Gérard Berréby, « Le faux et
son usage », introduction à Henri Rollin, L’Apocalypse de notre temps, Paris, Allia, 2005 (1re
édition, 1939), pp. 9-10 :
« Né le 11
septembre 1885 à Saint-Malo, Henri Rollin embrasse la carrière maritime et
entre en 1903 dans l’armée navale où il est rapidement promu aspirant de
deuxième (1905), puis de première classe (1906). Il appartient alors à la
division de l’Extrême-Orient et navigue sur le croiseur cuirassé Chanzy,
appareillé au port de Rochefort. En 1907, il est cité à l’ordre du jour de la
division d’Orient et distingué par l’amiral Jaurès. Le 5 octobre 1908, il est
nommé enseigne de vaisseau de première classe. Il servira successivement sur le Cassard, le Jaureguiberry
et le Condorcet, à bord duquel il
rédige, entre 1911 et 1913, L’Évolution
du droit des gens sur mer, un ouvrage qui annonce déjà ce que sera le conflit
avec l’Allemagne.
La guerre éclate
alors qu’il est officier canonnier sur le Diderot.
Il rejoint en 1916 l’état-major de la division des flottilles de l’Adriatique
basée à Brindisi et prend part à plusieurs expéditions sous-marines
dangereuses.
Parallèlement, il
développe une activité au sein des services secrets et devient, en 1917, chef
du service de renseignements de la marine à Constantinople. Il se charge notamment
d’organiser le débarquement d’agents secrets en territoire ennemi.
Son premier
commandement, à bord du Paris II, date de cette même année. Il est chargé de
surveiller la côte turque. Le 13 décembre, son vaisseau est attaqué et coulé, et
lui-même, blessé, est fait prisonnier par les Turcs. Tous les témoignages
mettent en avant sa conduite héroïque lors de cette attaque et de sa captivité,
attitude qui lui vaudra le respect de ses ennemis, et plus tard la Croix de
guerre ainsi que la Légion d’honneur. A partir de 1921 [quand les crédits sont
réduits et les services de renseignement en Turquie fusionnés], il est placé en
congé sans solde et hors cadres pour travailler à la Compagnie des messageries
maritimes.
Démobilisé, il
entre au Temps [journal officieux du
ministère des Affaires étrangères], quotidien qui deviendra plus tard le
journal Le Monde, où il s’occupe des
rubriques de l’étranger : Perse, pays Baltes, Afghanistan et surtout Russie. »
ð L’Apocalypse de notre temps est une réfutation minutieuse de la
propagande nazie. L’ouvrage inclut la démonstration la plus détaillée sur les Protocoles des Sages de Sion, reprenant
et approfondissant celle publiée en 1921 par le correspondant du Times à İstanbul, et prouvant à
nouveau que ce texte est un faux. Marié à une Russe juive, agent double travaillant pour l’Intelligence
Service en 1941-1942, protecteur d’Henri Frenay, Rollin se réfugie à Londres à
la fin de 1942, dans un avion envoyé par ses amis britanniques (voir Henri
Frenay, La nuit finira, Paris,
Michalon, 2006 [1re éd., 1973], pp. 232-236, 239-241 et 586 ;
ainsi que l’introduction citée ci-dessus).
Pierre Loti, Les
Massacres d’Arménie (brochure), décembre 1918, reprise dans Les
Alliés qu’il nous faudrait, Paris, Calmann-Lévy, 1919 :
« Arborer un
tel titre équivaut pour moi à déployer un petit étendard de guerre, — guerre contre les idées fausses les plus
enracinées, contre les préjugés les plus indestructibles. Je sais d’avance
que je vais, une fois encore, récolter beaucoup d’injures, mais je suis quelqu’un
que rien n’atteint plus : à l’heure qui vient de sonner dans ma vie, je ne désire
plus rien et par suite ne redoute plus rien ; il n’est rien qui puisse m’obliger
à taire ce que ma conscience m’impose de dire et de redire, de toutes mes
forces. » (p. 39)
« Hélas ! oui, les Turcs ont massacré ! Je
prétends toutefois que le récit de leurs tueries a toujours été follement
exagéré et les détails, enlaidis à plaisir ; je prétends aussi, et personne
là-bas n’osera me contredire, que la beaucoup plus lourde part des crimes commis
revient aux
Kurdes dont je n’ai jamais pris la défense.
Je prétends
surtout que le massacre et la persécution demeurent sourdement ancrés au fond
de l’âme de toutes les races, de toutes les collectivités humaines quand elles
sont poussées par un fanatisme quelconque, religieux ou antireligieux,
patriotique ou simple ment politique ; mais voilà, les Turcs sont les seuls à
qui on ne le pardonne pas !
Nous Français,
nous avons eu la Saint-Barthélémy, — à quoi l’on chercherait en vain un
semblant d’excuse, — et puis les dragonnades, et puis la Terreur, et qui sait,
hélas ! ce que demain nous réserve encore... L’Espagne a eu l’Inquisition ; elle a cruellement persécuté et expulsé
les juifs, qui du reste se sont réfugiés en Turquie, où, ne faisant point de
mal, ils ont été accueillis avec la plus absolue tolérance et sont devenus de
dévoués patriotes ottomans. Aux Balkans,
chez les chrétiens, le massacre et la persécution subsistent depuis des siècles
à l’état chronique : orthodoxes contre catholiques, exarchistes contre uniates
et contre
musulmans ; comitadjis brochant sur le tout et, sans choisir, massacrant
pour piller. Pendant la guerre déclarée en 1912 à la Turquie déjà aux
prises avec l’Italie, les
massacreurs ont été odieusement du côté de certains alliés chrétiens ; dans
un précédent
livre je crois en avoir donné d’irréfutables preuves, en publiant mille
témoignages autorisés et signés, et des rapports dûment authentifiés de
commissions internationales. N’ai-je pas prouvé aussi qu’en Macédoine les
musulmans avaient été massacrés par milliers, de la plus hideuse manière. Mais
cela ne fait rien, pour le public d’Occident ces crimes-là n’ont d’importance
que s’ils sont commis par les Turcs. Non, ce sont les Turcs, toujours les Turcs
! » (pp. 44-45)
« Dans un
précédent chapitre, j’ai conté une anecdote turque; ici, j’en conterai une
essentiellement arménienne. Dans une ville d’Asie [Sivas], lors des massacres
de 1896 [1895], le Consul de France, qui avait abrité le plus d’Arméniens possible
au Consulat sous le pavillon français, venait de monter sur sa terrasse pour
regarder ce qui se passait alentour, quand deux balles, venues par derrière
lui, sifflèrent à ses oreilles ; s’étant retourné il aperçut, le temps d’un
éclair, un Arménien qui l’avait visé par la fenêtre d’une maison voisine.
Appréhendé et interrogé, le sournois agresseur répondit : “J’avais fait cela pour que les Turcs en fussent accusés, et dans l’espoir
que les Français s’ameuteraient contre eux après ce meurtre de leur Consul.” »
(p. 48)
« Il est
regrettable pour eux, — du reste comme pour les Grecs, — que la guerre ait permis
à trop de témoins européens de pénétrer au cœur de leur pays et de les
voir à l’œuvre ; alors beaucoup de légendes sont tombées. On sait à présent que, s’ils ont été
massacrés, ils ne se sont jamais fait
faute d’être massacreurs. Maints
rapports officiels en font foi. J’ai envoyé dernièrement à l’Illustration des photographies de
charniers de Turcs préparés par leurs mains chrétiennes et où figuraient au
tableau surtout des femmes et des enfants, car ces
plus récentes tueries avaient été opérées dans des villages d’où les hommes
étaient partis pour la guerre. Seulement les Turcs n’ont pas, comme eux,
fatigué de tout temps les oreilles du monde entier par l’excès de leurs
plaintes. Surtout ils ne sont pas chrétiens, les pauvres Turcs, et c’est Jà, aux
yeux de l’Europe, une tare capitale. Les Arméniens et les Orthodoxes en ont-ils
assez usé, abusé et surabusé, de ce titre de chrétien qui chez nous
impressionne même les matérialistes et les athées ! » (p. 57)
Henri Rollin, lettre à Pierre Loti, 1919,
reproduite ibid., p. 113 :
« Commandant,
J’ai une dette de
reconnaissance à acquitter envers vous, car, étant tombé aux mains des Turcs après
ma blessure, votre influence a beaucoup contribué à l’accueil que j’ai reçu de
tous leurs officiers avec qui je me suis trouvé en contact pendant mes six mois
d’hôpital. A chaque instant d’ailleurs on me demandait de vos nouvelles ; j’ai pu
constater la reconnaissance que vous gardaient les Turcs de tous genres, de
toutes provenances et l’influence que vous aviez sur eux. Avec quel esprit chevaleresque
j’ai été soigné et traité et quel prestige la France conservait la malgré la
guerre!
[…] il n’y a que
l’influence française en Turquie dont, à part vous, on ne se préoccupe pas.
Pourtant il n’y a pas, je crois, un Français
connaissant la Turquie qui ne doive être tout à fait d’accord avec vous à
propos de ce que vous avez écrit au sujet des “Massacres d’Arménie”. »
Remarque que j’aurai
été le premier historien, semble-t-il, à faire par écrit (dans ma thèse, et
maintenant ici) : la lettre du lieutenant de vaisseau Rollin a été
imprimée avec son nom, dans Les Alliés qu’il
nous faudrait (1919) comme dans La
Mort de notre chère France en Orient (1920) ; par conséquent, Rollin a
forcément avec l’accord, sinon l’encouragement, du ministère de la Marine.
Parmi les contradicteurs de Loti en 1918-1919, citons a contrario l’écrivain d’extrême droite et futur vichyste Camille Mauclair.
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