ont pas négocié et il paraît être le
produit, d’ailleurs mort-né, d’une étonnante génération spontanée. À peine
a-t-il été mis au jour que tout
le monde l’a condamné. Il a donc bien fallu le remplacer. »
Avetis Aharonian (président
de la Délégation de la République arménienne), « From Sardarapat to Sèvres and
Lausanne. A political Diary. Part X » (journal tenu par Aharonian de 1918 à
1923), Armenian Review, XVIII-3,
automne 1965, p. 66 :
« Aujourd’hui 20 février [1922], après le dîner, [Gabriel] Noradounkian
[numéro de la Délégation nationale arménienne] et moi avons eu un entretien
avec Raymond Poincaré. […]
La sûreté des Arméniens en Turquie ne peut pas être assurée par le système
des garanties pour les minorités, affirma Noradounkian, parce que les Turcs ont
mille et une façons de contourner ces garanties. Ce sont des massacreurs,
indignes de confiance et incorrigibles [On rappellera au passage que
Noradounkian a été ministre Ottoman du Commerce de 1908 à 1909 puis des
Affaires étrangères de 1912 à 1913. Curieux « massacreurs ».]. Les
membres de la Grande Assemblée nationale à Ankara sont pour une grande part des
criminels, des auteurs de crimes contre les Arméniens [On relèvera qu’il ne
donne pas un seul exemple.]
POINCARÉ, qui écoutait avec un déplaisir manifeste tapa sur la table avec
sa main et s’exclama : “Laissez le
passé derrière vous, je vous le demande. Je n’ai pas de temps à perdre. Parlons
des réalités.”
NORADOUNKIAN. — Ce n’était pas mon intention de vous provoquer contre les Turcs,
mais simplement de vous expliquer la sombre réalité. Je n’ai rien de plus à
dire sur l’Arménie turque. M. Aharonian vous dira tout ce que les Turcs ont
fait dans l’Arménie caucasienne.
Poincaré se tourna vers moi, manifestant toujours sa colère à la suite de
ce petit incident, le visage rouge. Pour dissiper cette impression déplaisante,
je fus forcé de modifier ce que je voulais dire et d’aborder la question par un
angle distant. »
Réunion des ministres des
Affaires étrangères de Grande-Bretagne, d’Italie et de France, à Paris, pour
traiter de la question d’Orient — 2e séance, jeudi 23 mars 1922, p. 16
(Archives du ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, 118 PA-AP 62) :
« M. Poincaré fait remarquer que c'est sur le traité de Sèvres qu'on est le
moins d'accord. Ce n'est même pas un traité, c'est un projet de traité qui,
s'il était présenté aux Chambres françaises, serait repoussé à l'unanimité ; il
ne recueillerait pas une voix. M. Millerand l'a signé, il est vrai, mais il l'a
déclaré inapplicable. Il a dit lui-même à M. Poincaré qu'il l'avait signé parce
qu'il avait été préparé par ses prédécesseurs. M. Poincaré ne sait même pas par qui il a été préparé et ne veut pas le
savoir. »
Roger de Gontaut-Biron et L.
Le Révérend, D’Angora à Lausanne, les
étapes d’une déchéance, Paris, Plon, 1924, p. 100 :
« Au commencement de juin [1922], le vapeur français Saint-Marc se dirigeait sur Mersine,
avec un important chargement de camions automobiles Berliet, 10 000 fusils
mitrailleurs, 7 avions et 150 tonnes de matériel sanitaire, à destination de
l’armée turque [pour combattre l’armée grecque et ses volontaires arméniens, finalement
battus à plate couture en août-septembre de la même année]. Afin de prévenir
les incidents regrettable qu’eût pu faire naître la présence de la croisière
[navire de guerre] grecque, le Saint-Marc
fut dérouté sur Beyrouth et gagna ensuite Alexandrette [İskenderun],
sous l’escorte de deux canonnières françaises. »
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Cette
livraison venait s’ajouter aux armes données gratuitement par ordre d’Aristide
Briand, prédécesseur de Poincaré, en janvier 1922, à celles vendues à partir de
septembre 1921 et aux munitions livrées par le corps français d’occupation d’İstanbul
depuis décembre 1920.
Archives du ministère des
Affaires étrangères, La Courneuve, microfilm P 1380 :
« Le ministre des Affaires étrangères [Raymond Poincaré] au chargé d’affaires
français à Washington, 26 septembre
Le général [Maurice] Pellé [haut-commissaire à İstanbul], l’amiral
Dumesnil [commandant de la flotte française en Méditerranée orientale] et M.
[Michel] Graillet [consul général à İstanbul] ont acquis la conviction que les
Turcs ne sont pas responsables : avec des moyens limités, ceux-ci ont tout
fait pour le combattre et le circonscrire. L’amiral Dumesnil a fait contrôler
tout de suite et sur place les témoignages de certaines personnes affirmant
avoir vu des soldats turcs arroser de pétrole les rues et les maisons :
cette enquête a réduit les témoignages à néant.
D’autre part, la multiplicité des foyers d’incendie établit qu’ils ont été
allumés par des mains criminelles. L’exaltation de la population arménienne et
grecque a certainement permis de trouver les incendiaires désirés pour ne
laisser aux Turcs qu’une ville en cendres.
Il est prouvé, du reste, par de nombreux témoignages, que les troupes
grecques, en se retirant, ont mis méthodiquement le feu à Eski Chéir, Afion,
Ouchak, Alachéir, et que Brousse [Bursa] aurait eu le même sort sans l’intervention
de l’agent consulaire de France [officier de carrière], qui a obligé le
général grec Soumila à révoquer l’ordre qu’il avait donné d’incendier la ville. »
1920-1921 : l’irréductible conflit des points de vue français et nationaliste arménien sur Çukurova (« la Cilicie »)
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