vendredi 3 avril 2020

Le soutien public d’Henri Rollin (officier de renseignement) aux conclusions de Pierre Loti




Gérard Berréby, « Le faux et son usage », introduction à Henri Rollin, L’Apocalypse de notre temps, Paris, Allia, 2005 (1re édition, 1939), pp. 9-10 :
« Né le 11 septembre 1885 à Saint-Malo, Henri Rollin embrasse la carrière maritime et entre en 1903 dans l’armée navale où il est rapidement promu aspirant de deuxième (1905), puis de première classe (1906). Il appartient alors à la division de l’Extrême-Orient et navigue sur le croiseur cuirassé Chanzy, appareillé au port de Rochefort. En 1907, il est cité à l’ordre du jour de la division d’Orient et distingué par l’amiral Jaurès. Le 5 octobre 1908, il est nommé enseigne de vaisseau de première classe. Il servira  successivement sur le Cassard, le Jaureguiberry et le Condorcet, à bord duquel il rédige, entre 1911 et 1913, L’Évolution du droit des gens sur mer, un ouvrage qui annonce déjà ce que sera le conflit avec l’Allemagne.
La guerre éclate alors qu’il est officier canonnier sur le Diderot. Il rejoint en 1916 l’état-major de la division des flottilles de l’Adriatique basée à Brindisi et prend part à plusieurs expéditions sous-marines dangereuses.
Parallèlement, il développe une activité au sein des services secrets et devient, en 1917, chef du service de renseignements de la marine à Constantinople. Il se charge notamment d’organiser le débarquement d’agents secrets en territoire ennemi.
Son premier commandement, à bord du Paris II, date de cette même année. Il est chargé de surveiller la côte turque. Le 13 décembre, son vaisseau est attaqué et coulé, et lui-même, blessé, est fait prisonnier par les Turcs. Tous les témoignages mettent en avant sa conduite héroïque lors de cette attaque et de sa captivité, attitude qui lui vaudra le respect de ses ennemis, et plus tard la Croix de guerre ainsi que la Légion d’honneur. A partir de 1921 [quand les crédits sont réduits et les services de renseignement en Turquie fusionnés], il est placé en congé sans solde et hors cadres pour travailler à la Compagnie des messageries maritimes.
Démobilisé, il entre au Temps [journal officieux du ministère des Affaires étrangères], quotidien qui deviendra plus tard le journal Le Monde, où il s’occupe des rubriques de l’étranger : Perse, pays Baltes, Afghanistan et surtout Russie. »

ð   L’Apocalypse de notre temps est une réfutation minutieuse de la propagande nazie. L’ouvrage inclut la démonstration la plus détaillée sur les Protocoles des Sages de Sion, reprenant et approfondissant celle publiée en 1921 par le correspondant du Times à İstanbul, et prouvant à nouveau que ce texte est un faux. Marié à une Russe juive, agent double travaillant pour l’Intelligence Service en 1941-1942, protecteur d’Henri Frenay, Rollin se réfugie à Londres à la fin de 1942, dans un avion envoyé par ses amis britanniques (voir Henri Frenay, La nuit finira, Paris, Michalon, 2006 [1re éd., 1973], pp. 232-236, 239-241 et 586 ; ainsi que l’introduction citée ci-dessus).

Pierre Loti, Les Massacres d’Arménie (brochure), décembre 1918, reprise dans Les Alliés qu’il nous faudrait, Paris, Calmann-Lévy, 1919 :
« Arborer un tel titre équivaut pour moi à déployer un petit étendard de guerre, — guerre contre les idées fausses les plus enracinées, contre les préjugés les plus indestructibles. Je sais d’avance que je vais, une fois encore, récolter beaucoup d’injures, mais je suis quelqu’un que rien n’atteint plus : à l’heure qui vient de sonner dans ma vie, je ne désire plus rien et par suite ne redoute plus rien ; il n’est rien qui puisse m’obliger à taire ce que ma conscience m’impose de dire et de redire, de toutes mes forces. » (p. 39)
« Hélas ! oui, les Turcs ont massacré ! Je prétends toutefois que le récit de leurs tueries a toujours été follement exagéré et les détails, enlaidis à plaisir ; je prétends aussi, et personne là-bas n’osera me contredire, que la beaucoup plus lourde part des crimes commis revient aux Kurdes dont je n’ai jamais pris la défense.
Je prétends surtout que le massacre et la persécution demeurent sourdement ancrés au fond de l’âme de toutes les races, de toutes les collectivités humaines quand elles sont poussées par un fanatisme quelconque, religieux ou antireligieux, patriotique ou simple ment politique ; mais voilà, les Turcs sont les seuls à qui on ne le pardonne pas !
Nous Français, nous avons eu la Saint-Barthélémy, — à quoi l’on chercherait en vain un semblant d’excuse, — et puis les dragonnades, et puis la Terreur, et qui sait, hélas ! ce que demain nous réserve encore... L’Espagne a eu l’Inquisition ; elle a cruellement persécuté et expulsé les juifs, qui du reste se sont réfugiés en Turquie, où, ne faisant point de mal, ils ont été accueillis avec la plus absolue tolérance et sont devenus de dévoués patriotes ottomans. Aux Balkans, chez les chrétiens, le massacre et la persécution subsistent depuis des siècles à l’état chronique : orthodoxes contre catholiques, exarchistes contre uniates et contre musulmans ; comitadjis brochant sur le tout et, sans choisir, massacrant pour piller. Pendant la guerre déclarée en 1912 à la Turquie déjà aux prises avec l’Italie, les massacreurs ont été odieusement du côté de certains alliés chrétiens ; dans un précédent livre je crois en avoir donné d’irréfutables preuves, en publiant mille témoignages autorisés et signés, et des rapports dûment authentifiés de commissions internationales. N’ai-je pas prouvé aussi qu’en Macédoine les musulmans avaient été massacrés par milliers, de la plus hideuse manière. Mais cela ne fait rien, pour le public d’Occident ces crimes-là n’ont d’importance que s’ils sont commis par les Turcs. Non, ce sont les Turcs, toujours les Turcs ! » (pp. 44-45)
« Dans un précédent chapitre, j’ai conté une anecdote turque; ici, j’en conterai une essentiellement arménienne. Dans une ville d’Asie [Sivas], lors des massacres de 1896 [1895], le Consul de France, qui avait abrité le plus d’Arméniens possible au Consulat sous le pavillon français, venait de monter sur sa terrasse pour regarder ce qui se passait alentour, quand deux balles, venues par derrière lui, sifflèrent à ses oreilles ; s’étant retourné il aperçut, le temps d’un éclair, un Arménien qui l’avait visé par la fenêtre d’une maison voisine. Appréhendé et interrogé, le sournois agresseur répondit : “J’avais fait cela pour que les Turcs en fussent accusés, et dans l’espoir que les Français s’ameuteraient contre eux après ce meurtre de leur Consul.” » (p. 48)
« Il est regrettable pour eux, — du reste comme pour les Grecs, — que la guerre ait permis à trop de témoins européens de pénétrer au cœur de leur pays et de les voir à l’œuvre ; alors beaucoup de légendes sont tombées. On sait à présent que, s’ils ont été massacrés, ils ne se sont jamais fait faute d’être massacreurs. Maints rapports officiels en font foi. J’ai envoyé dernièrement à l’Illustration des photographies de charniers de Turcs préparés par leurs mains chrétiennes et où figuraient au tableau surtout des femmes et des enfants, car ces plus récentes tueries avaient été opérées dans des villages d’où les hommes étaient partis pour la guerre. Seulement les Turcs n’ont pas, comme eux, fatigué de tout temps les oreilles du monde entier par l’excès de leurs plaintes. Surtout ils ne sont pas chrétiens, les pauvres Turcs, et c’est Jà, aux yeux de l’Europe, une tare capitale. Les Arméniens et les Orthodoxes en ont-ils assez usé, abusé et surabusé, de ce titre de chrétien qui chez nous impressionne même les matérialistes et les athées ! » (p. 57)

Henri Rollin, lettre à Pierre Loti, 1919, reproduite ibid., p. 113 :
« Commandant,
J’ai une dette de reconnaissance à acquitter envers vous, car, étant tombé aux mains des Turcs après ma blessure, votre influence a beaucoup contribué à l’accueil que j’ai reçu de tous leurs officiers avec qui je me suis trouvé en contact pendant mes six mois d’hôpital. A chaque instant d’ailleurs on me demandait de vos nouvelles ; j’ai pu constater la reconnaissance que vous gardaient les Turcs de tous genres, de toutes provenances et l’influence que vous aviez sur eux. Avec quel esprit chevaleresque j’ai été soigné et traité et quel prestige la France conservait la malgré la guerre!
[…] il n’y a que l’influence française en Turquie dont, à part vous, on ne se préoccupe pas. Pourtant il n’y a pas, je crois, un Français connaissant la Turquie qui ne doive être tout à fait d’accord avec vous à propos de ce que vous avez écrit au sujet des “Massacres d’Arménie”. »

Remarque que j’aurai été le premier historien, semble-t-il, à faire par écrit (dans ma thèse, et maintenant ici) : la lettre du lieutenant de vaisseau Rollin a été imprimée avec son nom, dans Les Alliés qu’il nous faudrait (1919) comme dans La Mort de notre chère France en Orient (1920) ; par conséquent, Rollin a forcément avec l’accord, sinon l’encouragement, du ministère de la Marine.
Parmi les contradicteurs de Loti en 1918-1919, citons a contrario l’écrivain d’extrême droite et futur vichyste Camille Mauclair.

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